ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : MAISONS LAPRISE INC.;
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : HOANG TUAN VU & JEAN-FRANÇOIS BOURDEAU;
(ci-après les « Bénéficiaires »)
ET : RAYMOND CHABOT, ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. ÈS QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DU PLAN DE GARANTIE DE LA GARANTIE ABRITAT INC.;
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S15-111701-NP
Décision
Arbitre : Me Michel A. Jeanniot
Pour les Bénéficiaires : Me Pascal Plouffe
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Pascal Dumaure
Pour l’Administrateur : Me Julie Parenteau
Date de la Décision : 25 mai 2016
Identification complète des parties
Bénéficiaires : Monsieur Hoang Tuan Vu
Monsieur Jean-François Bourdeau
[...]
Montréal (Québec) [...]
Et leur procureur :
Me Pascal Plouffe
De Chantal D’Amour Fortier
1730, boul. Marie-Victorin, bur. 101
Longueuil (Québec) J4G 1A5
Entrepreneur: Maisons Laprise Inc.
240, rue des Ateliers
Montmagny (Québec) G5V 4G4
Et son représentant :
Monsieur Pascal Dumaure
Administrateur : Raymond Chabot, administrateur provisoire Inc. ès qualité d’administrateur provisoire du plan de garantie de la Garantie Abritat Inc.
7333, Place des Roseraies, bur. 300
Montréal (Québec) H1M 2X6
Et son procureur :
Me Julie Parenteau
Contentieux des garanties
7333, Place des Roseraies, bur. 300
Montréal (Québec) H1M 2X6
Plumitif
17.11.2015 Réception, par le greffe, de la demande d’arbitrage
02.12.2015 Transmission, par le greffe, de la notification d’arbitrage et la nomination
02.12.2015 Transmission de la demande de provision pour frais
07.12.2015 Comparution de Me Pascal Plouffe pour les Bénéficiaires
10.12.2015 Réception de la provision pour frais
15.01.2016 Réception du cahier de pièces et comparution de Me Julie Parenteau pour l’Administrateur
19.01.2016 LT recherchant disponibilités pour fixer appel conférence / conférence de gestion
28.01.2016 LT confirmant appel conférence / conférence de gestion
17.02.2016 Appel conférence / conférence de gestion et transmission subséquente du procès-verbal
23.03.2016 Réception des pièces de l’Entrepreneur
11.04.2016 Réception des pièces des Bénéficiaires
13.05.2016 LT aux parties : confirmation lieu, heure et salle pour enquête et audition
16.05.2016 Enquête et audition en salle 22.03 du Tribunal administratif du Québec
24.05.2016 Décision
Admissions
[1] Il s’agit d’un bâtiment résidentiel non détenu en copropriété aussi connu et identifié comme le [...] à Montréal;
[2] La réception du bâtiment fut en date du 18 novembre 2013, première réclamation écrite fut reçue par l’Administrateur le 12 mai 2015 et une inspection s’en est suivie le 30 septembre (2015);
[3] Étaient présents lors de l’inspection qui a donné source à la décision de l’Administrateur, outre l’inspecteur (Madame Anne Delage), les Bénéficiaires (Messieurs Vu et Bourdeau), Me Pascal Plouffe (De Chantal D’Amour Fortier), Monsieur Marc Deschamps (architecte) et Monsieur Sylvain Brosseau (expert retenu par les Bénéficiaires) :
[3.1] bien que dûment convoqué, aucun représentant de l’Entrepreneur n’était alors présent à l’inspection;
[4] La décision de l’Administrateur porte date du 26 octobre (2015) et conclue que la problématique «consiste en un vice caché, lequel a été découvert et dénoncé par écrit à l’intérieur des délais prescrits à l’article 10.4 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs»;
[5] En date du ou vers le 17 novembre 2015, le Centre a reçu par courriel de la part de l’Entrepreneur, une demande d’arbitrage et le soussigné a été désigné le 2 décembre 2015;
[6] Une conférence de gestion a eue lieu le 17 février 2016;
