ARBITRAGE En vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (Décret 841-98 du 17 juin 1998) | |
CANADA |
|
Province du Québec |
|
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : | |
Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) | |
No dossier Garantie : | 145145-8880 |
No dossier CCAC : | S23-042701-NP |
No dossier Arbitre : | 308944-13 |
Entre |
|
LOÏC LOLLIER et SOFIA SCARCELLO | |
Bénéficiaires |
|
Et |
|
9330-0978 QUÉBEC INC. / LE GROUPE CGI | |
Entrepreneur |
|
Et |
|
GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR) | |
Administrateur de La Garantie | |
| |
|
SENTENCE ARBITRALE |
| |
Arbitre : |
Me Pierre-G. Champagne |
Pour les bénéficiaires : | Me Clémence Trudeau |
Pour l’entrepreneur : | N.A. |
Pour l’administrateur : | Me Marc Baillargeon |
Date(s) d’audience : | 5 mars 2024 |
Lieu d’audience : | Montréal |
Date de la décision : | 25 mars 2024 |
[1] Il s’agit d’une demande d’arbitrage suite à une décision de l’Administrateur en date du 27 mars 2023, rejetant la demande pour cause de tardivité, celle-ci ayant été dénoncée le 18 août 20221, alors que la « date de la première observation » toujours selon ce formulaire, aurait été le 1er avril 2019, soit plus de trois ans auparavant.
[2] La réclamation est logée le 16 septembre 2022 (pièce A-4).
[3] Le Cahier de pièces de l’Administrateur comporte les pièces A-1 à A-10; la décision de l’Administrateur est la pièce A-8.
[4] La Demande concerne, pour paraphraser ce qu’énoncent les Bénéficiaires dans le formulaire de dénonciation A-3 : Un affaissement de la dalle de ciment du premier plancher de la bâtisse, dû à une mauvaise compaction du sol par l’entrepreneur. Il y aurait maintenant (au jour de la dénonciation du moins), un espacement qui se crée entre les murs et le plancher de l’appartement au rez-de-chaussée. Les Bénéficiaires auraient constaté en ouvrant une certaine portion du plancher que la dalle de ciment est craquée à certains endroits.
[5] Quant à la nature des réparations requises, il n’y a pas de contestation à cet égard, et les conclusions visant la correction des défauts, le cas échéant, n’auront pas à les préciser outre mesure, si ce n’est quant au délai pour les compléter. Le débat est véritablement restreint au délai de dénonciation du vice.
[6] En demande, le Bénéficiaire Loic Lollier a témoigné, ainsi que son auteur et ancien propriétaire Najib Rezayi.
La preuve :
[7] Selon Monsieur Loic Lolllier, ce n’est que le 9 avril 2022 qu’il prend conscience de la nature du problème, alors soulevé par sa locataire.
[8] Lors de son achat, l’inspecteur l’avait informé de certains problèmes au niveau du plancher mais le tout avait été réparé par l’entrepreneur.
[9] Questionné à ce sujet, et bien qu’il ne soit pas expert dans le domaine, Monsieur Lollier admet que selon lui, le problème d’affaissement d’avril 2022 est le même que celui de 2019 déclaré par son auteur.
1 Voir le Cahier de pièces de l’administrateur réclamation 8880 – pièce A-3 : Formulaire de dénonciation daté du 18 août 2022
[10] Monsieur Najib Rezayi est le propriétaire précédent. Il a été propriétaire d’avril 2018 à décembre 2019. En avril 2019, il reçoit un appel de la locataire du 13 670 Grenache, Mirabel (la propriété en question), concernant un problème de plancher.
[11] Monsieur Rezayi contacte alors le représentant de l’entrepreneur général. Il ne s’y connait pas beaucoup dans la construction, mais est rassuré du fait que l’entrepreneur prend fait et cause et s’occupe du problème de « réfection de plancher ».
[12] Les travaux sont terminés en juin 2019. Tout est réparé; fin de l’incident.
