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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)
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ENTRE : |
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David Bolduc et Valérie Bidégaré |
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(ci-après les « bénéficiaires »)
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ET : |
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Gaubeau Construction inc. |
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(ci-après l'« entrepreneur »)
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ET : |
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La Garantie Habitation du Québec inc. |
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(ci-après l'« administrateur »)
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No dossier QH : 100869 - 8621 No dossier GAMM : 2015-03-004
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SENTENCE ARBITRALE
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Arbitre : |
M. Claude Dupuis |
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Pour les bénéficiaires : |
Me Katherine Boulianne |
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Pour l'entrepreneur : |
Me Terence Mathieu |
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Pour l'administrateur : |
Me François-Olivier Godin |
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Date d’audience : |
27 août 2015 |
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Lieu d’audience : |
Donnacona |
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Date de la sentence : |
9 octobre 2015 |
[1] Il s’agit ici d’une unité d’habitation non détenue en copropriété divise, située dans la région de Québec.
[2] Avant la signature du contrat préliminaire entre les bénéficiaires et l’entrepreneur Gaétan Gaudreault, propriétaire de Gaubeau Construction inc., le terrain appartenait déjà aux bénéficiaires, lesquels avaient été informés par le vendeur que ledit terrain contenait de l’ocre ferreuse.
[3] La réception de l’unité a eu lieu le 6 février 2014.
[4] Puisqu’il n’y avait pas d’égout pluvial à l’endroit où était situé le terrain et comme la hauteur du fossé de drainage ne permettait pas un drainage gravitaire, la propriété était munie d’un puisard intérieur et d’une pompe de refoulement.
[5] Toutefois, le drainage des fondations n’a pas suffi, de sorte qu’en avril 2014, l’entrepreneur a dû installer une deuxième pompe; par la suite, le 28 décembre 2014, il y a eu infiltration d’eau au sous - sol, d’environ un pouce d’épaisseur.
[6] Le 10 avril 2015, une autre infiltration d’eau, plus considérable que celle du 28 décembre précédent, est survenue; puis, une autre le 13 mai 2015, très importante également.
[7] Il a été admis que :
− Le niveau de l’eau à l’extérieur est plus haut que le niveau du drain; ainsi, les fondations baignent à une certaine fréquence dans la nappe d’eau souterraine.
− La présence d’ocre ferreuse est manifeste dans la fosse de pompage, sur le plancher du sous-sol ainsi qu’à la base d’une cloison porteuse, mais également sur le devant de la résidence, dans le fossé où se trouve la sortie de l’évacuation.
[8] Face à cette situation, dans le délai prescrit, les bénéficiaires ont adressé des réclamations à l’entrepreneur ainsi qu’à l’administrateur; lors de l’audience, M. Gignac, conciliateur, qualifie la présente situation de vice caché, et dans son rapport daté du 21 avril 2015, il conclut comme suit :
Par conséquent, l’entrepreneur devra faire les vérifications nécessaires et les correctifs requis, selon les règles de l’art, et l’usage courant du marché.
[9] S’il y a admission sur les causes des problèmes d’infiltration, il n’en est point de même sur les remèdes.
[10] M. Gilles Larouche, ingénieur, expert retenu par les bénéficiaires, après avoir énuméré cinq solutions possibles, soumet que seul le rehaussement de la maison est reconnu comme une méthode garantie fiable; le coût d’exécution de cette solution varie entre 50 000 $ et 100 000 $.
[11] M. Christian Maher, ingénieur, expert retenu par l’entrepreneur, est plutôt d’avis que la problématique d’infiltration d’eau peut être corrigée par une autre solution définitive, soit l’installation d’un drain intermédiaire sous la dalle, et je cite : « Ce drain pourrait être installé sur deux ou trois rangées parallèles, et être raccordé au puisard ». Il estime le coût de cette solution à 10 000 $.
[12] En cours d’enquête, les personnes suivantes ont témoigné :
− M. David Bolduc, bénéficiaire
− M. Gilles Larouche, ing., expert retenu par les bénéficiaires
− M. Michel Villeneuve, opérateur de machinerie lourde
− M. Christian Béland, entrepreneur en coffrage
− M. Gaétan Gaudreault, propriétaire de Gaubeau Construction inc., entrepreneur
− M. Christian Maher, ing., expert retenu par l’entrepreneur
− M. Martin Gignac, T.P., conciliateur pour l’administrateur
[13] Les parties ont accordé au soussigné un délai de quatre-vingt-dix (90) jours à compter de la date d’audience pour rendre sentence dans la présente affaire.