[7] L’enquête et audition a eu lieu le 16 mai 2016 à compter de 9 :00 heures en salle 22.03 du Tribunal administratif du Québec situé au 500, boul. René-Lévesque Ouest à Montréal;
Valeur en litige
[8] La valeur en litige est de classe 4 (30 001$ @ 60 000 $);
Mise en contexte et question(s) en litige
[9] Tel qu’il m’en est coutume, je ne reprendrai pas, au long et avec force de détails, tous et chacun des éléments de preuve qui ont été soumis, je me permettrai de me limiter à reprendre que les éléments ginglymes au délibéré et à la décision;
[10] Le concept de la toiture du bâtiment des Bénéficiaires est celui d’une toiture chaude et non-ventilée, composée d’un panneau rigide du côté extérieur, d’isolant en nattes suivi d’un isolant rigide avec pare-vapeur, fourrure et finition de gypse intérieur;
[11] La problématique se situe au niveau de la toiture et de ce qui appert avoir été la substitution pour l’isolant en nattes (versus l’isolant giclé en vrac qui était prévu au concept initial);
[12] La preuve démontre, alors que le bâtiment était en chantier, des gouttelettes d’eau sur le pare-vapeur au niveau du plafond du troisième (3e) étage qui sont apparues;
[13] Des manifestations d’eau se sont produites au bas des pentes (des plafonds) avant et arrière du toit, des manifestations via les cadres de fenêtres autant au 3e qu’au 2e étage, au rez-de-chaussée et/ou au niveau de certains puits de lumière au niveau de la mezzanine du 2e étage;
[14] La preuve non-contredite nous apprend que ce défaut relève du concept même du bâtiment. L’isolant qui aurait dû être spécifié par l’architecte était du polyuréthane giclé directement sur le platelage. Ceci aurait, semble-t-il, éliminé le risque de tassement de l’isolant et aurait empêché formation d’un point de rosée sur le platelage froid et ainsi éviter les problèmes reliés au trop plein d’humidité;
[15] Au cours de l’enquête et audition et plus particulièrement lors de l’évolution de la preuve, versée tant par l’Entrepreneur que les Bénéficiaires (confirmé par l’architecte des Bénéficiaires, Monsieur Thomas Balaban), il appert que la participation de Monsieur Balaban (architecte retenu par les Bénéficiaires) fut plus que parcimonieuse. En sus d’être l’auteur des plans source du projet des Bénéficiaires, il aurait, au fur et à mesure que le lien de confiance se fragilisait entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur, vaqué à plusieurs inspections de chantier (plus précisément quatorze (14) inspections, ce qui représente plus d’une visite de chantier par semaine);
[16] Il a, de plus, été mis en lumière que «composantes et assemblage» du toit, d’où résulte la problématique, avait été discuté entre les parties et plus particulièrement lors d’au moins une (1) réunion où étaient présents, à tout le moins, un (1) des représentants de l’Entrepreneur, un (1) des Bénéficiaires ainsi que l’architecte Balaban :
[16.1] Le représentant des Bénéficiaires, l’architecte Balaban avait alors soulevé des doutes quant à la substitution par l’Entrepreneur de certaines composantes du toit (de l’entre toit);
[17] Sur la foi des assurances de l’Entrepreneur, sans toutefois consentir à l’assemblage et l’amalgame proposé, l’architecte des Bénéficiaires ne s’y est plus opposé;
[18] L’Entrepreneur suggère qu’il n’a fait que s’exécuter en fonction de plans et devis vus et revus (comprendre approuvés) par l’architecte des Bénéficiaires et qu’il ne devrait conséquemment être tenu responsable de tout vice et/ou malfaçon résultant de l’ouvrage conforme aux plans et devis vus et revus (et acceptés ?) de l’architecte des Bénéficiaires;
