Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc

Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis

2007 QCCS 4701

 J.M. 1754

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

N° :

505-17-002506-055

 

DATE :

Le 26 octobre 2007

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHÈLE MONAST, J.C.S.

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LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS

NEUFS DE L'APCHQ INC.

 

Demanderesse

c.

CLAUDE DUPUIS, es-qualité d'arbitre

 

 Défendeur

 

et

 

RAYMOND CHABOT INC. a/s Monsieur Christian Bourque

es-qualité de syndic à la faillite de LES CONSTRUCTIONS TRADITION INC.

et

LE SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DU CARRÉ DES COQS (6275)

et

NORMAND PARSONS et MARIE-FRANCE MICHAUD

et

SERGE OUELLET et LISE GRAVEL

et

LISE MORIER et  JEAN-PAUL RODRIGUE

et

JACQUES CHARLIER et DENISE DOMBRET

et

ÉRIC VOSS et CLAUDIA DIAS

Mis en cause

 

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JUGEMENT

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LE CONTEXTE DU LITIGE

[1]                La demanderesse («la Garantie») est une personne morale constituée en vertu de la Loi sur les compagnies[1] chargée d'administrer un plan de garantie pour l'APCHQ en vertu de l'article 81 de la Loi sur le bâtiment.[2]

[2]                Les termes et les modalités de ce plan de garantie sont prévus au Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs («le Règlement»).[3]

[3]                En juin 2004, Normand Parsons et Marie-France Michaud, Serge Ouellet et Lise Gravel, Lise Morier et Jean-Paul Rodrigue, Jacques Charlier et Denise Dombret, Eric Voss et Claudia Dias («les mis en cause») se sont portés acquéreurs de 5 des 12 unités d'habitation dans un immeuble détenu en copropriété divise connue sous le nom de «Carré des Coqs», situé au 6275 Chemin Chambly, à Saint-Hubert.  Les 7 autres unités ont fait l'objet de promesses d'achat souscrites par des tiers et assorties d'acomptes. 

[4]                Le 20 mai 2004, une déclaration de copropriété a été publiée par l'entrepreneur vendeur, Les  Constructions Tradition Inc. («Tradition»). Cette déclaration faisait foi de la constitution du syndicat des copropriétaires du Carré des Coqs (6275) et désignait le déclarant comme administrateur provisoire unique de la copropriété jusqu'à la première assemblée des copropriétaires et l'élection du conseil d'administration du syndicat .[4]

[5]                Peu après la vente des unités aux mis en cause, Tradition a interrompu ses travaux de construction sur l'immeuble. En octobre 2004, il a fait cession de ses biens.  

[6]                Les promettant-acheteurs de 7 unités pour lesquelles le transfert de propriété n'était pas encore effectif à cette date ont été remboursés de leurs acomptes par la Garantie et leur promesse d'achat a été annulée.

[7]                Quant aux mis en cause, ils ont été laissés à leur sort dans un immeuble qui n'était pas entièrement terminé. Le 8 novembre 2004, ils ont présenté une réclamation à la Garantie pour demander le parachèvement des travaux dans les parties communes et la correction de certaines déficiences.

[8]                Cette réclamation était accompagnée d’une lettre dressant la liste des travaux à faire à l'extérieur comme à l'intérieur de l'immeuble.  On y faisait référence à la pose de revêtement sur les murs, la toiture, les cadres de porte du garage, les murets de béton, les balcons, les galeries, les rampes et les escaliers et à la finition des halls d’entrée, de l’ascenseur, du système électrique et du sous-sol.  Le coût des travaux à parachever était estimé à 300 000 $, exclusion faite de certains éléments qui n'étaient pas couverts par la garantie.    

[9]    Le 4 février 2005, la Garantie a informé les mis en cause qu'elle ne donnerait pas suite à leur demande et qu'elle ne procéderait ni au parachèvement des travaux dans les parties communes, ni à la correction des déficiences parce que ces travaux n'étaient pas couverts par le plan de garantie de l'APCHQ.

[10]            Le Règlement précise que tout différend portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation relève de la compétence exclusive d'un arbitre[5].  Il stipule également que l'arbitre doit rendre une décision selon les règles de droit et qu'il peut faire appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient[6].  La décision arbitrale, une fois rendue, est finale et sans appel

[11]            Insatisfaits de la décision de la Garantie, les mis en cause ont soumis le différend à l'arbitrage.  L'arbitre Claude Dupuis a été désigné pour entendre le litige et une audition a été tenue le 14 septembre 2005.

[12]            Le 27 octobre 2005, l'arbitre Dupuis a rendu sa décision et il a ordonné à la Garantie de verser aux mis en cause 37 500 $ par unité en guise de remboursement d'acomptes. Il a également réservé compétence pour trancher toute difficulté survenant dans l'application de sa décision.[7]

[13]            La Garantie recherche la révision judiciaire de cette décision arbitrale. Elle prétend que l'arbitre a excédé sa juridiction et qu'il a rendu une décision manifestement déraisonnable en faisant appel aux règles de l'équité pour donner au plan de garantie une portée qu'il n'avait pas.  

[14]            Elle plaide que:

a)     l'arbitre n'avait pas le pouvoir de lui ordonner de verser des sommes aux mis en cause alors que c'est le syndicat des copropriétaires qui était le bénéficiaire nommé de la garantie et non les copropriétaires;

b)     l'arbitre n'avait pas le pouvoir de lui ordonner de rembourser des acomptes alors que des transferts de propriété avaient eu lieu au bénéfice des mis en cause dans chaque cas;

c)      l'arbitre ne pouvait pas accorder un remboursement d'acompte pour un montant supérieur à la limite de 30 000 $ prévue au règlement;

d)     l'arbitre ne pouvait pas accorder un montant compensatoire équivalent aux coûts de parachèvement des parties communes alors que la garantie ne couvrait pas le parachèvement;   

[15]            Les mis en cause contestent le bien-fondé de la demande de révision judiciaire. Ils soutiennent que l'arbitre s'est bien dirigé en droit et qu'il avait le droit de faire appel aux règles de l'équité s'il jugeait que cela était nécessaire pour rendre justice. Ils plaident que la décision n'est pas manifestement déraisonnable compte tenu des circonstances et que l'arbitre n'a pas excédé sa juridiction.

