Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. MYL Développement inc.

2011 QCCA 56

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-019672-096

(760-22-006223-088)

 

DATE :

 14 janvier 2011

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS

NEUFS DE L'APCHQ INC.

APPELANTE - demanderesse

c.

 

MYL DÉVELOPPEMENT INC.

et

MARIO LÉVESQUE

INTIMÉS - défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 20 avril 2009 par la Cour du Québec, district de Beauharnois (l'honorable Michel Desmarais), qui a rejeté l'action de l'appelante au motif que son recours était prescrit;

[2]           Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]           Pour les motifs du juge Rochon, auxquels souscrivent les juges Forget et Dufresne;

[4]           REJETTE l'appel avec dépens.

 

 

 

 

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

 

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

Me Elie Sawaya

SAVOIE, FOURNIER

Pour l'appelante

 

Me Grace Di Pace

MERCADANTE DI PACE

Pour les intimés

 

Date d’audience :

 18 novembre 2010


 

 

MOTIFS DU JUGE ROCHON

 

 

[5]           Après avoir payé le bénéficiaire d'un plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, l'appelante a introduit un recours contre les intimés pour récupérer ses débours.

[6]           L'action de l'appelante fut introduite plus de trois ans après la dénonciation des vices par le bénéficiaire de la garantie.  Le juge de première instance a rejeté le recours.  Il s'est dit d'avis qu'il était prescrit.

[7]           L'appelante se pourvoit.  Elle plaide que le délai de prescription extinctive débutait à la date du paiement des indemnités au bénéficiaire, auquel cas le recours ne serait pas prescrit ou encore à l'expiration du délai prévu à l'article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (le règlement).

[8]           Pour un examen approprié de l'affaire, il y a lieu de s'attarder d'abord à la nature des liens juridiques qui unissent les parties en cause.

[9]           L'appelante est une personne morale autorisée par la Régie du bâtiment du Québec à administrer un plan de garantie (art. 81 de la Loi sur le bâtiment[2]), (la Loi).

[10]        En l'espèce, ce plan de garantie est au bénéfice des personnes qui ont conclu un contrat avec un entrepreneur pour la construction d'un bâtiment résidentiel neuf.  Le plan garantit l'exécution des obligations légales et contractuelles d'un entrepreneur sous réserve de certaines conditions.

[11]        L'intimée MYL Développement inc. (MYL) est un entrepreneur.  Mario Lévesque (Lévesque) est son seul actionnaire et dirigeant.  Il a cautionné les obligations de MYL au bénéfice de l'appelante.

[12]        La Loi oblige les entrepreneurs en construction à détenir une licence (art. 46).  Suivant le Règlement, pour agir à titre d'entrepreneur en bâtiments résidentiels neufs toute personne doit adhérer à un plan qui garantit l'exécution de ses obligations résultant d'un contrat avec un bénéficiaire.

[13]        Le Règlement est d'ordre public.  Il détermine notamment les dispositions essentielles du contrat de garantie en faveur des tiers.  Le contrat doit de plus être approuvé par la Régie du bâtiment (art. 76).

[14]        De même, le Règlement oblige l'entrepreneur à signer une convention d'adhésion dont le contenu est, en grande partie, déterminé par le Règlement (art. 78).  Qui plus est, la convention d'adhésion reprend, pour en faire partie intégrante, le contrat de garantie au bénéfice des tiers.

[15]        Pour reprendre l'expression de la juge Rayle dans l'arrêt Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Desinder[3], nous sommes en présence de contrats (garantie et adhésion) fortement réglementés dont le contenu est dicté par voie législative et réglementaire.

 

LA TRAME FACTUELLE

 

[16]        En mai et juillet 2005, le bénéficiaire de la garantie dénonce par écrit les défauts.

[17]        L'inspection a lieu le 21 septembre 2005.  Les intimés, bien que convoqués, ne se rendent pas à la réunion.

[18]        Le 19 octobre 2005, l'inspecteur statue sur les réclamations du bénéficiaire.  Il ordonne à MYL de corriger cinq malfaçons.  Le même jour, une lettre de mise en demeure est adressée aux intimés.

[19]        Le 18 novembre 2005, l'appelante ajoute deux corrections additionnelles et en avise les intimés.

[20]        Les lettres de mise en demeure du 19 octobre et du 18 novembre 2005 sont retournées à l'expéditeur avec la mention « Parti sans laisser d'adresse ».