[13] Questionné sur la raison pour laquelle aucune réclamation n’a été faite auprès de l’Administrateur en 2019, le témoin ajoute, bien candidement, qu’il n’y avait pas de réclamation puisque l’entrepreneur s’en est occupé. Lorqu’on lui exhibe des photos des lieux prises en 2022, le témoin mentionne que les dommages étaient moins importants en 2019.
[14] L’Arbitre est d’accord avec cet énoncé, et lui attribue toute l’importance qu’il mérite dans la détermination de la date de la découverte d’un problème assimilé à un vice, point de départ de la prescription ou du délai de dénonciation du vice par les Bénéficiaires. Nous y reviendrons.
Discussion :
[15] Les témoins des Bénéficiaires sont crédibles. Monsieur Lollier admet d’emblée qu’il croit que la nature du problème relevé en 2022 est la même qu’en 2019. Il en a été dûment informé par son vendeur lors de son achat, et il croyait utile de mentionner dans son formulaire de dénonciation que la date de la première observation du vice remontait à avril 2019.
[16] Il s’agit ici de déterminer si, considérant toute la preuve au dossier, les éléments nécessaires au dépôt d’une dénonciation en bonne et due forme étaient réunis en avril 2019, de telle sorte que le défaut d’en déposer une auprès de GCR, en 2019, rend la demande irrecevable en 2022.
[17] Le Tribunal arrive à la conclusion qu’il n’y avait pas lieu de déposer une réclamation en 2019, puisque la présence d’un problème à cette époque, ne semblait pas constituer un vice qui méritait d’être dénoncé, au sens de la loi et du Règlement. Voici pourquoi.
[18] Il n’existe aucun litige en 2019, entre le propriétaire de l’époque et l’entrepreneur général, ce dernier acceptant d’emblée de faire les réparations requises, du moins apparemment, respectant ainsi son contrat d’entreprise.
[19] En 2019, le vice semblait plutôt bénin. Ce n’est qu’en 2022, lorsque la locataire avise formellement les Bénéficiaires qu’il existe un problème d’affaissement véritable et important, que les Bénéficiaires, propriétaires actuels, réalisent l’ampleur du vice et qu’ils sont en position de le dénoncer. Ce qu’ils font par ailleurs dans un délai raisonnable.
[20] Le Tribunal est satisfait que le vice dénoncé a été découvert, si l’on veut, non pas en 2019, mais bien en avril 2022, suite à la plainte de la locataire du 9 avril 2022. La doctrine et la jurisprudence confirment cette position : Le fait qu’un problème constitue un vice de construction, de conception ou de sol, doit être réalisé par la victime pour que la prescription, ou le délai de dénonciation, commence à courir. On donne souvent l’exemple de la simple fissure de retrait, bénigne, par opposition à celle qui affectera la solidité même du bâtiment et mènera le propriétaire à conclure à l’existence d’un vice.2
[21] On ne peut imposer à un propriétaire, bénéficiaire d’un Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, l’obligation de signifier ou à tout le moins notifier toute demande de réfection à l’Administrateur, lorsque l’entrepreneur accepte ses responsabilités.3 Ce serait là un très lourd fardeau, qui de toute façon et dans le présent dossier, n’aurait pas mené à l’ouverture d’un dossier de réclamation, puisque l’entrepreneur avait déjà effectué les réparations requises.
[22] L’article 10 du Règlement se lit, depuis 2015, en partie comme suit :
« 10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
(…)
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation significative;
(…) »
(D. 841-98, a. 10; D. 39-2006, a. 1; D. 156-2014, a. 4)
2 Voir Décision de l’arbitre Me Roland-Yves Gagné et la jurisprudence citée dans Chabt c. 9219-9439 Québec inc. et al. 2019 Canlii, 61436 (QC OAGBRN), para. 93, citant entre autres Syndicat des Copropriétaires du 716 Saint-Ferdinand et al. c. Développements TGB et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de L’APCHQ (Me Jean-Philippe Ewart).