L'ANALYSE ET LA DISCUSSION

Le  Règlement

[16]            Les paragraphes 19.3 à 19.6 et 38 de l'article 185 de la Loi sur le bâtiment [8] confèrent à la Régie du bâtiment («la Régie») le pouvoir d'adopter des règlements pour obliger tout entrepreneur à adhérer à un plan de garantie concernant un bâtiment résidentiel neuf d'une catégorie qu'elle détermine ou concernant des travaux de rénovation, de réparation, d'entretien ou de modification d'un bâtiment, d'un ouvrage de génie civil, d'un équipement ou d'une installation et pour déterminer  les cas, les conditions et les modalités de la garantie offerte en vertu d'un plan et, notamment, les obligations légales et contractuelles de l'entrepreneur, y compris les dérogations au code de construction qui peuvent faire l'objet d'une indemnisation, le montant de la franchise pour chaque réclamation, et le montant minimal d'indemnisation selon la nature des travaux de construction.[9]

[17]            La Régie peut établir les normes et les critères d'un plan de garantie et d'un contrat de garantie incluant, notamment, les conditions et modalités d'adhésion d'un entrepreneur, le coût maximum exigible d'un entrepreneur pour qu'une personne bénéficie de la garantie offerte en vertu d'un plan, les normes de diffusion des renseignements relatifs au plan de garantie, la procédure d'arbitrage permettant à une personne de se pourvoir contre une décision de l'administrateur concernant une réclamation ou à l'entrepreneur de se pourvoir contre une décision de l'administrateur refusant ou annulant son adhésion au plan, la forme, et le contenu minimum de même que les modalités de remise d'un contrat de garantie;[10]

[18]            Il importe de souligner que le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs s'applique aux plans de garantie qui garantissent l'exécution des obligations d'un entrepreneur en bâtiment aux termes d'un contrat conclu avec un bénéficiaire pour la vente ou la construction de certains bâtiments neufs destinés principalement à des fins résidentielles détenus ou non en copropriété divise.

[19]            Ainsi, toute personne qui désire devenir entrepreneur en bâtiments résidentiels neufs doit adhérer à un plan qui garantit l'exécution de ses obligations[11] et tout plan de garantie auquel s'applique le règlement doit être conforme aux normes et aux critères qui y sont établis.[12] Toute disposition d'un plan de garantie qui est inconciliable avec le règlement est invalide.[13] Les dispositions du règlement sont donc d'ordre public.

[20]            La protection offerte par la garantie ne couvre pas tous les risques associés au bâtiment résidentiel neuf. En ce sens, il ne s'agit pas d'une garantie de produit mais plutôt d'une garantie de la même nature que celle donnée en vertu d'un cautionnement d'exécution à l'égard de certaines obligations de l'entrepreneur. [14]

[21]            Les termes et modalités de la garantie applicable aux bâtiments qui ne sont pas détenus en copropriété divise sont mentionnés aux paragraphes 8 à 24 alors que ceux concernant la garantie applicable aux bâtiments détenus en copropriété divise sont énoncés aux articles 25 à 40 du règlement.

[22]            Les articles 25, 26, 27 28, 29, 30 (1) et (4), 106, 116 et 120  du Règlement sont pertinents pour les fins du présent litige. Il importe de les reproduire ici au long pour faciliter la compréhension du propos:

« I. Couverture de la garantie

25.        Pour l'application de la présente sous-section, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

"fin des travaux des parties communes»:   la date à laquelle tous les travaux de l'entrepreneur convenus par écrit avec le bénéficiaire et relatifs aux parties communes sont exécutés et le bâtiment est en état de servir conformément à l'usage auquel on le destine;

«fin des travaux des parties privatives»:  la date à laquelle tous les travaux de l'entrepreneur convenus par écrit avec le bénéficiaire et relatifs à sa partie privative sont exécutés ou au plus tard la date de fin des travaux des parties communes;

«parachèvement des travaux»:  le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment et prévus au contrat original conclu entre le bénéficiaire et l'entrepreneur et celui des travaux complémentaires convenus par écrit entre les parties;

«parties communes»:  celles faisant partie du bâtiment et énumérées à l'acte constitutif de copropriété ou, en l'absence de dispositions spécifiques dans cet acte, celles énumérées à l'article 1044 du Code civil;

«réception de la partie privative»:  l'acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter la partie privative qui est en état de servir à l'usage auquel on la destine et dont, s'il y a lieu, certains travaux sont à parachever ou à corriger;

«réception des parties communes»:  l'acte par lequel un professionnel du bâtiment choisi par le syndicat de copropriétaires déclare la date de la fin des travaux des parties communes.  Cette déclaration s'effectue à la suite de la réception d'un avis de fin des travaux expédié par l'entrepreneur à chaque bénéficiaire connu et au syndicat de copropriétaires.

26. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:

      1)   dans le cas d'un contrat de vente;

a)                  soit les acomptes versés par le bénéficiaire;

b)                  soit le parachèvement des travaux lorsque le bénéficiaire est détenteur de titres de propriété et qu'une entente à cet effet intervient avec l'administrateur;

2)   dans le cas d'un contrat d'entreprise:

a)                  soit les acomptes versés par le bénéficiaire à la condition qu'il n'y ait pas d'enrichissement injustifié de ce dernier;

b)                  soit le parachèvement des travaux lorsqu'une entente à cet effet intervient avec l'administrateur;

3)   le relogement, le déménagement et l'entreposage des biens du bénéficiaire dans les cas suivants:

a)      le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l'entrepreneur à moins que les acomptes ne soient remboursés;

b)      il ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l'entrepreneur afin de permettre à l'administrateur de parachever le bâtiment.

