ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

(Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Centre canadien d’arbitrage commercial inc. ( ci après « CCAC »)

 

 

 

COPROPRIÉTÉ 5300 ET 5310 DE LESLIE

 

(ci-après « le Bénéficiaire »)

 

c.

 

9253-5400 QUÉBEC INC.

 

(ci-après « l’Entrepreneur »)

 et

 

RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie autrefois administré par LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.

 

(ci-après « l’Administrateur »)

 

 

 

No. dossier CCAC :  S18-092101-NP.


 

SENTENCE ARBITRALE

 

Arbitre :

 

M. Albert Zoltowski

 

 

 

Pour le Bénéficiaire :

 

Me Simon Oliva

 

 

 

Pour l’Entrepreneur :

 

Me Christine Gosselin

 

 

 

Pour l’Administrateur :

 

Me Mathieu Préfontaine

 

 

 

Date de la Sentence :

 

Le 15 novembre 2022

 

 

 

HISTORIQUE DU DOSSIER :

29 août 2018 :

Décision de l’Administrateur;

21 septembre 2018 :

Réception de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire par le CCAC;

25 septembre 2018 : 

Notification de la demande et nomination de l’Arbitre;

27 septembre 2018 : 

Comparution de Me Christine Gosselin pour l’Entrepreneur;

17 octobre 2018 :

Réception des pièces de l’Administrateur par le Tribunal;

24 avril 2019 : 

Lettre du Tribunal au Bénéficiaire;

3 mai 2019 : 

Avis du Tribunal visant la tenue d’ une conférence de gestion fixée au  23 mai 2019;

23 mai 2019 : 

Conférence de gestion avec toutes les parties et transmission par le Tribunal du procès-verbal de la conférence;

5 juillet 2019 : 

Avis du Bénéficiaire concernant le report du dépôt de son expertise jusqu’au 19 juillet 2019;

19 juillet 2019 :  

Réception du rapport de Monsieur Serge Rochon, ingénieur, concernant la problématique des infiltrations d’eau;

13 août 2019 : 

Réception de la décision  complémentaire de l’Administrateur;

26 août 2019 :  

Tenue de la deuxième conférence de gestion concernant les problématiques des vibrations et de l’infiltration d’eau;

Réception d’une nouvelle demande d’arbitrage suite à la décision complémentaire de l’Administrateur;

6 septembre 2019 : 

Notification du CCAC concernant la nouvelle demande d’arbitrage et la nomination de l’Arbitre;

6 septembre 2019 : 

Réception du rapport d’expertise du Bénéficiaire;

27 septembre 2019 : 

Correspondance du Bénéficiaire concernant une nouvelle expertise;

3 avril 2020 :

Notification quant à la reprise d’instance par le nouvel administrateur provisoire de l’Administrateur;

26 août 2020 : 

Correspondance du Bénéficiaire concernant un suivi se rapportant à ses  expertises;

22 octobre 2020 : 

Remplacement de Me Christine Gosselin par Me Harold Rousselle comme procureur de l’Entrepreneur;

Correspondance du Bénéficiaire concernant un désistement partiel et nouvelles démarches de l’expert;

Rappel du Tribunal au Bénéficiaire concernant les délais à respecter.

10 décembre 2020 : 

Notification quant au désistement visant la problématique des infiltrations d’eau;

29 avril 2021 : 

Réception d’une nouvelle expertise du Bénéficiaire;

10 mai 2021 : 

Correspondance du Bénéficiaire à l’effet  que son expertise n’est pas complète;

23 juin 2021 : 

Réception du complément d’expertise du Bénéficiaire;

2 juillet 2021 : 

Avis de changement de procureur de l’Administrateur;

13 juillet 2021 : 

Avis de l’Entrepreneur de son intention de faire une contre-expertise;

14 septembre 2021 : 

Avis de l’Entrepreneur concernant une discussion;

7 octobre 2021 : 

Correspondance du Tribunal à l’Entrepreneur concernant le respect des délais convenus;

Demande du Tribunal à l’Entrepreneur de soumettre une date pour sa contre-expertise;

10 décembre 2021 : 

Correspondance de l’Entrepreneur avec le nom de son expert et la date prévue de sa visite des lieux;

20 janvier 2022 : 

Correspondance de Me Christine Gosselin;

10 février 2022 : 

Avis du Tribunal pour la tenue d’une conférence de gestion prévue pour le 22 février 2022;

22 février 2022 : 

Conférence de gestion;

10 mars 2022 : 

Commentaires du procureur du Bénéficiaire concernant le procès-verbal de la conférence de gestion du 22 février 2022;

11 mars 2022 : 

Réception de la lettre d’opinion de l’expert de l’Entrepreneur;

8 avril 2022 : 

Avis du Tribunal pour fixer une audition de deux jours;

13 avril 2022 : 

Conférence de gestion;

16 juin 2022 : 

Correspondance du Tribunal concernant le déroulement de l’audition;

21 juin 2022 : 

Réception des pièces documentaires du Bénéficiaire;

21 juin 2022 : 

Réception de l’inventaire modifié de l’Administrateur et d’une pièce additionnelle;

28 juin 2022 : 

Réception de certaines pièces de l’Entrepreneur;

30 juin 2022 : 

Réception des pièces de l’Entrepreneur;

5-7 juillet 2022 : 

Audition.

 

INTRODUCTION

  1. Le 29 août 2018, Monsieur Yvan Gadbois, le conciliateur de l’Administrateur, signe sa décision dans laquelle il traite de deux points de réclamation.  Le premier est une problématique d’infiltration d’eau qui n’est pas pertinente  pour les fins de la présente sentence.  Le deuxième point visait un problème de vibrations.  Ce dernier point constitue l’objet de cette sentence.
  2. Le bâtiment qui, selon les allégations du Bénéficiaire est affecté de ces vibrations, est une copropriété divise de dix unités, soit cinq unités à l’adresse civique 5300 De Leslie et cinq autres à l’adresse 5310 De Leslie.  Il s’agit d’un seul bâtiment avec deux entrées distinctes. Les parties communes de tout  ce bâtiment sont  administrées par le Bénéficiaire.
  3. Le 9 mai 2018, le Bénéficiaire transmet une dénonciation écrite à l’Entrepreneur et à l’Administrateur dont le texte est cité ci-dessous  dans cette sentence.
  4. Dans sa décision, le conciliateur, Monsieur Gadbois, prend en considération plusieurs éléments qu’il décrits comme suit :

« DÉCISION

Considérant que les manifestations dénoncées à ce point ne proviennent pas du bâtiment comme tel ou de ses occupants;

