ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : SORECONI
ENTRE : HEDI BLAGUI;
(ci-après le « Bénéficiaire »)
ET : CONSTRUCTION D.M. TURCOTTE T.R. INC.;
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ;
(ci-après l’« Administrateur »)
Nos dossiers SORECONI: 100112002
DÉCISION
Arbitre : Me Michel A. Jeanniot
Pour le Bénéficiaire : Me Ghislain Lavigne
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Michel Turcotte
Pour l’Administrateur : Me Jacinthe Savoie
Date de la Décision : 9 mai 2013
Identification complètes des parties
Bénéficiaire : Monsieur Hedi Blagui
[…] Trois-Rivières (Québec) […]
Et leur procureur :
Me Ghislain Lavigne
Entrepreneur: Construction D.M. Turcotte T.R. Inc.
Att : Monsieur Michel Turcotte
6685, boulevard Marion
Trois-Rivières (Québec) G9A 6J5
Administrateur : La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ
5930, boul. Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
Et son Procureur :
Me Jacinthe Savoie
HISTORIQUE DU DOSSIER
01.12.2010 Réception de la demande d’arbitrage
13.01.2010 Notification d’arbitrage envoyée aux parties et nomination de l’arbitre
05.01.2011 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur
23.06.2011 Conférence téléphonique tenant lieu et place d’une conférence préparatoire
11.07.2011 Sentence interlocutoire
25.10.2011 Transmission de la convocation des parties à une enquête et audition prévue pour le 13 décembre 2011
07.11.2011 Réception du rapport d’un témoin expert
01.12.2011 Transmission d’une correspondance accordant la demande des parties de remise de l’enquête et audtion
13.04.2012 Transmission d’une correspondance recherchant disponibilité pour refixer l’enquête et audition
19.04.2012 Transmission de la convocation des parties à l’enquête et audition devant avoir lieu le 7 juin 2012
23.05.2012 Discussions avec les parties concernant une possible demande de remise
28.05.2012 Transmission d’une correspondance accordant la remise de l’enquête et audition et recherchant période à laquelle doit-elle être reportée
21.06.2012 Transmission d’une correspondance quant aux disponibilités pour refixer l’enquête et audition
09.08.2012 Transmission de la convocation à une enquête et audition, lieu et heure à être déterminé ultérieurement
06.09.2012 Réception d’une demande de remise par les Bénéficiaires
20.09.2012 Transmission d’une correspondance accordant la remise de l’enquête et audition
13.02.2013 Échange de correspondances visant les disponibilités pour refixer l’enquête et audition
03.04.2013 Transmission d’une convocation pour l’enquête et audition, lieu et heure à être déterminé ultérieurement
26.04.2013 Transmission d’une correspondance confirmant lieu et heure pour la tenue de l’enquête et audition
02.05.2013 Enquête et audition en salle RC.03 du Palais de justice de Trois-Rivières
DÉCISION
1. La présente s’inscrit dans la mouvance et continuité de la sentence interlocutoire du 11 juillet 2011;
2. Je rappelle que dans la collégialité, consensus fut obtenu à l’effet que la saine administration de la justice dictait que les dossiers suivants soient réunis pour une seule et même enquête et audition. Il s’agit des deux (2) dossiers suivants :
2.1. 100112001 : Mélanie Cossette & Jean-François Gagnon
2.2. 100112002 : Hedi Blagui
Objection préliminaire
3. Séance tenante et dès l’ouverture de l’enquête et audition, le tribunal obtient la confirmation des parties (et de leurs procureurs) qu’aucune objection préliminaire et/ou moyen déclinatoire ne sera soulevé. Le tribunal constate que juridiction est acquise;
Sommaire
4. Les dossiers réunis concernent deux (2) décisions de l’Administrateur à savoir :
4.1. une décision 2 novembre 2010, sous la plume de Monsieur Jacques Fortin, architecte (inspecteur conciliateur, service de la conciliation), une décision qui adressait distinctivement deux (2) points et concernait le […] à Trois-Rivières;
