ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : GABRIELA DUMITRU
DAN DUMITRU
(ci-après les « Bénéficiaires »)
ET : IMMOBILIER VERIDIS I INC.
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : PRICEWATERHOUSECOOPERS INC. ÈS QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DE LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier : CCAC (S17-112801-NP)
Adresse du bâtiment : [...] LAVAL
DÉCISION
Arbitre : Me Carole St-Jean
Pour les Bénéficiaires : Madame Gabriela Dumitru
Monsieur Dan Dumitru
Pour l’Entrepreneur : Me Frédéric Benoît
Pour l’Administrateur : Me François-Olivier Godin
Date de l’audition : 27 septembre 2018
Date de prise en délibéré : 27 septembre 2018
Date de la décision : 14 novembre 2018
Identification complète des parties
Bénéficiaires : GABRIELA DUMITRU
DAN DUMITRU
[...]
Laval (Québec) [...]
Entrepreneur: IMMOBILIER VERIDIS I INC.
Madame Isabelle Malo
1155, avenue Lacasse
Laval (Québec) H7K 3W3
Et son avocat :
Me Frédéric Benoit
Hackett Campbell Bouchard inc.
80, rue Peel
Sherbrooke (Québec) J1H 4K1
Administrateur : PRICEWATERHOUSECOOPERS INC. ÈS QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DE LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
1255, boulevard René-Lévesque Ouest
Montréal (Québec) H3B 4Y1
Et son avocat :
Me François-Olivier Godin
Bélanger Paradis Avocats
9200, boul. Métropolitain Est
Montréal (Québec) H1 K 4L2
1. Le présent arbitrage est tenu en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs B-1.1, r.8 (ci-après le « Règlement »).
2. Par décision rendue en date du 23 octobre 2017, l’administrateur a reconnu les points 1 à 10 de la réclamation des bénéficiaires mais il a par ailleurs rejeté les points 11 à 17 de cette même réclamation (Pièce A-4 du cahier des pièces de l’administrateur).
3. Dans un courriel en date du 28 novembre 2017, les bénéficiaires soumettaient au Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC) leur demande d’arbitrage de cette décision (Pièce A-3 du cahier des pièces de l’administrateur).
4. Une audience préliminaire par conférence téléphonique a été tenue en date du 28 août 2018.
5. Lors de cette audience préliminaire, les bénéficiaires ont annoncé leur intention de soulever les objections préliminaires suivantes :
· Construction Bertrand Dionne ne peut agir en lieu et place de l’entrepreneur, ce dernier ayant cessé d’être titulaire d’une licence d’entrepreneur de la Régie du bâtiment du Québec depuis 2016;
· L’administrateur doit prendre en charge l’exécution des travaux;
· Les bénéficiaires s’objectent à ce que les travaux soient exécutés par Construction Bertrand Dionne;
6. Les parties ont soumis leur argumentation écrite respective dans le délai imparti par le Tribunal arbitral en prévision de la tenue de l’audience par conférence téléphonique sur lesdites objections préliminaires fixée en date du 27 septembre 2018.
L’audience sur les objections préliminaires
Les prétentions des bénéficiaires
7. Les bénéficiaires communiquent au soutien de leur argumentation le contrat préliminaire de vente et contrat de garantie obligatoire de maison neuve (déjà communiqué dans le cahier des pièces de l’administrateur sous l’onglet A-21).
8. Ils soulignent que l’entrepreneur-vendeur identifié audit contrat est Immobilier Veridis I inc. laquelle était alors titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment du Québec portant le numéro 5660-0919-01.
9. Ils précisent qu’aucun autre entrepreneur n’est partie audit contrat.
10. Les bénéficiaires produisent au soutien de leur argumentation une lettre en date du 7 septembre 2016 transmise par l’entrepreneur à la Régie du bâtiment du Québec avisant cette dernière du non-renouvellement de sa licence portant le numéro 5660-0919-01.
11. L’entrepreneur ayant cessé d’être titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment du Québec, les bénéficiaires soutiennent que l’entrepreneur n’a plus la qualité juridique requise pour intervenir au débat puisqu’il ne rencontre plus la définition du mot « entrepreneur » au sens de l’article 1 du Règlement laquelle définition se lit comme suit :
Une personne titulaire d’une licence d’entrepreneur général l’autorisant à exécuter ou à faire exécuter, en tout ou en partie, pour un bénéficiaire des travaux de construction d’un bâtiment résidentiel neuf visé par le présent règlement.
