ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec : SORECONI
ENTRE : les habitations chouinard inc.
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : ALEXIE BLANCHETTE
NICOLAS ARCHAMBAULT
(ci-après les « Bénéficiaires »)
ET : LA GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier SORECONI : 182604001
DÉCISION SUR UN MOYEN PRÉLIMINAIRE
Arbitre : Me Jacinthe Savoie
Pour les Bénéficiaires : Me Nicolas Archambault
Pour l’Entrepreneur : Me Maxime Lachance
Pour l’Administrateur : Me Éric Provençal
Date de l’audition préliminaire : 16 octobre 2018
Date de la décision : 27 novembre 2018
Identification complète des parties
Bénéficiaires : Madame Alexie Blanchette
Me Nicolas Archambault
227, boul. des Braves, suite 101
Terrebonne (Québec) J6W 3H6
Entrepreneur: Les Habitations Chouinard inc.
1177, autoroute 440, bureau 211
Laval (Québec) H7L 3W3
Et son procureur :
Me Maxime Lachance
Administrateur : La Garantie Construction Résidentielle
7171, rue Jean-Talon Est
Montréal (Québec) H1M 3N2
Et son procureur :
Me Éric Provençal
Mandat
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 17 mai 2018.
Historique du dossier
26-04-2018 Réception de la demande d’arbitrage par le greffe de SORECONI (point 1)
17-05-2018 Notification d’arbitrage transmise aux parties et nomination de l’arbitre
17-05-2018 Transmission de la demande de provision pour frais
13-06-2018 Réception d’une demande additionnelle d’arbitrage par le greffe de SORECONI (point 4)
14-06-2018 Transmission du cahier de pièces de l’Administrateur
19-06-2018 Réception de la confirmation du paiement de la provision pour frais
06-09-2018 Conférence téléphonique tenant lieu et place de conférence préparatoire
11-09-2018 Émission du procès-verbal de la conférence du 20 avril 2018
25-09-2018 Transmission du curriculum vitae de monsieur Normand Pitre, pour compléter le cahier de pièces de l’Administrateur
01-10-2018 Transmission des pièces B-1 à B-11 des Bénéficiaires ainsi qu’une demande afin que l’audition du moyen préliminaire concernant le point 4 soit devancée
05-10-2018 Convocation à une conférence téléphonique pour traiter de la contestation préliminaire de la demande d’arbitrage concernant le point 4
11-10-2018 Transmission des autorités de l’Administrateur en vue de la conférence téléphonique
16-10-2018 Audition par voie de conférence téléphonique du moyen préliminaire concernant le point 4.
Admissions
[1] Il s’agit d’un bâtiment unifamilial jumelé non détenu en copropriété divise et situé au [...] à Mascouche (Bâtiment).
[2] Le 27 mai 2017, la réception du Bâtiment est intervenue.
[3] Le 10 janvier 2018, les Bénéficiaires transmettaient une liste de déficiences à l’Entrepreneur.
[4] Le 1er février 2018, l’Administrateur recevait une réclamation de la part des Bénéficiaires.
[5] L’Administrateur émettait une décision en date du 26 mars 2018, laquelle traitait de 4 points (Décision);
[6] L’Entrepreneur a reçu la Décision en date du 28 mars 2018.
[7] L’Entrepreneur, par l’entremise de ses procureurs, a porté le point 1 de la Décision en arbitrage en date du 26 avril 2018.
[8] En date du 23 mai 2018, l’Administrateur a avisé l’Entrepreneur qu’il prenait en charge les travaux correctifs relatifs au point 4 de la Décision intitulé « douche - fuite d’eau ».
[9] Également le 23 mai 2018, l’Entrepreneur manifestait à l’Administrateur son intention de contester le point 4 en arbitrage.
[10] Le 13 juin 2018, l’Entrepreneur transmettait un courriel au greffe de Soreconi afin de l’aviser qu’il désirait contester également le point 4.
Question préliminaire en litige
[11] En raison de l’urgence soulevée par les Bénéficiaires de procéder aux correctifs du point 4 suite à l’aggravation du problème d’infiltration d’eau, ces derniers ont demandé que la contestation préliminaire de la demande d’arbitrage concernant ce point procède préalablement à l’audition fixée le 31 janvier 2019.
[12] En conséquence, une audition par voie de conférence téléphonique a eu lieu 16 octobre 2018, afin de procéder sur ce moyen préliminaire.
Position de l’Administrateur
[13] Le procureur de l’Administrateur rappelle que la Décision a été reçue par l’Entrepreneur en date 28 mars 2018. La Décision stipulait clairement le délai de 30 jours pour soumettre une demande d’arbitrage.
[14] De plus, ce même délai était spécifiquement indiqué à l’article 21.1 du contrat de garantie, lequel a été signé par la représentante de l’Entrepreneur.
[15] Donc, l’Entrepreneur ne pouvait ignorer le délai pour porter la décision en arbitrage.
[16] La demande d’arbitrage de l’Entrepreneur, effectuée par l’entremise de son procureur en date du 26 avril 2018, fait uniquement référence au point 1.