4.2. une décision du 2 novembre 2010, sous la plume de Monsieur Jacques Fortin, architecte (inspecteur conciliateur, service de la conciliation), une décision qui adressait distinctivement quatre (4) points et concernait le […] à Trois-Rivières;
5. Les dossiers ont non seulement été réunis pour une seule et même enquête et audition mais séance tenante, il a de plus été décidé que les dossiers feraient l’objet d’une preuve commune; les parties entendant procéder dans le dossier Hedi Blagui (100112002) et considérant qu’il y a preuve commune, toute(s) preuve(s) faite(s), administrée(s) et/ou versée(s) dans le dossier Blagui vaut pour le dossier Cossette-Gagnon (100112001);
6. De plus, il a été décidé que la demande d’arbitrage se limite à deux (2) points à savoir :
6.1. la présence de dépôt ferrugineux dans le système de drainage du bâtiment;
6.2. la niveau d’implantation du bâtiment;
Admission
7. La date de réception de l’unité résidentielle est fixée en août 2005, la première réclamation écrite à l’Administrateur remonte au mois de mai 2010 et la seconde réclamation à l’Administrateur en date de juillet 2010;
8. Il s’agit de dossier concernant des unités résidentielles jumelées non détenues en copropriété (semi-détachées), les unités Blagui (7139) et Cossette-Gagnon (7135) partagent un mur mitoyen, le même empattement et la même fondation (i.e. la même «élévation»);
9. Sous réserve de la valeur probante des documents et pièces, le cahier de pièces (pièces A-1 @ A-9) émis par l’Administrateur est admis pour fin de production ainsi que les pièces (supplémentaires) déposées en cours d’enquête soit les pièces A-11 @ A-15 (aucune pièce A-10) ainsi que le cahier de pièces des Bénéficiaires soit B-1 @ B-7 ainsi que la pièce supplémentaire B-9;
10. La valeur estimée de la réclamation est entre quinze mille un et trente mille dollars (15 001,00 $ et 30 000,00 $);
Ouverture de l’enquête et audition
11. Nous constatons donc que les réclamations des Bénéficiaires ont été reçues par l’Administrateur entre la troisième (3e) et cinquième (5e) année de la garantie et que l’article 3.4 du contrat de garantie est donc source des accises juridiques de la demande. Que la problématique soit malfaçon ou vice caché ne suffit pas, il doit s’agir d’un vice majeur et/ou de perte de l’ouvrage afin de faire suite à la demande des Bénéficiaires;
12. Tel qu’il m’en est coutume, je ne reprendrai pas ici, avec force de détails, l’éventail de la preuve administrée. Je me limiterai, pour les fins des présentes, à ne reprendre que les éléments ginglymes à mon processus décisionnel;
Témoin Michel Jodoin
13. Après un bref voir-dire, le tribunal accorde à Monsieur Jodoin, (ingénieur directeur principal pour la Mauricie Centre-du-Québec pour «Groupe Qualitas Inc.»), le statut de témoin expert et sera donc habiliter à témoigner (à titre d’expert) sur son rapport du 14 octobre 2011 (pièce B-1). Ce rapport a, entre autre objet, un estimé de l’élévation du niveau d’eau (i.e. hauteur de la nappe phréatique) et aborde le potentiel de colmatage des drains par l’ocre ferreux (pour les […] à Trois-Rivières);
14. Selon Monsieur Jodoin (ainsi que subsidiairement son rapport du 14 octobre 2011), il y a :
14.1. présence de bactéries ferrugineuses dans l’eau;
14.2. constat d’un risque faible de colmatage des drains par «l’ocre ferreux»; et
14.3. le niveau d’eau (nappe phréatique) est plus élevé que la dalle du sous-sol;
15. Les recommandations de Monsieur Jodoin sont de :
15.1. remonter le(s) résidence(s) (d’au moins 0,70 mètres);
15.2. installer un nouveau système de drainage au pourtour du bâtiment avec cheminé et trappe d’accès;
16. Le témoin Jodoin suggère qu’il y a un risque élevé pour les Bénéficiaires puisque selon ses données, «… la majorité du temps, l’eau (nappe phréatique) est plus haute que la dalle (du sous-sol) et qu’il y a risque en cas de défaillance du système d’évacuation des eaux.»;
17. Je note, de plus, du témoignage de Monsieur Jodoin que la bactérie ferrugineuse, bien que présente, n’est pas «agressive» et que le risque de colmatage est faible;
