CANADA Centre canadien d’arbitrage commercial
Province dE Québec
district de montréal Tribunal d’arbitrage
NO : 03-1204/ML montréal, le 27 septembre 2004
No. de référence de l’arbitre: 12 913-3
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Paul Bordeleau,
Syndicat de copropriété
« Bénéficiaire » / Demandeur
c.
Saint-Luc Habitation Inc.
« Entrepreneur » / Défenderesse
-ET-
La garantie des immeubles résidentiels de l’A.P.C.H.Q.
« A.P.C.H.Q. » / Mise en cause
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Après avoir pris connaissance des procédures, entendu la preuve de part et
d’autre, le tribunal D’ARBITRAGE PROCÈDE À rendRE jugement COMME SUIT:
1. Faits et Procédures
Le Bénéficiaire est titulaire d’un certificat de garantie - catégorie « B », condominium (« Certificat de garantie») émis par l’A.P.C.H.Q. (Pièce 12 du Cahier de l’A.P.C.H.Q.) dans le cadre d’une vente, datée du 27 octobre 1998, par l’Entrepreneur d’une unité de copropriété portant le numéro civique 3197, rue de la Forge, Montréal, province de Québec. (« Propriété »).
Le ou vers le mois de mars ou avril 2002, le Bénéficiaire a remarqué la présence de certaines anomalies autour de son garage et a fait appel à un expert, soit à M. Michel Ewert, ingénieur auprès de Sogenet Inc. pour qu’il effectue une inspection de la Propriété.
Le 10 juillet 2003, le Bénéficiaire a fait parvenir à l’Entrepreneur une mise en demeure et une demande formelle de procéder à des travaux correctifs et a énoncé un problème de mouvement de sol ayant trait au garage (Pièce P-5). Les détails étaient spécifiés dans le rapport d’expertise de M. Michel Ewert, ingénieur, lequel était joint à la mise en demeure. Le Bénéficiaire allègue que la présence de fissures et autres détériorations de la Propriété s’étant manifestées dans le lieu physique de son entrée de garage ont été causées par l’effet du gel du sol sous la semelle ou de l’empattement du garage en raison d’une isolation insuffisante ou d’une construction autrement déficiente.
Le 15 août 2003 (Pièce P-5), n’ayant reçu aucune réponse ou autre signe de vie de la part de l’Entrepreneur, le Bénéficiaire a logé une réclamation à l’Administrateur de l’A.P.C.H.Q. conformément à son Certificat de garantie.
Le ou vers le 15 septembre 2003 (Pièce P-7), l’Administrateur de l’A.P.C.H.Q. a informé l’Entrepreneur de la réclamation du Bénéficiaire et a exigé de l’Entrepreneur qu’il entreprenne les suites requises. L’Entrepreneur n’a pas réagi ou donné suite à la réclamation car il a considéré que celle-ci était mal fondée.
Le 24 octobre 2003, l’Administrateur de l’A.P.C.H.Q. a donné mandat à un conciliateur, soit à M. Pierre Bonneville, technologue professionnel, d’examiner la réclamation.
Le 11 novembre 2004, se basant notamment sur la déclaration de l’Entrepreneur que ce dernier avait effectivement employé une des méthodes de correction proposées par l’ingénieur Ewert, à savoir, l’installation d’un isolant rigide en dessous de l’empattement et de l’asphalte, le conciliateur a conclu qu’il n’était pas, dans les circonstances, en présence d’un vice de construction, tel que défini au paragraphe 1m) du Certificat de garantie dont le texte se lit comme suit :
1m) « Vice de construction » : un vice sérieux pouvant entraîner la perte de l’unité résidentielle, le tout tel que défini par l’article 2118 du Code civil du Québec. Sont compromises, dans la mention ci-dessus, les pertes découlant des vices de sol tels que définis à l’article 1n). »
Le 4 décembre 2003, le Bénéficiaire a demandé que la décision dudit conciliateur soit portée en arbitrage, d’où la présente instance arbitrale.
2. Question en litige, le droit et conclusions
L’arbitre soussigné est saisi de la question de décider du bien-fondé de la décision de l’expert nommé (soit le conciliateur) conformément au paragraphe 6.9 du Certificat de garantie.
