TRIBUNAL D’ARBITRAGE

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

 (Chapitre B-1.1, r. 8)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec:

SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DES CONFLITS (SORECONI)

 

 

ENTRE :                                                     

                                                                       DÉVELOPPEMENT VIVENDA

DESJARDINS INC.

 

L’Entrepreneur

c.

 

                                                                       AMÉLIE VALLIÈRES

 

Bénéficiaire

                                                                       Et :     

 

Raymond Chabot Administrateur Provisoire inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de

La Garantie Abritat Inc.

 

L’Administrateur

 

No dossier 181906001

           

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

 

Arbitre :                                                         Roland-Yves Gagné

 

Pour l’Entrepreneur :                                   Madame Isabelle Dumais

 

Pour la Bénéficiaire :                                  Madame Amélie Vallières

                                                                                  

Pour l’Administrateur :                                Me Nancy Nantel

 

Date de l’audition :                                      31 octobre 2018

 

Date de la décision :                                   8 novembre 2018    


 

Description des parties

 

ENTREPRENEUR :

 

Développements Vivenda Desjardins Inc.

a/s Madame Isabelle Dumais

545 boul. René-Lévesque Est

Montréal, Qc.

H2L 0C3

 

BÉNÉFICIAIRE :

 

Madame Amélie Vallières

[...]

Montréal, Qc.

[...]

 

ADMINISTRATEUR :

 

Me Nancy Nantel

Contentieux des garanties Abritat/GMN

7333 Place des Roseraies, 3ième étage

Anjou, Qc.

H1M 2X6


PIECES

 

L’Administrateur a produit les pièces suivantes :

 

A-1 : Contrat préliminaire et garantie et Annexe D en date du 6 novembre 2015 ;

A-2 : Formulaire d’inspection préréception en date du 8 mars 2017 ;

A-3 : Lettre du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 19 avril 2017 ;

A-4 : Lettre du bénéficiaire à l’entrepreneur en date du 13 octobre 2017 ;

A-5 : Courriel du bénéficiaire à l’administrateur en date du 25 janvier 2018 ;

A-6 : Demande de réclamation en date du 9 février 2018 ;

A-7 : Avis de 15 jours en date du 21 février 2018 ;

A-8 : Décision de l’administrateur en date du 14 mai 2018, lettres et courriel du 21 juin 2018 ;

A-9 : Demande d’arbitrage en date du 13 juillet 2018 (note du soussigné, la demande est du 19 juin 2018).

 

L’Entrepreneur a produit la pièce suivante :

 

E-1 : Derniers plans d’ébénisterie signés du 29 novembre 2016 (dont l’un montre la grandeur de l’îlot).

 

La Bénéficiaire a produit les pièces suivantes :

 

B-1 : Courriel de Martine Beauregard du 20 juin 2016 ;

B-2 : Courriel de Jennifer Smith du 21 juin 2016 ;

B-3 : Plans (3 pages) ;

B-4 : Courriel de Jennifer Smith du 28 mai 2016 avec plan de cuisine en pièce jointe ;

B-5 : Échange de courriels incluant un courriel de Jennifer Smith du 30 mai 2016 à 17 :08 ;

B-6 : Échange de courriels du 25 au 29 novembre 2016.


INTRODUCTION

 

[1]        Le Tribunal d’arbitrage est initialement saisi du dossier suite à une demande d’arbitrage par l’Entrepreneur, reçue par SORECONI le 19 juin 2018, et par la nomination du soussigné comme arbitre le 13 juillet 2018.

[2]        Aucune objection quant à la compétence du Tribunal d’arbitrage n’a été soulevée par les parties et la juridiction du Tribunal est alors confirmée.

[3]       L’audition de l’arbitrage s’est tenue sur les lieux en présence d’Amélie Vallières (Bénéficiaire) et Isabelle Dumais (pour l’Entrepreneur).

[4]       L’Entrepreneur a produit une demande d’arbitrage en vertu de l’Article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après nommé le Règlement) :

Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.

