ARBITRAGE
RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Chapitre B-1.1, r. 8)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec:
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE CHICOUTIMI
No : S20-092801-NP
Lyne Martel
Denis Asselin
Bénéficiaires
c.
Construction Platinum Saguenay Inc.
Entrepreneur
Et :
Garantie Construction Résidentielle (GCR)
Administrateur
DÉCISION ARBITRALE
Arbitre : Roland-Yves Gagné
Pour les Bénéficiaires : Madame Lyne Martel
Monsieur Denis Asselin
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Patrick Simard
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Monsieur Yvan Gadbois
Date de l’audience : 11 décembre 2020
Date de la décision : 16 décembre 2020
DESCRIPTION DES PARTIES
BÉNÉFICIAIRES:
Madame Lyne Martel
Monsieur Denis Asselin
[...]
Saguenay, Qc. [...]
ENTREPRENEUR :
Construction Platinum Saguenay Inc.
a/s Monsieur Patrick Simard
1175 rue de la Moisson
Saguenay, Qc. G7N 1G3
ADMINISTRATEUR :
Garantie Construction Résidentielle
a/s Me Pierre-Marc Boyer
4101 3e étage, rue Molson
Montréal, Qc. H1Y 3L1
PIÈCES
À l’audience, l’Administrateur a produit les pièces suivantes :
Document(s) contractuel(s)
A-1 Contrat préliminaire signé le 4 novembre 2017 ;
A-2 Contrat de garantie signé le 26 janvier 2018 ;
Dénonciation(s) et réclamation(s)
A-3 En liasse, le courriel de l’avis de 15 jours, transmis à l’Entrepreneur le 13 janvier 2020, auquel sont joints :
Le formulaire de dénonciation daté du 28 novembre 2019 ;
Le formulaire de mesures à prendre par l’Entrepreneur, vierge ;
La preuve de remise de l’avis de 15 jours à l’Entrepreneur ;
Décision(s) et demande(s) d'arbitrage
A-4 En liasse, la décision de l'Administrateur datée du 11 mai 2020, ainsi que la preuve de remise par courriel ;
A-5 Courriel de la notification de l'organisme d'arbitrage daté du 2 octobre 2020, auquel sont joints :
La notification d’arbitrage ;
La première page de la décision de l’administrateur ;
Un échange de courriels transmis par les Bénéficiaires à l’organisme d’arbitrage daté du 24 mai au 28 septembre 2020 ;
La nomination d’arbitre.
A-6 Curriculum Vitae d’Yvan Gadbois.
Les Bénéficiaires ont produit les pièces suivantes :
B-1 Courriel du 18 novembre 2020 contenant trois photos : B-1A, B-1B et B-1C.
INTRODUCTION
[1] Les Bénéficiaires ont produit une demande d’arbitrage en vertu de l’Article 19 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neuf (ci-après le Règlement).
[2] Aucune objection quant à la compétence du Tribunal d’arbitrage n’a été soulevée par les parties et la juridiction du Tribunal est alors confirmée.
[3] Vu les mesures sanitaires actuelles, l’audition s’est tenue par moyens technologiques (Zoom).
[4] Lors de la conférence de gestion tenue précédemment :
[4.1] le Tribunal a rappelé qu’il est saisi d’un recours en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le présent recours n’est pas un recours de droit commun contre l’Entrepreneur mais vise à mettre en œuvre la garantie prévue au Règlement ;
[4.2] comme deux parties ne sont pas représentées par procureur, le Tribunal leur a envoyé, copie du Règlement ;
Différends
[4.3] les Bénéficiaires ont confirmé que les points qui sont soumis à l’arbitrage sont les points suivants de la décision du 11 mai 2020 :
[4.3.1] 1. Fini époxy au plancher de béton ;
[4.3.2] 2. Fini mat au plancher ;
[4.4] le Tribunal d’arbitrage a rappelé que l’audition porterait sur les motifs de rejet de la réclamation par l’Administrateur :
[4.4.1] soit le défaut dans le délai de dénonciation ;
Point 1 : « Toutefois, l’historique du dossier nous permet de comprendre que le vice caché que dénoncent les bénéficiaires est connu de leur part depuis l’hiver 2018-2019 et que celui-ci a été dénoncé par écrit à l’entrepreneur ainsi qu’à l’administrateur le 11 décembre 2019, soit plus de huit (8) mois suivant sa découverte. Ainsi donc, l’administrateur considère qu’il s’agit d’un délai de dénonciation déraisonnable. Dans les circonstances, les bénéficiaires ayant fait défaut de dénoncer le vice caché par écrit dans un délai raisonnable suivant sa découverte, l’administrateur doit rejeter la présente réclamation à l’égard du point 1. » ;
Point 2 : « Toutefois, l’analyse du dossier nous permet de constater que cette malfaçon apparente n’a pas été dénoncée dans les délais prévus au Règlement.