Le 2 mars 2004, une première session d’arbitrage a été fixée au domicile du Bénéficiaire et toutes les parties ont alors été convoquées pour le 20 avril 2004. À cette session, l’Entrepreneur, qui n’était pas et n’a jamais été au cours des présentes procédures représenté par un avocat, a demandé, par l’entremise de son représentant, M. Gilles Marcoux, une remise de l’audition alors en cours, et ce, afin de retenir les services d’un expert. Malgré l’objection du procureur du Bénéficiaire et le caractère tardif de la demande de l’Entrepreneur, le Tribunal d’arbitrage a accordé la demande pour des fins d’équité. Le tribunal d’arbitrage a alors décidé de convertir la session d’arbitrage en une visite des lieux et a permis aux différentes parties ainsi qu’aux témoins présents de lui faire des commentaires sous serment. Pour plus de détails concernant la session d’arbitrage du 20 avril 2004, le tribunal d’arbitrage se réfère au procès-verbal d’audience préparé à ce sujet par le soussigné et qui fut déposé au présent dossier au Centre canadien d’arbitrage commercial.
Par la suite, le soussigné a reçu une expertise préparée pour le compte de l’Entrepreneur, soit par M. Marc Brault, ingénieur en structure. Selon M. Brault, les travaux furent exécutés suivant les règles de l’art puisque les diverses fissures observées sur les murs ne sont que des fissures de tassement différentiel et que l’empattement serait appuyé directement sur de l’isolant rigide. Il conclut notamment que les fissures observées dans la dalle ont été causées par des infiltrations d’eau entre la dalle du garage et l’empattement.
Suite à cette expertise, le Bénéficiaire a voulu y répondre, notamment en faisant des travaux d’excavation et de dégagement autour de la dalle flottante en dessous de l’entrée du garage afin de déterminer notamment la présence, l’absence ou l’état du prétendu isolant rigide à cet endroit. L’expert de l’Entrepreneur, le représentant de celui-ci de même que le procureur de l’A.P.C.H.Q. ont été dûment convoqués à la date et à l’heure prévue (le 6 mai 2004 à 13h30) s’ils désiraient être présents. L’Entrepreneur, son expert et l’A.P.C.H.Q. ont décliné l’offre d’être présents lors de la réalisation de ces travaux d’exploration.
Le ou vers le 12 mai 2004, suite à ces travaux, le deuxième rapport de l’ingénieur Ewert, a été communiqué aux différentes parties ainsi qu’au soussigné.
Le 17 mai 2004, une deuxième session d’arbitrage d’une durée d’une journée a eu lieu aux bureaux du soussigné sis au 1080, Côte du Beaver-Hall, bureau 600, en la Ville de Montréal, province de Québec, H2Z 1S8, en présence des différentes parties, leurs représentants et leurs experts, chacun d’eux ayant pu prendre connaissance des rapports d’expertise de l’autre. Il a été établi par la deuxième expertise de l’ingénieur Ewert, de même que le témoignage de celui-ci que les travaux en sous-œuvre du garage ont été faits en violation des règles de l’art. En particulier, et ce, contrairement à l’affirmation répétée de l’Entrepreneur et à une des prémisses de son expert, l’isolant rigide n’a tout simplement pas été installé en dessous de l’empattement soutenant le garage et il n’y a aucune mesure adéquate prise pour prévenir les effets néfastes du gel et du dégel à l’endroit de l’empattement. Plusieurs autres violations des règles de l’art ont également été notées pour lesquelles il n’est pas requis de s’attarder pour disposer de la présente réclamation.
Le procureur de l’A.P.C.H.Q. a admis, lors de sa plaidoirie, que la prépondérance de la preuve établit que les travaux de sous-œuvre sont entachés de malfaçons et ont été réalisés en violation des règles de l’art.
Cependant, le procureur de l’A.P.C.H.Q. affirme avec raison qu’il ne suffit pas d’établir la présence de malfaçons ou de vices de construction. En effet, il faut également établir que le vice entraîne ou entraînera, à court ou à long terme, suivant les termes de l’article 2118 du Code civil du Québec, une perte partielle de la Propriété.