[14] Je souligne d’entrée de jeu que l’entrepreneur avait lui aussi déposé une demande d’arbitrage à l’encontre de la présente décision de l’administrateur; par souci d’efficacité, l’entrepreneur s’est désisté, tout en conservant ses prétentions; ce sont ces dernières qui seront traitées en premier lieu.
[15] Dans le présent dossier, la preuve est prépondérante à l’effet qu’il existe un vice de construction, et il faut tout d’abord déterminer qui doit en assumer la responsabilité.
[16] Il est admis que la dalle du sol baigne dans la nappe phréatique. Par la présence de l’ocre ferreuse, les risques de colmatage sont continuellement présents, de même que les dommages à la pompe.
[17] Habituellement, une pompe d’évacuation fonctionne de temps en temps, si le niveau de la nappe phréatique est conforme; sinon, la pompe fonctionne presque continuellement, comme dans le cas présent.
[18] Le procureur de l’entrepreneur prétend que l’ocre ferreuse est une exclusion prévue à la garantie, conformément à l’article 12.7° du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs :
12. Sont exclus de la garantie:
[…]
7° la réparation des dommages résultant des sols contaminés y compris le remplacement des sols eux-mêmes;
[19] Le soussigné est plutôt d’avis que l’ocre ferreuse n’est pas un contaminant au sens de cet article, mais plutôt une substance tout à fait naturelle résultant de l’oxydation du fer sous le sol et produisant des conséquences fâcheuses.
[20] Une réelle contamination résulte de l’introduction d’une substance étrangère dans le sol.
[21] Pour que l’ocre ferreuse soit exclue du plan de garantie, il aurait fallu que le législateur l’identifie spécifiquement dans les exclusions.
[22] M. Bolduc, bénéficiaire, a acheté le terrain d’un agent d’immeuble; ce dernier l’a informé de la présence d’ocre ferreuse.
[23] M. Bolduc témoigne qu’il a également informé l’entrepreneur de la présence de cette substance et que ce dernier aurait répondu « qu’il installerait un drain sans coût supplémentaire ».
[24] Lors de l’inspection pré-réception, la pompe fonctionne; inquiet, M. Bolduc le mentionne à l’entrepreneur, lequel lui aurait répondu : « Ça va rentrer dans l’ordre ».
[25] M. Gaétan Gaudreault témoigne qu’avant d’être entrepreneur en construction, il était sous-traitant en revêtement; il construit des maisons clés en main depuis quatre ans à Saint-Émile; la maison des bénéficiaires est la première qu’il a construite à Donnacona.
[26] L’entrepreneur avoue sa totale ignorance à cet égard lorsque le bénéficiaire l’informe de la présence d’ocre ferreuse sous son terrain.
[27] À son interlocuteur soucieux, M. Gaudreault aurait suggéré de procéder à un test de sol pour un coût supplémentaire de 1 500 $; selon l’entrepreneur, M. Bolduc aurait refusé (le bénéficiaire nie qu’on lui ait proposé un tel test).
[28] Le tribunal rappelle que la construction d’une maison dont les fondations baignent dans la nappe phréatique est non conforme au Code national du bâtiment.
[29] Il existe une preuve non contredite que le client a informé l’entrepreneur de la présence d’ocre ferreuse sous son terrain.
[30] L’entrepreneur a témoigné qu’à cette date, il n’avait aucune idée de ce qu’était l’ocre ferreuse.
[31] En s’informant, on peut apprendre facilement que si la nappe n’est pas trop élevée, l’ocre ferreuse n’apparaît pas; dans le cas contraire, l’ocre ferreuse apparaît.
[32] Dans le cas où l’entrepreneur sait que le terrain contient de l’ocre ferreuse, il doit au préalable prendre les dispositions nécessaires pour éviter que les fondations baignent dans la nappe.
[33] Ces dispositions s’appliquent même si le terrain appartient au client.