 

[5]       L’Entrepreneur a confirmé en début d’audience que les points sur lesquels il a un différend qu’il demande au Tribunal d’arbitrage trancher sont les points 2, 3 et 4 de la décision du 14 mai 2018 qui était favorable à la Bénéficiaire, soit :

2. Ilot de cuisine de mauvaise dimension

3. Trou pour le compost mal positionné

La bénéficiaire avait planifié avec l’entrepreneur les dispositions du plan complet de la cuisine, mais ce dernier n’a pas été respecté. Les points 2 et 3 sont dénoncés dans le formulaire d’inspection préréception.

4. Minuterie de la salle de bain à installer

La bénéficiaire avait demandé spécifiquement une minuterie pour l’évacuateur de la salle de bain et l’entrepreneur ne l’a pas installée. Ce point a également été mentionné dans le formulaire d’inspection préréception

Les points 1 à 4 consistent en des vices et malfaçons apparents, lesquels ont été dénoncés par écrit conformément aux exigences de l’article 10.2 du Règlement […] Par conséquent, l’administrateur doit accueillir la demande de réclamation de la bénéficiaire à l’égard de ces points.

Fardeau de preuve

 

[6]       Rappelons d’abord que l’Administrateur n’a pas émis une simple opinion dans sa décision du 14 mai 2018.

[7]       Le Règlement prévoit qu’il « statue »[1] et il a donc statué sur les réclamations de la Bénéficiaire.

[8]       L’Entrepreneur, en accord avec le Règlement, a fait part de son différend avec les décisions de l’Administrateur, qu’il demande au soussigné de trancher; il est bien établi que le fardeau de la preuve lui revient en vertu des articles 2803 et 2804 du Code civil[2], alors que la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante.

[9]       Dans l’affaire Giss Construction Inc. et Michael Hollands et La Garantie Construction Résidentielle[3], notre collègue Michel A. Jeanniot écrit :

[31] Je rappelle, ici, que la demande a été formulée par l’Entrepreneur et que c’est ce dernier qui est en demande; c’est donc ce dernier qui a le fardeau de la preuve et sans que ce fardeau lui soit indu, il a néanmoins l’obligation de convaincre.

[10]    La Cour d’appel écrit dans Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc.[4] :

B.        Fardeau de preuve

[57]           La première juge a attentivement examiné les divers éléments de preuve, à la fois de nature profane et technique, pour déterminer où se situe la vérité.  Cette vérité demeure relative plutôt qu'absolue, sans avoir à atteindre un niveau de certitude, puisque s'applique la norme de la prépondérance de preuve fondée sur la probabilité (art. 2804 C.c.Q.), soit celle qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence, laquelle excède la simple possibilité.

« Lorsque la preuve offerte de part et d'autre est contradictoire, le juge ne doit pas s'empresser de faire succomber celui sur qui reposait la charge de la preuve mais il doit chercher d'abord à découvrir où se situe la vérité en passant au crible tous les éléments de conviction qui lui ont été fournis et c'est seulement lorsque cet examen s'avère infructueux qu'il doit décider en fonction de la charge de la preuve. »[1][5]


Point 2 Ilot de cuisine de mauvaise dimension

[11]    La réclamation de la Bénéficiaire, accueillie par l’Administrateur, était que l’îlot de cuisine aurait être plus grand de quelques pouces pour s’enligner avec l’extérieur du muret (juste à gauche en rentrant dans l’unité) en face de l’îlot.

[12]    L’Entrepreneur est représenté par Isabelle Dumais, contrôle qualité/service après-vente, qui n’occupait pas ce poste au moment de la signature des contrats mais qui a recherché dans le dossier de l’Entrepreneur les renseignements nécessaires pour l’arbitrage.

[13]    Elle montre le plan E-1 que la Bénéficiaire reconnaît avoir signé le 29 novembre 2016.

[14]    La situation actuelle est conforme avec ce plan signé par la Bénéficiaire le 29 novembre, ce que toutes les parties présentes reconnaissent.

[15]    Toutefois la Bénéficiaire s’objecte à la situation actuelle.

