TRIBUNAL D’ARBITRAGE
Sous l’égide de
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)
CANADIAN COMMERCIAL ARBITRATION CENTRE (CCAC)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Canada
Province de Québec
Dossier no: S12-110601-NP
9107-3395 Québec inc.
(f/a/s Les Habitations nouvelle ère)
Demanderesse
c.
jeudina nelson et daniEL hervé joseph
Défendeurs
et
LA GARANTIE DESBÂTIMENTS RÉSIDENTIELS
NEUFS DE L’APCHQ inc
Administrateur
________________________________________________________________
DÉCISION ARBITRALE
________________________________________________________________
Arbitre : Me Jean Philippe Ewart
Pour les Bénéficiaire: MmeJeudina Nelson
M. Daniel Hervé Joseph
Pour l’Entrepreneur: M. Pierre Lepage, Président
9107-3395 Québec inc.
(f/a/s Les Habitations Nouvelle Ère)
Pour l’Administrateur: Me François Laplante
M. Jocelyn Dubuc, insp.-conciliateur
Date de l’audition: 22 janvier 2013
Date de la Décision: 12 avril 2013
Identification des Parties
entrepreneur: 9107-3395 québec inc.
(Les Habitations Nouvelle Ère)
M. Pierre Lepage, Président
15, 15e avenue,
Deux-Montagnes (Québec)
J7R 6P6
(« l’Entrepreneur »)
BÉNÉFICIAIRES : jeudina nelson et Daniel hervé joseph
2640, rue de l’Aubier
Terrebonne (Québec)
J7M 0C2
(les« Bénéficiaires»)
ADMINISTRATEUR: LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS
NEUFS DE L’APCHQ INC.
a/s : Me François Laplante
5930, Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec)
H1M 1S7
(«l’Administrateur»)
Mandat et Juridiction
[1] Le Tribunal est saisi du dossier par nomination du soussigné le 30 novembre 2012. Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée par les parties et juridiction du Tribunal est alors confirmée.
Litige
[2] Le litige est un recours qui découle d'une décision de l'Administrateur en date du 9 octobre 2012 (dossier No 195805-1) (la «Décision») avec demande d’arbitrage de l’Entrepreneur en date du 6 novembre 2012 soumise au Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC) («CCAC» ou «Centre») sous l’égide du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) (le «Règlement») adopté en conformité de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1)dans le cadre de la garantie prévue au Règlement (la « Garantie » ou le « Plan »).
[3] Le litige couvre deux (2) Points, soit relativement à l’escalier extérieur : Point 1 - Béton désagrégé sur les marches et Point 2 - Crépi décollé sur lescontremarches
Pièces
[4] Les Pièces contenues aux Cahiers de l’Administrateur sont identifiées comme A- avec sous-numérotation équivalente à l’onglet applicable au Cahier visé; les pièces soumises par les Bénéficiaires sont identifiées comme B- et les pièces soumises par l’Entrepreneur sont identifiées E-.
[5] Les Parties ont confirmé leur acceptation respective des Pièces pour fins de véracité et exactitude.
Chronologie de l’Arbitrage
[6] Sommaire de la chronologie du présent arbitrage :
2011.01.29 Contrat préliminaire et annexe (Pièce A-1 en liasse).
2011.06.14 Formulaire d’inspection pré-réception (Pièce A-2).
2011.06.14 Déclaration d’exécution finale des travaux (Pièce A-3).
2011.06.16 Acte de vente notarié (Pièce A-4).
2012.04.24 Lettre de dénonciation des Bénéficiaires à l’Administrateur
(Pièce A-5).
2012.05.14 Lettre de dénonciation des Bénéficiaires à l’Entrepreneur (Pièce A-7).
2012.10.09 Décision de l’Administrateur (Pièce A-9).
2012.11.06 Demande d’arbitrage par l’Entrepreneur.
2012.11.30 Nomination de l’arbitre.
2012.12.11 Appel-conférence préparatoire.
2012.12.16 Réception courriel de photos des Bénéficiaires (Pièce B-1 en liasse).
2013.01.16 Courriel de photos de l’Administrateur à ajouter à son cahier de pièces.
2013.01.22 Enquête et audition.
Faits Pertinents
[7] Le bâtiment est une résidence tel que décrit (le « Bâtiment ») à l’acte de vente daté du 17 juin 2011 (Pièce A-4) sous lequel comparaissent l’Entrepreneur (œuvrant aussi sous l’appellation ‘Les Habitations Nouvelle Ère’, selon la preuve)à titre de Vendeur et les Bénéficiaires à titre d’Acheteur.