[21]        Le 25 novembre 2005, l'appelante confie à un entrepreneur le soin de procéder aux travaux correctifs.

[22]        En mars 2006, l'appelante demande le remboursement des sommes payées à l'entrepreneur qui a effectué les travaux correctifs à l'immeuble du bénéficiaire.

[23]        Le 14 novembre 2008, l'appelante introduit son action contre les intimés.

 

ANALYSE

 

[24]        Deux thèses s'affrontent.  Pour les intimés, l'appelante exerçait un recours subrogatoire.  Dès lors, en sa qualité de payeur subrogé, elle n'avait pas plus de droits que le subrogeant et elle se devait d'agir dans le délai prescrit pour ce dernier.

[25]        Pour sa part, l'appelante soutient qu'il s'agit d'un recours personnel basé sur le contrat d'adhésion de l'intimée MYL qui comporte certaines conditions qu'elle se doit de respecter et qu'en conséquence le délai de prescription doit débuter à la date à laquelle elle peut exiger le remboursement de ses débours aux intimés.

[26]        Les articles 18 et 19 du Règlement en vigueur à l'époque pertinente[4] prévoient la procédure à suivre pour toute réclamation :

18.       La procédure suivante s'applique à toute réclamation faite en vertu du plan de garantie :

1°         dans le délai de garantie d'un, trois ou cinq ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription;

2°         au moins 15 jours après l'expédition de la dénonciation, le bénéficiaire avise par écrit l'administrateur s'il est insatisfait de l'intervention de l'entrepreneur ou si celui-ci n'est pas intervenu; il doit verser à l'administrateur des frais de 100 $ pour l'ouverture du dossier et ces frais ne lui sont remboursés que si la décision rendue lui est favorable, en tout ou en partie, ou que si une entente intervient entre les parties impliquées;

3°         dans les 15 jours de la réception de l'avis prévu au paragraphe 2, l'administrateur demande à l'entrepreneur d'intervenir dans le dossier et de l'informer, dans les 15 jours qui suivent, des mesures qu'il entend prendre pour remédier à la situation dénoncée par le bénéficiaire;

4°         dans les 15 jours qui suivent l'expiration du délai accordé à l'entrepreneur en vertu du paragraphe 3, l'administrateur doit procéder sur place à une inspection;

5°         dans les 20 jours qui suivent l'inspection, l'administrateur doit produire un rapport écrit et détaillé constatant le règlement du dossier ou l'absence de règlement et en transmettre copie, par poste recommandée aux parties impliquées;

6°         en l'absence de règlement, l'administrateur statue sur la demande de réclamation et, le cas échéant, il ordonne à l'entrepreneur de rembourser le bénéficiaire pour les réparations conservatoires nécessaires et urgentes, de parachever ou de corriger les travaux dans le délai qu'il indique et qui est convenu avec le bénéficiaire;

7°         à défaut par l'entrepreneur de rembourser le bénéficiaire, de parachever ou de corriger les travaux et en l'absence de recours à la médiation ou de contestation en arbitrage de la décision de l'administrateur par l'une des parties, l'administrateur fait le remboursement ou prend en charge le parachèvement ou les corrections dans le délai convenu avec le bénéficiaire et procède notamment, le cas échéant, à la préparation d'un devis correctif, à un appel d'offres, au choix des entrepreneurs et à la surveillance des travaux.

19.       Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 15 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente.  Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 15 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatent l'échec total ou partiel de la médiation.

[27]        L'appelante soutient que le point de départ de la prescription se situe au moment où son dommage est né, soit au moment du paiement des travaux correctifs (premier paiement le 17 janvier 2006) ou, au plus tôt, à l'expiration du délai de 30 jours[5] prévu à l'article 19 du Règlement soit, en l'espèce, le 19 novembre 2005.

[28]        Soit dit avec égards, je ne peux retenir la thèse de l'appelante.  Celle-ci n'exerce pas un recours qui lui est personnel, mais plutôt un recours exclusivement subrogatoire.  Elle est subrogée aux droits du bénéficiaire et la procédure réglementaire ne lui permet pas de passer outre à la règle qu'en sa qualité de payeur subrogé, elle n'a pas plus de droits que le subrogeant (art. 1651 et 1657 C.c.Q.).

[29]        La subrogation s'opère par le seul effet de la loi, notamment dans les cas établis par certaines dispositions législatives particulières (art. 1656 (5) C.c.Q.).