[19] L’Entrepreneur, les Bénéficiaires et l’Administrateur se rejettent les uns sur les autres la responsabilité et l’Administrateur, en cours d’instance et en fonction de la preuve alors faite, tente de se rétracter des conclusions de sa décision portée en arbitrage. Le procureur de l’Administrateur a représenté puis plaidé que la décision initiale du 26 octobre 2015 reposait sur une preuve de faits incomplète et que si ce qui a été mis en preuve le 16 mai dernier (2016), avait été connu lors de l’inspection du 30 septembre 2015, la décision aurait été toute autre;
[20] L’Administrateur plaide à l’audience à l’encontre de sa propre décision, inter alia;
[20.1] l’absence de dénonciation écrite à l’Administrateur dans un délai raisonnable qui ne peut excéder six (6) mois de la découverte;
[20.2] l’exclusion de la garantie de toute modification (ou travaux) réalisée par les Bénéficiaires;
[20.3] la réparation suite à des dommages découlant de la responsabilité civile et extracontractuelle de l’Entrepreneur;
[21] Cette tentative de rétractation de sa propre décision est inopportune. La décision de l’Inspecteur-conciliatrice est scellée, l’Administrateur a statué et une demande de soumettre le différend à l’arbitrage fut valablement formulée en conformité avec le Règlement;
[22] La demande de l’Administrateur de rejeter sa propre décision qui était favorable au Bénéficiaire en cours d’instance et plus précisément en cours d’enquête et audition sur le mérite, n’est pas un droit prévu au Règlement, il s’agit d’un mécanisme non conforme à la procédure prévue de mise en œuvre de la garantie (in fine art. 18 du Règlement); cette demande pourrait avoir pour effet de possiblement priver les Bénéficiaires ou l’Entrepreneur d’un droit prévu à l’article 19 du Règlement;
[23] Cette demande n’ayant d’ailleurs pas fait l’objet d’un long débat lors de l’enquête et audition, je ne m’y attarderai pas plus;
Discussion
[24] Il faut d’abord noter et tel que confirmé par notre cour d’appel, que le Règlement est d’ordre public et qu’il s’agit d’un cadre d’ordre public de protection qui peut être défini «… comme mission primordiale de protéger l’individu» alors que l’ordre public de direction est principalement une «… règle posée dans l’intérêt de la société toute entière et de son bon gouvernement»[1];
L’entrepreneur est-il responsable nonobstant de possible(s) avis ou recommandation(s) de procéder autrement ?
[25] De par les délais, détails et circonstances, le tribunal considère que la réclamation des Bénéficiaires s’inscrit à titre de vice caché au sens du Règlement et s’il en est, à leur caractère apparent ou non lors de la réception du bâtiment;
[26] Puisque vice caché emporte aussi malfaçon, je me réfèrerai (entre autre et dans le désordre) aux articles 1726, 1794, 2099, 2100, 2102, 2120 et 2124 C.c.Q.;
[27] L’article 2120 C.c.Q. se lit comme suit :
« 2120. L'entrepreneur, l'architecte et l'ingénieur pour les travaux qu'ils ont dirigés ou surveillés et, le cas échéant, le sous-entrepreneur pour les travaux qu'il a exécutés, sont tenus conjointement pendant un an de garantir l'ouvrage contre les malfaçons existantes au moment de la réception, ou découvertes dans l'année qui suit la réception.»
[28] Cette garantie prévue par 2120 C.c.Q. et l’ensemble des obligations de l’entrepreneur est applicable au contrat d’entreprise, et au contrat de vente[2] par l’effet de l’art. 1794 C.c.Q.;
[29] L’article 1794 C.c.Q. se lit comme suit :
« 1794. La vente par un entrepreneur d'un fonds qui lui appartient, avec un immeuble à usage d'habitation bâti ou à bâtir, est assujettie aux règles du contrat d'entreprise ou de service relatives aux garanties, compte tenu des adaptations nécessaires. Les mêmes règles s'appliquent à la vente faite par un promoteur immobilier.»