Or, suivant une jurisprudence constante et bien établie, la notion de « perte » en vertu de l’article 2118 du Code civil du Québec fait l’objet d’une interprétation large et comprend la « perte potentielle » ou la « perte probable à long terme[1] ».
Dans Construction J.R.L. (1977) Ltée c. Zurich Compagnie d’assurances, J.E. 91-824 (C.A.), page 6, la Cour d’appel affirme :
«Sont considérés comme vices de construction susceptibles d’engager la responsabilité quinquennale des constructeurs, les défectuosités qui sont de nature à empêcher l’ouvrage de remplir sa destination ou qui limitent, de façon majeure, l’usage normal de l’édifice... Le vice affectant une composante permanente et importante de celui-ci et sa présence impliquaient nécessairement des probabilités de détérioration grave en l’absence de corrections.»
Dans Commission de la construction du Québec c. Construction Verbois Inc., J.E. 97-2080 (C.S.), page 8, la Cour supérieure affirme :
«La jurisprudence a tempéré la notion de perte totale ou partie de l’édifice l’assimilant plutôt à celle d’inconvénients sérieux : «Or, comme la dérogation au droit commun provient du souci de protéger le propriétaire à l’égard de travaux difficilement vérifiables et de la nécessité d’assurer au public une protection efficace, nos tribunaux n’ont jamais appliqué l’article 1688 à la lettre et n’ont pas exigé que les vices du sol ou de construction produisent des effets aussi radicaux. Ils ont au contraire reconnu que les termes « périt en tout ou en partie » ne sont pas limitatifs et comprennent les vices compromettant la solidité de l’édifice et des défectuosités graves qui entraînent des inconvénients sérieux.»
À notre avis, la preuve d’une perte partielle à long terme a été établie avec prépondérance. Il est sans contredit que les mesures requises pour prévenir le soulèvement occasionné par l’effet incontournable du gel et du dégel n’ont pas été prises par l’Entrepreneur. Or, à ce jour, il est vrai que les dommages pour ce manquement n’ont pas été de nature catastrophique. Mais la détérioration et la perte sont constantes et progressives, ce qui satisfait aux critères requis pour qualifier le vice de vice de construction au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec. Le problème demeure et en l’absence de mesures correctrices, les effets se multiplieront et empireront lors de chaque saison d’hiver, ce qui est inacceptable pour tout propriétaire et inacceptable aux termes de la protection accordée par l’article 2118 du Code civil du Québec incorporée par référence au Certificat de garantie.
La Propriété du Bénéficiaire se détériore lentement, mais progressivement et celui-ci a le droit d’exiger que les travaux requis soient réalisés immédiatement afin de mettre fin définitivement à cette détérioration graduelle.
Le Bénéficiaire réclame des dommages, soit les dépenses encourues par les procédures d’arbitrage (e.g. photocopies, frais de poste, parcomètre, frais de messagerie, coût des travaux exploratoires), dont le montant total s’élève à environ mille dollars (1 000,00 $). Le procureur de l’A.P.C.H.Q. s’objecte au motif qu’il s’agit en l’instance d’une réclamation en vertu de l’ancien Plan de garantie (c'est-à-dire, non réglementaire et purement conventionnel) et que les dépenses réclamées constituent un dommage qui est au-delà de ce qui fait l’objet du cautionnement de l’A.P.C.H.Q., à savoir, les travaux correctifs advenant la reconnaissance d’un vice de construction tel que le précise le paragraphe 3.1 du Certificat de garantie. La jurisprudence appuie[2], dans les circonstances, l’objection du procureur de l’A.P.C.H.Q. et en conséquence cet aspect de la réclamation est rejeté. Précisons néanmoins que le Bénéficiaire aura droit, vu le sort de sa réclamation, à ses frais de demande de conciliation conformément au paragraphe 6.5 du Certificat de garantie.