18. Le témoin Jodoin précise que, et bien que selon les tableaux et les données accessibles, le risque de colmatage est faible, pour lui, «risque faible de colmatage» ne veut pas dire «sans risque de colmatage» renchérissant que si les conditions sont favorables, il y aura colmatage;
19. Avec respect pour toute opinion à l’effet contraire et bien que la demande des Bénéficiaires a été formulée vers la cinquième (5e) année de garantie, je constate au survol du dossier (ainsi que des admissions) que la construction (et livraison) du bâtiment remonte à l’été 2005; nous sommes aujourd’hui à la veille de l’été 2013 et, après huit (8) années de vie utile, les drains ne présentent toujours pas de risque significatif de colmatage;
20. Je prends de plus note que la source de la collecte d’eau pour les données de l’expert Jodoin fut à même un puits qui accepte et entrepose l’eau issue des drains avant que l’élévation du niveau de cette eau atteigne une certaine hauteur, laquelle (eau) est donc évacuée par simple gravité vers «la voie royale». Il s’agit d’un bassin de rétention qui est plus profond que l’embranchement «gravitationnel» vers cette voie royale au fond duquel, puisque l’eau y est stagnante, se trouve une «soupe» de bactéries ferrugineuses et donc, un taux plus élevé dans ce bassin que dans les drains proprement dits. C’est dans ce bassin que se trouve une estimation du danger de colmatage de «faible»[1];
21. La recherche d’un constat est par contre moins évidente au niveau de la proximité / niveau de dangerosité suggérée pour ce qui est de la nappe phréatique;
22. Les procureurs des Bénéficiaires ont fait longuement état du fait que l’emplacement du bâtiment (son lieu d’implantation) en fonction des terrains et bâtiments avants, arrières et latéraux; expliquant (et ceci n’a pas été contredit) que le bâtiment en relation avec son environnement immédiat est «en fond de cuve»;
23. Ceci en soi, n’est pas problématique puisque personne ne suggère que cette situation de «fond de cuve» cause un ruissellement des eaux de surface qui se concentrent et/ou percole et/ou ruissellent vers le bâtiment des Bénéficiaires. Seul la proximité de la dalle de fondation avec la nappe phréatique est soulevée;
24. L’expert des Bénéficiaires suggère que, et selon ses données recueillies à même les puisomètres installés, non seulement la dalle semble, à l’occasion, baigner dans l’eau mais que sporadiquement, le niveau d’eau surpasse le bas de la dalle;
25. De façon plus précise, selon l’expert Jodoin :
25.1. l’élévation de la nappe varie selon les (3) puisomètres et se situe à 98,32 mètres, à 98,62 mètres et 98,63 mètres;
25.2. l’élévation de l’eau dans le puits de captage se situe à l’élévation 97,66;
25.3. la dalle du sous-sol se trouve à l’élévation «arbitraire» de 98,03 mètres;
26. Selon l’expert Jodoin, les niveaux d’eau maximaux mesurés autour de(s) la(les) résidence(s) sont donc de 0,29 @ 0,64 mètres plus haut que le dessus de la dalle du sous-sol;
27. Les conclusions de l’expert Fortin surprenne;
28. Le tribunal sait que les dalles de sous-sol (à défaut d’indications à l’effet contraire) sont des «dalles de propreté», elles sont coulées sur un gravier, reposent sur l’empattement de la fondation et sont coulées jusqu’au rebord de l’empattement et d’une fondation qui sont déjà à sec. Les jonctions de cette dalle avec l’empattement et/ou les murs de fondation est ni imperméable ni scellée;
29. Une pointe et/ou nappe phréatique à (plus ou moins) 0,29 @ 0,64 mètre au-dessus de cette dalle aurait indubitablement provoquée signe d’ostensible infiltration;
30. Le guide de l’utilisateur du Code national du bâtiment (1995), section «Maisons et petits bâtiments» (partie 9, articles 9.13.5 et suivants), nous apprennent que lorsque le niveau de la nappe souterraine s’élève à plus de 200 mm au-dessus de la dalle, cette dernière subit une poussée hydrostatique supérieure à son poids;
31. Une dalle sans membrane sujette à une poussée hydrostatique telle que suggéré par l’expert Jodoin aurait trahie présence de la nappe phréatique;