[30] L’article 2124 C.c.Q. quant au promoteur immobilier:
« 2124. Pour l'application des dispositions du présent chapitre [ndlr : ch. 8, contrat d’entreprise, art. 2098 à 2129], le promoteur immobilier qui vend, même après son achèvement, un ouvrage qu'il a construit ou a fait construire est assimilé à l'entrepreneur.»
alors, d’autre part que la garantie de qualité prévue par l’article 1726 C.c.Q. au chapitre de la vente trouve application au contrat d’entreprise par l’effet de l’article 2103 C.c.Q.;
Obligation de bonne exécution
[31] La base législative des obligations de l’entrepreneur se retrouve à l’article 2100 C.c.Q.[3] qui, nous notons, est d’ordre public de protection[4] et requiert que l’entrepreneur, sous son obligation de bonne exécution technique des travaux, agisse avec prudence et diligence[5] et se conforme aux usages et règles de son art ;
Obligations d’information et de conseil de l’Entrepreneur
[32] Cette obligation de bonne exécution, et l’absence de subordination entre l’entrepreneur et son client et le libre choix des méthodes d’exécution des travaux (art. 2099 C.c.Q.[6]) qui en découle, est encadrée par diverses obligations, dont une obligation d’information (art. 2102 C.c.Q.) qui engage l’entrepreneur à bien renseigner son client sur les questions relatives au contrat. L’article 2102 se lit comme suit :
« 2102. L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, avant la conclusion du contrat, de fournir au client, dans la mesure où les circonstances le permettent, toute information utile relativement à la nature de la tâche qu'il s'engage à effectuer ainsi qu'aux biens et au temps nécessaires à cette fin.»
[33] Cette obligation d’information qui incombe à l’Entrepreneur est une obligation continue tel qu’indiqué par la Cour Suprême (en 1992), une décision charnière sur cette obligation d’information, Banque de Montréal c. Bail Ltée[7] où nous pouvons y lire:
«En résumé, l’obligation de renseignement […] est qualifiée par l’allocation des risques entre les parties, l’expertise relative des parties, ainsi que la formation continue du contrat, même en cours d’exécution.» (nos soulignés)
(affirmation reprise par la Cour Suprême dans l’affaire ABB c. Domtar en 2007[8]) et la doctrine, prévoyant l’obligation d’information tout au long de ses relations contractuelles avec le client[9], donc pendant toute la période d’exécution des travaux que:
« Le respect de l’obligation de renseignement qui découle de l’article 2102 C.c.Q. et de la bonne foi (art. 1375 C.c.Q.), s’illustre, […] non seulement lors de la négociation et de la conclusion du contrat[10], mais aussi, durant son exécution[11].» [12]
[34] Quoique la doctrine souligne que le libellé de l’article 2102 C.c.Q. constitue une obligation d’information unilatérale de l’Entrepreneur, une telle obligation d’information découle de la bonne foi en matière contractuelle et s’applique à toutes les parties, et on peut donc saisir une obligation réciproque[13] d’un client/maître de l’ouvrage :
« L’obligation prévue à l’article 2102 C.c.Q. est unilatérale[14]. L’article ne vise que l’entrepreneur […] et ne mentionne aucune obligation corrélative du client. Celui-ci a, toutefois, une obligation de se renseigner qui découle de l’article 1375 C.c.Q. et du devoir général qu’a tout créancier de se renseigner en regard de la théorie de l’acceptation des risques[15] » [16]
[35] Toutefois, la Cour Suprême considère que généralement, pour des particuliers acheteurs qui ne sont pas experts en construction, cette obligation est pratiquement retirée:
« Le contrat d’entreprise de petite envergure, pour la construction d’une maison unifamiliale par exemple, sera confié par un particulier novice en la matière à un entrepreneur expérimenté. Il est alors justifié que le maître de l’ouvrage [ndlr : les Bénéficiaires] soit pratiquement relevé de toute obligation de renseignement.»[17] (nos soulignés)
La relation contractuelle entre les parties
[36] L’Entrepreneur plaide inter alia qu’il ne s’agissait pas pour eux d’un contrat d’entreprise avec les Bénéficiaires mais plutôt d’un contrat de service. La question donc que soulève l’Entrepreneur est l’inapplicabilité du contrat d’entreprise ou de service qui est régi par les articles 2098 et 2099 du C.c.Q. que préconise les Bénéficiaires et qui possiblement, initialement, liait l’Entrepreneur mais plutôt d’un contrat de service en vertu de l’article 2085 C.c.Q. (selon l’Entrepreneur);