[8] La réception du Bâtiment est en date du 14 juin 2011 et par correspondances datées des 24 avril (Pièce A-5) et 14 mai 2012 (Pièce A-7), les Bénéficiaires dénoncent les désordres constatés à leur résidence au printemps 2012, soit dans la première année de la garantie.
Prétentions et Plaidoiries
L’Entrepreneur
[9] L’Entrepreneur pourvoit à demande d’arbitrage de la Décision, alléguant que l’état du béton résulte d’un mauvais entretien de la part des Bénéficiaires et précisant, dans sa demande d’arbitrage, que c’est l’utilisation de sel [ndlr : de déglaçage] sur le balcon et les marches qui est la cause d’une dégradation s’il en est.
[10] Pour étayer sa demande d’arbitrage, l’Entrepreneur s’appuie alors entre autre sur un communiqué de presse de l’APCHQ en date du 11 octobre 2005 : « Écaillage des surfaces de balcons en béton - L’APCHQ fait une mise en garde sur l’utilisation de sels de déglaçage »(Pièce E-1).Le Tribunal comprend que ce communiqué désirait s’adresser aux propriétaires bénéficiaires et soulignaitdiverses restrictions proposées par les fabricants de sels de déglaçage.
L’Administrateur
[11] Dans la Décision, l’Administrateur considère que les Points 1 et 2 sont des malfaçons non apparentes et:
« … constate que le béton est considérablement et anormalement désagrégé en surface des marches de l’escalier en façade principale. »
et
« … constate que des plaques de crépi se décollent des contremarches de l’escalier de béton en façade principale du bâtiment. »
[12] L’Administrateur est d’avis et conclut que :
« la désagrégation du béton sur les marches ainsi que le manque d’adhérence du crépi dans les contremarches sont des désordres prématurés qui n’ont aucun lien avec l’usure normale des matériaux.
De plus, aucun signe apparent ne permet de croire que ces désordres pourraient être attribuables à un manque d’entretien de la part des occupants. »
Les Bénéficiaires
[13] Les Bénéficiaires sont satisfaits de la décision de l’Administrateur et font parvenir des photographies du balcon extérieur(Pièce B-1 en liasse) qui s’ajoutent aux photos transmises par l’Administrateur (Pièce A-10 en liasse).
Règlement et Législation
[14] Le Tribunal s’appuie pour les présentes que le Règlement est d’ordre public et prévoit que toute disposition d’un plan de garantie qui est inconciliable avec le Règlement est nulle[1]. Conséquemment, le Tribunal se réfère aux articles du Règlement lorsque requis sans rechercher la clause correspondante au contrat de garantie, s’il en est.
[15] La décision arbitrale est finale et sans appel et lie les parties dès qu’elle est rendue[2].
[16] Il est opportun de se référer à l’article 10(3) du Règlement dans le cadre de l’analyse des présentes et de la détermination de couverture de la Garantie :
« 10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :
3. la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code Civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons; »
[17] Le Règlement fait référence aux articles 2113 et 2120 du Code civil qui se lisent respectivement comme suit :
«2113. Le client qui accepte sans réserve, conserve, néanmoins, ses recours contre l’entrepreneur aux cas de vices ou malfaçons non apparents. »
«2120. L’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur pour les travaux qu’ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l’ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l’année qui suit la réception.»
[18] Afin de bien comprendre les obligations de l’Entrepreneur relativement à des malfaçons, il est utile de saisir les modalités suivantes :
«2100. L’entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d’agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l’ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d’agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s’assurer, le cas échéant, que l’ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu’ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure. »
«2103. L’entrepreneur ou le prestataire de services fournit les biens nécessaires à l’exécution du contrat, à moins que les parties n’aient stipulé qu’il ne fournirait que son travail.