32. Vu l’absence de preuve et/ou démonstration de fluorescence et/ou humidité élevée, je ne peux que me questionner quant à la précision de ces données vu qu’aucune preuve ne m’a été offerte à l’effet que le système de percolation et drainage au pourtour de la fondation combat activement à rabattre cette nappe;
Extrait(s) des arguments des parties
33. Fait important ici à noter, une problématique sérieuse a déjà été reconnue par l’Administrateur concernant les murs de fondation de la résidence;
34. Plus précisément, l’amalgame qui compose le béton de cette fondation est affectée par un taux de pyrrhotite anormalement élevé et l’Administrateur ayant déjà reconnu cette problématique, s’est déjà engagé à refaire les fondations du bâtiment et ce faisant, renouveler le système de drainage au pourtour de la fondation et (en tant que soit possible) le bonifier par l’installation de nouveaux conduits et l’installation de cheminée de nettoyage;
35. Les Bénéficiaires plaident que «tant qu’à faire, pourquoi ne pas rehausser le bâtiment d’un niveau arbitraire (i.e. une élévation) de plus ou moins 0,29 @ 0,64 mètres»;
36. Les procureurs de l’Administrateur répliquent que le plan de garantie ne couvrent pas les «tant qu’à faire». Si une problématique existe et que cette problématique en temps, lieux et conditions est couverte par le plan de garantie, la situation sera adressée et corrigée, que les travaux déjà planifiés bonifieront le système de drainage au pourtour (et sous) les fondations et dalle, mais surélever le bâtiment sur la foi de la preuve versée au dossier n’est pas justifiée;
Jugé
37. Je rappelle ici que c’est le Bénéficiaire qui en demande et qu’à cet effet, c’est ce dernier qui a le fardeau de la preuve et sans que ce fardeau lui soit indu, c’est ce dernier qui a l’obligation de convaincre;
38. Le tribunal d’arbitrage a été créé par le Règlement sur les plans de garantie pour en assurer l’application. Il ne peut décider de litige qui relève de l’application d’autre(s) Loi(s) même s’il peut penser que d’autre(s) Loi(s) pourrait(ent) s’appliquer au présent litige;
39. La garantie visée par la Décision est celle prévue dans le cadre de la responsabilité légale de l’article 2118 C.c.Q. identifiée au paragraphe 5 de l’article 10 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement ») qui se lit :
« 10. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'Entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
[…]
5. La réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l'Entrepreneur et à l'Administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.»;
40. Un «vice majeur» est effectivement soit un vice de conception, de construction ou de réalisation ou du sol et se détermine selon l’article 10 du Règlement au sens de l’article 2118 C.c.Q. :
« Art. 2118. À moins qu'ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l'Entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l'ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d'un vice de conception, de construction ou de réalisation de l'ouvrage, ou, encore, d'un vice du sol. »;
41. Il est nécessaire de se référer à la jurisprudence et la doctrine pour bien cerner la responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage codifiée à l’article 2118 C.c.Q. et le champ et les exigences d’application de celui-ci. Tenant compte que le Bénéficiaire doit démontrer, selon certains paramètres, fardeau et présomptions, l’existence d’un ouvrage, d’une perte, d’un lien de causalité entre la perte et un vice visé et que la perte soit survenue dans les délais prévus, dans le cas sous étude, le Tribunal doit déterminer plus particulièrement :
41.1. Est-ce qu’il y a perte (et/ou perte est-elle certaine) ?
41.2. S’agit-il d’une perte résultant d’un vice visé par 2118 C.c.Q ?
41.3. Si les modalités d’application de l’article 2118 sont rencontrées, y a-t-il moyen d’exonération conformément aux dispositions législatives applicables en l’espèce?
