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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
CENTRE CANADIEN
D’ARBITRAGE COMMERCIAL
(CCAC)
Canada
Province de Québec
Dossier no: S09-231001-NP
cARMELINA COLOCCIA-GUISEPPE BORREGGINE
Demandeurs
c.
TRILIKON CONSTRUCTION INC.
Défenderesse
et
LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS
NEUFS DE L’APCHQ INC.
Administrateur
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DÉCISION ARBITRALE
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Arbitre : Me Jean Philippe Ewart
Pour les Bénéficiaires: Mme Carmelina Coloccia
M. Guiseppe Borreggine
Pour l’Entrepreneur: M. Nicolas Trinci, Président
trilikon construction inc.
Pour l’Administrateur : Me François Laplante
M. Michel Hamel, Inspecteur
Date de la Décision: 30 juillet 2010
Identification des Parties
BÉNÉFICIAIRES : CARMELINA COLLOCCIA ET GUISEPPE BORREGGINE
10195, rue Thomas-Paine
Montréal (Québec) H1C 0B5
(les «Bénéficiaires »)
ENTREPRENEUR : TRILIKON CONSTRUCTION INC.
8760, rue Aimé-Geoffrion
Montréal (Québec) H1E 6W3
(« l’Entrepreneur »)
ET : LA Garantie des bâtiments
résidentiels neufs de l’APCHQ INC.
5930, boul. Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
(« l’Administrateur »)
Chronologie
2007.09.13 Contrat préliminaire et contrat de garantie
2008.05.28 Formulaire d’inspection pré-réception
2008.06.04 Acte de vente notarié
2009.04.29 Lettre des Bénéficiaires à l’Entrepreneur
2009.05.25 Demande de réclamation
2009.06.09 Avis de 15 jours de l’Administrateur à l’Entrepreneur
2009.09.21 Décision de l’Administrateur
2009.10.26 Notification de la demande d’arbitrage du Centre d’arbitrage
2009.12.01 Nomination de l’Arbitre
2010.03.12 Appel conférence préparatoire
2010.06.02 Enquête et audition
Mandat et Juridiction
[1] Le Tribunal est saisi du dossier par nomination du soussigné en date du 1er décembre 2009 suite à une demande d'arbitrage des Bénéficiaires reçue en date du 23 octobre 2009. Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n'a été soulevée par les parties et juridiction du Tribunal a été alors confirmée.
Litige
[2] Le litige découle d’une décision de l’Administrateur datée du 21 septembre 2009 (dossier no. 133156-1) (la « Décision »).
[3] La Décision portait sur cinq (5) points (« Points ») et lors de l'audition il a été confirmé par les Parties que la demande d'arbitrage ne vise que les Points 2 et 3 de la Décision. Ces Points visent les planchers de bois franc et de carrelage céramique du bâtiment. Il est à noter que, quant au Point 2, les Bénéficiaires réclament le remplacement de toutes les surfaces de plancher en bois franc au rez-de-chaussée et à l’étage de l’immeuble.
Déroulement de l’instance
[4] Les Pièces contenues au Cahier de l’Administrateur et dont référence sera faite aux présentes sont identifiées comme A-, avec sous-numérotation équivalente à l’onglet applicable au Cahier visé.
[5] De plus, l’Administrateur informe le Tribunal lors de l’audition qu'une deuxième copie de la Pièce A-4 à son dossier porte une estampille de réception de l’APCHQ, non pas du 1er juin 2009 telle que la Pièce A-4 au Cahier de l’Administrateur, mais une estampille datée du 29 avril 2009, date que retient le Tribunal pour les fins des présentes et qui est d’ailleurs identifiée comme une date de dénonciation à la Décision.
[6] D’autre part, le Bénéficiaire a déposé préalablement et lors de l’audition les Pièces B-1 à B-3, identifiées en plus de détail lorsque requis aux présentes et l’Entrepreneur a adressé au Greffe et cotée E-1 une annexe au contrat préliminaire (Pièce A-1) qui à été remise aux autres Parties.
[7] Les Parties ont confirmé leur acceptation respective des Pièces pour fins de véracité et exactitude.