3 Voir la décision de la juge Chantal Chatelain, dans : 147780 Canada Inc. c. Entrepreneurs généraux Lamda inc. 2017 QCCS 5663, paras. 96 et 97
[23] On a plaidé un arrêt de la cour d’appel, traitant de l’interruption de la prescription quant à un recours civil contre un entrepreneur, comme si l’interruption contre l’entrepreneur pouvait valoir à la fois contre GCR. En tout respect il ne s’agit pas ici d’une question d’interruption de prescription, ou d’un délai de dénonciation déraisonnable. Eut-ce été le cas, le défaut d’avoir dénoncé auprès de l’Administrateur aurait été fatal à la demande puisque la dénonciation à l’entrepreneur seulement est insuffisante en droit.4 L’arrêt de la cour d’appel dans Équipement fédéral Québec ltée c. Michel Coderre et Fils Inc5., n’est donc pas applicable ici.
[24] Étant donné la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive, savoir que la date à partir de laquelle tout délai, dénonciation, réclamation ou autre, commence à courir seulement en avril 2022, cette question n’a toutefois pas d’importance.
[25] Quant au délai raisonnable pour dénoncer le vice à l’Entrepreneur et à l’Administrateur, la refonte du Règlement en 2015 a retranché le délai limite de six
(6) mois pour le remplacer par un délai raisonnable, tout simplement 6. On doit donc présumer que le législateur, en amendant le Règlement à cet effet, a voulu libéraliser la notion, sans doute pour la rendre conforme à celle du Code civil du Québec en pareille matière. De toute façon, en prenant comme point de départ le 9 avril 2022 comme date de prise de connaissance et réalisation de la nature et l’importance du vice, le délai ici est raisonnable.
[26] Dans le présent dossier, le Tribunal conclut qu’il n’était pas nécessaire de dénoncer le vice en 2019, puisque la réalisation qu’il s’agissait véritablement d’un vice sujet à une réclamation n’est survenue qu’en 2022, et non pas en 2019. Selon le Tribunal, analysant la preuve soumise, ce n’est qu’en 2022 que les Bénéficiaires réalisent l’existence d’un vice justifiant le dépôt d’une dénonciation et d’une réclamation. Leur demande sera donc accueillie.
[27] L’avocat de l’Administrateur a fait des représentations quant aux frais. Selon lui, l’expert n’ayant pas été entendu, et son rapport étant peu ou pas utile puisque l’Administrateur reconnait l’existence du vice et les réparations requises, il n’y aurait pas lieu d’accorder la demande d’indemnisation à cet égard.
4 Art. 10 (5°) Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ, chapitre B-1.1, r.8
6 Art. 10 (5°) Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ, chapitre B-1.1, r.8, tel qu’il se lit actuellement.
[28] Le Tribunal se rend à cette demande et les frais d’expert seront exclus des frais accordés aux présentes.
DANS LES CIRCONSTANCES, ET POUR LES MOTIFS MENTIONNÉS PLUS HAUT, L’ARBITRE REND LA DÉCISION SUIVANTE :
a) ACCORDE la demande des Bénéficiaires et ORDONNE à l’Administrateur d’effectuer les travaux correctifs demandés concernant l’affaissement de la dalle et le cas échéant la mauvaise compaction du sol, le tout dans un délai raisonnable, expirant le 31 octobre 2024.
b) ORDONNE que les coûts de l’arbitrage soient à la charge de l’Administrateur en conformité de l’art. 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, à l’exception des frais d’expert qui seront assumés par les Bénéficiaires, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
c) RÉSERVE à l’Administrateur ses droits d’être indemnisé par l’Entrepreneur, pour toute somme versée, incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (paragr.19 de l’annexe II du Règlement), en ses lieu et place et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Signé à Montréal,
ce 25ème jour du mois de mars 2024
Signature numérique de Pierre
Pierre Champagne Champagne