[37] Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, l’Entrepreneur (ou le prestataire de service) s’engage envers une autre personne (le Bénéficiaire) à réaliser un ouvrage matériel (ou intellectuel) ou à fournir un service moyennant un prix que le Bénéficiaire s’engage à lui payer (infine article 2098 C.c.Q.). Dans ce cas, l’entrepreneur a le libre choix d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le bénéficiaire aucun lien de subordination quant à l’exécution (infine article 2099 C.c.Q.);
[38] À l’opposé, le contrat de travail tel que l’indique l’article 2085 C.c.Q. est celui par lequel une personne s’oblige pour un temps limité et moyennant rémunération à effectuer un travail sous la direction et/ou le contrôle d’une autre personne;
[39] De l’avis du tribunal, si les Bénéficiaires ont obtenu des plans et devis et ont, par la suite, donné en tout ou en partie, des travaux à accomplir à l’Entrepreneur, indépendamment du fait qu’il décide ou non du choix et de la qualité des matériaux de construction, ceci ne fait pas d’eux des «constructeurs» pour autant. Les Bénéficiaires ne devaient pas participer directement aux travaux de construction. Il a d’ailleurs été démontré que les Bénéficiaires n’ont aucune connaissance en construction;
[40] Rien non plus dans la preuve démontre (voir même suggère) qu’il y avait un lien de subordination entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur;
[41] Il n’y a pas eu d’ingérence par les Bénéficiaires sur les techniques inhérentes au toit et le choix des méthodes d’exécution des travaux. La preuve est d’ailleurs à l’effet contraire;
[42] L’article 2118 du Code civil qui régit la responsabilité de l’Entrepreneur pour les travaux exécutés crée une présomption légale de faute en cas de perte de l’ouvrage. La cause de la perte devra être le vice de conception, de construction et/ou de réalisation (infine article 2119 C.c.Q.). L’Entrepreneur sera tenu responsable de la perte si l’immeuble est une perte en tout ou en partie et s’il ne parvient pas à repousser cette présomption;
[43] La jurisprudence nous apprend qu’une interprétation libérale doit être donnée quant à la perte partielle. Ainsi une toiture fondamentalement mal conçue et qui cause un trop plein d’humidité constitue un dommage sérieux au gros œuvre et entre dans la définition de perte partielle[18];
Obligations de l’Entrepreneur - obligation de résultat; fardeau de preuve
[44] Quoiqu’il n’y ait pas d’automatisme à une caractérisation d’obligation de moyen ou de résultat[19], pour un entrepreneur construisant sous contrat d’entreprise[20], celle-ci est généralement[21] une obligation de résultat;
[45] Dans un cadre d’activité de construction, on peut identifier, entre autre sous la plume de l’Hon. J.L. Baudouin (de notre Cour d’appel) l’obligation de résultat, et le fardeau de preuve qui en découle, comme :
« Obligation de résultat - […] celui qui accepte de faire un travail précis, comme construire[22] […] selon certaines spécifications, est responsable s’il n’atteint pas le résultat promis. Sur le plan de la preuve, l’absence de résultat fait présumer la faute du débiteur […] Elle place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l’inexécution provient d’une cause qui ne lui est pas imputable.»[23] (nos soulignés)
[46] Cette obligation de résultat est concrétisée, s’appuyant sur notre Cour d’appel[24] et les écrits de l’Hon. T. Rousseau-Houle (par la suite de notre Cour d’appel) :
« De fait, l’entrepreneur étant normalement considéré comme un expert en construction, il est généralement tenu à une obligation de résultat. » [25] (nos soulignés)
[47] Dans le cadre d’une obligation de résultat, comme aux présentes, entre autre de cette obligation de bonne exécution technique des travaux, agissant avec prudence et diligence, l’absence du résultat fait présumer de la faute et les Bénéficiaires n’ont pas à faire la preuve d’une faute, uniquement de l’absence du résultat prévu; ceci peut être établi de diverses façons telle entre autre la présence d’une non-conformité de certains travaux aux stipulations contractuelles ou aux règles de l’art. Rappelons finalement les dispositions de l’art. 2100 al. 2 C.c.Q. qui stipule que l’Entrepreneur sous obligation de résultat ne peut alors se dégager de sa responsabilité qu’en prouvant force majeure ;
[48] Notre jurisprudence le souligne, tel cet extrait de notre Cour d’appel dans l’affaire Voie Maritime du St-Laurent et Procureur Général du Canada c. United Dominion et Canron sous la plume du juge Beauregard :