Considérant que le service d’urbanisme de la Ville de Brossard n’a pas été informé d’une telle situation dans le secteur;

Considérant que la Garantie Qualité Habitation n’est pas en mesure de faire un lien entre la situation dénoncée à ce point et les travaux réalisés par l’entrepreneur;

Considérant que selon les constations effectuées ainsi que les témoignages recueillis sur les lieux, la Garantie Qualité Habitation n’est donc pas en mesure de statuer sur la responsabilité de l’entrepreneur pour ce point;

Pour ces raisons, la Garantie Qualité Habitation ne peut reconnaître ce point dans le cadre de son mandat. »

  1. Cette décision de l’Administrateur est portée à l’ arbitrage devant le CCAC le 21 septembre 2018.  Quelques jours plus tard, le CCAC nomme l’arbitre soussigné (ci-dessous le « Tribunal » ou le « Tribunal arbitral ») pour qu’il veille au bon déroulement de la procédure arbitrale et rende une sentence.
  2.  Les délais pour la   préparation et la communication de  plusieurs expertises, sans parler des délais occasionnés par la pandémie de la COVID étaient longs.  L’autre point de réclamation mentionné dans la décision de l’administrateur qui a requis de sa part une deuxième décision complémentaire  et qui a été joint au dossier d’arbitrage visant les vibrations,  a prolongé tous ces délais.  Finalement, une audition de deux jours a eu lieu les 5 et 7 juillet 2022.
  3. Les documents déposés en preuve de consentement par les parties se détaillent comme suit :

Les pièces documentaires du Bénéficiaire sont:

B-1 : Avis de fin des travaux des parties communes;

B-2 : Rapport d’inspection pré-réception daté du 20 décembre 2015 et signé par Monsieur François Dussault, T.P., inspecteur en bâtiment;

B-3 : Courriel de dénonciation du Bénéficiaire intitulé « Réclamation toiture et stabilité de l’immeuble » daté du 9 mai 2018;

B-4 : Courriel de réponse de l’Entrepreneur daté du 14 mai 2018 adressé au Bénéficiaire;

B-5 :  Décision (« Rapport de conciliation ») du conciliateur de l’Administrateur, Monsieur Yvan Gadbois, daté du 29 août 2018;

B-6 : Demande d’arbitrage du Bénéficiaire (par Monsieur Martin Beaudet) au CCAC daté du 21 septembre 2018;

B-7 : Notification  de réception de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire adressée par le CCAC à toutes les parties;

B-8 : Procès-verbal de l’assemblée générale de Copropriété 5300 et 5310 De Leslie datée du 4 avril 2018.

Les pièces documentaires de l’Administrateur sont :

A-1 : Notification d’une demande d’arbitrage;

A-2 : Demande d’arbitrage datée du 21 septembre 2018;

A-3 : Rapport de conciliation 103873-11836 daté du 29 août 2018;

A-4 : Courriel de dénonciation du 9 mai 2018;

A-5 : Courriel du Bénéficiaire du 29 juin 2018;

A-6 : Photographies (3) fournies par le Bénéficiaire;

A-7 : État des renseignements d’une personne morale au Registre des entreprises du Québec du Bénéficiaire;

A-8 : Avis de fin des travaux des parties communes;

A-9 : Rapport d’inspection préréception préparé par François Dussault, T.P.;

A-10 : Procès-verbal de l’assemblée générale de Copropriété 5300 et 5310 De Leslie datée du 27 mars 2017;

A-11 : Guide de l’utilisateur - CNB2010Commentaires sur le calcul des structures (Partie 4 de la division B);

A-12 : Rapport de Monsieur Croteau daté du 6 septembre 2019.

Les pièces documentaires déposées par l’Entrepreneur sont cotées comme suit :

E-1 : Permis pour 5300 De Leslie;

E-2 : Permis pour 5310 De Leslie;

E-3 : Plan structure 2014-09-15;

E-4 : Plan architecture;

E-5 : Plan architecture, daté et signé par le Service d’urbanisme;

E-6 : Analyse du Code de construction du Québec;

E-7 : Lettre de L2C Experts Conseils en Structure en date du 11 mars 2022;

E-8 : CV de Jean-René Larose, ing.;

E-9 : Plans de Kefor Structures, en liasse;

E-10 : Photos aériennes utilisées lors du témoignage de Monsieur Faubert.

  1. Les témoins suivants ont été entendus lors de l’audition :

Pour le Bénéficiaire :

-          Monsieur Dominique Pelletier

-          Monsieur Martin Beaudet

-          Monsieur Paul Croteau, ing. (témoin expert)

Pour l’Administrateur :

-          Monsieur Yvan Gadbois (conciliateur)

Pour l’Entrepreneur :

-          Monsieur Jean-René Larose. ing.,  (témoin expert)

-          Monsieur Christian Faubert

LA PREUVE DU BÉNÉFICIAIRE

Premier témoin :  Monsieur Dominique Pelletier

  1. Le premier témoin du Bénéficiaire est Monsieur Dominique Pelletier.  Il était un des trois administrateurs du Bénéficiaire de février 2015 jusqu’en mars ou avril 2021.  Il était aussi le président du conseil d’administration du Bénéficiaire jusqu’en janvier ou février 2021.
  2. Le témoin était copropriétaire de l’unité numéro 4 au 5300 De Leslie et ce depuis le début jusqu’en mars ou avril 2021.  Il ne l’a jamais habitée, il la louait.
  3. Durant l’été de 2015 ses locataires,  qui ont emménagés vers le mois d’avril de cette année-là, lui ont dit qu’ils ressentaient des vibrations.  C’était les mêmes locataires qui ont habité cette unité continuellement depuis mars-avril 2015 jusqu’en juillet 2018.
  4. En octobre 2015, l’inspecteur en bâtiment, Monsieur Dussault, a fait une inspection pré-réception des parties communes du bâtiment qui a duré deux jours.  Le témoin était présent pendant une de ces deux journées.
  5. Le témoin a mentionné à l’inspecteur Dussault le problème des vibrations.  Ce dernier lui a déclaré que c’est normal dans le cas d’un bâtiment en bois et de plus, les vibrations pouvaient provenir des activités de construction à l’extérieur du bâtiment.
  6. En fait, la construction était active aux alentours du bâtiment et il y avait un train qui passait de temps à autre sur la voie ferrée à quelques 200 mètres du bâtiment.
  7. Le témoin communiqua ces informations à ses locataires.
  8. À l’assemblée générale des copropriétaires du bâtiment le 27 mars 2017, une discussion eu lieu concernant le rapport pré-réception de l’inspecteur Dussault, y compris au sujet des vibrations.  Monsieur Martin Beaudet, le copropriétaire de l’unité numéro 5 du 5300 De Leslie vivait aussi des problèmes de vibrations.
  9. Le témoin fait référence au texte du procès-verbal de l’assemblée générale des copropriétaires du 27 mars 2017 où on peut lire ceci :