[34] Le client nie que l’entrepreneur lui ait offert de procéder à un test de sol; impossible pour le tribunal de départager à ce moment-ci le vrai du faux.
[35] Toutefois, si l’entrepreneur a proposé un test de sol, c’est qu’il avait des doutes sur la qualité de celui-ci; si l’entrepreneur, après la signature du contrat, entretenait des doutes sérieux sur la qualité du sol, il avait quand même la responsabilité de construire sur une bonne fondation.
[36] L’entrepreneur, qui avait construit durant un nombre restreint d’années à Saint-Émile, n’a pas pris les précautions nécessaires pour agir dans un nouvel environnement où il n’était jamais intervenu; sans compter son inexpérience avouée en matière d’ocre ferreuse.
[37] Il n’existe aucune preuve que l’entrepreneur ait informé le client des conséquences néfastes pouvant résulter de la présence de l’ocre ferreuse, et ce, alors qu’il avait été avisé par celui-ci de la présence de cette substance.
[38] L’article 2104 du Code civil du Québec s’applique à la présente situation :
2104. Lorsque les biens sont fournis par le client, l'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu d'en user avec soin et de rendre compte de cette utilisation; si les biens sont manifestement impropres à l'utilisation à laquelle ils sont destinés ou s'ils sont affectés d'un vice apparent ou d'un vice caché qu'il devait connaître, l'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu d'en informer immédiatement le client, à défaut de quoi il est responsable du préjudice qui peut résulter de l'utilisation des biens.
[39] Dans sa décision du 21 avril 2015, l’administrateur admet le vice, mais n’impose pas à l’entrepreneur une méthode d’intervention; il laisse à ce dernier le soin de faire les vérifications nécessaires et d’apporter les correctifs requis.
[40] Le procureur de l’administrateur poursuit en adoptant le principe que l’entrepreneur prend la décision appropriée alors qu’il a une obligation de résultat.
[41] Ce principe est vrai à condition que la solution proposée soit conforme à l’esprit du plan de garantie.
[42] L’entrepreneur et l’administrateur proposent l’installation d’un drain intermédiaire sous la dalle, raccordé au puisard.
[43] On nous dit qu’on va casser, briser le plancher de béton au sous-sol, qu’on va installer un drain intermédiaire et que si ça ne marche pas, l’entrepreneur va essayer autre chose.
[44] Interrogé par le soussigné, l’ingénieur Maher, dont les services ont été retenus par l’entrepreneur, admet que si un individu est propriétaire d’un tel terrain, s’il en connaît l’état avant la construction, s’il ne peut construire à un niveau plus élevé et s’il veut dormir tranquille, il lui faudrait s’en départir.
[45] Je rappelle que nous sommes en présence d’une situation problématique naturelle et permanente. Le remède exige donc une solution naturelle et permanente, ce qu’un bassin de captation ou tout drain, si efficace soit-il, ne peuvent constituer, dû à la formation possible d’ocre ferreuse dans un milieu humide.
[46] La solution avancée par l’entrepreneur sera encore plus problématique, car on va installer des sections de drain supplémentaires, susceptibles elles aussi de se colmater.
[47] On doit plutôt s’assurer de régler le problème une fois pour toutes, et une bonne solution conforme au plan de garantie ne doit pas nécessiter d’entretien régulier comme c’est le cas actuellement, entretien qui sera augmenté suite à l’implantation de la méthode proposée par l’entrepreneur.
[48] La méthode proposée par l’entrepreneur et l’administrateur constitue un moyen pour minimiser les coûts et minimiser la situation actuelle, et ne constitue pas une solution permanente et définitive.
[49] Comme on le sait déjà, l’expert retenu par les bénéficiaires recommande comme solution le rehaussement de la maison, de façon, et je cite, « à ce que les remontées de la nappe d’eau ne puissent pas atteindre le béton de la nouvelle dalle de plancher du sous-sol ».
[50] L’ingénieur considère que c’est là une méthode garantie et fiable.
[51] POUR CES MOTIFS, la présente réclamation des bénéficiaires est favorablement ACCUEILLIE.