« Étant donné qu'en principe l'obligation d'un constructeur est une obligation de garantie, l'absence de faute de celui-ci n'a pas de pertinence à l'égard de la réclamation de son co-contractant pour la réparation ou le remplacement de la chose construite.»[26]
et la doctrine est d’ailleurs au même effet :
« Le débiteur d’une obligation de résultat est tenu non seulement d’accomplir un fait, mais aussi de fournir un résultat précis. L’absence de ce résultat fait présumer la faute de l’entrepreneur ou du prestataire de services. Pour engager la responsabilité de ces derniers, le client n’a pas à faire la preuve d’une faute. Il lui suffit de démontrer le défaut au résultat convenu.»[27] (nos soulignés)
[49] Il y existe un contrat de construction entre l’entrepreneur et les bénéficiaires. Ce contrat de construction inclut (imbrique) le plan de garantie de l’Administrateur. Il y existe, aujourd’hui, un différend au niveau de possible défaut de conception et de construction et l’entrepreneur recherche la responsabilité (conjointe et solidaire) des bénéficiaires et de leur architecte;
[50] Le contrat de garantie de l’Administrateur prévoit, tel que le Règlement l’exige, une clause d’arbitrage suivant tout différend qui subsiste relatif à toute décision de l’Administrateur;
[51] Le Règlement et son accessoire, le plan de garantie entre les Bénéficiaires, l’Entrepreneur et l’Administrateur prévaut, mais uniquement à l’égard des parties prévues au Règlement, ce qui n’inclut pas l’architecte des Bénéficiaires, lequel ne peut dans le cadre du forum juridictionnel étroit dans lequel nous sommes, être tenu pour responsable;
[52] Nous le savons, le Règlement fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ces dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie et prévoit la procédure s’appliquant à toute réclamation faite en vertu du plan;
[53] L’arbitre désigné est autorisé par la Régie à trancher tout différend découlant des plans de garantie (article 83.1 de la Loi), ceci inclut toute(s) question(s) de procédure(s);
[54] Nous le savons, de plus, la Loi et le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète. L’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et est finale et sans appel[28];
[55] Enfin, l’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit»; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient[29];
[56] Le tribunal d’arbitrage a été créé par le Règlement sur les plans de garantie pour en assurer l’application. Il ne peut décider de litige qui relève de l’application d’autres lois, même s’il peut penser que d’autres lois pourraient s’appliquer au présent litige;
[57] Pour les motifs ci-haut repris, je me dois d’accepter et de maintenir la décision de l’Administrateur et je me dois de rejeter la demande de l’Entrepreneur (et le présent arbitrage);
[58] En vertu du l’article 123 du Règlement du plan d’arbitrage, les coûts sont partagés à part égale entre l’Administrateur et l’Entrepreneur puisque ce dernier est le demandeur;
Bonne foi
[59] Le Tribunal désire souligner l’absence de mauvaise foi de l’Entrepreneur dans ses relations avec les Bénéficiaires. La preuve démontre que celui-ci a même tenté, à au moins une (1) reprise, de corriger;
[60] D’autre part, dans les commentaires à l’audience et de par les admissions de connaissance du problème de comportement des matériaux et une revue des échanges de correspondance entre les Parties, tous les intervenants ont une excellente crédibilité de témoignage;
Conclusions
[61] En sommaire, le Tribunal considère que l’Entrepreneur, dans le cadre des présentes:
[61.1] est tenu à une obligation unilatérale d’information qui se doit d’être juste, correcte et conforme aux règles de l’art;
[61.2] est tenu à une obligation de résultat et ne peut se dégager de sa responsabilité qu’en prouvant force majeure;
[61.3] est sous obligation de bonne exécution des travaux non seulement conformes aux obligations découlant de toute entente ou contrat mais aussi entre autres des règles de l’art et usages de l’industrie, chacune une obligation de résultat;
[62] Force est d’admettre (ceci n’est pas contester par l’Entrepreneur) qu’il a failli à son obligation de résultat. Le toit et son assemblage (ou ses matériaux) ne sont pas conformes aux règles de l’art en raison, entre autre, du caractère impropre du choix de matériaux.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE la demande de l’Entrepreneur.
MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 26 octobre 2015.
Le tout, avec coût du présent arbitrage à être départagé, conformément à l’article 123 du Règlement, à part égale entre l’Administrateur et l’Entrepreneur.
Montréal, le 25 mai 2016
_______________________
Michel A. Jeanniot, ClArb.
Arbitre / CCAC
[1] Beaudoin et Jobin, Les Obligations, 6e édition, Éditions Yvon Blais, 2005, paragraphes 146 et 147
[2] Voir aussi Immeubles de l’Estuaire phase III inc c. Syndicat des copropriétaires de l’Estuaire Condo phase III, 2006 QCCA 781 sous la plume de la juge Bich, M.-F, JCA.
[3] « 2100. L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure ».
[4] Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, 2009 QCCS 3659 (appel rejeté).
[5] D'Aoust c. Lanthier, 2005 CanLII 14422 (QC CQ), para. 47 à 49
[6] « 2099. L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. »
[7] [1992] 2 R.C.S. 554, p. 594.
[8] ABB inc. c. Domtar inc. 2005 QCCA 733, para 72, (confirmé par Cour Suprême 2007 CSC 50), citant J. Pineault, D. Burman, S. Gaudet, Théorie des obligations, Thémis, 2001, p. 573. Voir également 9034-1215 Québec inc. c. Corporation solutions Moneris inc., 2005 CanLII 50680 (QC CQ), para 29 :
« [29] Le respect de l'obligation de renseignement qui découle cet article [ndlr : 2102 CcQ] , corollaire à l'obligation de bonne foi (art. 6 et 1375 C.c.), s'illustre notamment … tant lors de la formation du contrat mais aussi durant son exécution. Cette obligation de renseignement est une obligation continue, susceptible de s'appliquer à tout moment en cours d'exécution du contrat et selon les circonstances; en cas de manquement, d’être sanctionnée par les règles de la « responsabilité contractuelle».
[9] 9034-1215 Québec inc. c. Corporation Solutions Moneris inc., J.E. 2006-553, (C.Q.), para. 29. citant Banque de Montréal c. Bail Ltée. VOIR aussi BAUDOUIN et JOBIN, Les obligations, 6e édition, Éd. Y. Blais, 2005, paragr. 328.
[10] Demeule c. Bell Canada 2007 QCCQ 13370; Lussier Électrique inc. c. Centre commercial d’Asbestos inc. 2009 QCCQ 6653.
[11] A.C. Line Info Inc. c. 2911663 Canada Inc., AZ-50103715, J.E. 2002-232 (C.S.); Planchers Exclusifs P.L. Inc. c. Gagné, C.Q. Terrebonne, no 700-32-009806-017, 20 janvier 2003, j. Audet; et, sur les obligations de l’article 1375 C.c.Q. voir aussi Sperandio c. 3095-9571 Québec inc. (Construction Melcon), AZ-50319394 (C.S.).
[12] KARIM, Vincent, Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation) Contrats de prestation de services et l’hypothèque légale, Éd. Wilson & Lafleur, 2e édition, 2011, para 339.
[13] Le Tribunal est sensible à cette obligation des demandeurs; on retrouve une expression de celle-ci dans la cause de 9034-1215 Québec inc. c. Corporation solutions Moneris inc précitée :
« [30] Certes, l'obligation prévue à l'article 2102 C.c. est unilatérale. Cet article ne vise que le prestataire de services. Il ne mentionne aucune obligation corrélative de la part du client.