[17] Ce n’est que suite à l’avis de prise en charge du point 4 par l’Administrateur que l’Entrepreneur a manifesté son intention de porter ledit point en arbitrage, et ce, deux mois après avoir reçu la Décision.
[18] Ce faisant, l’Entrepreneur n’a pas respecté les articles 19 et 107 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (Règlement).
[19] Au soutien de ses prétentions, le procureur de l’Administrateur a d’abord soumis la décision Fortin et Lessard c. Construction Gilles Rancourt et Fils inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.[2]
[20] Dans cette affaire, un retard de huit jours pour porter la décision en arbitrage avait été soulevé. L’arbitre Claude Dupuis a précisé que le délai de trente jours «peut être prorogé par l’arbitre, à condition toutefois que les bénéficiaires démontrent qu’ils étaient dans l’impossibilité d’agir à l’intérieur du délai prescrit ou qu’ils n’ont pas été négligents, et à condition qu’une prorogation ne soit préjudiciable à la partie poursuivie»[3]. Puisque les bénéficiaires n’avaient pas agi avec diligence, il a accueilli l’objection préliminaire et rejeté la demande d’arbitrage[4].
[21] La deuxième décision[5] soumise rejette également la demande d’arbitrage aux motifs suivants :
[21.1] la décision de l’administrateur a été reçue par les bénéficiaires le 29 avril 2015 et la demande d’arbitrage formulée le 2 juin 2015[6];
[21.2] le délai de trente jours de l’article 19 du Règlement n’a pas été respecté[7];
[21.3] la jurisprudence a, unanimement et constamment, retenu la rigueur du délai de trente jours[8];
[21.4] le simple fait qu’un bénéficiaire n’a pas lu le passage de la décision mentionnant le délai de trente jours, n’est pas suffisant pour proroger le délai[9].
[22] Le procureur de l’Administrateur affirme que pour prolonger le délai de trente jours, il faut qu’il y ait une impossibilité d’agir et qu’aucun préjudice n’en découle pour les autres parties.
[23] Il termine en plaidant que dans le présent dossier :
[23.1] l’Entrepreneur n’a pas été dans l’impossibilité d’agir, mais que la demande d’arbitrage fait suite à l’avis de prise en charge par l’Administrateur; et
[23.2] les Bénéficiaires subissent un préjudice en raison du retard dans la prise en charge des travaux correctifs pour enrayer les infiltrations d’eau.
Position des Bénéficiaires
[24] Le Bénéficiaire reprend les critères énoncés par la jurisprudence à l’effet que pour proroger le délai de trente jours, la partie qui demande la prorogation doit prouver de façon cumulative:
[24.1] l’impossibilité d’agir à l’intérieur du délai prescrit ou l’absence de négligence; et
[24.2] que la prorogation demandée ne soit pas préjudiciable aux autres parties.
[25] Il affirme qu’effectivement, les Bénéficiaires subissent déjà un préjudice du fait que les travaux correctifs ne sont pas exécutés.
[26] Le Bénéficiaire fait référence à la vidéo du 23 mai 2018 transmise aux parties comme pièce B-9, où l’on voit que dès que l’eau touche la porte vitrée, cette dernière coule à l’extérieur de la douche.
[27] Il ajoute que l’Entrepreneur ne conteste pas l’origine du problème puisque qu’il a tenté de corriger la situation à trois reprises.
[28] Par la suite, le Bénéficiaire traite des deux vidéos prises le 30 septembre 2018 (B-10 et B-11) qui démontrent les répercussions de l’eau sur la vitre de la douche.
[29] Il affirme que l’Entrepreneur n’était pas dans l’impossibilité d’agir, tel qu’il appert du point 1 porté en arbitrage à l’intérieur du délai prescrit.
Position de l’Entrepreneur
[30] D’entrée de jeu, le procureur de l’Entrepreneur indique au Tribunal qu’il ne nie pas le fil des évènements tel que décrit par les autres parties.
[31] Il explique qu’en date du 9 mai 2018, deux sous-traitants de l’Entrepreneur ont colmaté les fuites d’eau à l’aide de joints de silicone et ont fait leurs recommandations aux Bénéficiaires.
[32] En date du 19 mai 2018, les joints de silicone avaient disparu pour l’une des deux raisons suivantes : joints retirés volontairement ou consignes non suivies par les Bénéficiaires.
[33] Il plaide que l’Entrepreneur reconnait le problème de la douche et qu’il ne conteste pas le bien-fondé de la décision du point 4.
[34] Dans les faits, l’Entrepreneur anticipe que l’Administrateur procède au remplacement complet de la douche alors que, selon lui, il y a d’autres méthodes correctives.
[35] Selon l’Entrepreneur, il doit y avoir un débat technique quant à la méthode corrective à employer pour régler le problème de la douche.
[36] Le procureur invite le Tribunal à décider en équité, le tout dans un souci d’efficacité.
[37] Il termine en précisant qu’il n’a aucune autorité à soumettre au soutien de la demande de l’Entrepreneur.
Réplique de l’Administrateur
[38] Le procureur de l’Administrateur ajoute qu’en date du 9 mai 2018, lors de la deuxième tentative de l’Entrepreneur pour corriger le problème, le délai pour porter le point 4 en arbitrage était déjà expiré.