[16]    Elle affirme que :

[16.1]    jamais avant le 29 novembre 2016, elle n’a vu de plan qui montrait un muret juste à gauche en rentrant dans l’unité ;

[16.2]    son îlot de cuisine devait s’enligner avec l’extérieur de ce muret et non être en retrait, comme cela est visible en regardant les planches du plancher ;

[16.3]    elle a signé le plan du 29 novembre 2016 alors que :

[16.3.1]        c’est sa première propriété ;

[16.3.2]        l’Inspecteur-conciliateur de l’Administrateur lui a dit qu’elle n’était pas une experte en bâtiment ;

[16.3.3]        elle était dans ses boîtes, logée ailleurs que chez elle vu les retards de livraison de son unité.

[17]    La preuve montre qu’elle était au courant avant le 29 novembre de la présence de ce muret qui n’avait pas été prévu à l’origine.

[18]    La Bénéficiaire voulait prolonger ses armoires (sur le mur, en face de l’îlot) jusqu’à la porte d’entrée, mais cela s’est avéré impossible.

[19]    Elle affirme que suite à cela, comme il allait y avoir un muret, la responsable des extras Jennifer Smith lui a offert d’augmenter la grandeur de son îlot de quatre pouces et demi pour correspondre au muret d’en face, le tout pour la compenser.

[20]    Jennifer Smith n’a pas témoigné à l’audience mais ses courriels et celui de la sous-traitante Martine Beauregard ont été produits au dossier :

(pièce B-1) De : Martine Beauregard (sous-traitant)

Envoyé : 20 juin 2016 18 :26

« Voici le plan modifié de votre unité pour fin de construction. Tel que mentionné, c’est un drain qui doit passer dans ce mur, donc il nous est impossible de faire un agrandissement du comptoir côté gauche de la cuisinière. Maintenant, comme discuté, nous allons allonger votre îlot afin que celui-ci soit enligné avec la fin du « nouveau » mur de votre cuisine, et ce SANS FRAIS du côté de CUISINES BEAUCAGES. L’agrandissement est d’environ 4-1/2’’, ce qui équivaut à l’épaisseur du nouveau mur. Les tiroirs à l’îlot auront donc, +/-36’’ de large. J’envoie les modifications discutées avec vous à Jennifer Smith pour votre rencontre de demain. (nos caractères gras)

[21]    Le lendemain 21 juin, la responsable aux options Jennifer Smith écrit (pièce B-2) :

De : Jennifer Smith
Envoyé : 21 juin 2016 15:02
À : 'Amélie' < >
Objet : Prix des options - [...] - Le VAM2

En préparation de notre rencontre ce soir […] voici les derniers détails : […]

Ilot agrandi jusqu’à l’extrémité du mur de la cuisine : SANS FRAIS pour ces modifications et SANS FRAIS pour le quartz supplémentaire […]

En espérant que nous répondons à vos attentes, au plaisir de vous rencontrer.

[22]    La rencontre du 21 juin a eu lieu, puisque l’Annexe D de la pièce A-1/contrat préliminaire, est signée à cette date par Jennifer Smith et la Bénéficiaire et bien que « Ilot agrandi » ne soit pas mentionné comme tel, il est inscrit « Ébénisterie-modifications cuisine 1,306.09$ » et ce montant correspond à l’addition des montants cités au courriel du 21 juin pour différents objets.

[23]    Puis cinq mois plus tard, le 25 novembre 2016 (pièce B-6), la responsable aux options écrit :

De : Jennifer Smith Responsable aux options
Envoyé : 25 novembre 2016 15:36
À : 'Amélie' < >
Objet : Plans de cuisine - unité [...] - VAM2

Bonjour Madame Vallières,

En pièce jointe, les plans de votre cuisine pour approbationSi vous êtes tout à fait d’accord avec les plans, prière svp de me les retourner par courriel avec votre signature sur chaque page, avec la date d’acceptation. (nos caractères gras)

[24]     Ce courriel est suivi d’un autre le 28 novembre :

De : Jennifer Smith < >
Envoyé : 28 novembre 2016 16:46
À : Amélie
Objet : TR: Plans de cuisine - unité [...] - VAM2

Bonjour Madame Vallières,

J’espère que vous avez passé une belle fin de semaine.  Simplement pour faire un suivi sur ce courriel.  Pourriez-vous svp, me retourner ces documents par courriel dans les plus brefs délais?  Notre ébéniste en a besoin afin de mettre votre cuisine en production.