« 9. Période de questions

  1. Le témoin déclare qu’en 2017, les occupants du bâtiment faisaient des observations au sujet des vibrations en surveillant les activités à l’intérieur de celui-ci, tel que l’effet des sécheuses à linge.
  2. À la fin de 2017, les locataires du témoin de l’unité numéro 4 ont « manifesté un inconfort » au sujet des vibrations. Ils étaient inquiets et se sont présentés  à l’assemblée générale des copropriétaires qui a eu lieu le 4 avril 2018.
  3.  En janvier-février 2018, sa locataire de l’unité 4 lui  mentionné que les vibrations lui donnaient des nausées et la  réveillaient la nuit. 
  4. Le Bénéficiaire a décidé d’investiguer chez les voisins dans d’autres bâtiments à condos identiques.  Aucun de ces voisins ne ressentait des vibrations.
  5. Monsieur Pelletier fait référence au texte du procès-verbal de la réunion générale des copropriétaires du 4 avril 2018.  Ce texte se lit comme suit :

« • Discussion en début d’assemblée.  Retour sur la vibration de l’immeuble 5300-5310.  La source demeure toujours inconnue malgré les constats collectifs :

         Les vibrations s’apparentent parfois à un mini- tremblement de terre;

         Plusieurs croyaient qu’elles étaient causées par la construction aux alentours (par le tapage de la machinerie et le passage des gros camions), mais la construction est maintenant rendue assez loin pour éliminer cette hypothèse;

         Elles pourraient être causées par l’activité humaine, ex : cycle essorage d’une laveuse, entrainement sportif à la maison (utilisation d’un tapis roulant, jumping jacks), … mais les évènements ne concordent pas pour le moment avec ces activités recensées;

         Les vibrations ne concordent pas non plus avec le passage d’un train ni à l’utilisation des services du dépôt à neige à proximité puisque les vibrations se produisent également l’été;

         Ce n’est pas tout le monde qui a répondu à l’appel, mais les unités du côté 5310 semblent non affectées pour le moment;

         D. Pelletier a questionné les autres immeubles aux alentours et personne n’aurait rapporté de telles vibrations.  Il a également tenté de joindre Trigone à plusieurs reprises sans succès et sans retour d’appel.

         M. Beaudet a initié un registre détaillant l’heure et la durée des vibrations, ayant même enregistré sur vidéo l’intensité de certaines d’entre elles et interrogé quelques voisins sur le fait, mais l’activité humaine des voisins à ce moment ne témoignait rien en particulier.

         Les locataires du 5300-4 témoignent des vibrations et nous recommandent de résoudre le mystère (et ce sans qu’ils n’aient d’intérêt financier ou autre).

         M. Beaudet propose qu’une démarche soit entreprise avec Trigone afin de faire les vérifications et les correctifs si nécessaires.  La phase I sera faite par courriel et en cas de non coopération, une mise en demeure pourra être envoyée.  D. Pelletier seconde la démarche (Après vérification, une réclamation officielle sera envoyée à Trigone et Qualité Habitation). »

  1. En contre-interrogatoire, le témoin a reconnu :

Deuxième témoin :  Monsieur Martin Beaudet

  1. Monsieur Martin Beaudet est le copropriétaire de l’unité numéro 5 au 5300 De Leslie.  Il habitait seul son unité de juin 2015 à juin 2021.  Depuis cette dernière date, il loue son unité.
  2. Il a ressenti les vibrations dès les premiers mois de son occupation.
  3. Il a constaté ces vibrations à cause de la porte de sa lanterne en métal qui claquait.
  4. Quant à la fréquence des vibrations, il les décrit comme « aléatoires et sporadiques ».
  5. En 2017, le témoin et Monsieur Pelletier (unité numéro 4) se sont consultés à quelques reprises au sujet des vibrations.
  6. Il n’était pas alarmé à leur sujet car l’inspecteur Dussault en 2015 avait mentionné qu’elles pourraient être causées par des sources externes au bâtiment, soit le passage du train à quelques 200 mètres plus loin et les activités de construction aux alentours du bâtiment.
  7. Il reconnaît que les activités de construction se sont estompées mais il ne se rappelle pas de la période précise où cela est arrivé.
  8. À la fin de 2017, il y avait une investigation auprès des immeubles voisins.
  9. Au 5310 De Leslie, aucun de ses occupants ne s’est plaint des vibrations.
  10. Il a commencé à tenir un registre des vibrations depuis janvier 2018.
  11. Avant de commencer de tenir ce registre, il avait « des impressions seulement ».  Selon lui, la preuve n’était pas assez solide pour faire des démarches auprès de l’Administrateur.
  12. En contre-interrogatoire, le témoin déclare ce qui suit :
  13. Il a commencé à prendre des notes dans son registre depuis le 14 janvier 2018 « pour avoir une preuve structurée ».
  14. La raison pour laquelle le Bénéficiaire a fait une dénonciation seulement le 9 mai 2018 était que « on s’en allait vers un arbitrage » et donc il fallait bâtir un dossier avant de déposer une dénonciation.
  15. Il y avait aucun travail sur la structure du bâtiment depuis 2015.
  16. Le Bénéficiaire a obtenu une première expertise de CIEBQ Experts Conseils en novembre 2018.

Troisième témoin :  Monsieur Paul Croteau

  1. Monsieur Paul Croteau est un ingénieur civil qui possède une spécialité en structures, y compris celles des bâtiments.  Il a été reconnu par le Tribunal comme un témoin expert.
  2. Il a préparé trois rapports datés respectivement du 6 septembre 2019, 21 avril 2021 et 23 juin 2021, qui ont été communiqués aux parties avant l’audience et déposés en preuve.  Le mandat de sa firme Cosigma Structure inc., une entreprise pour laquelle Monsieur Croteau agit comme conseiller principal, mentionné au début des deux premiers  rapports,  consistait à effectuer la recherche des causes des vibrations. L’objectif  décrit au troisième rapport visait l’illustration et l’explication « des solutions préconisées  afin de mettre fin ou d’amoindrir substantiellement les vibrations ressenties dans l’immeuble ».
  3. Dans le cadre de ce mandat, Cosigma a effectué une visite de quatre des cinq logements à l’adresse civique 5300 De Leslie.  De plus, son personnel a fait des ouvertures exploratoires dans le plafond du garage et dans l’escalier menant à l’unité 5 du 5300 De Leslie.
  4. Des mesures de vibrations ont également été prises dans les unités numéros 3 et 5 du 5300 De Leslie.
  5. Il n’a pas pris de mesure dans l’unité numéro 4 pour épargner des frais. ( Ceci a été confirmé par Monsieur Beaudet.)
  6. Dans les conclusions de son rapport du 21 avril 2021, signé par le témoin et par un autre ingénieur de Cosigma, on peut lire ce qui suit  au sujet des mesures prises dans les unitées 3 et 5 du 5300 De Leslie :

« Les amplitudes de vibrations mesurées au rez-de-chaussée et à l’étage dépassent les seuils de la norme pour un lieu résidentiel lors d’activités normales comme le déplacement d’une personne qui marche.