Dans les circonstances, en raison d’une dénonciation tardive, soit après la réception du bâtiment ou plus de 3 jours après la réception le cas échéant, l’administrateur doit rejeter la réclamation des bénéficiaires à l’égard du point 2. » ;
[4.4.2] car l’Administrateur avait constaté au point 1, la présence d’un vice caché et au point 2, la présence d’une malfaçon apparente :
Point 1 : « La visite des lieux nous a permis de constater que le point 1 rencontre les critères du vice caché au sens du paragraphe 4 de l’article 10 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. » (nos soulignés) ;
Point 2 : « La visite des lieux nous a permis de constater que le point 2 rencontre les critères de la malfaçon apparente au sens du paragraphe 2 de l’article 10 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. ».
PREUVE ET PLAIDOIRIE
[5] Le Tribunal note qu’il ne traitera que de la preuve du point 1 (fini époxy), car en concluant de donner raison aux Bénéficiaires pour le fini époxy, le point 2 (fini mat) devient purement académique.
[6] Le Bénéficiaire David Asselin témoigne à l’effet avoir complété son emménagement le 8 avril 2018.
[7] Il n’y a pas eu d’inspection pré-réception et de signature d’un formulaire à cet effet ;
[7.1] il n’a pas signé de document avec des choses qui restaient à faire (il en restait à l’extérieur).
[8] Le Tribunal note avoir demandé à tous si ce formulaire d’inspection pré-réception existait, la réponse a été négative, malgré les dispositions prévues à l’article 17[1] du Règlement.
[9] Pour le fini époxy, tant qu’il n’y avait pas de chauffage, il ne pouvait pas voir de bulles dans le plancher.
[10] C’est vers décembre 2018 qu’ils ont commencé à chauffer toute la maison, ils ont commencé à voir des bulles, à partir de janvier - février 2019 pas beaucoup, une par-ci par-là, mais c’est devenu plus significatif vers mars - avril 2019.
[11] Quand ils les ont vues, ils en ont parlé avec l’Entrepreneur par téléphone, au printemps 2019 et par la suite à tous les mois, mois et demi, deux mois.
[12] L’Entrepreneur lui a dit :
[12.1] qu’il était au courant du problème ;
[12.2] qu’il en avait parlé avec son sous-traitant ;
[12.3] qu’il était en négociation/discussion avec son sous-traitant pour les réparations ;
[12.4] qu’il avait engagé un avocat ;
[12.5] et que ça allait se régler.
[13] Le Bénéficiaire lui posait toujours la même question : « il arrive quoi? Ça a-tu avancé? » :
[13.1] à toutes les fois qu’il lui parlait, l’Entrepreneur répondait « on a des discussions avec mon avocat, ça va se régler », c’est tout le temps la réponse qu’il avait.
[14] Ça prenait un avocat car l’Entrepreneur et le sous-traitant se renvoyaient la balle quant à la responsabilité.
[15] À un moment donné, à une période concomitante avec la date du 28 novembre 2019 (date de l’envoi de sa réclamation à l’Administrateur), l’Entrepreneur, lui disant que c’est long et que ça ne s’est pas encore réglé, lui a suggéré de faire la demande à l’« assurance » (Administrateur GCR) pour son plancher.
[16] Le Bénéficiaire avait confiance en « Patrick » (l’Entrepreneur), c’est ainsi qu’il a fonctionné tout le temps.
[17] C’est pour cela que ça a pris du temps pour faire la demande, car entretemps ils ont eu d’autres réparations, il n’y avait aucun problème.
[18] C’est sûr que sinon il aurait fait sa réclamation avant, mais il « était sûr d’être réglé par le contracteur lui-même directement par Patrick ».
[19] Ils avaient hâte que ça finisse, ils n’avaient aucune raison de traîner ça, être pris avec un plancher de même ce n’est pas drôle, dès que Patrick leur a suggéré, ils ont envoyé leur réclamation à la GCR.