12. Les bénéficiaires s’objectent également à ce que le répondant de la licence détenue par l’entrepreneur auprès de la Régie du bâtiment du Québec, à savoir Construction Bertrand Dionne inc., participe à quelque titre que ce soit aux débats dans le cadre du présent litige.
13. Ils produisent la convention intervenue en date du 7 septembre 2016 entre l’entrepreneur et Construction Bertrand Dionne inc. et ils soulèvent que cette convention ne leur est pas opposable.
14. Ils reconnaissent toutefois le droit de Construction Bertrand Dionne inc. de soumissionner dans le cadre d’un appel d’offres lancé par l’administrateur visant l’exécution des travaux correctifs.
Les prétentions de l’entrepreneur
15. L’entrepreneur répond aux objections des bénéficiaires en référant dans un premier temps à l’avis de représentation transmis en date du 27 juin 2018 dans lequel Me Frédéric Benoit de l’étude Hacket Campbell Bouchard avise les parties qu’il comparait pour l’entrepreneur.
16. L’entrepreneur réfère également au procès-verbal de l’audience préliminaire du 28 août 2018 lequel identifie Me Frédéric Benoit à titre de représentant de l’entrepreneur.
17. L’entrepreneur porte à l’attention du Tribunal arbitral la décision rendue par Me Roland-Yves Gagné dans le dossier de Société en commandite Iberville 36 et SDC 5795 d’Iberville (6 mars 2017).
18. L’entrepreneur ajoute avoir été légalement détenteur d’une licence d’entrepreneur de la Régie du bâtiment du Québec lors de la signature du contrat préliminaire de vente en date des 5 et 6 février 2014 (Pièce A-21), de même que lors de l’exécution des travaux de construction, ainsi que lors de la première demande d’arbitrage ayant fait l’objet de la décision rendue en date du 5 avril 2016 par Me France Desjardins (Pièce A-16).
19. L’entrepreneur a toutefois transmis à la Régie du bâtiment du Québec en date 7 septembre 2016 une demande d’abandon de sa licence portant le numéro 5660-0919-01. L’entrepreneur avise la Régie qu’il ne désire pas renouveler sa licence.
20. Cette demande d’abandon est postérieure aux deux (2) demandes d’arbitrage déposées par les bénéficiaires respectivement en date des 2 juin 2016 et 29 juillet 2016 et antérieure à la décision rendue sur lesdites demandes par Me Yves Fournier en date du 6 mars 2017 (Pièce A-11).
21. Finalement, l’entrepreneur précise que Construction Bertrand Dionne inc. agira strictement à titre de témoin de l’entrepreneur dans le cadre du présent dossier.
Les prétentions de l’administrateur
22. L’administrateur souscrit à l’argumentaire de l’entrepreneur et soutient que l’entrepreneur peut participer au processus d’arbitrage et ce, même s’il n’est plus titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment du Québec.
23. L’administrateur réfère le Tribunal arbitral à la décision de la Cour du Québec rendue par l’honorable Jeffrey Edwards dans l’affaire de Garantie Habitation du Québec c. Quirion (2018 QCCQ 1549).
24. Dans l’affaire de Société en commandite Iberville 36, le Tribunal arbitral a eu à statuer sur le moyen préliminaire suivant, à savoir :
[3] Un moyen préliminaire a été présenté par le Bénéficiaire et plaidé par les procureurs de toutes les parties :
La Société en commandite Iberville 36 n’était plus un entrepreneur au sens du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs et ne pouvait pas donc valablement produire de demande d’arbitrage.
25. La preuve dans cette affaire avait en effet démontré que l’entrepreneur n’était plus titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment du Québec depuis mai 2011 alors que le différend avait été soumis à l’arbitrage par l’entrepreneur en date du 3 mai 2016.
26. Le bénéficiaire a soulevé qu’un entrepreneur non titulaire d’une licence d’entrepreneur général n’est pas un entrepreneur au sens de la définition du mot « entrepreneur » à l’article 1 du Règlement et qu’il ne peut donc soumettre une décision de l’administrateur en arbitrage.
