ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec : CCAC

ENTRE : FRÉDÉRICK LIANDIER

(ci-après le « Bénéficiaire »)

9173-5720 QUÉBEC INC. / CONSTRUCTION YANN THIBODEAU

(ci-après 1'« Entrepreneur »)

 GARANTIE CONSTRUCTION

RÉSIDENTIELLE

(ci-après Administrateur »)

Dossier CCAC : S22-020201-NP

DÉCISION SUR UN MOYEN PRÉLIMINAIRE

Arbitre

Me Jacinthe Savoie

Pour le Bénéficiaire

Monsieur Frédérick Liandier

Pour l'Entrepreneur :

Monsieur Yann Thibodeau

Pour l'Administrateur •

Me Pierre-Marc Boyer

Date de la décision

18 mars 2023

 

2

Bénéficiaire

Entrepreneur .

Administrateur .

 

Identification complète des parties

Frédérick Liandier

[...]

Sherbrooke (Québec) [...]

9173-5720 Québec inc. / Construction Yann Thibodeau

Case postale 21026, BP Marché Prospect Sherbrooke (Québec) J IH 6J7

et son représentant

Monsieur Yann Thibodeau

La Garantie de construction résidentielle

4101, rue Molson, 3e étage Montréal (Québec) HI Y 3L1

et son procureur

Me Pierre-Marc Boyer

 

Admissions

[1]  Il s'agit d'un bâtiment unifamilial isolé non détenu en copropriété divise et situé au [...] à Sherbrooke (Bâtiment).

[2]          Le 16 avril 2016, la réception du Bâtiment est intervenue.

[3]          Suite à une dénonciation de la part du Bénéficiaire, l'Administrateur émettait une décision en date du 11 novembre 2021, laquelle traitait de 16 points (Décision).

[41 Le Bénéficiaire a reçu la Décision en date du 12 novembre 2021.

Le 2 février 2022, le Bénéficiaire soumettait une demande d'arbitrage auprès du CCAC relativement à la Décision (Demande d'arbitrage).

Question préliminaire en litige

[6]        L'Administrateur allègue que la Demande d'arbitrage a été soumise hors délai, soit 82 jours après la réception de la Décision.

[7]        En conséquence, une audition virtuelle a eu lieu 8 juillet 2022 afin de procéder sur ce moyen préliminaire.

Principes applicables

[8] Les principes applicables à la présente affaire se retrouvent aux articles suivants du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs l (Règlement)

« 18. La procédure suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l'article 10:

5 0 dans les 30 iours qui suivent l'inspection, l'administrateur doit produire un rapport écrit et détaillé constatant le règlement du dossier ou l'absence de rèq/ement et en transmettre copie, par poste recommandée, aux parties impliquées. Si le délai de 30 jours ne peut pas être respecté pour des motifs raisonnables, l'administrateur doit en informer par écrit le bénéficiaire, l'entrepreneur et la Régie; l'administrateur doit également justifier le retard et annoncer quand la décision sera rendue. En l'absence de règlement, l'administrateur statue sur la demande de réclamation et ordonne, le cas échéant, à l'entrepreneur de rembourser au bénéficiaire le coût des réparations conservatoires nécessaires et urgentes et de parachever ou

1 R LRQ c. B-1.1, r.8. S21-020201 -NP


corriger les travaux dans le délai raisonnable qu'il indique, convenu avec le bénéficiaire; »

19. Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitraqe dans les 30 iours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation

19.1. Le non-respect d'un délai de recours ou de mise en oeuvre de la garantie par le bénéficiaire ne peut lui être opposé lorsque l'entrepreneur ou l'administrateur manque à ses obliqations prévues aux articles 17, 17.1, 18, 66, 69.1, 132 à 137 et aux paragraphes 12, 13, 14 et 18 de l'annexe Il, à moins que ces derniers ne démontrent que ce manquement n'a eu aucune incidence sur le non-respect du délai ou que le délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie ne soit échu depuis plus d'un an.

Le non-respect d'un délai ne peut non plus être opposé au bénéficiaire, lorsque les circonstances permettent d'établir que le bénéficiaire a été amené à outrepasser ce délai suite aux représentations de l'entrepreneur ou de l'administrateur.

107. La demande d'arbitrage doit être adressée à un organisme d'arbitrage autorisé par la Régie dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur ou, le cas échéant, de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partie/ de la médiation. L'organisme voit à la désignation de l'arbitre à partir d'une liste des personnes préalablement dressée par lui et transmise à la Régie. »

[Les soulignées sont de la soussignée]

Position du Bénéficiaire

[9]        Premièrement, monsieur Liandier soulève le non-respect par l'Administrateur de l'alinéa 5 de l'article 18 du Règlement. L'inspection du Bâtiment est survenue le 19 août 2021 et la Décision fut émise le 11 novembre 2021. Ainsi, le délai de 30 jours n'a pas été respecté.

