CENTRE CANADIEN D'ARBITRAGE COMMERCIAL

N° S05-0304-N P.

Martin Joly et Michèle De Lachevrotière

(« Les bénéficiaires »)  

-ET-

La Garantie Qualité Habitation (« La Garantie »)

-ET-

Construction Lucien Nadeau inc.(« Le constructeur »)

Sentence arbitrale

1          Le constructeur a construit une résidence pour les bénéficiaires en vertu d'un contrat intervenu entre eux le 1eravril 2004. La maison devait être livrée pour occupation le 1er juillet suivant.

2          Les bénéficiaires ont déposé une première liste de plaintes concernant la construction en septembre suivant et, suite à une inspection de l'administrateur de La Garantie et à la tenue d'une audition devant l'arbitre Dupuis, ont obtenu gain de cause sur certains de leurs griefs.

3          Le 20 décembre 2004, les bénéficiaires ont déposé une seconde série de plaintes qui ont été suivies d'un rapport d'inspection de l'administrateur qui en a accepté un certain nombre et rejeté les autres.

4          Le 8 mars 2005, les bénéficiaires ont demandé l'arbitrage, d'où la tenue d'une séance d'audition devant le soussigné le 14 novembre courant.

5          Au début de la séance, la liste des griefs des bénéficiaires a été examinée. Dans certains cas le constructeur avait déjà fait les travaux de correction, à la satisfaction des bénéficiaires; dans d'autres il a accepté de les faire.

6          Ainsi, dans le cas des colonnes du sous-sol et du rez-de-chaussée, il a accepté de rendre les colonnes conformes aux exigences du Code du bâtiment

7          Dans le cas de la douche, il a accepté que son plombier répare la défectuosité signalée par les bénéficiaires.

8          Dans celui de la porte de sortie du côté droit, le constructeur s'est engagé é réexaminer le défaut signalé et à réparer la défectuosité s'il y a lieu.

9          Les bénéficiaires ont aussi demandé l'arbitrage concernant un dommage causé par le mauvais fonctionnement du renvoi de la douche de l'étage. Dans son rapport du 22 février 2005, l'inspecteur a refusé d'en traiter en raison du fait que cette situation n'a jamais fait l’objet d'une dénonciation auprès du constructeur. De plus les bénéficiaires déclarent qu'ils ont fait réparer le dégât récemment. Vu surtout l'absence d'avis au constructeur, l'arbitre a refusé de retenir cette situation comme grief sujet à l'arbitrage.

10        À la fin de l'exercice, il restait en litige les frais et dédommagements demandés par les bénéficiaires, et la question du remblai des fondations. On y a ajouté une demande de précision sur les délais requis pour effectuer les travaux convenus ou exigés par la présente sentence.

Le remblai

11        Il en a été question dans l'audition devant l'arbitre Dupuis. Celui-ci a décliné juridiction au motif qu'il s'agit d'une situation qui n'affecte pas « l'utilisation de la maison (égouttement, infiltration d'eau, etc) ». De plus il a invoqué l'article 12 du Plan de garantie qui exclut de la garantie certains travaux comme le terrassement et les aménagements extérieurs.

12 La Garantie soumet qu'il y a chose jugée sur le fond, invoquant de plus de l'exclusion prévue au Plan. Le constructeur abonde dans le même sens.

13        Les bénéficiaires reviennent à la charge en se basant sur une expertise qui tendrait à prouver que le drain agricole et la fondation même de la maison seraient en danger en raison du sol gélif et de la mauvaise qualité des matériaux de remblayage,

14        De la plainte soumise à l'administrateur et reprise devant l'arbitre Dupuis et de sa décision, on comprend qu'il s'agissait essentiellement d'un remblai fait avec un matériau inadéquat. Il s'agissait donc d'une situation différente de celle que soulèvent maintenant les bénéficiaires. L'objection doit être rejetée.

15        Le témoignage de l'expert à l'appui de son rapport écrit n'est pas convaincant. Les caractéristiques du matériau qui a servi à remblayer autour du solage proviennent de l'analyse d'un seul prélèvement. Il a été fait par le bénéficiaire Joly au début de décembre 2004 à l'aide d'une pelle et en creusant à un pied de profondeur seulement.

16        L'expert reconnaît qu'il ne connaissait pas cette provenance avant de rédiger son rapport et de venir témoigner. Il ne peut affirmer que cet échantillon est adéquat et suffisant. C'est dire que la base même de son opinion est fragile et incertaine.