[25]    La Bénéficiaire signe les plans le 29 novembre et lui renvoie :

De : Amélie [mailto:]
Envoyé : 29 novembre 2016 12:07
À : Jennifer Smith < >
Objet : RE: Plans de cuisine - unité [...] - VAM2

Bonjour Mme Smith, 

 

voici les plans signés. 

Cordialement, 

Amélie Vallières

[26]    La Bénéficiaire reproche à l’Entrepreneur depuis l’inspection préréception de lui avoir envoyé un plan à signer qui ne correspond pas aux documents contractuels de juin 2016 (échange de courriels, conversations) sans la prévenir alors même qu’elle était dans une situation précaire causée par les retards de livraison de son unité.

[27]    L’Entrepreneur reproche à l’Administrateur de lui imposer d’effectuer des travaux correctifs pour un îlot de cuisine dont la grandeur et l’emplacement correspond exactement au plan signé par la Bénéficiaire le 29 novembre.

 

Décision

[28]    Vu les faits particuliers du présent dossier, le Tribunal d’arbitrage considère qu’il n’a d’autres choix que d’accueillir la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur sur ce point.

[29]    Comme il l’a souligné à l’audience, le Tribunal d’arbitrage décide selon la preuve et le droit en vigueur et non selon la sympathie qu’il pourrait éprouver pour une partie ou pour une autre partie.

[30]    La bonne foi de tous n’est pas remise en cause.

[31]    La Bénéficiaire a témoigné avec franchise et bonne foi avoir bien vu le plan avant de le signer et avoir bien vu, la fin du comptoir par rapport à la fin du muret en face.

[32]    Le Tribunal d’arbitrage souligne à grands traits que ce plan, dans le présent dossier, n’est nullement une pile de plans 11’’ x 17’’ avec sceaux d’architecte et d’ingénieur incompréhensibles pour un néophyte, mais un simple et clair dessin de la cuisine (sur un total de cinq dessins) ne contenant,

[32.1]    en haut (en tournant le plan de 45 degrés vers la gauche), de gauche à droite, le muret puis les armoires, et

[32.2]    en bas ou en face, le comptoir avec les mesures en pouces précises, en plus de montrer très visiblement là où le comptoir se termine par rapport au muret d’en face.

[33]    Un autre dessin de la cuisine, montrant la cuisine vue de face mais sans mesure, montre bien que le bout du comptoir est un peu en retrait par rapport au muret - ce dessin a aussi été signé par la Bénéficiaire le 29 novembre 2016.

[34]    Quand le soussigné a demandé à la Bénéficiaire si elle avait vu le contenu du plan avant de le signer, elle a répondu oui, ce que le soussigné ne doute pas, considérant, entre autres, le prix d’une unité de copropriété et le niveau d’éducation de la Bénéficiaire, bien que son travail ne soit pas lié à la construction.

[35]    Le plan signé est très clair : il y est même indiqué, la grandeur en pouces et sa situation par rapport au muret d’en face.

[36]    Témoignant avec franchise, elle ne dit pas, ne pas l’avoir compris, elle dit que l’Inspecteur-conciliateur lui a dit qu’elle n’était pas une experte.

[37]    Suite aux questions précises du soussigné à l’audience,

[37.1]    en aucun moment, la Bénéficiaire n’a affirmé ne pas avoir compris le contenu de ce plan avant de le signer ;

[37.2]    elle reconnaît ne pas avoir demandé un changement comme elle l’avait fait pour la position du trou de compost et le lavabo (voir le point 3 suivant),

elle a donc signé le plan envoyé pour approbation sans émettre aucun commentaire, posé aucune question, ou sans protestation verbale ou écrite.