27.       La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:

1)                  le parachèvement des travaux dénoncés, par écrit, au moment de la réception de la partie privative ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les trois jours qui suivent la réception;

2)                  la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n'a pas emménagé, dans les trois jours qui suivent la réception;

3)                  la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;

4)                  la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les trois ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;

5)                  la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les cinq ans suivant la fin des travaux des parties communes ou, lorsqu'il n'y a pas de parties communes faisant partie du bâtiment, de la partie privative et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

Le défaut de se conformer aux règles de l'art ou à une norme en vigueur applicable au bâtiment notamment celles contenues au Code national du bâtiment du Canada, au Code canadien de l'électricité et au Code de plomberie constitue une malfaçon sauf s'il ne porte pas atteinte ou n'est pas de nature à porter atteinte à la qualité, à la sécurité ou à l'utilisation du bâtiment.

28.       Dans le cas d'intervention de l'administrateur pour parachever ou corriger des travaux relatifs à un bâtiment, le bénéficiaire doit faire retenir par son institution financière ou verser dans un compte en fidéicommis auprès d'un avocat, d'un notaire ou de l'administrateur du plan toute somme encore due en vue du paiement final des travaux qui seront exécutés par l'administrateur pour compléter ou corriger les travaux prévus au contrat original ou les travaux supplémentaires prévus à toute entente écrite convenue avec l'entrepreneur.» (nos soulignés)

« II.  Exclusions de la garantie

29.       Sont exclus de la garantie:

            1)         la réparation des défauts dans les matériau et l'équipement fournis et installés par le bénéficiaire d'une partie privative;

            2)         les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements;

            3)         les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l'entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire;

            4)         les dégradations résultant de l'usure normale du bâtiment;

            5)         l'obligation de relogement, de déménagement et d'entreposage des biens du bénéficiaire et les réparations rendues nécessaires à la suite d'événements de force majeure tels les tremblements de terre, les inondations, les conditions climatiques exceptionnelles, la grève et le lock-out;

            6)         la réparation des dommages découlant de la responsabilité civile extra-contractuelle de l'entrepreneur;

            7)         la réparation des dommages résultant des sols contaminés y compris le remplacement des sols eux-mêmes;

            8)         l'obligation d'un service public d'assurer l'alimentation en gaz ou en électricité du bâtiment;

            9)         les espaces de stationnement et les locaux d'entreposage situés à l'extérieur du bâtiment où se trouvent les unités résidentielles et tout ouvrage situé à l'extérieur du bâtiment tels les piscines extérieures, le terrassement, les trottoirs, les allées et le système de drainage des eaux de surface du terrain;

            10)       les promesses d'un vendeur à l'égard des coûts d'utilisation ou de consommation d'énergie d'appareils, de systèmes ou d'équipements entrant dans la construction d'un bâtiment;

            11)       les créances des personnes qui ont participé à la construction du bâtiment.

            Toutefois, les exclusions visées aux paragraphes 2 et 5 ne s'appliquent pas si l'entrepreneur a fait défaut de se conformer aux règles de l'art ou à une norme en vigueur applicable au bâtiment au sens de l'article 27.»

« III.     Limites de la garantie

30.       La garantie d'un plan relative à un bâtiment détenu en copropriété divise est limitée aux montants suivants:

            1.         pour les acomptes, 30 000 $ par fraction prévue à la déclaration de copropriété;

                        […]

            4.         pour le parachèvement et la réparation des vices et malfaçons à l'égard d'un bâtiment multifamilial, le moindre des deux montants suivants:

            a)         le montant total du prix d'achat des fractions contenues dans le bâtiment ou le montant total inscrit au contrat d'entreprise;

c)      un montant égal à 100 000 $ multiplié par le nombre de parties privatives contenues dans le bâtiment sans toutefois excéder 2 000 000 $ par bâtiment. […]»

« Demande d'arbitrage

106.     Tout différend portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l'annulation de l'adhésion d'un entrepreneur relève de la compétence exclusive de l'arbitre désigné en vertu de la présente section.

            Peut demander l'arbitrage, toute partie intéressée:

            1)          pour une réclamation, le bénéficiaire ou l'entrepreneur;

            2)          pour une adhésion, l'entrepreneur;

            La demande d'arbitrage concernant l'annulation d'une adhésion d'un entrepreneur ne suspend pas l'exécution de la décision de l'administrateur sauf si l'arbitre en décide autrement.»

«116.   Un arbitre statue conformément aux règles de droit;  il fait appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient.»

«120.   La décision arbitrale, dès qu'elle est rendue, lie les parties intéressées et l'administrateur.

            La décision arbitrale est finale et sans appel.»

[23]            Le règlement distingue les protections offertes par le plan de garantie avant et après la réception des travaux. Aucune disposition ne règle précisément le cas où l'inexécution de l'entrepreneur survient après la réception d'une partie privative et avant la réception des parties communes.  

[24]            La réception d'une partie privative est l'acte par lequel l'acheteur accepte une partie privative qui est en état de servir à l'usage auquel on la destine et à l'égard de laquelle certains travaux peuvent demeurer à parachever ou à corriger.

[25]            Quant à la réception des parties communes, elle fait référence à l'acte par lequel un professionnel du bâtiment, choisi par le syndicat des copropriétaires, déclare la date de la fin des travaux des parties communes.