Objection Préliminaire
[8] Tel que soulevé par l’Administrateur sous la rubrique « Faits, analyse et décision » de la Décision, le procureur de l’Administrateur soulève quant aux Points 2 et 3, par moyen préliminaire déclinatoire, la non recevabilité du recours du Bénéficiaire pour cause de non-dénonciation à l’Administrateur dans le cadre des éléments requis de dénonciation ou du calcul des délais prévus pour ce faire au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) (le « Règlement ») adopté en conformité de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1).
Les Faits pertinents
[9] La réception du bâtiment est effectuée le 28 mai 2008 selon la déclaration de réception contenue au Formulaire d’inspection pré-réception (Pièce A-2).
[10] Les Bénéficiaires acquièrent l’immeuble résidentiel visé par les présentes par acte notarié daté du 4 juin 2008 (Pièce A-3).
[11] Les Bénéficiaires par lettre datée du 5 août 2008 adressée à l’Entrepreneur (Pièce B-3) l’informent de certains des éléments qui requièrent son attention immédiate et auquel est jointe une liste d’items qui se lit en extrait pour les fins pertinentes aux présentes :
Item Task to be resolved Description Status
1 Hard wood floor rising Hard wood floor rises and makes
and noisy (major issue) excessive noises when walking (bedrooms
and hallway). As days go by noise is
increasing and new areas are being developed.
7 Ceramic moving in Ceramic tiles are moving and joints (grout)
bathroom are cracked in bathroom (2nd room).
[12] Les Parties reconnaissent qu’une dénonciation des points sous étude à été faite à l’Administrateur par transmission d’une lettre adressée à l’Entrepreneur en date du 29 avril 2009 (Pièce B-4) dont l’élément substantiel se lit :
« Attached is a list of unresolved issues that require immediate attention. In particular we wish to emphasis item no 1: Hard wood floors rising and noisy. This problem has been noticed shortly after we took possession of the home. We contacted you regarding this issue immediately in June 2008, and partial removal and replacement of lattes was done. Although in the following weeks, we noticed more areas were having the same problem. When we contacted you, we were asked to wait for the winter season. In March 2009, we re-submitted our list of unresolved issues again first and most urgent being our floors. We waited the delay period as requested and still the problem remains. As per your last visits on April 20th 2009, we were to be contacted with some resolutions for our flooring. We have left messages in the last days and still we have no reply. »
et qui comporte une liste en pièce jointe dont les items suivants, en extrait pour
les fins pertinentes aux présentes :
Item Issues to be resolved Description
1 Hard wood floor on Hard wood floor rises and makes excessive noises when walking
2nd floor rising and (bedrooms, hallway and room above garage).
excessively noisy
(major issue) As per your visit in august we agreed (all parties) to wait until the spring season to see if situation would resolve itself. We wish to inform you since your last visit in august the condition has worsened and new areas have developed. We request that all corrective actions are made in order to promptly resolve this issue that has been a burden on us all.
2. Ceramic moving in Ceramic tiles are moving and joints (grout) are cracked in bathroom bathroom (2nd floor). As per your visit in august the condition has
worsened and new areas have developed.
Prétentions et Plaidoiries
Les Bénéficiaires
[13] Les Bénéficiaires affirment qu’ils avisent en juillet 2008 l’Entrepreneur de soulèvement et de bruits et craquements dans une seule chambre (no1) et qu’à la suggestion d’une mauvaise installation (plus particulièrement des points d’attache), l’Entrepreneur répond aux Bénéficiaires que l’installation est appropriée.
[14] En témoignage, les Bénéficiaires soulignent que, lors d’une visite de l’Entrepreneur en août 2008, suite à l’envoi de la liste en pièce jointe à la lettre du 5 août (Pièce B-3), les Bénéficiaires informent celui-ci qu’il commence à y avoir des effets similaires à ceux de la chambre no1 sur d’autres planchers. L’Entrepreneur prend des mesures par hydromètre et les avise que le taux est normal, que ceci est un phénomène normal d’extension et de contraction et qu’il faut attendre de laisser passer l’hiver qui vient parce qu’en chauffant le bâtiment pendant l’hiver, ce phénomène se corrigera.