[38]    Sa position pour justifier sa signature, c’est qu’elle était dans une situation précaire dans ses boîtes vu le retard de livraison et, comme dit plus haut, que l’Inspecteur-conciliateur lui a dit qu’elle n’était pas une experte (ce que le soussigné reconnaît mais la compréhension du plan dans le présent dossier, simple et clair, n’avait pas  besoin d’expertise).

[39]    Le 25 novembre, un samedi donc normalement un jour de congé selon la profession[6] de la Bénéficiaire, l’Entrepreneur lui a demandé son approbation :

En pièce jointe, les plans de votre cuisine pour approbation.  Si vous êtes tout à fait d’accord avec les plans […]

[40]    Quatre jours plus tard, le mercredi 29 novembre, l’Entrepreneur lui dit que c’est pour que l’ébéniste mette en production l’îlot :

Pourriez-vous svp, me retourner ces documents par courriel dans les plus brefs délais?  Notre ébéniste en a besoin afin de mettre votre cuisine en production.

[41]    L’Entrepreneur a livré le comptoir d’une grandeur conforme au plan signé par la Bénéficiaire le 29 novembre 2016, se conformant ainsi à son obligation.

[42]    La grandeur de l’îlot est conforme au plan signé après que l’Entrepreneur a demandé à la Bénéficiaire de le signer si elle était tout à fait d’accord.

[43]    Il n’y a aucune allégation et aucune preuve de mauvaise foi, et la bonne foi se présume.

[44]    Enfin,

[44.1]    la grandeur de l’îlot ne constitue pas une malfaçon,

[44.2]    il est impossible de conclure que sa grandeur actuelle comporte une perte de valeur de l’unité qui se retrouve avec un dégagement supplémentaire de 4 pouces et demi à l’entrée de l’unité par rapport à ce que réclamait la Bénéficiaire à l’Administrateur du plan de garantie, du moins, le soussigné n’a aucune preuve quant à une perte de valeur.

[45]    Le rôle du Tribunal d’arbitrage étant de faire apparaître le droit, le soussigné a tout de même, pendant son délibéré, vérifié s’il existait une décision précédente qui fut favorable à un bénéficiaire dans une pareille circonstance, mais n’en a trouvé aucune.

[46]    Chaque cas est un cas d’espèce et vu la preuve dans le présent dossier, le Tribunal d’arbitrage n’a d’autre choix que de conclure au rejet de la décision de l’Administrateur et d’accueillir la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur sur ce point.

 

3. Trou pour le compost mal positionné

[47]    La Bénéficiaire a deux réclamations à ce sujet, accueillies par l’Administrateur (selon les documents contractuels, voir les paragraphes [49] et suivants) :

[47.1]    le trou de compost est à droite et non à gauche de son lavabo;

[47.1.1]        à l’audience elle ajoute que son aire de travail de cuisine est à gauche, elle doit donc mettre des restes dans un bol puis les déposer par la suite dans le trou de l’autre côté du lavabo ;

[47.2]    le lavabo devait être à droite du trou et le plus près possible du lave-vaisselle qui est au bout à droite ;

[47.2.1]        à l’audience elle ajoute qu’avec la situation actuelle, elle rince sa vaisselle et en mettant la vaisselle dans le lave-vaisselle, il y a de l’eau sur son plancher vu la distance entre son lavabo et son lave-vaisselle, elle affirme que cela réduira sa (au plancher) durée de vie.

[48]    L’Entrepreneur affirme que « Armoire Chez Nous » ne fournit le plan du dessus de comptoir.

[49]    Voici les documents contractuels.

[50]    Le 28 mai 2016, la responsable des options Jennifer Smith écrit :

De : Jennifer Smith < >
Envoyé : 28 mai 2016 22:34
À : Amélie
Objet : Plans de cuisine-[...]-VAM2

 

Bonjour Madame Vallières,

 

En pièce jointe, les plans de votre cuisine!  Envoyez-moi vos questions si vous en avez et nous pourrions prendre un autre rdv pour finaliser votre dossier.