Les biens qu’il fournit doivent être de bonne qualité; il est tenu, quant à ces biens, des mêmes garanties que le vendeur. … »
[19] Quoique les articles 2100 et suivant incluant art. 2120 C.c.Q. sont au titre du contrat d’entreprise au Code civil, il s’appliquent à l’entrepreneur et au promoteur immobilier dans les cas de vente, par le biais de :
«1794. La vente par un entrepreneur d'un fonds qui lui appartient, avec un immeuble à usage d'habitation bâti ou à bâtir, est assujettie aux règles du contrat d'entreprise ou de service relatives aux garanties, compte tenu des adaptations nécessaires. Les mêmes règles s'appliquent à la vente faite par un promoteur immobilier.»
«2124. Pour l'application des dispositions du présent chapitre, le promoteur immobilier qui vend, même après son achèvement, un ouvrage qu'il a construit ou a fait construire est assimilé à l'entrepreneur.»
Analyse et Motifs
[20] La lecture des articles pertinents de la législation nous fait comprendre que l’Entrepreneur est sujet à la Garantie des malfaçons et qui par le biais de l’art. 10 du Règlement s’applique. L’Entrepreneur, quant aux réclamations visées de malfaçons aux présentes, a une obligation de résultat, et notons que de respecter les règles de l’art (art. 2100 C.c.Q.) est une obligation de résultatdans nos circonstances, et si un résultat est requis :
« L’absence de ce résultat fait présumer la faute de l’entrepreneur… Pour engager la responsabilité de ce[s] dernier[s], le client n’a pas à faire la preuve d’une faute. Il lui suffit de démontrer le défaut au résultat obtenu.»[3]
[21] L’Entrepreneur
dépose copie d’un devis technique émis par l’APCHQ intitulé ʻFondations -
devis technique visant à réduire les problèmes d’écaillage des
surfaces de béton’(Pièce E-2) afin de souligner que selon lui l’APCHQ reconnaît que
l’utilisation de sels de déglaçage cause écaillage et effritement des surfaces
de balcons et qu’en plus d’avoir considéré nécessaire d’émettre un devis
technique sur la question, celle-ci prévoit des conseils préventifs au grand
public incluant tel qu’au communiqué précité.
[22] Toutefois, une lecture attentive permet au Tribunal de constater que ce devis ne confirme pas que les sels sont toujours responsables du type de dommage identifié par les Bénéficiaires, maisplutôt que l’on peut alléguer que les sels sont de grands responsables alors qu’il faut en tout premier lieu que les entrepreneurs assurent une bonne performance à long terme :
« … dans la plupart des cas, la mise en place du béton est en cause. On peut alléguer que les sels de déglaçage sont les grands responsables, il n’en demeure pas moins que l’industrie doit s’assurer d’offrir un produit qui permet un entretien normal et, à l’occasion, l’utilisation de sels de déglaçage sans que les surfaces soient endommagées.
[23] Le devis élabore la nécessité d’un béton de classe C-2 ayant une résistance de 32 MPa commentant d’ailleurs :
« Les exigences du Code de construction du Québec spécifient d’utiliser un béton de 25 MPa avec air entraîné. Cependant, cette exigence ne permet pas de garantir une bonne performance à long terme, si l’on se fie aux problèmes rencontrés. »
[24] La preuve n’a pas confirmé la résistance du béton utilisé et il y eut même des discussions sans conclusion sur l’utilisation de béton soit de 25MPa ou 30 MPa.
[25] Le Tribunal constate d’autre part l’absence d’un rapport d’expertise quant à, entre autres, la qualité du béton employé, le pourcentage d’air entraîné ou les délais de mûrissement. Dans une décision arbitrale (où l’entrepreneur cite comme aux présentes le manuel du propriétaire émis par l’APCHQ)visant spécifiquement les sels de déglaçage sur surface de béton, béton endommagé causé par le produit de déglaçage utilisé par les bénéficiaires où l’entrepreneur décline toute responsabilité pour dommages, l’arbitre C. Mérineau s’exprime sur le fardeau de
preuve de l’Entrepreneur dans les circonstances, alors qu’il y avait un rapport d’expert déposé par l’Entrepreneur et interrogatoire de l’expert ingénieure :
« 19. … L’administrateur a démontré dans sa décision que l’entrepreneur n’avait pas rempli son obligation de résultat » [ndlr : confirmant l’argumentation de l’administrateur]
« 20. Il appartenait à l’appelant [ndlr : entrepreneur] de faire la preuve que le produit de déglaçage ou d’autres causes étaient à l’origine de l’écaillage du béton. Il lui aurait fallu faire la preuve de la qualité du béton utilisé. Elle [ingénieure expert de l’entrepreneur] a tout au plus affirmé que le produit de déglaçage peut être une cause de l’effritement du béton. Pour le prouver elle aurait dut faire ce qu’elle préconise dans son avis écrit [rapport d’expert]… pour établir que la qualité du béton ne pouvait être mise en cause … »[4]
[26] La jurisprudence arbitrale sous le Règlement a revu cette question de déglaçage et de dégradation de béton à diverses reprises[5]; et plus particulièrement par exemple dans l’affaire Beausoleil c. Construction André Taillonqui identifie que le problème de décollement et de défaut d'adhérence au béton est dû à une malfaçon plutôt qu'à l'usage d'un sel déglaçant, nonobstant admission d’utilisation de sel par le bénéficiaire[6].