[15] D’autre part, les Bénéficiaires témoignent qu’ils s’appuient sur les informations et conseils contenus à Le tour du propriétaire, Manuel du propriétaire, publié par la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ, l’Administrateur, et qui leur fut remis par le notaire instrumentant lors de la signature de l’acte de vente (Extrait en Pièce B-2), plus particulièrement sous la section Les murs et planchers (pp. 53 à 55) où on peut lire, entre autre :
« Lors de leur assemblage, ces matériaux présentent un taux d’humidité relativement élevé. À partir du moment où vous commencez à chauffer la maison, ces matériaux ont tendance à se contracter, provoquant ainsi l’apparition de diverses imperfections. Ce phénomène est normal. … »
« … Attendez un an avant d’effectuer les travaux de correction nécessaires car il faut une année aux matériaux pour atteindre une certaine stabilité…. »
« … Liste des problèmes normaux :
Fendillements de joints entre les plaques de gypse;
Apparition des têtes de clous;
Fissures étroites dans les pièces de charpente;
Interstices mineurs entre les armoires ou comptoirs et les murs;
Fendillements des joints d’encadrement de portes et de fenêtres;
Léger rétrécissement des matériaux et retrait au niveau du mur ou des joints;
Séparation des lattes du plancher ou affaissement mineur du plancher au niveau des plinthes, encadrements ou montants de portes;
Légers interstices entre les marches ou moulures des marches et des murs;
Légers craquements dans les planchers … »
« … Les planchers de bois franc :
Les planchers de bois franc sont faits de bois séché autour mais ils restent quand même sujets aux phénomènes naturels de contraction et d’expansion.
En raison du taux plus faible d’humidité dans la maison pendant l’hiver, les pièces de bois peuvent avoir tendance à s’éloigner les unes des autres. Durant l’été, ce phénomène se résorbera de façon naturelle. …»
« … À la première apparition de fissures sur les murs et plafonds de votre maison, vous aurez le réflexe de le reprocher à votre entrepreneur. N’en faites rien. Ce qui est arrive est normal. »
Nos soulignés
[16] Les Bénéficiaires soumettent que ce n’est qu’après l’hiver qu’ils ont pris conscience que ces phénomènes de soulèvements et craquements constituaient un problème qui ne se résoudrait pas de lui-même.
[17] Par la suite, lors du contre-interrogatoire d’ailleurs très adroit du procureur de l’Administrateur, le Tribunal ne trouve aucun élément qui contredit le témoignage initial des Bénéficiaires ou amoindrit leur crédibilité à ce sujet.
L’Administrateur
[18] Le procureur de l’Administrateur soumet que les malfaçons, vices cachés ou vices majeurs, quelque soit le cas, prévus à l’article 10 du Règlement se doivent d’être dénoncés par écrit à l’Entrepreneur et à l’Administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de leur découverte.
[19] L’Administrateur soutient que le délai de six (6) mois est un délai de déchéance, et que celui-ci court de la connaissance du vice ou malfaçon.
[20] L’Administrateur plaide qu’il y a eu cristallisation de la connaissance des Bénéficiaires quant aux Points en août 2008.
[21] L'Administrateur prétend qu'il s'est écoulé plus de six (6) mois, soit au moins huit (8) mois entre la découverte de la malfaçon ou vice, s’il en est, et la date admise de dénonciation, le 29 avril 2009.
L’Entrepreneur
[22] L’Entrepreneur ne présente aucune preuve ou plaidoirie additionnelle à ce qui fut présenté par le procureur de l’Administrateur, sauf quant à souligner à l’ «annexe générale inclusion standard nos 1, 2, 3, 4 et 5» (Pièce E-1), signé par les Bénéficiaires, et que l’Entrepreneur indique faire partie du contrat préliminaire et contrat de garantie des Bénéficiaires, le texte suivant (la «Clause plancher bois franc») :
« Note important :
1. Les planchers recouverts de latte de bois franc ou de marqueterie sont faites de bois sèche au four mais qui reste quand même sujets aux phénomènes naturels de contraction et d’expansion. En raison du taux plus faible d’humidité dans la maison pendant l’hiver, les pièces de bois peuvent avoir tendance à s’éloigner les unes des autres et durant l’été, ce phénomène se résorbe de façon naturelle. En conséquence, le promettant-acheteur renonce d’ores et déjà à tenir le vendeur responsable de tout mouvement ou ouverture entre les lattes qui pourraient se manifester sur les planchers, lorsque lesdits mouvements sont causés par les variations du taux d’humidité. »
Le Tribunal notant que c’est la seule note de ce genre à ce document, alors que le reste du document couvre uniquement des inclusions à la vente et des modalités de paiement.