 

[51]    Contrairement à ce qu’elle fit en novembre 2016 pour la grandeur de l’îlot, la Bénéficiaire demande que ce plan soit changé pour être conforme au plan électrique (joint à la pièce A-1)

 

De : Amélie [mailto:]
Envoyé : 29 mai 2016 11:43
À : Jennifer Smith < >
Objet : RE: Plans de cuisine-[...]-VAM2

 

Bonjour Mme Smith, 

 

[…] Aussi, est-ce possible d'interchanger le bac à compost et l'évier comme ils le sont sur le plan électrique? C'est plus logique que l'évier soit le plus près possible du lave-vaisselle.

 

Une fois que j'aurai ces infos, je serai en mesure de prendre des décisions éclairées et de prendre rendez-vous pour finaliser le dossier. 

 

[52]    La responsable des options Jennifer Smith accepte le changement demandé par la Bénéficiaire :

 

De : Jennifer Smith < >
Envoyé : 30 mai 2016 17:08
À : Amélie
Objet : RE: Plans de cuisine-[...]-VAM2

 

Bonjour Madame Vallières,

 

J’ai envoyé vos questions cuisine à notre cuisiniste.  Concernant cette question :

 

Aussi, est-ce possible d'interchanger le bac à compost et l'évier comme ils le sont sur le plan électrique? C'est plus logique que l'évier soit le plus près possible du lave-vaisselle. Ça sera installer ainsi. (note du soussigné : pour qui lit cette décision en noir et blanc, « Ça sera installer ainsi » est de couleur bleu, comme le reste du texte rédigé par Jennifer Smith).

 

[53]    Il ne peut y avoir de malentendu, puisque la Bénéficiaire reconfirme :

 

De : Amélie < >
Envoyé : 30 mai 2016 18:40
À : Jennifer Smith
Objet : RE: Plans de cuisine-[...]-VAM2

 

Je me disais aussi que ça valait plus de sens comme sur le plan électrique! Contente de savoir que ce sera ainsi!

 

[54]    En réponse, l’Entrepreneur plaide que quand on arrive sur un chantier, ça prend des plans, et qu’aucun plan n’a été établi en fonction de la demande de la Bénéficiaire.

[55]    Elle affirme que l’Entrepreneur n’avait pas de plan précis au moment de la réalisation et a construit le comptoir selon la règle de l’art.

 

Décision

[56]    Vu la preuve, la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur est rejetée.

[57]    L’Entrepreneur plaide ne pas avoir eu de plan précis et qu’il ne peut donc pas être blâmé par l’Administrateur.

[58]    Or la preuve montre les documents contractuels suivant :

[58.1]    le plan électrique montre bien

[58.1.1]        le lavabo était à droite plus près du lave-vaisselle,

[58.1.2]        le trou à côté qui ne peut pas être interprété comme un luminaire électrique étant, comme le soutient la Bénéficiaire, le trou de compost,

[58.1.3]        donc le plan existait vraiment ;

[58.2]    de plus, le 30 mai 2016, la Bénéficiaire a demandé

Aussi, est-ce possible d'interchanger le bac à compost et l'évier comme ils le sont sur le plan électrique? C'est plus logique que l'évier soit le plus près possible du lave-vaisselle ;

 

[58.3]    et cette demande a été acceptée par l’Entrepreneur par l’entremise de sa « responsable aux options » qui répond :

 

J’ai envoyé vos questions cuisine à notre cuisiniste.  Concernant cette question : […] Aussi, est-ce possible d'interchanger le bac à compost et l'évier comme ils le sont sur le plan électrique? C'est plus logique que l'évier soit le plus près possible du lave-vaisselle. Ça sera installer ainsi.

 

[58.4]    et cette demande, acceptée par l’Entrepreneur par l’entremise de sa « responsable aux options », est suivie d’un courriel supplémentaire de la Bénéficiaire enlevant donc toute ambigüité.

 

[59]    L’Entrepreneur, dont la bonne foi n’est pas mise en cause, doit livrer l’unité conformément aux documents contractuels.