[10]   Il soulève la question suivante : pourquoi l'Administrateur peut outrepasser le délai de 30 jours, alors que ce même Administrateur allègue le non-respect du délai de 30 jours pour porter la décision en arbitrage?

S21-020201 -NP

[11]   Au soutien de ses prétentions, il cite les propos d'Yves Fournier dans l'affaire Hélène Sommereyns c. 7002471 Canada inc. (Construction des Grands Jardins) et La Garantie de construction résidentiel/e[1]

« [165] // m'apparait inconcevable de refuser la couverture de la garantie à la bénéficiaire pour défaut d'avis écrit de dénonciation de malfaçon alors que les processus de vérification et de recherche de ces mêmes malfaçons au moment de procéder à l'inspection furent bafoués par l'entrepreneur. N'oublions pas que ce dernier avait toujours un devoir d'information face à la bénéficiaire.

[166] La maxime latine : « Non adimp/eti contractus » qui gouverne les obligations contractuelles des parties est reconnue par nos tribunaux. Ainsi, l'une des parties à un contrat de garantie ne peut déplorer à l'autre de ne pas avoir respecté ses obligations si elle-même n'a pas respecté les siennes. »

[12]   Monsieur Liandier précise qu'il a mandaté des inspecteurs dans cette affaire. Il a reçu deux rapports écrits en janvier 2022.

[13]   Il précise qu'il est médecin spécialiste et qu'il travaille à l'extérieur sur de longues périodes.

[14]   Il affirme avoir décidé de ne pas porter la Décision en arbitrage à la suite d'une discussion avec la conciliatrice au dossier, madame Camille Bélanger. En effet, il a compris de cette discussion

il y a peu de chance de réussir en arbitrage; il ne pourra rien faire; son dossier est futile; on ne peut rien reprocher à la Décision.

[15]   Par contre, monsieur Liandier admet que madame Bélanger n'a pas parlé spécifiquement d'arbitrage lors de la conversation intervenue avec cette dernière.

[16]   Le 1 er février 2022, il a regardé un reportage de l'émission La Facture. Il a alors pris conscience que l'Administrateur n'était pas nécessairement là pour protéger les bénéficiaires, mais qu'il était l'assureur des entrepreneurs. Il a compris également que la réponse à une demande d'arbitrage ne serait pas automatiquement négative comme l'Administrateur avait voulu lui faire croire. Ce reportage a été un élément déclencheur. Le lendemain, il portait la Décision en arbitrage.

[17]   Il constate que l'Administrateur et l'Entrepreneur ne subiront aucun préjudice si le présent moyen préliminaire est accueilli.

Position de l'Administrateur

[18]   Le procureur de l'Administrateur rappelle que la demande d'arbitrage fut logée auprès du CCAC 52 jours après la fin du délai de 30 jours prescrit au Règlement. Ce délai est de rigueur.

[191 Le délai d'arbitrage ne peut être tributaire de conditions extérieures comme la réception de rapports d'experts ou le temps supplémentaire nécessaire au Bénéficiaire pour se documenter sur ses droits. Si les conditions extérieures devaient être considérées, elles prolongeraient le délai d'arbitrage indéfiniment.

[201 Il est vrai que l'Administrateur n'a pas respecté le délai de 30 jours pour l'émission de sa Décision. Cependant, il ne s'agit pas d'un délai de rigueur. Le Bénéficiaire ne peut justifier son propre retard en raison de l'émission de la Décision hors délai3.

[211 Dans la présente affaire, il n'y a pas de preuve d'impossibilité d'agir du Bénéficiaire. L'Administrateur et l'Entrepreneur n'ont pas mis d'obstacle sur le chemin du Bénéficiaire l'empêchant de respecter le délai d'arbitrage.

[22]   En ce qui a trait aux représentations de madame Bélanger, elle n'a fait que défendre sa Décision. Son rôle n'est pas de conseiller le Bénéficiaire. Ce dernier ne peut se fier à madame Bélanger afin de décider s'il va ou non porter la Décision en arbitrage

[23]   Au soutien de ses prétentions, Me Boyer a soumis la décision Samantha Cloutier et Frédéric Rouleau c. Grave/ & Grave/ entrepreneurs généraux inc. et La Garantie Construction Résidentielle (GCR)4 .

[24]   Dans cette affaire, l'arbitre devait notamment décider s'il existe des circonstances atténuantes ou des exceptions prévues au Règlement permettant de ne pas tenir compte d'éventuels délais de dénonciations déraisonnables. L'arbitre a conclu

« Les raisons évoquées pendant l'audience par la procureure des Bénéficiaires pour tenter d'expliquer / légitimer les délais de dénonciation à l'Entrepreneur, ne sont tout simplement pas recevables pour le Tribunal d'arbitrage. De fait, que ce soit l'ignorance même du plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs et des règles de mise ne application de la Garantie, l'occupation due au travail, ou même la confiance « aveugle » envers son Entrepreneur, ces raisons évoquées ne peuvent être des justificatifs recevables pour ainsi passer outre les obligations du demandeur pour mettre en oeuvre ladite Garantie. 5))

Anne-Marie Roussin et Simon Godin c. Administrateur de la Garantie GCR, GAMM, 2020-01-17, Me Jean Doyle, 6 octobre 2020, paragraphes 8, 29 et 32.