Moyen déclinatoire - Analyse et motifs
Questions sous étude
[23] Dans ce dossier, il est nécessaire selon le Tribunal de déterminer initialement si le délai de dénonciation est expiré pour chacun des Points. Selon le Tribunal, tel qu’explicité ci-dessous, un non-respect du délai, constituerait une fin de non-recevoir de la demande d’arbitrage quant à ces Points.
[24] Il est donc nécessaire de déterminer les éléments suivants:
[24.1] Couverture. Quelles dispositions de la couverture disponible sous un plan de garantie prévu au Règlement et visé par les présentes (le «Plan») sont applicables, s’il en est, à ces Points.
[24.2] Avis et Délais de dénonciation. Qu'elle est la nature de l'avis et des délais de dénonciation prévus.
[24.3] Point de départ du délai ~ Découverte.
Le Règlement
[25] Le Tribunal s’appuie pour les présentes que le Règlement est d’ordre public et prévoit que toute disposition d’un plan de garantie qui est inconciliable avec le Règlement est nulle[1].
[26] Le Tribunal doit étudier le caractère de la malfaçon ou du vice soulevé afin de déterminer quelle disposition du Plan trouve application, s’il en est.
[27] D’une part, dans le cas de malfaçons (au sens de 2113 et 2120 du Code civil du Québec (« C.c.Q.»), ou vices au sens de l’article 1726 C.c.Q. (vices cachés), malfaçons et vices qui se doivent d’être non apparents lors de la réception du bâtiment, ou de vices au sens de 2118 C.c.Q. (soit les vices de construction et al) qui peuvent alors être soit occultes ou apparents, le délai ne peut excéder 6 mois de la découverte du vice ou malfaçon.
Couverture du Plan
Dispositions législatives applicables
[28] La couverture du Plan dans le cas sous étude et les délais de dénonciation applicables, s’il en est, sont prévus au Règlement, que ce soit pour malfaçons, vices cachés et se lisent, plus particulièrement pour les bâtiments non détenus en copropriété divise:
« 10. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
[…]
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil; »
.
5o La réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice, ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation. » [2]
Nos soulignés
[29] Le Tribunal note d’autre part l’article 18 al.1 du Règlement :
«18. La procédure suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l'article 10:
1° dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription»[3].
Avis et Délais de dénonciation
Nature de l’avis et des délais de l’article 10
[30] Tant les textes de l’article 10 du Règlement que les dispositions applicables au Code civil, dans le cadre de la présente demande alléguant vices cachés, que l’on retrouve [4] à l’article 1739 C.c.Q.:
« 1739. L’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue.
Le vendeur ne peut se prévaloir d’une dénonciation tardive de l’acheteur s’il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice »
requièrent une dénonciation par écrit. On note d’autre part dans un cas comme dans l’autre le concept de découverte comme point de départ du délai; on s’y adressera en plus de détails ci-dessous.
[31] Quant à la nature de l’avis, les auteurs considèrent cet avis assujetti aux dispositions de l’article 1595 C.c.Q. qui requiert que l’avis soit par écrit, et la jurisprudence[5] et la doctrine[6], contrairement à certains autres cas de demandes extra judiciaires, considèrent que cet avis se doit d’être par écrit, et qu’il est impératif et de nature essentielle.
[32] D’autre part, le Tribunal est d’avis, tel qu’il l’a énoncé sous certaines de ses conclusions dans diverses décisions récentes[7], que :
- la dénonciation prévue à l’article 10 du Règlement se doit d’être par écrit, et est impérative et essentielle,
- que le délai maximum de six (6) mois prévu aux paragraphes 3e, 4e et 5e respectivement de l’article 10 du Règlement est de rigueur et de déchéance et ne peut conséquemment être sujet à extension, et si ce délai n’est pas respecté, le droit d’un bénéficiaire à la couverture du plan de garantie visé et au droit à l’arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés.