[60]    L’article 2100 du Code Civil stipule clairement:

2100.  L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

 

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

[61]    D’après Vincent Karim[7],

L’obligation de l’entrepreneur général quant à la qualité de l’ouvrage est une obligation de résultat et il ne peut s’exonérer qu’en prouvant la force majeure ou la faut du client ou d’un tiers. […] Il ne sera libéré de son obligation que pour la livraison d’un ouvrage conforme aux stipulations de son contrat. (références omises).

[62]    Parmi les décisions récentes de la Cour supérieure, citons :

[62.1]    9086-1279 Québec inc. (Loft du Parc) c. 2862-5622 Québec inc. (Groupe St-Lambert)[8] :

[94]        L’obligation de résultat prévu à 2100 C.c.Q. vise le respect des termes du contrat et la qualité des travaux. L’entrepreneur doit s’assurer de la conformité des travaux avec le contrat d’entreprise. […]

[62.2]    dans Genest c. Rénoconstruction SBC inc.[9] :

[88]        L’obligation de résultat pourra être invoquée lorsqu’un résultat déterminé ou un seuil de performance particulier à atteindre est stipulé au contrat.

[63]    L’Administrateur a eu raison d’accueillir la réclamation de la Bénéficiaire à ce sujet et sa décision est maintenue, la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur, rejetée.

 

4. Minuterie de la salle de bain à installer

[64]    La réclamation de la Bénéficiaire, accueillie par l’Administrateur, était que le plan électrique (pièce A-1) qu’elle a signé indique l’existence d’une minuterie mais il n’y a dans la salle de bain qu’un simple interrupteur on/off.

[65]    La représentante de l’Entrepreneur soutient que l’interrupteur qui est présent a été posé selon la règle de l’art.

 

Décision

[66]    La demande d’arbitrage sur ce point est rejetée et la décision de l’Administrateur maintenue.

[67]    Quant au plan électrique, la représentante a insisté sur le fait qu’il y est mentionné ce qui suit :

[67.1]    au contrat préliminaire (pièce A-1) première page :

AVERTISSEMENT : Toutes les mesures et autres informations associées apparaissant aux documents publicitaires distribués par le vendeur sont réputées approximatives

[67.1.1]        avec égards, cet argument est rejeté : le contrat préliminaire et le plan électrique signés ne peuvent pas être qualifiés de « document publicitaire » ;

[67.2]    au même contrat, 4e page :

16. MODIFICATIONS À L’IMMEUBLE. […] Par ailleurs, le promettant-acheteur accepte que le vendeur aura le droit d’effectuer des changements mineurs à la disposition intérieure et à la finition de l’appartement et aux dispositions intérieures, à la finition du stationnement, des parties communes, selon ce qu’il jugera nécessaire au moment de la construction, incluant, mais sans limiter la généralité de ce qui précède, des modifications mineurs aux dimensions, à la configuration et à la localisation des éléments de structure, des systèmes mécaniques et électriques emmurés et apparents, les conduits et la hauteur du plafond, ses pièces et ses divisions.

[67.2.1]        avec égards, cet argument est rejeté :

67.2.1.1.  le soussigné ne voit nulle part en quoi la disposition et la finition à avoir avec la minuterie d’une salle de bain ;

67.2.1.2.  le plan électrique est indicatif quant aux dispositions car on ne sait jamais quels sont les empêchements que l’Entrepreneur peut rencontrer par la suite, par exemple, ventilation, éléments de structure, etc. - toutefois, il n’y a rien dans cette clause qui puisse servir de base à la décision unilatérale de l’Entrepreneur de remplacer la minuterie qui apparaît au plan signé par les parties par un interrupteur ;

[67.3]    dernier argument, au plan électrique il est écrit :

Tous les produits sont sujets à changement sans préavis et/ou produits équivalents à la discrétion du constructeur

[67.3.1]        avec égards, cet argument est rejeté : le Tribunal d’arbitrage :

67.3.1.1.  ne considère pas qu’un simple interrupteur on/off soit un produit équivalent à une minuterie haut/bas débit ;

67.3.1.2.  vu l’obligation de résultat prévue à l’article 2100 du Code Civil, l’Entrepreneur ne pouvait se donner le droit unilatéral de changer la minuterie par un simple interrupteur.