17        Ensuite, il reconnaît qu'il n'est pas contraire au Code du bâtiment ni aux règles de l'art d'utiliser les matériaux naturels du terrain environnant pour remblayer les fondations. Tout est dans la qualité du sol en question. S'il est « mi-moyen », si nous comprenons bien, d'une qualité moyenne, sans trop de glaise, de roche. etc., on peut l'utiliser

18        De son témoignage et de la faible base de la preuve, nous ne pouvons conclure que le risque de fissures dans les fondations existe et qu'il est susceptible de se produire un jour ou l'autre. L'expert ne nous en a pas tait une démonstration d'un poids prépondérant. La plainte des bénéficiaires concernant le remblai et les possibles fissures au solage est rejetée.

19        Quant au drain, les explications fournies par le constructeur sur la nature du produit son enveloppe dans un géotextile et la présence de pierre concassée en quantité suffisante tout autour l'amènent l'expert à reconnaître que ce drain rencontre les règles de l'art, qu'il est adéquat et qu'il ne présente aucune crainte de colmatage sur une très longue période. Ce grief doit aussi être rejeté.

Les frais de relogement et de séjour

20        Dans son rapport du 22 février, l'inspecteur Linteau déclare que le retard de 21 jours « semble véridique et constitue la période à quantifier quant aux frais de relogement réellement encourus... »

21        Devant nous, le constructeur veut faire la preuve que le retard à prendre possession des lieux est dû aux bénéficiaires. Ils auraient retardé à commander les armoires de cuisine: ils auraient subi un retard de la part du fournisseur de ces armoires, retard dont le constructeur ne peut être tenu responsable: ils auraient refusé sans droit de signer le certificat de parachèvement.

22        Les bénéficiaires s'opposent à cette preuve au motif que le constructeur aurait dû faire valoir ces moyens devant l'inspecteur, ce qu'il n'aurait pas fait à l'époque, et qu'il aurait dû demander l'arbitrage sur cette question lorsqu'il a reçu le rapport de l'inspecteur, ce qu'il n'a pas fait.

23        Au regard de l'article 19 du règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le constructeur, insatisfait de la décision de l'administrateur, doit soumettre le différend à l'arbitrage.

24        La question qui se pose : peut-il faire valoir ses moyens au moment de l'arbitrage, en réponse à la demande d'indemnisation des bénéficiaires?

25        Le tribunal est d'avis que non. Lorsque l'administrateur inspecte l'immeuble et prend connaissance des explications et des arguments des parties, il est normal qu'il entende alors les points de vue de chacune et qu'il conclut en connaissance du pour et du contre. Sur la question du retard de livraison et des dédommagements s'y rapportant, il est normal et conforme à l'esprit de la réglementation que le constructeur fasse alors valoir son point de vue. Rien ne nous indique qu'il l'ait fait.

26        S'il réellement l'a fait et que l'administrateur n'a pas retenu ses arguments, c'était une bonne raison de demander lui-même l'arbitrage.

27        La demande d'arbitrage formulée par une des parties présente des analogies avec une déclaration en cour de droit commun. Elle encadre le débat qui se tiendra devant l'arbitre. Si l'autre partie ne formule pas de demande d'arbitrage en temps utile, soit dans les 15 jours de la décision de l'administrateur, elle se prive du droit à l'arbitrage, et elle ne peut au jour de l'audition demander à l'arbitre de statuer sur ses prétentions.

28        En décider autrement, c'est ouvrir la porte à des débats sur des questions étrangères au litige tel qu'engagé, favoriser la mise en preuve d'éléments nouveaux non annoncés. On en a eu un bel exemple dans la discussion qui s'est engagée sur le refus de signer le certificat de parachèvement, sur les extras acceptés ou non, etc.

29        Le tribunal s'en tiendra au délai de 21 jours retenu par l'administrateur. Il reste à établir ce qui est dû aux bénéficiaires.

30        Le coût du déménagement et de l'entreposage, 575$, a été admis par l'administrateur. II n'y a pas lieu d'y revenir.

31        Pour plusieurs motifs différents, l'administrateur déclare irrecevables diverses factures soumises pour diverses dépenses faites entre le 1er  et le 21 juillet 2004, mais il en accepte d'autres pour un total de 487,19$. L'arbitre a revu la documentation soumise et est d'avis qu'il a eu raison de conclure comme il l'a fait.

32        Il reste la réclamation de 2 625$ pour le logement que la mère de M, Joly aurait fourni à la famille pendant les 21 jours en cause.

33        Il faut d'abord considérer la réglementation en cause. Elle prévoit le remboursement du coût réel raisonnable engagé pour le relogement, à concurrence de 150$ par jour Il est remboursable sur production des pièces justificatives[1]. C'est dire qu'il ne s'agit pas d'un paiement automatique de 150$ par four, mais d'une indemnisation pour les déboursés à concurrence de ce per diem.

34        Après avoir hésité à dire que la personne qui l'a hébergé, ainsi que sa famille, était sa mère, M. Joly a fait état d'un reçu de cette dernière, daté du 31 juillet 2004 pour le paiement par un chèque de la même date portant le numéro 017.