[26]            Ainsi, la protection offerte aux bénéficiaires avant la réception de l'ouvrage couvre soit le remboursement d'acomptes, soit le parachèvement des travaux.

[27]            Lorsque l'inexécution de l'entrepreneur survient après la réception de l'ouvrage, la protection offerte couvre uniquement le parachèvement des travaux dénoncés au moment de la réception des parties privatives, la réparation des vices et des malfaçons apparentes, la réparation de malfaçons existantes et non apparentes dénoncés dans les 2 ans, la réparation des vices cachés découverts dans les 3 ans, la réparation des vices de conception, des vices de construction ou de réalisation et des vices de sol qui apparaissent dans les 5 ans de la fin des travaux dans les parties communes et, à défaut de parties communes, dans les parties privatives si dénoncés par écrit dans un délai raisonnable n'excédant pas 6 mois. [15]      

[28]            En l'espèce, les  mis en cause ont demandé le parachèvement des travaux dans les parties communes après la réception de leurs parties privatives mais avant la réception des parties communes.

[29]            La Garantie prétend qu'elle était justifiée de refuser leur réclamation parce que  le parachèvement des travaux dans les parties communes n'était pas couvert par le plan de garantie de l'APCHQ avant réception des parties communes. Elle souligne également que le syndicat des copropriétaires est le bénéficiaire assuré en ce qui concerne les parties communes et que le parachèvement des travaux n'est possible que si une entente intervient entre l'administrateur et le syndicat, ce qui fait défaut ici.

[30]            Elle soumet que la décision arbitrale doit être révisée parce que, selon le plan de garantie,

-         les mis en cause ne pouvaient ni exiger le parachèvement des travaux ni recevoir des montants compensatoires pour y procéder eux-mêmes;

-         les mis en cause n'avaient pas droit de recevoir un remboursement d'acomptes parce que l'inexécution de l'entrepreneur est survenu après la signature d'actes translatifs de propriété et que le paiement du prix de vente a fait disparaître les acomptes versés lors de la signature des promesses d'achat.

-         le remboursement d'acomptes, même s'il pouvait être ordonné, ne pouvait pas excéder la limite prévue au règlement de 30 000 $ par fraction;

-         les mis en cause n'avaient pas droit en vertu du plan de garantie à une indemnité pour compenser les coûts liés au parachèvement des travaux dans les parties communes parce qu'ils n'étaient pas bénéficiaires de la garantie et qu'aucune entente n'a été conclue avec le syndicat.

La décision arbitrale

[31]            L’arbitre reconnaît qu'une interprétation littérale du règlement peut porter à conclure, du moins à première vue, que la protection offerte par le plan de garantie de l'APCHQ ne couvre pas le parachèvement des parties communes. 

[32]            Il se dit cependant en désaccord avec cette conclusion sur le plan du droit et de l'équité. En effet, selon lui, le cadre général du règlement n'exclut pas le parachèvement des travaux dans les parties communes. 

[33]            En vertu de l'article 26.1, le droit au remboursement des acomptes serait acquis aux personnes qui ont transigé avec l'entrepreneur vendeur pour l'acquisition des parties privatives tandis que ce droit serait acquis au syndicat des copropriétaires en ce qui concerne les parties communes.

[34]            En pratique cependant, il observe que le syndicat n'est pas véritablement un détenteur de titres, il serait donc forclos d'obtenir un remboursement d'acomptes au sens de cet article. De plus, comme, en l'espèce, l'administrateur provisoire du syndicat était l'entrepreneur vendeur en défaut, il était peu vraisemblable qu'il en fasse la demande ou qu'une entente intervienne entre lui et la Garantie pour le parachèvement des travaux.

[35]            Force est donc de conclure que des difficultés d'interprétation et d'application existent en regard de l'article 26 du règlement lorsque l'inexécution de l'entrepreneur survient après la réception de parties privatives mais avant la réception des parties communes.

[36]            Cette question a d'ailleurs déjà fait l'objet des commentaires suivants par les auteurs Doyon et Crochetière:

«L'article 26 concerne les obligations légales et contractuelles de l'entrepreneur général que l'administrateur du plan doit couvrir avant la réception de la partie privative par le bénéficiaire acquéreur des parties ou des parties communes par le professionnel du bâtiment agissant pour et au nom du syndicat des copropriétaires.

À cet égard, quoique l'article 26 ne semble pas soulever, dans l'ensemble, de difficulté particulière en ce qui concerne la garantie avant réception d'une partie privative par le bénéficiaire acquéreur, l'on peut s'interroger sur l'applicabilité, voire la possibilité d'application de cette disposition avant la réception des parties communes du bâtiment. En effet, le syndicat des copropriétaires, comme nous l'avons rappelé antérieurement, est simplement bénéficiaire désigné pour l'exercice de la garantie sur les parties communes.

N'ayant pas conclu de contrat avec l'entrepreneur général, il ne peut cadrer ici comme bénéficiaire de la garantie avant réception, ne pouvant réclamer ni le remboursement des acomptes, ni le parachèvement des travaux, ni une indemnité relative au relogement, au déménagement ou à l'entreposage.[…]»[16]

[37]            L'arbitre note qu'en vertu des règles du droit civil, ce sont les copropriétaires eux-mêmes, et non le syndicat des copropriétaires, qui sont les détenteurs des titres de propriété sur les parties privatives et les parties communes. 

[38]            Les articles 1046 et 1047 C.c.Q. précisent en effet que:

«1046.  Chaque copropriétaire a sur les parties communes un droit de propriété indivis. Sa quote-part dans les parties communes est égale à la valeur relative de sa fraction.»

«1047. Chaque fraction constitue une entité distincte et peut faire l'objet d'une aliénation totale ou partielle; elle comprend, dans chaque cas, la quote-part des parties communes afférentes à la fraction, ainsi que le droit d'usage des parties communes à usage restreint, le cas échéant.» 