[68]    Le Tribunal d’arbitrage a demandé à la représentante présente si l’Entrepreneur avait rencontré une quelconque impossibilité de poser la minuterie qui apparaît sur le plan, et elle a répondu par la négative.

[69]    Dans l’affaire Fabrice Provost et Corporation immobilière Nortéka et La Garantie Habitation du Québec[10], notre collègue Claude Dupuis, arbitre, écrit :

[46]        Le document remis au bénéficiaire par l’entrepreneur indiquait la présence d’un échangeur d’air, et non pas d’un système mécanique de ventilation.

[47]        Il s’agit là d’une obligation contractuelle, et non pas d’une mésentente contractuelle, couverte par le plan de garantie.

 

[70]    L’Entrepreneur n’a pas rempli son fardeau de preuve, que la décision de l’Administrateur n’était pas raisonnable, cette décision est donc maintenue.

 

FRAIS

 

[71]    L’article 123 du Règlement se lit ainsi :

123. Les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’administrateur et l’entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur. […]

 

[72]    Le soussigné conclut que si le Législateur a pris la peine d’inscrire les mots « partagés à parts égales » dans cet article, c’était que là était son intention.

[73]    Le Tribunal d’arbitrage conclut que les coûts de l’arbitrage seront partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur car ce dernier est le demandeur.

 

[74]    PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

[75]    Quant au point 2, ACCUEILLE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur ET REJETTE la décision de l’Administrateur quant au point 2 « Ilot de cuisine de mauvaise dimension » ;

[76]    Quant aux points 3 et 4, REJETTE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur quant au point 3 « trou de compost mal positionné » et 4 « Minuterie » ET MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 14 mai 2018 sur ces deux points ;

[77]     ORDONNE que les frais d’arbitrage soient payés, moitié par l’Administrateur moitié par l’Entrepreneur, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage SORECONI, après un délai de grâce de 30 jours.

                                                             Montréal, le 8 novembre 2018

__________________________

ROLAND-YVES GAGNÉ

Arbitre / SORECONI

 

Autorités citées :

 

Giss Construction Inc. et Michael Hollands et La Garantie Construction Résidentielle CCAC S16-060801-NP, 10 février 2017, Michel A. Jeanniot, arbitre.

 

Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc. 2006 QCCA 887.

Vincent Karim Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), Wilson & Lafleur, Montréal, 2e édition, 2011.

9086-1279 Québec inc. (Loft du Parc) c. 2862-5622 Québec inc. (Groupe St-Lambert) 2017 QCCS 2286 (Hon. Johanne Mainville, j.c.s.).

 

Genest c. Rénoconstruction SBC inc. 2017 QCCS 894 (Hon. Bernard Tremblay, j.c.s.).

 

Fabrice Provost et Corporation immobilière Nortéka et La Garantie Habitation du Québec 25 mai 2011, Claude Dupuis, arbitre.

 



[1] Article 34 5o : « […] En l’absence de règlement, l’administrateur statue sur la demande de réclamation et ordonne, le cas échéant, à l’entrepreneur de rembourser au bénéficiaire le coût des réparations conservatoires nécessaires et urgentes et de parachever ou corriger les travaux dans le délai raisonnable qu’il indique, convenu avec le bénéficiaire; »

[2] « 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. […] 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[3] CCAC S16-060801-NP, 10 février 2017, Michel A. Jeanniot, arbitre.

[4] 2006 QCCA 887.

[5] [1] Daunais c. Farrugia, [1985] R.D.J. 223 (C.A.), p. 228, j. Monet.

[6] Divulguée à l’audience mais non pertinent pour les fins des présentes.

[7] Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), Wilson & Lafleur, Montréal, 2e édition, 2011, pages 400-401, para 981.

[8] 2017 QCCS 2286 (Hon. Johanne Mainville, j.c.s.).

[9] 2017 QCCS 894 (Hon. Bernard Tremblay, j.c.s.).

[10] GAMM : 2011-09-004, 25 mai 2011, Claude Dupuis, arbitre.