[52] Dans la présente affaire, après avoir analysé les faits et les preuves des parties, le tribunal conclut que la méthode d’intervention proposée par l’expert des bénéficiaires est la seule qui réponde aux exigences du plan de garantie, soit la correction du vice ci-devant démontré et reconnu.
[53] Afin de remédier à la situation ci-devant décrite, le tribunal ORDONNE donc à l’entrepreneur d’effectuer le rehaussement de la résidence, de corriger définitivement les malfaçons qui affectent les fondations et le drain de la maison des bénéficiaires, et de procéder à la remise en état des lieux. L’exécution des travaux devra être conforme aux règles de l’art, et l’entrepreneur devra s’assurer du niveau de rehaussement. Les travaux devront être complétés pour le 31 août 2016.
[54] À défaut par l’entrepreneur de remplir ses obligations, le tribunal ORDONNE à l’administrateur d’y suppléer, et ce, dans le même délai.
[55] Conformément à l’article 124 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le tribunal CONDAMNE l’administrateur à rembourser aux bénéficiaires les frais d’expertise encourus, soit un montant total de quatre mille sept cent soixante-quatre dollars et cinquante-six cents (4 764,56 $), et ce, dans les trente (30) jours de la présente.
[56] Conformément à l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le soussigné DÉCLARE que les coûts du présent arbitrage sont entièrement à la charge de l’administrateur.
BOUCHERVILLE, le 9 octobre 2015.
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__________________________________ Claude Dupuis, arbitre |
ANNEXE
À l’appui de leur argumentation, les parties ont soumis la jurisprudence suivante :
− Marie-Claude Thibodeau et Alain Doré et Construction Canadienne 2000 inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 30 septembre 2013 par M. Claude Dupuis (GAMM).
− Michel Gauthier et Sylvie Bujold c. Yvon Duperron 9119-5834 Qc inc. et La Garantie des Maîtres Bâtisseurs inc., sentence arbitrale rendue le 20 février 2007 par Me Marcel Chartier (SORECONI), 2007 CanLII 54584 (QC OAGBRN).
− Denis Douillard c. Les Entreprises Robert Bourgouin Ltée et La garantie Qualité Habitation, sentence arbitrale rendue le 19 décembre 2005 par Me Marcel Chartier (SORECONI), 2005 CanLII 59909 (QC OAGBRN).
− David Richer et 9141-3873 Québec inc. (cession de biens juin 2010) et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 15 novembre 2011 par M. Alcide Fournier (CCAC).
− Vincenzo Pampena et Linda Calderone et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. et Habitations André Taillon inc., sentence arbitrale rendue le 6 avril 2014 par Me Karine Poulin (GAMM).
− Montréal (Office municipal d’habitation de) c. Consortium MR Canada ltée, 2013 QCCS 195.
− Construction Lortie inc. c. Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec inc., 2009 QCCS 4554.
− Hedi Blagui et Construction D.M. Turcotte T.R. inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, sentence arbitrale rendue le 9 mai 2013 par Me Michel A. Jeanniot (SORECONI).
− Louiselle Moreau c. La Garantie Qualité Habitation du Québec inc., sentence arbitrale rendue le 3 février 2003 par M. René Blanchet (CACNIQ), 2003 CanLII 56691 (QC OAGBRN).
− Promutuel Lévisienne-Orléans, société mutuelle d’assurances générales c. Fondations du St-Laurent (1998) inc., 2010 QCCA 694.
− Larouche c. Gauvreau & Fils Excavation inc., 2013 QCCS 4175.
− Olivier F. KOTT et Claudine ROY, La construction au Québec : perspectives juridiques, Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 1998, p. 436-446.
− Johanne Marcotte et Les Constructions Cherbourg inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 15 mai 2010 par Me Jeffrey Edwards (GAMM).
− Louise Joly et Richard Ranger et Construction Casavia inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, sentence arbitrale rendue le 17 septembre 2008 par M. Guy Pelletier (SORECONI).
− Davie Shipbuilding et autres c. Cargill Grain et autres, [1978] 1 R.C.S. 570.
− Karine Fiset et Daniel Paquette et Groupe Axxco inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., sentence arbitrale rendue le 20 décembre 2011 par M. Guy Pelletier (CCAC).
− Construction Réal Landry inc. c. Rae, 2011 QCCA 1851.