[39]            Compte tenu de ce qui précède, l'arbitre en est venu à la conclusion que l'acompte versé à l'entrepreneur vendeur par chacun des copropriétaires constituait «un acompte global pour la partie privative et les parties communes» et qu'il n'existait pas «d'acompte spécifique pour les parties communes».  Il s'ensuit, selon lui, que les mis en cause ont droit à un remboursement des acomptes versés pour les parties communes ou à une indemnité en tenant lieu.

[40]            Au paragraphe 107 de sa décision, l'arbitre mentionne:

«En toute équité et selon les termes de l'article 26.1a) du décret, l'administrateur se devait de rembourser les acomptes versés par les douze bénéficiaires.  Si l'article 26.1b) ne s'applique pas vu qu'il n'y a pas eu d'entente, et ce, en admettant que le syndicat soit détenteur de titres, c'est l'article 26.1a) qui s'applique; c'est  l'un ou l'autre et non pas ni l'un ni l'autre.» [17] 

[41]            Il note, qu'en vertu de l'article 30 du règlement, le montant maximum qui peut être remboursé à titre d'acompte est de 30 000 $ par fraction.

[42]            En l'espèce, cependant, comme le remboursement d'acomptes est destiné à servir au parachèvement des travaux, il considère que la limite de 100 000 $ par fraction qui est prévue à l'article 30.4 est plus appropriée. Il accorde donc 37 500 $ pour chaque fraction de co-propriété.

[43]            Cette somme de 37 500 $ a été établie en tenant compte du coût des travaux estimé par les experts (429 668 $) déduction faite des exclusions non couvertes par le plan de garantie  (26 056 $) soit  403 604 $ ou 33 634 $ par unité. Il a ensuite réparti une somme additionnelle de 46 392 $ sur les 12 unités pour tenir compte des frais inhérents à la détérioration du site, à l'obligation d’effectuer des travaux conservatoires et à la nécessité de réviser à la hausse la provision de 10%  qui a été retenue pour les imprévus et il a alloué un montant additionnel de 3 866 $ par unité. 

La demande de révision

[44]            La Garantie soutient que l'arbitre a excédé sa juridiction parce qu'il a modifié la portée du plan de garantie.

[45]            L'article 116 du règlement précise que l'arbitre doit décider selon les règles de droit et mentionne qu'il peut faire appel aux règles de l'équité si les circonstances le justifient. 

[46]            C'est le cas, notamment, lorsque l'application littérale des dispositions du règlement ne permettent pas de remédier à une situation donnée[18] ou lorsque les circonstances font en sorte que l'interprétation stricte du règlement est susceptible d'entraîner un déni de justice parce qu'elle ne permet pas d'en appliquer l'esprit et d'assurer la protection des droits des parties. [19]

[47]            En l'espèce, l'arbitre justifie son recours à l'équité par les circonstances particulières de la cause et par le fait que l'application littérale de l'article 26.1 du règlement était susceptible en l'espèce de causer une injustice parce qu'elle ne permettrait pas de tenir compte de l'esprit et du cadre général du règlement.

[48]            Aux paragraphes 98 à 102 de sa décision, il mentionne ce qui suit :

«[98]     L'article 116 du plan permet à l'arbitre de faire appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient;

[99] Or, la décision de l'administrateur a créé les circonstances suivantes.

[100] Dans la foulée de la faillite de l'entrepreneur, sept bénéficiaires ayant signé un contrat préliminaire ont été indemnisés;  leur cauchemar prenait fin ou presque (ils n'avaient qu'à se trouver un autre logement).  Quant aux cinq bénéficiaires détenteurs de titres de propriété, ils n'ont reçu aucune indemnisation, en plus d'hériter d'une dette importante pour le parachèvement des travaux des parties communes;  pour eux débutait un calvaire qui allait durer quelques années;

[101] Ce qui a fait dire au procureur des demandeurs que les bénéficiaires avec titres ont moins de droits que ceux qui n'en détiennent pas.

[102]     Selon M. Ouimet, directeur du Service d'inspection et de conciliation, l'administrateur a refusé de rembourser les acomptes des cinq propriétaires détenteurs de titres parce que ces derniers n'y sont pas admissibles.»[20]

[49]            Considérant que l'arbitre avait droit de faire appel aux règles de l'équité pour disposer du litige si les circonstances le justifiaient d'agir ainsi et que cela était clairement le cas en l'instance, il s'ensuit qu'il n'a pas commis d'erreur révisable sur ce point.

[50]            Cela dit, il reste à déterminer si, dans l'exercice de sa juridiction, il a rendu une décision manifestement déraisonnable en ignorant les règles de droit et en modifiant la portée de la garantie.

La norme de contrôle applicable

[51]            La révision judiciaire d'une décision arbitrale telle que celle rendue en l'instance suppose une analyse préalable de la norme de contrôle applicable.  Cette norme dicte le degré de retenue judiciaire dont doit faire preuve le Tribunal à l'égard de la décision.

[52]            L'analyse pragmatique et fonctionnelle requiert la prise en compte de 4 facteurs : (1) l’existence d’une clause privative ou d’un droit d’appel, (2) l'objet de la loi dans son ensemble et des dispositions particulières en litige, (3) l'expertise relative de l'arbitre et (4) la nature de la question soumise.

[53]            Ces quatre facteurs doivent être appréciés conjointement et déterminent le choix de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en tenant compte de l’intention du législateur quant à l’exclusivité de la compétence conférée au tribunal qui est soumis au pouvoir de surveillance et de contrôle du tribunal de révision. [21]

[54]            Le degré de déférence dont le Tribunal doit faire preuve varie selon que la norme retenue est la décision correcte, la décision déraisonnable ou la décision manifestement déraisonnable.  La première impose peu de retenue envers la décision du tribunal inférieur, alors que la dernière se situe à l’autre extrémité du spectre.