27. Or, le Tribunal arbitral dans cette affaire a conclu au rejet de ce moyen préliminaire pour les motifs suivants :
[29] En conclusion,
[29.1] vu la définition du mot « entrepreneur » à l’article 1 du Règlement qui stipule que le contexte peut donner un autre sens au mot «entrepreneur»,
[29.2] vu la finalité du Règlement telle que décrétée par la Cour d’appel et par la Cour supérieure du Québec,
[29.3] vu le contexte du mot « entrepreneur » à l’article 106 du Règlement,
le Tribunal d’arbitrage rejette le moyen préliminaire du Bénéficiaire et déclare qu’il a compétence juridictionnelle exclusive en vertu de l’article 106 du Règlement pour trancher le fond du différend entre l’Entrepreneur et l’Administrateur quant à la décision de ce dernier du 4 avril 2016.
28. Il s’avère que le moyen préliminaire soulevé dans cette affaire est à toute fin pratique identique au moyen préliminaire soulevé par les bénéficiaires dans le présent dossier à la différence près que l’irrecevabilité vise non pas l’absence de qualité juridique de l’entrepreneur pour soumettre une demande d’arbitrage mais plutôt l’absence de qualité juridique de l’entrepreneur pour contester la demande d’arbitrage soumise par les bénéficiaires.
29. À l’instar de la décision rendue dans l’affaire de Société en commandite Iberville 36, le Tribunal arbitral rejette le moyen préliminaire soulevé par les bénéficiaires pour les motifs ci-après exposés :
30. Tout le système étatique mis en place par le législateur découle de la volonté de protéger l’acheteur d’un bâtiment résidentiel neuf et toute l’économie du Règlement repose sur l’obligation de l’entrepreneur d’adhérer à un plan de garantie (article 6) en respectant pour ce faire les conditions d’adhésion énoncées à l’article 78.
31. L’une des conditions d’adhésion énoncées au paragraphe 11 de l’article 78 consiste pour l’entrepreneur à produire une attestation suivant laquelle il a demandé une licence d’entrepreneur auprès de la Régie.
32. Tel qu’édicté à l’article 90 du Règlement, l’adhésion ne prendra toutefois effet qu’à compter de la date où la Régie aura délivré à l’entrepreneur la licence appropriée.
33. En résumé, l’entrepreneur doit obligatoirement adhérer à un plan de garantie et pour adhérer à ce plan de garantie, l’entrepreneur doit obligatoirement être titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment.
34. Il va de soi que dans le cadre de la mission première du Règlement, le mot « entrepreneur » sera principalement et généralement interprété dans le sens de la définition de l’article 1 et l’entrepreneur ainsi visé par les dispositions du Règlement sera donc titulaire d’une licence de la Régie du bâtiment.
35. Le législateur a par ailleurs anticipé la possible perte de cette licence par l’entrepreneur et il a prévu les conséquences éventuelles de cette perte.
36. Les dispositions de l’article 94 du Règlement édictent en effet que l’adhésion d’un entrepreneur cessera d’avoir effet dès que l’entrepreneur n’est plus titulaire de la licence appropriée délivrée par la Régie.
37. Ledit article se lit comme suit :
94. L’adhésion d’un entrepreneur cesse d’avoir effet dès qu’il n’est plus titulaire de la licence d’entrepreneur appropriée délivrée par la Régie.
(le souligné est nôtre)
38. La détention par l’entrepreneur d’une licence délivrée par la Régie est donc une condition au maintien de « l’adhésion » de l’entrepreneur au plan de garantie.
39. Il est important de noter que la seule conséquence prévue par le législateur en cas de perte par un entrepreneur de sa licence sera la cessation de son « adhésion » au Plan de garantie.
40. Peut-on prétendre, vu la définition contenue au Règlement, que l’entrepreneur qui n’est plus titulaire de sa licence sera déchu et dépouillé de tous ses droits aux termes du Plan de garantie faisant en sorte que toute la procédure de réclamation de même que la procédure d’arbitrage, le cas échéant, se dérouleront ex-parte en l’absence de toute intervention ou représentation possible de sa part ?
41. La soussignée est d’opinion que non : si le législateur avait voulu prévoir une telle conséquence, il se devait de l’exprimer clairement.
42. Une opinion à l’effet contraire serait d’ailleurs difficilement conciliable avec les dispositions de l’article 20, lesquelles édictent que la décision arbitrale lie le bénéficiaire, l’administrateur et l’entrepreneur alors que ce dernier n’aurait pas eu l’opportunité d’intervenir ou de faire valoir ses droits dans le cadre du processus d’arbitrage.