35        La réalité est différente. Le chèque en question (n° 017) n'a été encaissé par Mme Boutin que le 10 août 2005. Le chèque porte la mention « hébergement 21 jours ». Le tribunal est très sceptique concernant ce paiement. La compréhension que M. Joly avait de la réglementation était qu'il avait droit a 150$ par jour, quel que soit le montant déboursé pour se reloger. Il a voulu présenter sa réclamation sous l'aspect d'un paiement fait à sa mère. Ayant subi un refus de la part de l'administrateur, il a prié sa mère d'encaisser le chèque un an plus tard. La démarche est cousue de fil blanc.

36        En définitive l'arbitre est d'une part en présence d'une réclamation irrecevable au plan réglementaire et formel. D'autre part il y a absence de preuve que la mère de M. Joly ait réellement réclamé ou exigé quoi que ce soit de son fils en cette circonstance. Enfin il n’a pas de preuve que le remboursement du déboursé allégué ait été réclamé dans les 6 mois, selon le règlement. Pour ces raisons, l'arbitre ne peut rien accorder à ce chapitre.

Les délais d'exécution

37        Certains travaux d'intervention ont été reconnus par l'arbitre Dupuis, par l'administrateur dans ses rapports et par la présente décision. Ceux qui n'ont pas encore été réalisés devront l'être comme suit. ll faudra d'abord que les parties s'entendent sur une ou des dates de visite, d'inspection et de travaux. Les travaux devront se faire dans les heures normales de travail de la construction. On devra respecter ces dates de part et d'autre. Le tribunal exige que le tout se tasse d'ici le 30 janvier 2006, vu le congé de la période des Fêtes.

Les frais d'expert et les dépens

38        L'expertise Leblanc portait sur les deux colonnes et sur le remblai. Dans son rapport du 14 juin, expert recommande de changer la colonne du sous-sol. Le constructeur a accepté de la changer avant le dépôt du rapport de l'expert, mais pendant l'instance d'arbitrage. C'est donc dire qu'il a reconnu la malfaçon dont se plaignaient les bénéficiaires. C'est au chapitre des dépens, et non à celui des frais d'expertise, que la question se posera.

39          L'expertise déclare que la colonne du rez-de-chaussée n'est pas conforme aux normes. Le constructeur accepte de faire les travaux nécessaires à la rendre conforme. Il se rend donc aux conclusions de l'expert. Son rapport était donc nécessaire pour faire reconnaître les prétentions des bénéficiaires.

40        Nous avons déjà traité de la question du remblai. À cet égard, le rapport d'expertise n'a pas été utile. Cependant le témoignage de l'expert a permis de rassurer les intéressés sur la qualité et l'efficacité à long terme du drain, et sur les risques très minimes que pose le remblai du salage.

41        Pour cet ensemble de raisons, les frais de l'expert pour la préparation de son rapport et pour son témoignage devant l'arbitre, 422.74$ et 345.08$, doivent être remboursés par l'administrateur aux bénéficiaires.

42        L'article 6.12.4 du règlement prévoit que les coûts de l'arbitrage sont supportés par l'administrateur sauf si les bénéficiaires n'ont raison sur aucun des aspects de leur réclamation. Comme ils obtiennent gain de cause sur plusieurs d'entre eux, les dépens seront supportés par l'administrateur, sauf discrétion de l'arbitre de les partager autrement. On ne voit ici aucune raison d'exercer cette discrétion.

Pour ces motifs, le tribunal :

Prend acte des engagements pris par le constructeur concernant les colonnes, la porte de sortie du côté, et la douche, et lui ordonne d'effectuer les travaux requis dans les délais et selon les modalités prévues au paragraphe 37 ci-dessus;

Rejette les prétentions des bénéficiaires concernant le remblai et le drain;

Ordonne au constructeur d'effectuer les travaux reconnus dans la présente décision, de même que ceux qui ont été reconnus dans la sentence Dupuis et dans le rapport de l'administrateur du 22 février 2005 et qui n'ont pas encore été réalisés, d'ici le 31 janvier 2006 selon les modalités prévues au paragraphe 37 ci-dessus;

Ordonne à l'administrateur de verser aux bénéficiaires les sommes suivantes :

Pour déménagements et entreposage ; 575,00$

Pour gîte et subsistance : 487,19$

Met à la charge de l'administrateur les frais d'arbitrage, y incluant la somme de 767,82$ pour frais d'expertise et de témoignage de l'expert.

Québec, le 1er  décembre 2005

 

Jean Moisan Arbitre

Audition 14 novembre 2005



[1] Articles 6.6.2.2 et 6.6.1.2.2 du contrat