Les seuils sont même dépassés selon des mesures de vibrations enregistrées dans les conditions ambiantes d’un vendredi matin tranquille du mois de février, sans aucune excitation forcée ».

  1. Le témoin précise que la norme objective qu’il a utilisé dans son rapport est la norme internationale ISO-10137 décrite comme « Bases for Design of Structures - Serviceability of Buildings Against Vibration, International Organization for Standardization, Geneve, Switzerland, 1992-04-05 ».
  2. La norme internationale ISO – 10137 est un peu plus sensible aux vibrations que la norme prévue dans le Code national du bâtiment 2005. 
  3. Il reconnait que le bâtiment est assujetti à la partie 9 du CNB 2005.  Cependant, la partie 9 réfère à la partie 4 pour des questions de vibrations.
  4. Dans un document intitulé « Engagements de Paul Croteau suite à son interrogatoire du 5 juillet 2022 » le témoin  a précisé que les mesures d’accélération  qui ont été prises lors des visites, dépassent également la norme prévue par le CNB : « Les critères énoncés das le Commentaire permettent de confirmer que les vibrations ressenties sont en efet anormales en vertu de critères reconnus par le Code.  »
  5. Selon l’Introduction au Guide de l’utilisateur-CNB 2010 - Commentaires sur le calcul des structures (Partie 4 de la division B), les mesures d’accélération maximale permise de vibration selon le CNB 2010 (qui s’applique aussi au CNB 2005) sont proposées comme  « données de base et, dans certains cas comme méthode facultative facultatives de calcul, mais ne constituent nullement  des exigences impératives ». (pièce A-11).
  6. Selon le témoin, même si les normes de vibrations du CNB 2005 ne sont  pas impératives, néanmoins elles constituent  « des règles de l’art » et « de la bonne pratique » en construction.  Il ajoute, qu’un entrepreneur en construction doit respecter les règles de l’art même si elles ne sont pas impératives.
  7. Il déclare qu’il a personnellement ressenti « de l’inconfort » lors de ses visites aux unités 3, 4  et 5.
  8. De plus, son inconfort dans les unités 4 et 5 était tel qu’il ne voudrait pas y habiter.
  9. Selon le témoin, les vibrations proviennent probablement de l’intérieur du bâtiment.  Cependant, il reconnaît qu’il était construit selon les plans.  Il a fait des ouvertures exploratoires et n’a pas trouvé d’anomalies dans la structure.
  10. Il n’a pas observé de sources externes qui pourraient être la cause des vibrations comme par exemple, le passage de train.
  11. Il a constaté que les planchers dans les unités qu’il a visités sont « nerveux ».
  12. Il déclare que s’il regardait la télévision ou lisait dans une des unités visitées, il serait dérangé par les vibrations.

 

Témoin de l’Administrateur : Monsieur Yvan Gadbois

  1. Monsieur Gadbois était en 2018 un  conciliateur chez l’Administrateur et il est l’auteur de sa décision.
  2. Il a visité le bâtiment le 28 juin 2018 en présence des Messieurs Martin Beaudet et Dominique Pelletier.  Son inspection et sa décision se rapportaient à deux points :  le premier concernait une infiltration d’eau à l’unité 5310-5 (qui ne fait pas l’objet de cette sentence) et le deuxième point visait le problème des vibrations.
  3. Dans sa décision, il cite le texte de la dénonciation du Bénéficiaire datée du 9 mai 2018 et adressée à l’Entrepreneur et à l’Administrateur :

« 2- L’immeuble subit des épisodes étranges de vibrations.  Nous avons analysé plusieurs sources potentielles (passage d’un train, dépôt à neige à proximité, construction aux alentours, activités humaines, utilisation d’appareils comme une machine à laver, … ) mais rien ne concorde avec les épisodes de vibrations.  Pour le moment, seul l’occupant du 5300-5 a débuté un registre de façon plus assidu, mais nous savons que les occupants du 5300-4, 3 et 2 les ressentent aussi…  nous attendons encore des réponses du côté 5310.  Les vibrations s’apparentent parfois à un mini tremblement de terre, c’est-à-dire qu’elles peuvent être plutôt lentes et soutenues…  d’ailleurs, l’occupant du 5300-5 a capté sur vidéo certaines épisodes dans lesquelles on peut entendre sa vaisselle claquée (sic).  Les occupants du 5300-4 ont mentionné que les vibrations étaient plutôt dérangeantes et surprenantes, leur ayant même déjà donné des « sensations de nausée ».  Nous avons investigué avec les immeubles voisins (rue De Leslie et Lancaster), mais nous semblons être les seuls à subir ces vibrations…  ce qui nous mène à la conclusion que notre immeuble a un vice de conception, construction ou réalisation.  À la dernière assemblée, plusieurs craignaient une détérioration quelconque de l’immeuble, puisque ces vibrations anormales ne peuvent être sans conséquence. »

  1. Ensuite, Monsieur Gadbois a transcrit les commentaires du Bénéficiaire au moment de l’inspection comme suit :

« Le représentant du syndicat a mentionné avoir répertorié les vibrations ressenties à son unité, soit le 5300-5, depuis le début de l’année 2018.  Toutefois, il mentionné que ces vibrations sont présentes depuis 2015 et se manifestent environs une à deux fois par semaine de jour et de soir. »

  1. Dans ses constatations, le conciliateur note :

« La copropriété n’est pas équipée d’appareils pouvant provoquer des vibrations en raison d’un mauvais ajustement tel qu’un ascenseur, un monte-charge ou un système de ventilation commun. »

  1. Il déclare qu’il a visité l’unité 5300-5 seulement.  C’est la seule unité à laquelle le Bénéficiaire lui a donné accès.
  2. Lors de sa visite, il n’a pas constaté de vibrations.
  3. Il réitère que les deux administrateurs du Bénéficiaire et qui sont aussi propriétaires des unités 4 et 5,  lui ont déclaré que les vibrations étaient présentes depuis 2015.
  4. Sa visite a durée entre 30 et 60 minutes.