42. Il est suggéré par l’Administrateur que la perte visée par 2118 C.c.Q. se devait d’être soit une perte totale de l’immeuble ou dans le cas de perte partielle qu’il y ait à tout le moins menace d’effondrement ou de fléchissement de l’ouvrage ou encore de ses composantes principales. On a aussi caractérisé la perte par la nécessité que le dommage subi ou à venir se doit d’être majeur afin de souligner que de simples malfaçons ou vices de faible importance n’ouvrent pas application à la responsabilité de 2118 C.c.Q. (ce qui a amené certains à conjuguer l’expression «vice majeur»);
43. Toutefois, et prenant note de la «malfaçon» autrement prévue à l’article 2120 C.c.Q. et du «vice caché» de 1726 C.c.Q. afin de comparer les notions déterminatives applicables et de les appliquer dans le cadre de l’article 10 du Règlement qui couvre chacune de ces notions sous des conséquences différentes, il ne faut perdre de vue que la notion de perte dans le cadre de 2118 C.c.Q. doit recevoir une interprétation large s’étendant sur tout dommage sérieux subi par l’ouvrage et que, tel que le soulignent les auteurs J. Edwards et S. Rodrigue sous La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons dans le cadre de l’ouvrage bien connu La construction au Québec - perspectives juridiques :
« Il est également possible que la simple perte de l’usage normal des lieux tombe sous le coup de cette disposition. De fait, certains tribunaux ont décidé, en vertu des règles de l’ancien Code, que la présence de troubles graves, nuisant à l’utilisation de l’immeuble, constituait une perte. La responsabilité quinquennale a notamment été retenue lorsque les vices empêchaient l’ouvrage de servir à sa destination normale ou limitaient, de manière importante, l’usage normal de l’ouvrage.»[2] (nos soulignements);
44. Les auteurs citent plusieurs arrêts et il apparaît clair au Tribunal que la notion d’utilité ou de viabilité de la construction visée est applicable à la détermination recherchée, ce que souligne d’ailleurs T. Rousseau-Houle dans Les contrats de construction en droit public & privé[3] et plus particulièrement J.L. Beaudoin qui écrit :
« La jurisprudence a donné une interprétation large à la notion de perte en l’appréciant par rapport à la destination et à l’utilisation prospective de l’ouvrage. Constitue donc une perte toute défectuosité grave qui entraîne un inconvénient sérieux et rend l’ouvrage impropre à sa destination. En d’autres termes, le défaut qui, en raison de sa gravité, limite substantiellement l’utilisation normale de l’ouvrage entraîne une perte qui autorise la mise en œuvre du régime.»[4] (nos soulignements)
45. Bien que l’article 2118 C.c.Q. établit une présomption de responsabilité de l'entrepreneur pour bénéficier de celle-ci :
«En l'espèce, pour bénéficier de cette présomption, l'intimée devait démontrer par prépondérance de preuve qu’il y a eu perte de l'ouvrage et que celle-ci résultait d'un vice de construction […][5]
et la doctrine conclut avec raison quant à l’effet de cette présomption sur la nécessité de fixer une cause exacte de la perte ou détermination spécifique du vice, tel Baudouin qui explique ainsi la preuve qui doit être faite pour entraîner l'application de la présomption de responsabilité de 2118 C.c.Q.:
1685 […] Le propriétaire doit, en effet, démontrer que cette perte [de l'ouvrage] est bel et bien attribuable à un vice […]. Toutefois, la présomption dont bénéficie le propriétaire lui évite d'avoir à démontrer la cause technique exacte de la perte de l'édifice. […][6]
Je n’ai pas ici preuve faite pour entraîner l’application de la présomption de responsabilité de 2118 C.c.Q.;
«Tant qu’à faire»
46. Je retiens de cet argument «tant qu’à faire» que le tribunal devrait faire appel à l’équité pour accueillir la réclamation;
47. La disposition qui permet au tribunal de décider en équité, dans certaines circonstances est prévue à l’article 116 du Règlement, lequel prévoit :
116 […] Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient…
48. Les tribunaux ont maintes fois été appelés à se prononcer sur cette disposition du Règlement, principalement, et il ne va sans dire, dans le cadre d’affaires soulevant excès de compétence d’un arbitre;
49. Ainsi, qualifiant la volonté du législateur, l’honorable juge Dufresne s’exprime ainsi en Cour Supérieure :
«... L’article 116 du Règlement est une autre manifestation de la volonté du législateur d’accorder une grande latitude à l’arbitre appelé à décider un différend.
Il n’est pas fréquent de retrouver une disposition express autorisant un décideur à faire appel à l’équité. Cette mention est significative d’une volonté de mettre en place, au bénéfice des parties visées par le Règlement, un mécanisme de règlement des différends qui soit efficace[7]»;
50. Qualifiant pour sa part le pouvoir de l’arbitre de faire appel aux règles de l’équité, l’honorable Michèle Monast écrit :
«… C’est le cas notamment, lorsque l’application littérale des dispositions du Règlement ne permettent pas de remédier à une situation donnée ou lorsque les circonstances font en sorte que l’interprétation stricte du Règlement est susceptible d’entraîner un déni de justice parce qu’elle ne permet pas d’en appliquer l’esprit et d’assurer la protection des droits des parties.
(…)
Il est acquis au débat que l’arbitre doit trancher le litige suivant les règles de droit et qu’il doit tenir compte de la preuve déposée devant lui. Il doit interpréter les dispositions du Règlement et les appliquer au cas qui lui est soumis. Il peut cependant faire appel aux règles de l’équité lorsque les circonstances le justifient. Cela signifie qu’il peut suppléer au silence du Règlement ou l’interpréter de manière favorable à une partie.