Point de départ du délai
[33] On se doit de déterminer un point de départ du délai. Ce délai relève, selon le Tribunal, d’un point de départ de prescription[8], et dans les cas d’une prescription dite «extinctive», soit un moyen qui permet à une partie de se libérer par l'écoulement du temps et aux conditions déterminées par la loi (art. 2875 C.c.Q), le point de départ de la prescription est le jour où le droit d'action a pris naissance (art. 2880 al 2 C.c.Q).
Notion de «découverte»
[34] Le point de départ du délai est fondé sur la connaissance du vice par l’acheteur. Tenant compte des textes législatifs cités ci-haut, dans le cadre de la présente demande alléguant des vices cachés, c’est le terme «découverte» qu’il faut cerner d’à propos.
[35] Cette détermination repose sur le comportement des parties ainsi que sur la nature du vice visé.
[36] Dans les circonstances des présentes, où le vice allégué peut apparaître de façon progressive, il faut d’autre part assurer l’application des paramètres prévus par l’article 1739 C.c.Q. où le délai commence à courir «… du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue.» et de cadrer cette approche avec les dispositions du Code civil au Titre de la Prescription extinctive qui stipule d’autre part que :
« 2926. Lorsque le droit d'action résulte d'un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois. »
[37] La doctrine, sous la plume en 2008 de Me J. Edwards dans son ouvrage La garantie de qualité du vendeur en droit québécois analyse en grand détail le choix du mot «découverte» à l’article 1739 C.c.Q. :
« La première partie de l’article tient pour acquis que la connaissance du vice s’acquiert dès la première manifestation de celui-ci. Or, le vice peut apparaître de manière progressive. Ses premières manifestations paraissent alors anodines et peuvent tout autant être imputées à des phénomènes normaux. L’existence du vice ne se confirme qu’après des signes plus révélateurs. …. Le législateur a consacré cette règle [que la connaissance déterminante était celle de «l’étendue et de la gravité du vice] dans l’article 1739 C.c.Q. qui prévoit expressément que, lorsque le vice «apparaît graduellement», le délai ne court que du «jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue». Cette précision confirme à la fois que le véritable élément déclencheur du délai est la connaissance du vice par l’acheteur et que celle-ci doit être évaluée de manière objective. Le délai court dès que l’acheteur « a pu » soupçonner l’existence du vice et non depuis la découverte ou la connaissance réelle de celui-ci. …»[9]
[38] L’auteur, Me Edwards, poursuit en soulignant le concept de base en droit applicable que le droit d’action n’est que lorsque le préjudice est certain et lie cet énoncé aux termes de 2926 C.c.Q. :
« À vrai dire, les tribunaux québécois reconnaissent, depuis déjà longtemps, que le droit d’action ne peut naître avant que le préjudice qu’il vise à réparer ne soit certain. En droit nouveau, la règle est formellement reconnue aux termes de l’article 2926 C.c.Q. Même si sa formulation laisse à désirer, l’article précise que lorsque le préjudice «se manifeste graduellement ou tardivement», le délai de prescription «court à compter du jour où il se manifeste [de manière importante] pour la première fois »[10]
On note que l’auteur insère «… [de manière importante] …» à son texte explicatif dans le cadre de l’énoncé repris de l’article 2926 C.c.Q.
[39] Enfin, la doctrine nous enseigne sous la plume de Jean Louis Baudouin, citant d’autre part une jurisprudence [11] abondante de nos tribunaux, que, dans le cadre de non-simultanéité de la faute et du dommage, soit la situation sous étude:
« … l’on doit se reporter au fondement même de la prescription extinctive : la sanction d’une conduite négligente. On doit donc, à notre avis, partir du jour où une victime raisonnablement prudente et avertie pouvait soupçonner le lien entre le préjudice et la faute. » [12]
Nos soulignés
[40] Applicable en l’espèce, Baudouin conclut que la réalisation du préjudice se doit d’être entendue dans un sens subjectif, qu’il faut que la victime l’ait identifiée [13] et que la connaissance du préjudice et donc du dommage est essentielle à la réunion des conditions juridiques du droit de poursuite.