Le Bénéficiaire réclame également les frais d’expertise qu’il a encourus pour faire valoir ses droits. Il est vrai que ces frais sont normalement accordés dans le cadre d’une instance judiciaire devant les Tribunaux ordinaires. Cependant, le procureur de l’A.P.C.H.Q. s’objecte pour le même motif, à savoir, que ces frais ne font pas l’objet de l’obligation cautionnée. Le Tribunal d’arbitrage donne également raison sur ce point au procureur de l’A.P.C.H.Q., sauf pour une exception.
Cette exception est le coût de l’expertise de l’ingénieur Ewert, datée du 7 juin 2004 suggérée par le Tribunal et qui comblait une lacune importante dans la preuve. En effet, les experts respectifs des parties se contentaient d’élaborer leur interprétation de leurs observations. La preuve quant aux travaux correctifs requis était absente du dossier ce qui rendait difficile la détermination du problème en cause et l’évaluation de son envergure.
Ces objectifs ont été atteints par l’expertise fournie. Vu que le Tribunal d’arbitrage avait l’obligation, conformément au paragraphe 6.9 du Certificat « de décider du bien-fondé de la décision de l’expert», et que ces frais étaient essentiels à cet égard, le Tribunal d’arbitrage considère qu’ils doivent être à la charge de l’A.P.C.H.Q.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande du Bénéficiaire;
DÉCLARE que l’ensemble des anomalies et malfaçons concernant la profondeur insuffisante de la semelle sous le garage constituent un vice de construction au sens du paragraphe 1 m) du Certificat de garantie / Catégorie B, émis par la Garantie des maisons neuves de l’A.P.C.H.Q.;
ORDONNE à l’Entrepreneur, Saint-Luc Habitation Inc., de procéder aux travaux correctifs requis, et ce, selon les règles de l’art;
À DÉFAUT par l’Entrepreneur, Saint-Luc Habitation Inc., de se conformer à l’ordonnance précédente, ORDONNE à l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec Inc. (A.P.C.H.Q.) de procéder aux travaux correctifs requis, et ce, selon les règles de l’art, conformément aux conditions et modalités du Certificat de garantie applicable, notamment les paragraphes 2.1.3 et 2.1.5;
ORDONNE à l’Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec Inc. (A.P.C.H.Q.) de rembourser au Bénéficiaire la somme de mille cent douze dollars et quatre-vingt-sept cents (1 112,87 $), représentant les honoraires facturés par Sogenet Inc. en date du 8 juin 2004, portant le numéro de référence P1050-3116, qui fut facturée à M. Paul Bordeleau.
La présente sentence est finale et sans appel.
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Me Jeffrey Edwards, arbitre
Pour le Bénéficiaire :
Me Nicolas Beaulieu
Gascon & Associés
Pour l’Entrepreneur :
Monsieur Patrick Varin, Président
St-Luc Habitation Inc.
Pour l’A.P.C.H.Q. :
Me François Caron
McDonald Savoie
[1] J. Rodrigue et J. Edwards, « La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons », La construction au Québec : perspectives juridiques, Wilson & Lafleur, 1998, p. 434 :
«Pour se prévaloir de l’article 2118 C.c.Q., il n’est nécessaire d’établir ni le fait que l’ouvrage a péri ni le moment auquel il va s’écrouler. Il suffit de démontrer la présence des inconvénients ou d’un danger sérieux qui pourrait entraîner une perte de l’ouvrage, c’est-à-dire une perte potentielle. ...La simple menace de perte d’un ouvrage constitue déjà un préjudice né et actuel, car elle entraîne, de manière immédiate, une diminution importante de sa valeur marchande et de son utilité.
La notion de « perte » au sens de l’article 2118 C.c.Q. doit donc,
tout comme la notion analogue de ce terme au sens de l’article 1688 C.c.B.C.,
recevoir une interprétation large et s’étendre notamment à tout dommage sérieux
subi par l’ouvrage immobilier.»
[2] St-Jacques c. Calisto, C.S. Longueuil, no. 505-05-000994-928,
2 juin 1997, Juge Paul Reeves, p. 14;
Labonté c. Les Constructions Lucien Huot Inc., C.S. Québec, no.
200-05-003668-923, 13 mai 1996, Juge Camille Bergeron, p. 22.