L’équité est un concept qui fait référence aux notions d’égalité, de justice et d’impartialité qui sont les fondements de la justice naturelle. Dans certains cas, l’application littérale des règles de droit peut entraîner une injustice. Le recours à l’équité permet, dans certains cas, de remédier à cette situation.[8]»
51. J’ai, à l’occasion, été sensibilisé à l’exercice de certains de nos collègues arbitres qui cherchent, tous azimuts, à responsabiliser l’Administrateur. Avec respect dans le cas présent, il s’agit d’une gymnastique contraire à l’esprit et à la lettre de la Loi et de son Règlement. Le droit de recourir à l’équité afin de soit faire échec à un fardeau de preuve existe d’emblée, mais pas pour bonifier le Règlement. Je suggère que l’équité doit prendre source au contrat de garantie et doit faire l’objet d’une utilisation logique, raisonnable et judicieuse et ne peut être utile à habiliter un décideur à bonifier «tant qu’à faire» un texte de loi;
52. Pour l’ensemble des motifs ci-haut repris, je me dois d’accepter de maintenir la décision de l’Administrateur et je me dois de rejeter la demande des Bénéficiaires. Le tout est sans préjudice et sous toute réserve du droit qui est leur (les Bénéficiaires) de porter devant les tribunaux civils leurs prétentions ainsi que de rechercher les correctifs qu’ils réclament, sujets bien entendu aux règles de droit commun et de la prescription civile;
53. Je rappelle que la Loi et le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète. L’arbitre a compétence exclusive, sa Décision lie les parties et est finale et sans appel[9]. Enfin, l’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit», il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient[10];
54. En vertu de l’article 123 du Règlement sur le Plan de Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs, et vu que le Bénéficiaire appelant n’a eu gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, je me dois de départager les coûts d’arbitrage entre l’Administrateur du plan et le Bénéficiaire;
55. En conséquence, les frais d’arbitrage, aussi bien en droit qu’en équité, selon les articles 116 et 123 du plan de garantie, seront partagés entre le Bénéficiaire pour la somme de vingt-cinq dollars (25,00 $) et l’Administrateur du plan de garantie pour la balance du coût du présent arbitrage.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire.
MAINTIENT la décision du 2 novembre 2010, sous la plume de Monsieur Jacques Fortin dans le dossier 91064-1 du plan de garantie.
LE TOUT, avec frais à être départagés entre le Bénéficiaire pour la somme de vingt-cinq dollars (25,00 $) et l’Administrateur pour la balance du coût du présent arbitrage.
Montréal, le 9 mai 2013
_______________________
Me Michel A. Jeanniot
Arbitre
Jurisprudence consultée
[1] Ce qualificatif provient d’un tableau qui identifie les 5 risques de colmatage, ils sont établis en fonction du contenu de fer et du PH dans l’eau, ces 5 sont 1) nul, 2) faible, 3) moyen, 4) élevé, 5) très elevé
[2] EDWARDS, Jeffrey et RODRIGUE, Sylvie, La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons, para. 2.2.2 dans le cadre de La construction du Québec : perspectives juridiques, sous la direction de Me Olivier F. Kott - Me Claudine Roy, Ed. Wilson Lafleur, 1998, p.434
[3] ROUSSEAU-HOULE, T., Les contrats de construction en droit public & privé, Montréal, Wilson & Lafleur, 1982, p.347
[4] BAUDOUIN, J.L. La responsabilité civile (5e), Cowansville, Yvon Blais, 1998, au no. 1631
[5] Silo Supérieure (1993) Inc. c. Ferme Kaech & Fils Inc., 2004 CanLII 13319 (QC C.A.), para. 26
[6] Op. cit. BAUDOUIN, J.L., La responsabilité civile, au no. 1685
[7] La Garantie Habitation du Québec Inc. et Sotramont Québec Inc. c. Gilles LeBire et SORECONI et Lise Piquette et Claude LeGuy et Maurice Garzon et Roger Cyr, 2002, JQ nº3230 (CS)
[8] La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Claude Dupuis, es-qualitéd’arbitre et Raymond Chabot Inc. et Le Syndicat des copropriétaires du carré des Coqs (6275) et als., 2007 QCCS 4701
[9] Articles 19, 20, 106 et 120 du Règlement
[10] Article 116 du Règlement