[41] L’appréciation par le Tribunal du moment de la découverte ou de la connaissance par les Bénéficiaires se doit de s’appuyer sur l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée et c’est pourquoi le Tribunal a entre autre pourvu à la reproduction des passages pertinents des correspondances entre les Parties (où les Bénéficiaires réfèrent au terme «problems» mais dans un contexte selon nous de «unresolved issues» et «issues» ou «tasks» «to be resolved»).
[42] Cette appréciation s’appuie d’autre part sur le fardeau de preuve applicable, sur lequel s’exprime notre Cour suprême dans un jugement unanime récent de 2007 traitant de la garantie contre les vices cachés en droit québécois, sous les motifs conjoints des juges Lebel et Deschamps :
« … Contrairement à la présomption de connaissance imposée au vendeur, aucune présomption de connaissance ne pèse sur l’acheteur, qui est toujours présumé de bonne foi. Le fardeau de prouver la connaissance réelle du vice repose donc toujours sur le vendeur : Jobin, p. 464; Pourcelet, p. 149; T. Rousseau-Houle, Précis du droit de la vente et du louage (2e éd. 1986), p. 134 »[14]
[43] Dans un autre axe de détermination de la connaissance du vice, le Tribunal prend en considération l’aspect très spécifique de la Clause plancher bois franc insérée par l’Entrepreneur à l’annexe (Pièce E-1) où ce dernier tente de se soustraire à toute responsabilité relativement aux planchers de bois franc, non pas quant à la validité de cette clause (puisque le Tribunal considère cette clause comme invalide dans le cadre du Règlement et de son application en conformité des dispositions de l’article 140 du Règlement) mais plutôt quant au fait que l’Entrepreneur ait requis de façon particulière l’insertion de cette clause spécifique.
[44] Le Tribunal considère que l’Entrepreneur dans le cadre d’une garantie contre les vices cachés a une obligation de renseignement tel que souligné par la Cour suprême sous la plume des juges Lebel et Deschamps dans la cause précitée ABB c. Domtar :
« Alors que la garantie contre les vices cachés est expressément prévue …au C.c.Q., l’obligation de renseignement découle plutôt du principe général de bonne foi (Banque de Montréal c. Bail Ltée, 1992 CanLII 71 (C.S.C.), [1992] 2 R.C.S. 554 , p. 586; art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.) et du principe du consentement libre et éclairé. De plus, l’obligation générale de renseignement a un champ d’application beaucoup plus vaste que la simple dénonciation d’un vice caché. Elle englobe toute information déterminante pour une partie à un contrat, comme l’a souligné le juge Gonthier dans l’arrêt Bail (voir p. 586-587). Ainsi, l’on peut aisément concevoir une situation où le vendeur manquerait à son obligation de renseignement sans qu’il soit question de vice caché.
[…]
Dans la mesure où une partie invoque la garantie du vendeur contre les vices
cachés, l’obligation de renseignement se trouve en quelque
sorte subsumée dans la grille d’analyse de la responsabilité du vendeur pour
vices cachés … »[15]
[45] Finalement, le Tribunal prend bonne note des affirmations précitées de l’Administrateur dans l’extrait (Pièce B-2) de son Manuel du propriétaire, Le tour du propriétaire.
[46] En résumé, pour qu’il y ait « découverte » au sens de 1739 C.c.Q. et des dispositions applicables aux présentes, il est requis une connaissance d’un bénéficiaire prudent et averti qui agissant de façon diligente puisse soupçonner qu’une malfaçon ou vice est existante, ce qui requiert à tout le moins une indication suffisante d’un problème, et une connaissance que ce problème causera un préjudice certain.
[47] Le Tribunal est d’avis que les Bénéficiaires n’avaient pas connaissance d’une malfaçon ou d’un vice quant aux planchers de bois francs avant de saisir, , que les manifestations de ces planchers ou les bruits de craquement pouvaient constituer une telle malfaçon ou vice avant le passage du temps où on leur avait indiqué que le tout était normal et rentrerait dans l’ordre; cette ‘non-connaissance’, ‘non-découverte’ au moment initial allégué par l’Administrateur et l’Entrepreneur, est d’ailleurs supportée par les affirmations reçues de l’Entrepreneur et de la documentation de l’Administrateur au fait contraire que le tout était normal.