[27] Dans l’affaire Barabé c Qualitechnotre collègue l’arbitre Dupuis a même qualifié une dégradation rapide du béton sur balcon dénoncée dans une deuxième année de garantie comme un vice caché[7].
[28] L’Administrateur à la Décision constate que le béton est considérablement et anormalement désagrégé, et le Tribunal en est venu à la même conclusion. Il faut de plus noter que lorsque le Tribunal ordonne des travaux correctifs avec certaines spécifications, dans les circonstances du présent dossier, il vise non
pas une méthode d’exécution qui demeure de l’autonomie de l’Entrepreneur mais plutôt l’identification même des travaux à effectuer ce qui est clairement de sa compétence et devoir.
Conclusions
[25] Pour l’ensemble des motifs ci-dessus, le Tribunal rejette la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur et MAINTIENTla Décision de l’Administrateur..
[26] En conformité de l’article 123, para 1 du Règlement, les frais d'arbitrage se doivent d'être dans une proportion de 50% à la charge de l'Administrateur, et 50% à la charge de l’Entrepreneur.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[27] REJETTE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur;
[28] MAINTIENTla Décision de l’Administrateur et ORDONNE à l’Entrepreneur de refaire les marches (et contremarches et crépi) du balcon avant selon les règles de l’art, incluant les recommandations du devis technique précité, incluant les exigences de type et qualité du béton qui y sont contenues.
[29] ORDONNE que l'Administrateur et l’Entrepreneur assument à parts égales les frais du présent arbitrage.
DATE: 12avril 2013
________________________
Me Jean Philippe Ewart
Arbitre
[1](L.R.Q. c. B-1.1, r.02) D.841-98, a.5, article 5 du Règlement.
[2]Idem, articles 20 et 120 du Règlement.
[3]KARIM, V., Contrat d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers: construction et rénovation). Wilson & Lafleur, 2e éd. 2011, para. 295.
[4]Grigoropoulos (Re), 2005 CanLII 59092, para 19 et 20.
[5] Voir Singh-Kainth et Goyette, Duchesne & Lemieux inc., Gilles R. Léonard, Arbitre, CCAC, 03-0602, 2003.10.06.
Voir aussi 9095-9032 Qc inc.et SDC 2501-2515, boul. Maisonneuve Est, Jeffrey Edwards, Arbitre, GAMM no. 2005-12-008, 2006.03.06. Dans cette affaire, sur un aspect, le Bénéficiaire ayant témoigné qu’il n’utilisait pas de sel, la preuve ayant démontré qu’il y avait déglaçage contenant du sel, sinon du sel pur, le tribunal rejette la demande du bénéficiaire mais dans le même jugement, sur une autre partie de l’immeuble le tribunal considère que l’entrepreneur n’a pas surmonté son fardeau de preuve ou démontré que le bénéficiaire a agi de manière négligente quoique celui-ci emplie un produit de déglaçage, et le tribunal ordonne à l’entrepreneur de réparer.
[6]Beausoleil et Construction André Tailloninc., Robert Masson, Arbitre, Soreconi, 050718001 et 090474 (GMN) (décision rectifiée 2006-08-17), 2006.07.31.
[7]Carole Barabé c. Habitations Qualitechinc.; Claude Dupuis, Arbitre, GAMM, 2008-09-026 et 112214-1, 2009.04.07.