Premier témoin de l’Entrepreneur :  Monsieur Jean-René Larose

  1. Le premier témoin de l’Entrepreneur est Monsieur Jean-René Larose, ing.  Le Tribunal l’a reconnu comme témoin expert en structure de bâtiment.
  2.  Il n’a pris aucune mesure.  Il n’a même pas visité le bâtiment.  Il a regardé les rapports de l’expert du Bénéficiaire, Monsieur Paul Croteau, le rapport pré-réception de l’inspecteur Dussault et les plans du bâtiment.
  3.  Selon lui, le bâtiment est régi par la partie 9 du CNB 2005 qui s’applique à des petits bâtiments.  À l’appui, il dépose une étude de Favreau-Blais Associés, architectes en date du 9 septembre 2014.
  4.  Selon sa lecture des rapports de Monsieur Croteau, ce dernier n’a pas trouvé la cause des vibrations.  Il termine son rapport en écrivant : « Il est donc pertinent de sa question selon la source réelle de vibrations.  Nous sommes disponibles pour collaborer avec les différents experts dans l’objectif de trouver la cause si requise. »
  5. En contre-interrogatoire, il déclare que « c’était très simple pour trouver une solution.  C’est un cas d’ingénierie simple. »

Deuxième témoin de l’Entrepreneur :  Monsieur Christian Faubert

  1. Monsieur Faubert est ingénieur de formation et occupe le poste de VP aux opérations de l’Entrepreneur.  Il supervise l’ensemble des travaux de construction de l’Entrepreneur.
  2. Il ne faisait pas de supervision de chantier sur une base quotidienne.  Ceci était fait par le Surintendant de chantier de l’Entrepreneur, Monsieur Simon Fortier.
  3.  Le 5300 De Leslie est situé à côté de dix autres bâtiments construits par l’Entrepreneur qui font partie du même développement.
  4. Sur la photo déposée en preuve comme la pièce E-10, on peut apercevoir que ces bâtiments sont situés à côté de l’autoroute 30 et à côté d’une voie ferrée ainsi que d’un dépôt à neige de la Ville de Brossard.
  5. Cet ensemble d’onze bâtiments a été construit selon les plans du même architecte et par la même équipe de menuiserie.
  6. C’est le seul bâtiment avec des problèmes de vibrations.
  7. En septembre 2021, l’Entrepreneur a fait des ouvertures dans le plafond du garage du 5300 pour vérifier la conformité de l’installation de la structure avec les plans.  Tout a été construit selon le plan.  Lorsque ces ouvertures ont été faites par l’Entrepreneur, aucun expert du Bénéficiaire était présent sur les lieux.  C’est Monsieur Christian Benjamin qui est le président du sous-contracteur qui a fait la charpente et qui a confirmé à l’Entrepreneur que la charpente a été bien posée.

PRÉTENTIONS DU BÉNÉFICIAIRE

  1. Les vibrations constituent un vice caché au sens du paragraphe 27(4) du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ( ci- après « le Règlement »)  qui a été dénoncé par un avis écrit à l’Entrepreneur et à l’Administrateur dans un délai raisonnable n’excédant pas six mois de leur découverte au sens de l’article 1739 du Code civil.
  2. Les vibrations étaient inconnues et cachées lors des achats de chaque unité d’habitation.
  3. Ces vibrations rencontrent le critère de gravité d’un vice caché.Selon la lettre de dénonciation ( pièce B-3) du Bénéficiaire, « les vibrations s’apparentent parfois à un mini tremblement de terre » et ont déjà donné « des sensations de  nausée » aux occupants du 5300-4  L’expert Croteau a subjectivement ressenti un inconfort anormal dans un milieu résidentiel.  Il les a mesurées objectivement et les résultats objectifs de ces mesures ont démontré qu’ils dépassaient les normes pour un milieu résidentiel.
  4. Les vibrations ne se sont pas manifestées de façon soudaine comme par exemple, un tuyau qui éclate.  Elles sont apparues graduellement depuis leur première manifestation en 2015.  Ce n’est que lors de l’assemblée générale des copropriétaires le 4 avril 2018 que le Bénéficiaire a pu soupçonner la gravité et l’étendue des vibrations car seulement à cette date  il a pu  éliminer les causes externes possibles.
  5. Étant donné que la dénonciation écrite de l’Entrepreneur est datée du 9 mai 2018 le délai raisonnable, débutant le 4 avril 2018, et ne pouvant excéder six mois, a été respecté.
  6. En conclusion, le Bénéficiaire demande que sa demande d’arbitrage soit accueillie.

PRÉTENTIONS DE L’ADMINISTRATEUR

  1. Dans le cas présent, le Code du bâtiment ne prescrit aucune norme obligatoire ou impérative visant les vibrations.  Ceci est stipulée à l’Introduction du Guide de l’utilisateur-CNB2010 - Commentaires sur le calcul des structures (partie 4 de la division B),  (pièce A-11).
  2. En ce qui concerne la norme ISO-10137, il s’agit d’une norme internationale qui ne fait pas partie du Code de construction qui prévaut au Québec.
  3. L’article 27 du Règlement prévoit une garantie de réparation de vices et malfaçons « dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception … ». Comme l’Entrepreneur n’a enfreint aucune « obligation légale », l’article 27 du Règlement ne peut pas trouver d’application.
  4. Subsidiairement, un des quatre critères d’un vice caché, soit sa gravité n’a pas été prouvée par le Bénéficiaire.  Référant au témoignage de l’expert Croteau, ce dernier a déclaré que la sensation de vibrations peut-être subjective et peut varier d’une personne à l’autre.  Sur les cinq unités du 5300 De Leslie, selon la preuve, seulement les occupants des unités 4 et 5 se sont plaints.  Quand aux locataires successifs de l’unité 4, seulement certains d’eux se sont plaints.
  5. Enfin, la preuve révèle un manque d’un sens d’urgence de la part du Bénéficiaire à trouver la cause du vice.  Ce dernier aurait dû agir  depuis l’assemblée générale des copropriétaires de mars 2017.
  6. Le Bénéficiaire aurait dû dénoncer la problématique des vibrations lorsqu’il en a pris connaissance, soit au plus tard lors de l’assemblée générale du 27 mars 2017.  Il n’avait pas à attendre afin de trouver leur cause,  pour transmettre la dénonciation écrite à l’Entrepreneur et à l’Administrateur.
  7. Le Bénéficiaire n’a pas respecté le délai de six mois entre sa prise de connaissance du vice le 27 mars 2017 et sa lettre de dénonciation du 9 mai 2018.
  8. Malgré le fait que la lettre de dénonciation réfère à chacune des deux parties du bâtiment, soit celle à l’adresse civique 5300 et l’autre à 5310 De Leslie, le Bénéficiaire n’a soumis aucune preuve d’un problème de vibrations au 5310.
  9. En conclusion, l’Administrateur demande le rejet de la demande d’arbitration du Bénéficiaire et le maintien de la décision de l’Administrateur.
  10. Subsidiairement, si le Tribunal accueille la demande du Bénéficiaire, l’Administrateur demande le rejet de la demande visant le 5310 De Leslie en absence de toute preuve de vibrations pouvant l’affecter.