43. Dans cette même veine, l’administrateur a porté à l’attention du Tribunal arbitral la décision rendue dans l’affaire de Garantie Habitation Québec c. Quirion (2018 QCCQ 1549) dans laquelle la Cour du Québec rappelle que la décision arbitrale est finale et sans appel et emporte même la forclusion des droits de la caution solidaire de l’entrepreneur, en vertu de la convention d’adhésion, de contester la teneur de cette décision.
44. Priver l’entrepreneur de son droit d’être entendu et de soumettre ses moyens de défense aurait donc pour effet de priver également la caution solidaire des mêmes droits.
45. Force nous est de conclure que le paragraphe introductif de l’article 1 du Règlement permet que le mot « entrepreneur » puisse s’entendre dans un sens différent et surtout plus large que celui de la définition lorsque le contexte du Règlement s’y prête.
46. Quant à l’objection des bénéficiaires à ce que Construction Bertrand Dionne inc. participe à quelque titre que ce soit aux débats dans le cadre de la présente demande d’arbitrage, elle sera rejetée sous réserve des commentaires suivants.
47. Il importe de préciser que Construction Bertrand Dionne inc. ne peut d’aucune manière être considérée comme une partie au présent arbitrage. Il appert d’ailleurs de l’intitulé des procédures que les seules parties impliquées sont les bénéficiaires, Monsieur et Madame Dumitru, l’entrepreneur, Immobilier Veridis I inc. et l’administrateur, PricewaterhouseCoopers inc. ès qualité d’administrateur provisoire de la Garantie Habitation du Québec inc.
48. Les bénéficiaires ont raison d’affirmer que la convention intervenue entre Immobilier Véridis I Inc. et Construction Bertrand Dionne inc. ne leur est pas opposable.
49. Dans sa décision rendue en date du 6 mars 2017 (Pièce A-11), l’arbitre Yves Fournier avait d’ailleurs émis le commentaire suivant :
[12] Dans le présent dossier la compagnie Construction Bertrand Dionne Inc., représentée par Martin Dionne, agit pour l’Entrepreneur Immobiler Veridis I Inc. et est devenue son répondant en vertu d’une convention signée le 7 septembre 2016. Évidemment, cette convention signée par ces deux parties ne lie par les tierces parties pouvant avoir des liens contractuels avec l’Entrepreneur.
(Le souligné est nôtre)
50. À la décharge des bénéficiaires, l’avocat de l’entrepreneur a certes pu entretenir cette confusion en transmettant un acte de représentation pour l’entrepreneur Immobilier Veridis I inc. ainsi que pour l’entrepreneur Construction Bertrand Dionne inc. alors que ce dernier n’est pas une partie à la demande d’arbitrage.
51. Par ailleurs, Construction Bertrand Dionne inc. ayant exécuté les travaux correctifs visés par la demande d’arbitrage, l’avocat de l’entrepreneur précise qu’un représentant de cette entreprise sera entendu comme témoin.
52. Malgré l’objection soulevée par les bénéficiaires lors de l’audience préliminaire par conférence téléphonique tenue en date du 28 août 2018 à ce que les travaux correctifs soient exécutés par Construction Bertrand Dionne inc., les bénéficiaires semblent maintenant reconnaître les droits de cet entrepreneur de soumissionner pour l’exécution des travaux correctifs.
53. Lors de l’audience par conférence téléphonique, les bénéficiaires ont beaucoup insisté sur l’obligation pour l’administrateur de procéder par voie de soumission alors que leur argumentation écrite est muette sur le sujet.
54. À tout événement, ce point relève du fond et ce dernier moyen sera donc reporté à l’audience sur le fond.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
REJETTE l’objection préliminaire des bénéficiaires relative à l’absence de qualité juridique de l’entrepreneur pour intervenir aux débats en arbitrage;
REJETTE l’objection préliminaire des bénéficiaires relative à la participation de Construction Bertrand Dionne inc. aux débats;
RÉFÈRE à l’audience sur le fond l’objection préliminaire des bénéficiaires relative aux droits de Construction Bertrand Dionne inc. de soumissionner pour l’exécution des travaux correctifs dans le cadre d’un appel d’offre lancé par l’administrateur;
LE TOUT avec les frais d’arbitrage à suivre le sort de la demande d’arbitrage.
Sainte-Agathe-des-Monts,
le 14 novembre 2018
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Me Carole St-Jean
Arbitre