[55]            En l'espèce, les procureurs ont représenté au Tribunal que la norme de contrôle qui devait être retenue était celle de «la décision manifestement déraisonnable».

[56]            Le Tribunal est également de cet avis.  En effet, il ressort de l’analyse pragmatique et fonctionnelle et de ces quatre facteurs contextuels que la norme applicable est celle de « la décision manifestement déraisonnable».

[57]            Le législateur a pris soin de préciser à l'article 120 du règlement que la décision arbitrale, dès qu'elle est rendue, lie les parties intéressées et l'administrateur  et qu'elle est finale et sans appel.

[58]            Bien qu'il ne s'agisse pas ici d'une clause privative intégrale selon le sens donné à cette expression par la Cour suprême, notamment parce qu'elle n'écarte pas explicitement le contrôle judiciaire[22], cette disposition, combinée à l'article 106 du règlement, donne une indication claire de l'intention du législateur de protéger l'autonomie décisionnelle de l'arbitre sur les questions qui relèvent de sa compétence.

[59]            Par ailleurs, l'objet du règlement, de même que le caractère spécialisé du régime de garantie et l'existence d'un mécanisme de règlement des différends bien défini sont des éléments qui militent en faveur d'un degré de déférence élevé envers le tribunal qui a rendu la décision.

[60]            Dans l'affaire Garantie Habitation du Québec inc. c. Lebire[23],  monsieur le juge Dufresne a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle de la norme de contrôle applicable à une décision arbitrale rendue en vertu de ce règlement et il a conclu que la norme appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable.

[61]            Le Tribunal ne peut mieux faire que de reprendre ici ses propos:

«68.      De l'ensemble des dispositions du Règlement, le Tribunal retient que le législateur a voulu mettre en place un mode alternatif de résolution des réclamations ou différends qui peuvent survenir à l'occasion de la construction ou de la vente d'un bâtiment résidentiel neuf.  Le recours à l'arbitrage en vertu du Règlement n'écarte pas les autres recours dont disposent l'entrepreneur et le bénéficiaire en vertu notamment du Code civil du Québec.

69.        Le législateur veut, par l'adhésion obligatoire de tout entrepreneur à un plan de garantie dont les caractéristiques sont définies au Règlement, donner ouverture à un mode de résolution des réclamations ou des différends survenus à l'occasion de la construction ou de la vente d'un bâtiment résidentiel neuf qui soit plus souple, plus rapide et moins coûteux pour les parties à un contrat assujetti au Règlement.

[…]

72.        Qui plus est, l'intention du législateur est clairement exprimée, tant dans la Loi que dans le Règlement:  il a voulu mettre en place un système pour répondre de façon rapide et à moindre coût aux différends pouvant survenir entre l'entrepreneur et l'acheteur d'un bâtiment résidentiel neuf.

73.        L'objet de la loi et du Règlement vise à déjudiciariser les réclamations ou différends découlant d'un contrat de construction ou de vente couverts par le Règlement, en favorisant un mode alternatif de résolution.

74.        Le recours civil est toujours disponible aux parties au contrat, mais la procédure d'arbitrage retenue par le législateur vise à accélérer la résolution du différend qui oppose l'acheteur et son entrepreneur.

75.        Dans ces conditions, il apparaît qu'il faille faire preuve de retenue judiciaire.  Le Tribunal n'interviendra qu'au cas de défaut ou d'excès de compétence ou si la décision est manifestement déraisonnable au point d'être clairement irrationnelle;  (nous soulignons)». [24]

[62]            En matière de révision judiciaire, l'expertise relative du tribunal qui a rendu la décision est un des facteurs d'analyse les plus importants pour déterminer le degré de déférence dont doit faire preuve le juge de révision.[25]

[63]            En l'espèce, l'article 112 du règlement précise que «seules les personnes physiques ayant de l'expérience dans les plans de garantie ou la formation professionnelle dans les matières se rapportant aux questions soulevées par l'arbitrage notamment en finance, en comptabilité, en technique de la construction ou en droit peuvent être accréditées comme arbitres auprès de l'organisme d'arbitrage.»

[64]            De ce fait, le Tribunal est justifié de présumer que l'arbitre a une certaine expérience dans les plans de garantie et une formation professionnelle dans les matières relatives à l'arbitrage.[26]  

[65]            Également, sur le plan institutionnel, il y a lieu de noter que l'arbitre désigné pour entendre le litige relève d'un organisme d'arbitrage qui a été autorisé par la Régie[27]. Il est donc juste de considérer que cet arbitre a une certaine expertise dans la question qui lui a été soumise et qu'il rencontre par ailleurs les conditions d'éligibilité mentionnées au règlement pour agir dans la présente affaire.

[66]            La possibilité pour l'arbitre de faire appel aux règles de l'équité constitue en outre une marque de reconnaissance par le législateur qu'il a une certaine marge de manœuvre pour disposer au mieux des différends qui surviennent entre les bénéficiaires de la garantie et l'administrateur du plan lorsque l'application stricte des dispositions du plan ne permettent pas de remédier à une injustice.

[67]            L'arbitre peut ainsi suppléer au silence du règlement et agir comme amiable compositeur. Dans un tel cas, le Tribunal doit donc limiter son intervention à sanctionner ce qui est manifestement déraisonnable.[28]

[68]            Quant à la résolution du différend qui existait entre les mis en cause et la Garantie, il faisait appel à l'interprétation et l'application d'un texte réglementaire dont l'arbitre avait une connaissance considérable puisque ce règlement est la source de sa compétence exclusive.[29] 

[69]            En effet, l'article 106 du règlement confie à un arbitre le soin de trancher tout différend portant sur une décision de l'administrateur concernant une réclamation. 