PRÉTENTIONS DE L’ENTREPRENEUR

  1. L’Entrepreneur partager les prétentions de l’Administrateur à l’effet qu’il ne s’agit pas d’un vice caché et que le délai de dénonciation n’a pas été respecté. 
  2. Il réfère explicitement au dernier paragraphe des conclusions du rapport du 21 avril 2021 de l’expert Croteau à l’effet que : « Les différentes ouvertures exploratoires ont permis de constater que la poutre principale de l’axe C, les poteaux à son extrémité gauche et le linteau sur lequel s’appuie  son extrémité droite sont conformes au plan de la structure. »
  3. Il souligne que l’existence de vibrations repose sur des perceptions subjectives qui ne sont pas ressenties uniformément par les occupants de toutes les unités.  Il réfère au témoignage de Monsieur Pelletier que les nouveaux acheteurs de son unité ne se sont pas plaints des vibrations, tout comme les nouveaux locataires de l’unité 5 de Monsieur Beaudet.
  4. En conclusion, il demande le rejet de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire.

ANALYSE ET SENTENCE

L’ancienne version du Règlement ou la nouvelle version du Règlement

  1. Selon le rapport d’inspection pré-réception de Monsieur François Dussault, T.P., inspecteur en bâtiment, daté du 20 décembre 2015, le bâtiment a été construit en 2014. La fin des travaux des parties communes a eu lieu le 4 août 2014 selon la pièce B-1.
  2. Après une conférence de gestion qui a eu lieu le 22 février 2022, le Tribunal a écrit aux parties qu’il présumait que la position du Bénéficiaire était à l’effet que c’est la version du Règlement qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2015 qui s’appliquait à sa demande d’arbitrage.  Or, quelques jours plus tard, soit le 10 mars 2022, le procureur du Bénéficiaire lui a répondu comme suit :

« Le Bénéficiaire n’a pas fait cette représentation.  Le Bénéficiaire reconnaît que c’est la version antérieure du Règlement qui s’applique. »

  1. Cette position du Bénéficiaire est conforme à celle de la majeure partie de la jurisprudence arbitrale qui s’est prononcée sur cette question.
  2. Dans la cause Raymond Chabot Administrateur provisoire inc. c. Entreprises Landco Inc., [1]  l’Honorable Sylvie Lachapelle, juge de la Cour du Québec a écrit comme suit :

« 22.  Ici, le début des travaux et la conclusion du contrat d’entreprise interviennent avant l’entrée en vigueur du nouveau règlement.

23.  Or, un courant jurisprudentiel majoritaire indique qu’une telle situation commande l’application de l’ancien règlement prévalant avant le 1er janvier 2015 en vertu du principe de non-rétroactivité (11). »

Elle note, toutefois, qu’il existe aussi un courant jurisprudentiel minoritaire :

« 27.  À l’inverse, dans Pricewaterhouse Inc. c. Chamberland (15), l’arbitre s’appuie sur les dispositions nouvelles entrées en vigueur après la date du contrat de construction.  Ne croyant pas qu’il s’agisse d’une décision déraisonnable, la Cour supérieure reconnaît cependant qu’elle s’inscrit dans un courant différent et minoritaire.  Le débat était toutefois théorique puisque l’arbitre avait donné raison à la demanderesse et celle-ci se pourvoit devant la Cour supérieure uniquement parce qu’elle reproche à l’arbitre d’avoir utilisé les nouvelles dispositions.

28.  Ainsi, selon le courant de jurisprudence majoritaire et en vertu du principe de non-rétroactivité, l’administrateur pouvait enregistrer l’immeuble en juillet 2015 dans la mesure où le début des travaux et la conclusion du contrat opèrent avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. »

.

  1. Dans le présent dossier, étant donné que la fin des travaux des parties communes a eu lieu le 14 août 2014, nous pouvons présumer que les contrats préliminaires pour l’achat des unités dans le bâtiment ont été signés avant le 1er janvier 2015 également,  soit la date d’entrée en vigueur des modifications au Règlement. Je peux donc conclure,  en suivant le raisonnement de la Juge Lachapelle que c’est l’ancienne version du Règlement que je dois appliquer.

Délai de six mois est un délai de rigueur et de déchéance

  1. Étant donné que la preuve et les arguments du Bénéficiaire sont à l’effet qu’il s’agit d’un vice caché au sens du Règlement sur la garantie des bâtiments résidentiels neufs, c’est le paragraphe 27(4) de « l’ancien » Règlement qui s’applique dans le contexte de cette demande.  Ce paragraphe se lit comme suit :

« 27.  La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir :

(4)  la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les trois ans suivants la réception et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil; »

  1. Le paragraphe (4) précité prévoit un délai maximal de six mois entre la découverte des vices cachés (au sens de l’article 1739 du Code civil) et la dénonciation écrite à l’Entrepreneur et à l’Administrateur.
  2. Selon une jurisprudence constante[2], ce délai maximal de six mois en est un de rigueur et de déchéance.  Ceci signifie que le Tribunal ne possède pas le pouvoir de le suspendre ou de le prolonger, en équité selon l’article 116 du Règlement ou pour d’autres motifs.  Pratiquement parlant, si le Bénéficiaire ne réussit pas à faire la preuve qu’il a respecté ce délai de six mois, le Tribunal n’a aucune autre alternative que de rejeter sa demande d’arbitrage.