[30]        L'article 79.2 de la Loi prévoit que :

79.2  La subrogation s'opère au profit de l'administrateur d'un plan de garantie qui pourvoit au défaut de l'entrepreneur de remplir ses obligations résultant du plan.

[31]        L'article 24 du Règlement porte que :

24.  L'administrateur qui indemnise un bénéficiaire en vertu de la présente sous-section est subrogé dans ses droits jusqu'à concurrence des sommes qu'il a déboursées.

[32]        L'article 2.4 section C du contrat de garantie inséré et faisant partie intégrante de la convention d'adhésion prévoit également la subrogation en faveur de l'appelante pour les sommes déboursées à un bénéficiaire:

2.4  La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. qui indemnise un bénéficiaire en vertu de la présente section est subrogée dans ses droits jusqu'à concurrence des sommes qu'elle a déboursées.

[33]        Il me semble important de réitérer que les contrats reprennent pour l'essentiel les éléments contenus à la Loi et au Règlement qui, à leur tour, déterminent le contenu des contrats.

[34]        Dans ce contexte, il me semble s'imposer que lorsque l'appelante réclame le paiement des montants déboursés à des bénéficiaires, elle exerce le recours subrogatoire prévu à la Loi, au Règlement et à la convention d'indemnisation.

[35]        L'argument de l'appelante ignore totalement qu'elle fait ici valoir la créance du bénéficiaire.  Elle confond ainsi la naissance du droit d'action et les délais de procédure prévus à la réglementation pour faire valoir la garantie.

[36]        En l'espèce, l'appelante ne plaide pas qu'elle était, en fait, dans l'impossibilité d'agir avant le délai de prescription.  La trame factuelle démontre aisément qu'elle pouvait agir en temps utile.

[37]        À titre de subrogée, l'appelante n'est pas dans une position juridique différente de tous autres créanciers subrogés aux termes de l'article 1656 C.c.Q.  Dans bien des cas, ces créanciers acquièrent le droit à la subrogation après avoir satisfait à certaines conditions ou après avoir subi certains délais.  À titre d'exemple, l'assureur est subrogé dans les droits de l'assuré jusqu'à concurrence des indemnités qu'il a payées (2474 C.c.Q.).  Notre Cour a spécifiquement rejeté l'argument de l'assureur sur la date de départ de la prescription comme le notent les auteurs Lluelles et Moore :

La subrogation ne peut pas nuire au débiteur, puisque celui-ci n'a, bien souvent, pas consenti à celle-ci. Ainsi, le payeur-subrogé n'obtient pas plus de droits que n'en avait le créancier-subrogeant (art. 1651, al. 2). De plus, le débiteur, de même que ses garants, peuvent opposer au subrogé «[…] les moyens qu'ils avaient contre le créancier originaire » (art. 1657), qu'ils soient liés à la validité du contrat, à son exécution ou encore à tous motifs concernant l'acte subrogatoire. Il en va également de même pour la prescription qui n'est pas modifiée par le paiement subrogatoire; le payeur-subrogé doit donc agir dans le délai qui s'imposait au créancier-subrogeant. C'est pourquoi la Cour d'appel a rejeté le recours subrogatoire d'une compagnie d'assurance pris à l'encontre de la Ville de Baie-Comeau, au motif que ce recours était prescrit selon la Loi sur les cités et villes. La Cour a rejeté l'argument de la compagnie d'assurances selon lequel son délai d'action commençait à courir au jour du paiement fait à son assuré.[6]

[38]        Cela n'a pas pour effet d'ajouter à la date de départ du calcul de la prescription.

[39]        Finalement, vu les présents motifs, il ne m'apparaît pas utile d'étudier davantage le second argument de l'appelante relié à l'article 19 du Règlement car, même dans ce dernier cas, si l'on applique le délai de 15 jours prévu à la réglementation de l'époque, le recours serait également prescrit.

[40]        Pour ces motifs, je propose de rejeter l'appel avec dépens.

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 



[1]     Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, Décret 841-98 du 17-06-1998, (1998) 130 G.O. II 3484.

[2]     L.R.Q., c. B-1.1.

[3]     J.E. 2005-132 (C.A.).

[4]     Le texte reproduit par les parties dans leur annexe n'était pas celui qui était en vigueur lors des événements en cause.

[5]     Même si le Règlement de l'époque prévoyait 15 jours.

[6]     Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Éditions Thémis, 2006, n° 3064, p. 1846-1847.