[70]            En l'espèce, il devait trancher le différend entre la Garantie et les mis en cause  selon les règles de droit et pouvait, si nécessaire, faire appel aux règles de l'équité. Ce faisant, il devait interpréter le règlement et l'appliquer à la situation vécue par les mis en cause. Il devait donc décider si la garantie donnait droit à un remboursement d'acomptes ou au parachèvement des travaux et, dans l'affirmative, le montant de l'indemnité qui devait être versée en exécution de la garantie.

[71]            Il s'agit là d'une question mixte de fait et de droit puisque l'arbitre devait déterminer la portée de la garantie à la lumière des circonstances particulières du dossier. La nature de la question soumise à l'arbitre justifie donc un certain degré de déférence à l'égard de la décision rendue.

[72]            Suite à cette analyse, le Tribunal en vient donc à la conclusion que la norme de contrôle qui doit être retenue est celle de «la décision manifestement déraisonnable».  La Cour d'appel s'est d'ailleurs déjà prononcée en ce sens dans l'arrêt Desindes.[30]

[73]            La «décision manifestement déraisonnable» est un concept juridique qui a fait l'objet de nombreux écrits. Selon le professeur Garant, il s'agit d'une décision que l'on peut qualifier d'irrationnelle ou dont les conclusions sont dénuées de justification, bref, d'une décision clairement absurde:

«La norme du manifestement déraisonnable a été tout d'abord présentée comme une norme très sévère, très restrictive. Plusieurs juges n'ont pas hésité à utiliser le terme «absurde» pour qualifier alors la décision contrôlée. Or, l'important dans le manifestement déraisonnable tout comme dans le simplement déraisonnable, c'est le caractère «irrationnel» de la décision; ce terme utilisé par plusieurs juges nous paraît plus éclairant. Ce qui est rationnel fait appel à la raison et au raisonnement. C'est dans cette optique que le juge Iaccobucci dans Southam définit la décision déraisonnable comme celle «dont l'ensemble n'est étayé par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé», soit qu'il n'y ait «aucune assise dans la preuve» soit que la conclusion «va à l'encontre de l'essentiel de la preuve», soit qu'il y a une contradiction dans les prémisses. Dans MacDonnell, les juges Bastarache et LeBel parlent «d'une conclusion dénuée de justification[…] et surtout qu'elle résulte d'un raisonnement erroné». Dans Conseil de l'Éducation de Toronto, le juge Corry écrit que la décision sera invalidée «uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement est incapable d'étayer les conclusions du tribunal. Dans Royal Oak Mines, la majorité écrit qu'est déraisonnable «une réparation qui n'a pas de lien rationnel avec la violation et ses conséquences ou qui est incompatible avec les objectifs visés par la loi.[…]»[31].

[74]            En l'espèce, la demanderesse plaide que la décision est manifestement déraisonnable parce que l'arbitre a fait appel aux règles de l'équité pour modifier la portée de la garantie. Elle ajoute que les dispositions du règlement sont d'ordre public et que toute disposition inconciliable contenue dans un plan de garantie qui y est assujetti est nulle.

[75]            Il est acquis au débat que l'arbitre doit trancher le litige suivant les règles de droit et qu'il doit tenir compte de la preuve déposée devant lui.  Il doit interpréter les dispositions du Règlement et les appliquer au cas qui lui est soumis. Il peut cependant faire appel aux règles de l'équité lorsque les circonstances le justifient. Cela signifie qu'il peut suppléer au silence du règlement ou l'interpréter de manière plus favorable à une partie.

[76]            L'équité est un concept qui fait référence aux notions d'égalité, de justice et d'impartialité qui sont les fondements de la justice naturelle. Dans certains cas, l'application littérale des règles de droit peut entraîner une injustice. Le recours à l'équité permet, dans certains cas,  de remédier à cette situation.

[77]            Les propos tenus par la professeure Raymonde Crête dans un article récent  permettent de mieux saisir la nature et les limites du pouvoir de l'arbitre en matière d'équité:

 « PRELIMINARY REMARKS ON THE CONCEPT OF EQUITY

7.  For a better understanding of the scope of the equitable remedies that are provided by the legislation, it is important to shed some light on the foundational concept of equity.7 According to its first accepted understanding, equity refers to the notions of equality, fairness, and impartiality, which are associated with the standards of natural justice.8 In this broad sense, the concept of "equity" encompasses all the institutions and rules of law designed to attain the objective of justice.

8.  In certain circumstances, the application of the rules of substantive law can, due to their general nature, result in injustice. They are sometimes incapable of capturing the complex reality of life in society.9 For the purposes of preventing injustice, "equity", in a more restricted sense, leads judicial authorities to override or supplement the strict rules of law by taking into account the particular circumstances of each case.10 One author refers to these overriding and supplementary functions of "equity" in the following terms: "an opposition to the rigidity of the law, of the 'strict law'".11

9.  In the English tradition, the term "equity" refers to the rules and doctrines that were applied to temper the rigidity, which characterized the common law in the thirteenth and fourteenth centuries.12 The equitable jurisdiction was originally administered by the Lord Chancellor and later by the Court of Chancery to correct or supplement the common law.13 The Courts of Equity recognized new rights and remedies by referring to the broad concepts of conscience, good faith, justice, and fairness.14 Gradually these equitable rules and doctrines evolved, in the Seventeenth Century, into a formal system of law that existed parallel to the common law.15 Since the enactment of the Judicature Acts 1873-75 in England, both systems of common law and Equity are administered by the same courts, although legal scholars and judicial authorities still view them as distinct.16