L’article 1739 du Code civil

  1. Le paragraphe 27(4) du Règlement fait  référence  à l’article 1739 du Code civil du Québec.  Cet article est pertinent quand il énonce la règle à suivre pour établir le début du délai de dénonciation lorsque le vice apparaît graduellement.
  2. Le premier paragraphe de cet article seulement nous intéresse.  Il se lit comme suit :

« art. 1739.  L’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte.  Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendu. »

  1. Le deuxième paragraphe de cet article n’est pas pertinent pour les fins de cette analyse.
  2. Comme on l’a vu ci-haut, la prétention du Bénéficiaire est à l’effet que les vibrations sont apparues graduellement plutôt que soudainement.  L’exemple qu’il donne d’une manifestation soudaine est celle d’un tuyau qui éclate. 
  3.  Il  prétend qu’il a pu soupçonner la gravité et l’étendue des vibrations seulement le 4 avril 2018, lors de l’assemblée générale des copropriétaires du bâtiment.  Il explique que c’est lors de cette assemblée que les sources  externes ont pu être éliminées comme la cause des vibrations.
  4.  Selon le dictionnaire Petit Robert ( Société du Nouveau Littré, 1978, Paris) le mot « graduellement » signifie « Par degrés, par échelons.  V. Petit (à petit), peu (à peu); progressivement, doucement.  Avancer, gagner du terrain graduellement.  Amener graduellement un art à sa perfection. »  Dans le dictionnaire Le Petit Larousse Illustré ( Larousse, 2014, Paris) les adjectifs« graduel » et « graduelle » signifient « Qui va par degrés; progressif ».  L’adverbe « graduellement » signifie «Par degrés ».
  5. Ce que le Tribunal retient de ces définitions est que le mot « graduellement » dénote une avance par degrés,  une progression.
  6. Plusieurs éléments de preuve devant le Tribunal démontrent  que les vibrations sont apparues aux occupants des unités 4 et 5 du 5300 de Leslie dès l’année 2015.
  7. Voici ce que l’inspecteur Dussault a écrit dans son rapport d’inspection pré-réception daté du 20 décembre 2015 quant à la manifestation des vibrations :

« 114.  DÉNONCIATION – EXPERTISE REQUISE :  5300-4

Le copropriétaire de ce logement nous dénonce par écrit, d’un problème de vibration structurale à l’intérieur du logement qui se produit une fois par jour et qui se ressent dans le salon principalement.  Problème non visible et raison inconnue par simple inspection visuelle.  Il faudrait faire une vérification lorsque cela se produira prochainement.  Consulter l’architecte de ce projet et/ou une firme spécialisée en structure.  À vérifier.  À corriger (le cas échéant). »

  1. Malgré le témoignage de Monsieur Pelletier à l’effet que l’inspecteur Dussault lui a dit que les vibrations sont normales dans une structure de bois et qu’il y a une possibilité de causes externes,  le texte de Monsieur Dussault établit clairement une fréquence journalière de vibration structuralle.
  2.  Étant donné que Monsieur Pelletier ne demeurait pas à l’unité 4, le texte de la dénonciation qu’il a transmise à l’inspecteur Dussault devait être fondée sur des déclarations de ses locataires.  Or, il s’agit des mêmes locataires qui se sont présentés à l’assemblée générale du 4 avril 2018 pour se faire entendre sur la question des vibrations.
  3. Monsieur Pelletier a témoigné également que Monsieur Beaudet (le propriétaire de l’unité numéro 5 lui disait qu’il vivait aussi des problèmes de vibrations.
  4. Notons que Monsieur Pelletier était en tout temps l’administrateur du Bénéficiaire et donc on peut difficilement prétendre que le Bénéficiaire a été avisé des problèmes de vibrations pour la première fois en mars 2017 lors de la réunion des copropriétaires.
  5.  En ce qui concerne l’unité numéro 5 appartenant à Monsieur Beaudet, il a témoigné qu’il a ressenti les vibrations dès les premiers mois de son occupation en 2015.
  6.  Dans sa décision, le conciliateur Monsieur Gadbois a noté que lors de sa visite des lieux en juin 2018, Monsieur Beaudet lui « mentionne que ces vibrations sont présentes depuis 2015 et se manifestent environs une à deux fois par semaine de jour et de soir. »
  7. Ce que le Tribunal retient des déclarations de Monsieur Pelletier à l’inspecteur Dussault et de Monsieur Beaudet au conciliateur Monsieur Gadbois est que les vibrations dans les unités 4 et 5 étaient ressenties de façon régulière plutôt qu’aléatoire et sporadique, comme le prétend le Bénéficiaire. De plus, ces déclarations  démontrent que la manifestation de ces vibrations et leur connaissance par les occupants des unités 4 et 5 était immédiate, plutôt que progressive, et ce dès 2015.
  8. Non seulement la fréquence des vibrations, mais aussi leur gravité semble avoir été constante dans l’unité 5300-5 De Leslie depuis le début. Voici comment M. Pelletier s’exprime à ce sujet das son courriel du 29 juin 2018  (soit, après la dénociation de 9 mai 2018)  adressée à M. Beaudet, avec copie à l’Administrsateur et l’Entrepreneur :

  « …N’habitant pas sur les lieux, il m’a été impossible de recenser les               épisodes par la suite, mais je vous transmets l’information que mes locataires               m’ont communiqués à ce sujet : anormales, fréquentes, assez               dérangeantes, même qu’au début elles auraient causé des nausées  à une               des               personnes plus sensible habitant mon unité, vibrations plutôt               persistantes et lentes s’apparentant parfois à un mini tremblement de terre,               elles ont déjà causé le réveil durant la nuit, sources toujours inconnues à ce               jour ( elles ne concordent pas avec le passage du train, l’activité au dépôt de               neige, la construction qui n’est plus à proximité,….) » (soulignement par le               Tribunal).

  1. Dans sa réplique lors des plaidoiries, le Bénéficiaire a reconnu qu’il n’y a aucune preuve devant le Tribunal d’aggravation des vibrations.
  2. Notons aussi que selon la preuve, aucun travail n’a été fait sur la structure du bâtiment depuis 2015.
  3. Cette preuve d’une fréquence régulière des vibrations depuis 2015 sans aggravation, comme l’a reconnue le Bénéficiaire,  c’est-à-dire sans preuve de progression quant à leur force ou leur durée, démontre au Tribunal que leur manifestation n’a pas été graduelle. Par conséquent, la désignation  du  point de départ du délai de dénonciation lorsque le vice apparaît graduellement, selon les dispositions du paragraphe 1 de l’aticle 1739 du Code civil, ne peut pas être retenue dans le cadre de cette analyse.