[39] Il déclare que pour contester la méthode corrective en arbitrage, l’Administrateur doit préalablement émettre une décision au regard de cette méthode.
[40] En conséquence, le Tribunal n’a pas juridiction sur la méthode corrective dans le présent dossier puisque qu’aucune décision sur ce sujet n’a été rendue.
Réplique des Bénéficiaires
[41] Le Bénéficiaire souligne que le procureur de l’Entrepreneur plaide sur des faits qui n’ont pas été mis en preuve devant le Tribunal, par exemple les joints de silicone retirés.
[42] De plus, il est faux de prétendre que des sous-traitants se sont présentés à la résidence des Bénéficiaires postérieurement au 23 mai 2018.
[43] L’Entrepreneur a tenté de corriger la douche à trois reprises.
[44] Le Bénéficiaire note, lui aussi, qu’aucune décision n’a été émise par l’Administrateur relativement à la méthode corrective.
[45] Le Bénéficiaire témoigne à l’effet que la douche coule tous les jours, malgré les précautions prises en l’utilisant.
[46] Il termine en soulignant que :
[46.1] les Bénéficiaires ont des droits;
[46.2] la douche aurait dû être corrigée depuis longtemps; et
[46.3] l’Administrateur ne peut permettre à un entrepreneur, même compétent, de faire une quatrième tentative de correction.
DÉCISION
[47] Plusieurs questions sont soulevées dans cette affaire, soit :
[47.1] la demande d’arbitrage concernant le point 4 de la Décision a-t-elle été formulée dans le délai prescrit au Règlement?
[47.2] l’Entrepreneur était-il dans l’impossibilité d’agir à l’intérieur du délai ou y a-t-il absence de négligence de sa part?
[47.3] la prorogation de délai cause-t-elle un préjudice aux autres parties?
[47.4] le Tribunal a-t-il juridiction pour se prononcer sur la méthode corrective du point 4?
Première question : la demande d’arbitrage concernant le point 4 de la Décision a-t-elle été formulée dans le délai prescrit au Règlement?
[48] Le Règlement prévoit aux articles 19 et 107 que :
19. « Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation. »
(nos soulignés)
107. « La demande d’arbitrage doit être adressée à un organisme d’arbitrage autorisé par la Régie dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur ou, le cas échéant, de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation. L’organisme voit à la désignation de l’arbitre à partir d’une liste des personnes préalablement dressée par lui et transmise à la Régie. »
(nos soulignés)
[49] L’Entrepreneur n’a pas respecté le délai de trente jours, ayant formulé sa demande auprès du greffe de Soreconi soixante-dix-sept jours suivant la réception de la Décision.
Deuxième question : l’Entrepreneur était-il dans l’impossibilité d’agir à l’intérieur du délai ou y a-t-il absence de négligence de sa part?
[50] L’Entrepreneur n’a offert aucune explication justifiant le non-respect du délai de 30 jours, d’autant plus qu’il a respecté le délai prescrit quant au point 1 de la même Décision.
[51] Il n’a pas démontré d’impossibilité d’agir ni n’a offert de preuve à l’effet qu’il n’avait pas été négligeant dans la formulation de la demande d’arbitrage du point 4.
[52] Le Tribunal ne se servira pas de la notion d’équité[10] pour déroger à des dispositions claires du Règlement et à la jurisprudence arbitrale constante dans ce domaine.
[53] La réponse à la deuxième question étant négative, il n’est pas nécessaire de répondre aux deux autres questions.
[54] Suivant l’appréciation des faits et de la preuve offerte à l’audience préliminaire, ainsi que de la compréhension du Règlement et de la jurisprudence connue, le Tribunal accueille le moyen préliminaire et rejette la demande d’arbitrage relatif au point 4 de la Décision, le tout sans préjudice et sous toute réserve du droit des parties de porter devant les tribunaux civils leurs prétentions;
[55] Le Tribunal d’arbitrage, sur demande, rend les conclusions suivantes :
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE le moyen préliminaire présenté par l’Administrateur et les Bénéficiaires;
MAINTIENT le point 4 de la décision rendue le 26 mars 2018 par l’Administrateur;
RÉSERVE à l’Administrateur ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur, pour tous travaux, toute actions et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement;
LE TOUT avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, en parts égales, conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de trente jours.
Boucherville, le 27 novembre 2018
______________________________
Me Jacinthe Savoie
Arbitre / Soreconi
[1] R LRQ c. B-1.1, r.8
[2] GAMM 2011-04-002, 1er août 2011, monsieur Claude Dupuis, arbitre
[3] Id. paragraphe [30]
[4] Id. paragraphe [39]
[5] Richard et Mazzapelle c. Les Habitations Classique V inc. et La Garantie Abritat inc., GAMM 2015-16-006, 8 octobre 2015, Me Jean Doyle, arbitre
[6] Id. paragraphes [14] et [16]
[7] Id. paragraphe [17]
[8] Id. paragraphe [18]
[9] Id.
[10] Article 116 du Règlement.