10.  In jurisdictions with a tradition of Civil Law, like those with a tradition of Common Law, equity also constitutes a fundamental concept that originally manifested itself in the rules and doctrines of the Roman Praetorian Law. However, unlike its historical development in English law, equity has always remained an integral part of the Civil Law systems.17 In Private Law, the concept finds its expression in its overriding function, notably where judges, aware of their inability to overtly override the explicit norms, temper the power of those norms with a skilful interpretation of the law and of the facts in such a way as to adopt what is clearly the fairest decision.18 To reach this end, the arbiter may call on a general principle to reduce the extent of a specific clause or may bring particular attention to certain facts and play down others.19

11. Equity also manifests itself in substantive law, by the integration of a number of "notions of variable content".20 These include specific rules founded on the interests of justice, which allow the courts to derogate and to add to the legislative and contractual norms. Notably, the Civil Code of Quebec imposes certain requirements of 'good faith', which transcend the respect of strict rights.21 They prohibit the abusive or unreasonable exercise of rights and recognize the auxiliary role of 'equity' in the determination of contractual obligations. They also introduce the rule of contractual justice, which aims at re-establishing an equilibrium between the obligations of the parties. These rules and principles effectively legitimize overriding and auxiliary judicial interventions aimed at finding the fairest solution in the circumstances. As mentioned by Philippe Jestaz, the auxiliary function of equity is possible, "when the legislator refuses to give a precise command and leaves in the hands of the judges the task of preceding individual treatment (within certain legal limits).»[32]

[78]            Dans la présente cause, l'arbitre analyse le règlement afin de déterminer la nature et la portée des protections dont peuvent bénéficier les mis en cause en vertu du règlement.

[79]            Les motifs à l'origine de sa décision d'allouer le remboursement d'acomptes en vertu de l'article 26.1 du règlement sont expliqués et son raisonnement n'est pas dénué de fondement sur le plan juridique.

[80]            La décision d'appliquer la limite de 100 000 $ prévue au paragraphe (4) de l'article 30 du règlement  plutôt que celle de 30 000 $ mentionnée au paragraphe (1) de cet article n'est pas manifestement déraisonnable compte tenu des circonstances.

[81]            Finalement, l'octroi de sommes payables directement aux mis en cause en guise de remboursement d'acomptes plutôt que le versement d'un montant au syndicat tient compte, à la fois, du droit des mis en cause d'obtenir le remboursement partiel du prix de vente qu'ils ont versé à l'entrepreneur vendeur pour les travaux exécutés dans les parties communes et de l'impossibilité, pour ces derniers comme pour le syndicat, de conclure une entente avec l'administrateur concernant le parachèvement des travaux.

[82]            Le Tribunal en vient donc à la conclusion que l'arbitre n'a pas modifié la portée de la garantie et qu'il n'a pas excédé sa juridiction. L'interprétation qu'il a faite des dispositions du règlement, même si elle était très favorable aux mis en cause, n'était pas manifestement déraisonnable dans les circonstances, d'autant qu'en vertu de l'article 116 du règlement, il avait le droit de recourir à l'équité pour disposer du litige. La révision judiciaire qui est demandée par la Garantie doit en conséquence être refusée. 

[83]             POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

[84]            REJETTE  la requête de la demanderesse

[85]            LE TOUT, avec dépens.

 

 

__________________________________

Michèle Monast, j.c.s.

 

Me Jacinthe Savoie

Savoie Fournier

Procureurs de la demanderesse

 

Me Jacques St-Louis

 

Procureur des mis en cause

 

Date d’audience :

3 mai 2007

 

 



[1] L.R.Q., c. C-38

[2] L..R.Q., c. B-1.1

[3] R.R.Q., c. B-1.1, R.0.2

[4] Pièce R-1, p. 16

[5] Précité note 3, article 106

[6] Précité note 3, article 116

[7] Pièce R-9, pages 20-21

[8] L.R.Q., c. B-1.1

[9] Précité note 3, article 19(4)

[10] Précité note 3, article 19(6)

[11] Précité note 3, article 6

[12] Précité note 3, article 3

[13] Précité note 3, article 5

[14] CROCHETIÈRE, Serge: Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiel neufs; L'édification du nouveau droit de la construction, Les journées Maximilien Caron 1999, Université de Montréal, Les Éditions Thémis, p.130

[15] Précité note 3, article 27

[16] DOYON, Gilles et CROCHETIÈRE, Serge: Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs commenté, Les Éditions Yvon Blais inc, 1999, p.95

[17] Pièce P-9, p.17

[18] Lapointe et Construction Réjean D'Astous inc. AZ-50396380 ,  (A. Fournier, arbitre)

[19] Coulombe et Data Construction inc. AZ-50391090 (A. Fournier, Arbitre)

[20] Pièce P-9, p. 16

[21] Dr.Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia [2003] 1 R.C.S. 226

[22] Pasiechnyk c. Saskatchewan (Worker's Compensation Board) [1997] 2 R.C.S. 890

[23] J.E. 2002-1514 (C.S.)

[24] Précité note 24, pp. 11-12

[25] Canada(Directeur des enquêtes et des recherches) c. Southam inc. [1997] 1 R.C.S. 748

[26] Rénovation Marc Cléroux c. Société pour la résolution des conflits inc., AZ-5022379 (C.S.)

[27] Précité note 3, article 128

[28] PRUJINER, Alain: «L'arbitre, le droit et l'amiable composition», Développements récents en arbitrage civil et commercial, Les Éditions Yvon Blais, (1997) p. 37

[29] Précité note 3, article 106

[30] Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Desindes et al, J.E. 2005-132 (C.A.);

[31] GARANT, Patrice:  Droit administratif, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p.682.

[32] CRETE, Raymonde: «Dealing with Unfairness: Some observations on the Role of the Courts in Designing a Fair Solution», (2003) 36 U.B.C.L. Rev.519-540.