 Début du délai de dénonciation

  1. Selon le principe retenu par la jurisprudence arbitrale,  le délai de dénonciation commence à courir dès la connaissance d’une problématique plutôt que dès  la connaissance de sa cause.
  2. Le fait que le Bénéficiaire a attendu jusqu’à l’assemblée du 9 avril 2018 pour éliminer les causes externes des vibrations ne lui permettent pas de repousser la date de sa connaissance et donc de la découvere des vibrations, qui a eu lieu le 27 mars 2017.
  3. Dans dans sa sentence du 24 avril 2015, Syndicat de copropriétaires du Lot 3 977 437, l’arbitre Jean Morissette confirme cette règle ainsi :

« 26.  Les principes afférents à cette disposition ont été maintes fois exprimés dans des décisions d’arbitrage ou par les tribunaux de droit commun.  Le procureur de l’Entrepreneur a résumé ces divers principes de la façon suivante, jurisprudence à l’appui :

(f) ce délai commence au moment où le Bénéficiaire a connaissance d’un problème même s’il n’en connait pas la cause; »

 

  1. Plus récemment, dans la sentence Syndicat des copropriétaires du 70 Saint-Ferdinand déjà citée ci-haut, rendue par Me Roland-Yves Gagné, arbitre,  on peut lire ceci au paragraphe 394 :

 

   « (394) La décision de notre collègue, Me Karine Poulin, arbitre                                           dans               Parent c. Construction Yvon Loiselle Inc.(48)  rendue en                                           2012, reproduit l’état du droit:

   45.  La jurisprudence est constante à l’effet que                              c’est la connaissance de l’existence d’un problème                                           qui déclenche l’obligation de dénonciation.                                                          Prétendre que la Bénéficiaire devait connaître la                                           nature du vice, ie. procéder à toutes les analyses et                                           expertises requises pour confirmer la nature du vice                                           affectant sa propriété avant de la dénoncer à                                                         l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur serait                                           lui imposer un trop lourd fardeau.

            …..

   47.Par conséquent, j’estime que ce que devait                              dénoncer le Bénéficiaire à l’Entrpreneur avec copie                                           à l’Administrateur c’est l’existence d’un problème,                                           quel qu’il soit.  » 

  1. Lors de l’assemblée du 27 mars 2017, la question des vibrations de l’immeuble au 5300 et 5310 De Leslie a été discutée. Dans le procès-verbal de l’assemblée  on peut lire ceci :  « La vibration de l’immeuble 5300 et 5310 est soulevée. Il s’agit d’une vibration plutôt lente. La cause demeure inconnue mais un cycle d’essorage d’une laveuse pourrait par exemple être la source de la vibration.  D. Pelletier mentionne qu’il a spécifié à l’inspecteur et ce dernier a confirmé que les causes peuvent être multiples et « normales « pour une structure en bois .  Pour identifier la cause ( et possiblement une solution ), il faut tenir un registre des dates, heures et évènements lorsque ça se produit et même faire le tour des voisins rapidement pour savoir s’ils le sentent et leurs occupations du moment (ex : laveuse en marche). »
  2. Selon le Tribunal, la connaissance du problème des vibrations par le Bénéficiaire a eu lieu le 27 mars 2017, date correspondante à cette assemblée générale des copropriétaires.
  3. C’est à l’intérieur d’un délai maximal de six mois à partir de cette date du 27 mars 2017 que le Bénéficiaire aurait dû, selon le paragraphe 27(4) du Règlement transmettre sa dénonciation écrite à l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur.
  4. Il ne l’a pas fait. Sa dénonciation du 9 mai 2018 excède largement ce délai. Ceci est fatal pour sa demande d’arbitrage car, tel que mentionné ci-haut, ce délai de six mois est un délai de rigueur et de déchéance.
  5. Notons finalement les témoignages des Messieurs Pelletier et Beaudet lors de leur contre-interrogatoire lorsqu’ils  expliquent leur retard à transmettre la dénonciation écrite à l’Administrateur et à l’Entrepreneur par une volonté d’investiguer les causes possibles des vibrations à l’extérieur du bâtiment, de cumuler la preuve et de bâtir un dossier pour les fins d’un arbitrage. Ce ne sont pas des motifs qui permettraient au Tribunal de proroger le délai maximal de six mois  qui a commencé à courir depuis le 27 mars 2017.
  6. Comme le Tribunal a conclu que le délai de dénonciation de six mois maximum, un délai de rigueur et de déchéance n’a pas été respecté par le Bénéficiaire, le Tribunal n’a plus besoin d’analyser et de statuer sur les autres prétentions des parties.

COMMENTAIRES SUPPLÉMENTAIRES

  1. Selon l’article 123 du Règlement, les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
  2. Lorsque le demandeur est le Bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l’Administrateur à moins que le Bénéficiaire n’obtienne gain de cause sur aucune des aspects de sa réclamation, auquel cas l’Arbitre départage ces coûts.
  3. Dans le cas présent, le Bénéficiaire n’a eu gain de cause sur aucun aspect de sa réclamation.
  4. La Loi sur le bâtiment[3] ainsi que le Règlement ne contiennent pas de clauses privatives complètes.  L’Arbitre a compétence exclusive et sa décision lie les parties.  Elle est finale et sans appel.
  5.  Selon l’article 116 du Règlement, un Arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.

CONCLUSION

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ARBITRAL :

 REJETTE la demande d’arbitrage du Bénéficiaire;

 DÉCLARE qu’il est équitable que les frais d’arbitrage soient partagés entre l’Administrateur et le Bénéficiaire comme suit :  100$ devront être payés par le  Bénéficiaire et le solde par l’Administrateur;

 RÉSERVE à l’Administrateur ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur pour toutes les sommes versées, incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (conformément à la convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement et le paragraphe 19 de l’Annexe 2 du Règlement) en ses lieux et places,

 LE TOUT, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage CCAC, après un délai de grâce de 30 jours.

 

 

 

Montréal, le 15 novembre 2022.

 

 

 

 

 

 

 

ALBERT ZOLTOWSKI

Arbitre/CCAC

Jurisprudence consultée :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] 20019 QCCQ, 4303 (CanLII)

[2] Syndicat des copropriétaires lot 3 977 437 c. Gestion Mikalin Limitée et la Garantie Abritat inc.,GAMM 2013-15-011, 24 aril 2015, Jean Morissette, arbitre ; parag. 26 et ss.

Voir aussi : Syndicat des Copropriétaires du 70 Saint-Ferdinand c. 9158-4623 Québec inc. et Raymond Chabot Administrateur provisoire inc. ès qualité d’administrateur provisoire du plan de garantie de La Garantie Aritat inc., SORECONI no. 192511002, 3 février 2021, Me Roland-Yves Gagné, arbitre ; parag. 389 et ss.

[3] Loi sur le bâtiment, chapitre B-1.1, 185 et 192.