3                  GAJD, GAJD.037, 4 août 2021 , Claude Prud'Homme, arbitre. 5 Id., paragraphe 70.

S21-020201-NP


[25]    Me Boyer soumet une autre décision[2] qui rejette la demande d'arbitrage aux motifs suivants

[25.1] la décision de l'administrateur a été reçue par les bénéficiaires le 29 avril 2015 et la demande d'arbitrage formulée le 2 juin 2015[3] ;

[25.21        le délai de 30 jours de l'article 19 du Règlement n'a pas été respecté[4][5] ;

[25.3] la jurisprudence a, unanimement et constamment, retenu la rigueur du délai de 30 jours9 ;

[25.41 le simple fait qu'un bénéficiaire n'a pas lu le passage de la décision mentionnant le délai de 30 jours n'est pas suffisant pour proroger le délai 10.

[26]    Le procureur de l'Administrateur souligne que pour prolonger le délai de 30 jours, il faut qu'il y ait une impossibilité d'agir et qu'aucun préjudice n'en découle pour les autres parties. Il ajoute qu'il n'a pas à faire la preuve que l'Administrateur subira un préjudice.

[27]    Il termine en plaidant que dans le présent dossier :

[27.11 le Règlement se définit par son caractère remédiateur; et

[27.21        1'Administrateur a certaines obligations qu'il remplit de manière neutre.

Position de l'Entrepreneur

[28]    Monsieur Thibodeau traite des faits entourant l'inspection précédant la Décision.

DÉCISION

[29]   Le Tribunal rappelle que l'Administrateur a présenté le moyen préliminaire et qu'il a le fardeau ll de prouver le bien-fondé de sa demande.

[30]   C'est la règle de la prépondérance de preuve qui s'applique, soit la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence [6]

[31]   Il est admis que le Bénéficiaire n'a pas respecté le délai de 30 jours prévu aux articles 19 et 107 du Règlement. Il a formulé sa demande auprès du greffe du CCAC 82 jours suivant la réception de la Décision.

[321 La preuve est à l'effet que, à la suite des représentations de la conciliatrice, le Bénéficiaire a conclu qu'une demande d'arbitrage était inutile dans cette affaire. Madame Bélanger n'étant pas venu offrir sa version de cette discussion, le Tribunal n'a d'autre choix que de considérer la version du Bénéficiaire. Ainsi, le Bénéficiaire a été amené à outrepasser le délai de 30 jours en raison des représentations de l'Administrateur. D'ailleurs, il a agi avec diligence aussitôt après l'écoute du reportage de la Facture.

[33]   Le deuxième paragraphe de l'article 19.1 du Règlement est clair • « Le nonrespect d'un délai ne peut non plus être opposé au bénéficiaire, lorsque les circonstances permettent d'établir que le bénéficiaire a été amené à outrepasser ce délai suite aux représentations de l'entrepreneur ou de l'administrateur. »

[34]   Suivant l'appréciation des faits et de la preuve offerte à l'audience préliminaire, ainsi que de la compréhension du Règlement et de la jurisprudence connue, le Tribunal rejette le moyen préliminaire et ordonne la poursuite du processus arbitrale, le tout sans préjudice et sous toute réserve du droit des parties de porter devant les tribunaux civils leurs prétentions;

[35]   Le Tribunal d'arbitrage, sur demande, rend les conclusions suivantes

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D'ARBITRAGE :

REJETTE

RÉSERVE

LE TOUT

le moyen préliminaire présenté par l'Administrateur;

à l'Administrateur ses droits à être indemnisé par l'Entrepreneur, pour tous travaux, toute action et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l'arbitrage (par. 19 de l'annexe Il du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d'adhésion prévue à l'article 78 du Règlement;

avec les frais de l'arbitrage à la charge de l'Administrateur, conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à

 

l'article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture

émise par l'organisme d'arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.

 

 

Boucherville, le 18 mars 2023

 

Me Jacinthe Savoie

 Arb re /CCAC

 


[1] CCAC, SI 7-102201-NP, 30 octobre 2018, Yves Fournier, arbitre.

S21-020201-NP

[2] Richard et Mazzapelle c. Les Habitations Classique V inc. et La Garantie Abritat inc., GAMM 2015-16-006, 8 octobre 2015, Me Jean Doyle, arbitre.

[3] Id. paragraphes [14] et [16].

[4] Id. paragraphe [17]. 9 Id. paragraphe [18].

10 Id

[5] Article 2803 du Code civil du Québec.

[6] Article 2804 du Code civil du Québec.