Conclusions
[48] Le Tribunal considère donc que le point de départ du délai applicable dans les circonstances particulières aux présentes pour les planchers de bois franc (Point 2) se doit d’être fixé au mois de mars 2009 et conséquemment considère que le délai pour fins de dénonciation prévu à l’article 10 du Règlement a été respecté par les Bénéficiaires pour ce Point.
[49] Toutefois, quant au Point 3, les Bénéficiaires avisaient dès août 2008 que les joints des tuiles avaient craqué, le Tribunal comprenant que ceux-ci sont apparents et donc dès cette date avaient découvert la malfaçon ou vice, s’il en est, et conséquemment quant au Point 3, le Tribunal considère que les Bénéficiaires ont excédé le délai pour fins de dénonciation prévu à l’article 10 du Règlement.
[50] Considérant que suite à la présente décision arbitrale relative aux moyens préliminaires déclinatoires, il est approprié de pourvoir à une enquête et audition au fonds afin d’entendre les Parties incluant dépôt de toute contre-expertise, s’il en est, suite au dépôt par les Bénéficiaires de la Pièce B-1.
[51] Considérant les dispositions de l’article 123 du Règlement.
POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[52] ACCUEILLE en partie la demande des Bénéficiaires et DÉCLARE que le point de départ du délai de dénonciation est fixé au mois de mars 2009 pour le Point 2 et que conséquemment la dénonciation quant au Point 2 n’est pas tardive;
[53] REJETTE le moyen d’irrecevabilité soulevé par l’Administrateur quant au Point 2.
[54] ACCUEILLE le moyen d’irrecevabilité soulevé par l’Administrateur quant au Point 3 de la Décision et MAINTIENT la Décision de l’Administrateur quant à ce Point.
[55] ORDONNE que les Parties se présentent pour continuité d’enquête et audition au fonds quant au Point 2 de la Décision, dans les meilleurs délais de disponibilité des Parties qui seront contactées par le Greffe afin de fixer une date appropriée pour ce faire, à défaut de quoi le Tribunal fixera une dite date de façon péremptoire, l’Arbitre soussigné conservant sa juridiction relativement à cette réclamation.
[56] ORDONNE que l'Administrateur assume les frais de cette étape du présent arbitrage.
DATE: 30 juillet 2010
______________________
Me Jean Philippe Ewart
Arbitre
[1] Article 5 du Règlement, (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) D.841-98, a.5
[2] (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) - D. 841-98, a. 10; D. 39-2006, a. 1.
[3] (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) - D. 841-98, a. 18; D. 39-2006, a. 6.
[4] Cette référence et appui sur l’article 1739 C.c.Q. découle de l’alinéa 4 de l’article 10 du Règlement.
[5] Voir Voyer c. Bouchard (C.S. 1999-08.27) [1999] R.D.I. 611 ; et Fleurimont c. APCHQ inc. (C.S. 2001.12.19) dans cette dernière affaire, les faits précédent l’adoption du Règlement tel qu’il se lit alors que le certificat APCHQ de la garantie requérait conciliation, mais les principes étudiés demeurent applicables in extenso.
[6] LLUELLES ET MOORE, Droit des obligations, Éditions Thémis, no. 2800 (et note 38 in fine) - 1803.
[7] Danesh c. Solico Inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., Me Jean Philippe Ewart, Arbitre, Décision arbitrale en date du 5 mai 2008 au dossier Soreconi No. 070821001; et Moustaine & El-Houma c. Brunelle Entrepreneur inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APDCHQ inc., Me Jean Philippe Ewart, Arbitre, Décision arbitrale en date du 9 mai 2008 au dossier Soreconi No. 070424001.
[8] La Cour suprême a confirmé dans l’affaire Oznaga c. Société d’exploitation des loteries et courses du Québec [1981] 2 R.C.S. 112 la généralisation des règles de la prescription en droit québécois a des délais autres que ceux uniquement identifiés de prescription.
[9] EDWARDS, J. La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, para 467.
[10] Idem, para 468.
[11]BAUDOUIN, J.L. et DESLAURIERS, P., La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Ed. Yvon Blais inc, 2007, voir note 92, page 1199.
[12] Idem, para. 1-1420.
[13] Idem, para. 1-1420.
[14] ABB inc. C. Domtar inc., [2007] 3 R.C.S. 461 , para 54.
[15] Idem paras 108 et 109.