[31] Toutefois, il est manifeste que le client a, de son côté, une obligation « de se renseigner » laquelle découle de l'article 1375 C.c. et du devoir général qu'a tout contractant de se renseigner. »
[14] L’auteur cite : Demeule c. Bell Canada, AZ-50463149, 2007 QCCQ 13370; Lussier Électrique inc. c. Centre commercial d’Asbestos inc., AZ-50566143, 2009 QCCQ 6653.
[15] L’auteur cite entre autre : Banque de Montréal c. Bail Ltée, AZ-92111080, J.E. 92-964, (1992) 48 Q.A.C. 241, [1992] R.R.A. 673, [1992] 2 R.C.S. 554, j. Gonthier, plus particulièrement la section sur l’obligation de renseignement du client.
[16] Op. cit., KARIM, Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), para. 340.
[17] Op. cit. Banque de Montréal c. Bail Ltée, Gonthier, J., [1992] 2 R.C.S., p. 592.
[18] Chabot c. Raymond Caron Inc., 1984, J.E. 84-538, et Leclerc c. J. N. Massie et fils (1971) , R.C.S.377
[19] Le Tribunal se fonde, entre autres, sur les critères énoncés par P.-A. CRÉPEAU dans son ouvrage L’intensité de l’obligation juridique, Cowansville, Éd. Y. Blais, 1989, pour déterminer l’intensité de l’obligation dont doit répondre l’Entrepreneur.
[20] BAUDOUIN et DESLAURIERS, La responsabilité civile, Éd. Yvon Blais, 2007, 7e éd., p. 45 :
« 39 […] au chapitre du contrat d’entreprise […] le législateur a renoncé à fixer l’intensité de l’obligation de l’entrepreneur […] (sauf pour les pertes ou vices de construction des ouvrages immobiliers) ndlr : les auteurs référant aux art. 2118, 2119 et 2121 C.c.Q.
[21] Dans certaines circonstances particulières (tel alors que le client sait que l’ouvrage n’est pas réalisable) il y a possibilité d’une obligation de moyens, par exemple : 87313 Canada inc. c SIMPA J.E. 97-1132 (C.S.)
[22] Art. 2098 C.c.Q; Voir aussi: 2911663 Canada inc. c. A.C. Line Info inc., J.E. 2004-811 (C.A.), REJB 2004-60090; Gagnon c. Bisson inc., J.E. 2004-671 (C.S.), REJB 2004-54512.
[23] Op. cit. BAUDOUIN et DESLAURIERS, La responsabilité civile, p. 1027, Para. 1-1251.
VOIR aussi: IGNACZ, Marianne et EDWARDS, Jeffrey La responsabilité de l’entrepreneur et du sous-entrepreneur dans le cadre de La construction au Québec : perspectives juridiques - sous la direction de KOTT, Olivier F. et ROY, Claudine, Wilson & Lafleur Ltée, Montréal, 1998, p. 542.
[24] Montréal (Communauté urbaine de) c. Ciment Indépendant Inc., J.E. 88-1127 (C.A.); Construction Cogerex ltée c. Banque Royale de Canada, J.E. 96-497 (C.A.)
[25] ROUSSEAU-HOULE, T., Les contrats de construction en droit public & privé, Montréal, Wilson & Lafleur/Sorej, 1982, p. 194 et 195; VOIR aussi : Op. cit., KARIM, Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), para. 248 : «En d’autres termes, pour remplir son engagement, l’entrepreneur doit donc, conformément à l’article 2100 C.c.Q., rendre un ouvrage conforme à l’ensemble des documents contractuels et aux obligations pouvant découler explicitement ou implicitement de la loi, des usages et des règles de l’art. En effet, il n’est pas inutile de rappeler que l’obligation de délivrer un ouvrage conforme aux règles de l’art est une obligation de résultat»[25]
[26] Administration de la Voie Maritime du St-Laurent et Procureur Général du Canada c. United Dominion Industries Limited et Canron Incorporated (Cour d’appel - No: 500-09-001851-930 (500-05-003450-853) AZ-97011046, p. 14.
[27] Op. cit. KARIM , Contrats d’entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers : construction et rénovation), para 295.
[28] Articles 19, 20, 106 et 120 du Règlement
[29] Article 116 du Règlement