[20] En plaidoirie, il dit être inquiet car on lui a dit que la situation allait empirer, qu’il aurait encore plus de bulles, et les maisons voisines qui ont eu le même problème que lui, ont eu une réparation ou une réponse confirmant une réparation à venir.
[21] Patrick Simard, représentant l’Entrepreneur, confirme le témoignage du Bénéficiaire, y compris lui avoir dit à la fin de l’automne 2019 de déposer une réclamation auprès de l’Administrateur.
[22] Son entreprise avait utilisé l’époxy dans d’autres maisons, les bulles ont apparu ailleurs et ils ont pris un avocat parce que le sous-traitant disait que c’était de sa faute à lui, ça fait trois ans que le premier dossier est commencé, c’est sûr que la COVID n’a pas aidé, et ce n’est pas encore réglé.
[23] D’après l’Entrepreneur, l’époxy était posé trop tôt sur un béton trop humide en absence de test d’humidité.
[24] Yvan Gadbois est inspecteur-conciliateur de l’Administrateur et dans sa décision du 11 mai 2020, il affirme avoir constaté :
Lors de notre visite, nous avons observé ce qui suit :
• Le bâtiment est de type plain-pied sans sous-sol ;
• Le fini pour l’ensemble des pièces est un revêtement époxydique appliqué sur une dalle de béton coulée au sol, muni d’un système de chauffage radiant ;
• La présence de plusieurs bombements au fini d’époxy dans toutes les pièces, principalement au salon et au boudoir ;
• Les bombements sont visibles sous un angle particulier avec la lumière naturelle ;
• En exerçant une pression sur les bombements, il est possible de les atténuer temporairement, indiquant un décollement du fini avec la dalle de béton.
[25] À l’audience, il confirme que :
[25.1] le tampon sur la réclamation des Bénéficiaires est du 4 décembre 2019, et ajoute que c’est pour une raison de chèque et de la façon que leur système fonctionne, que la date est décalée du 11 décembre 2019 ;
[25.2] il n’a pas vu de formulaire d’inspection pré-réception pour établir la date de réception au 8 avril 2018, la date lui a été communiquée par la Bénéficiaire lors de sa visite des lieux.
[26] Il a eu accès à une nouvelle preuve lors de présente audience, soit le témoignage du Bénéficiaire qui n’était pas présent lors de la visite des lieux, et celui de l’Entrepreneur qui n’était pas présent non plus lors de la visite, il y avait seulement la Bénéficiaire.
[27] Les informations reçues à sa visite des lieux se limitent à ce qu’il a écrit dans sa décision.
[28] Il n’avait eu aucune information avant l’audience qu’il y avait eu un suivi auprès de l’Entrepreneur et que ce dernier les avait informés qu’il y avait un processus en marche.
[29] À la vue de cette information lors de sa visite des lieux, ça aurait changé sa décision, car quand ils ont ce genre d’information, ils les analysent, ils les traitent, et en tiennent compte lors du traitement du dossier.
[30] A la question du procureur de l’Administrateur, si le Tribunal en arrivait à la conclusion d’accueillir la demande d’arbitrage quant au point 1 et que l’Entrepreneur devait faire les travaux correctifs, qu’adviendrait-il du point 2 ;
[30.1] il répond que c’est sûr que le point 2 sera corrigé en même temps car ça implique une reprise de l’ensemble du plancher, c’est certain que les finis mats seront corrigés en même temps.
[31] Le procureur de l’Administrateur et l’inspecteur-conciliateur conviennent que le point 2 devient académique si le point 1 est corrigé, ça va ensemble.
[32] En plaidoirie, le procureur de l’Administrateur convient que comme l’Entrepreneur a demandé aux Bénéficiaires de suspendre son processus pour corriger les travaux et/ou faire appel à la garantie, il apparaît de la preuve présentée à l’audience que la décision de l’Administrateur aurait été différente et que le délai n’aurait pas été considéré comme déraisonnable.
DÉCISION
[33] Le Tribunal accueille la demande d’arbitrage des Bénéficiaires quant au point 1 Fini époxy, ce qui rend par le fait même le point 2 Fini mat, purement académique.
[34] Pour rappel, les parties peuvent présenter une preuve nouvelle lors de l’arbitrage par rapport à celle présentée à l’inspecteur-conciliateur lors de son inspection avant de statuer sur la réclamation des Bénéficiaires.
[35] La Cour supérieure a confirmé dans 9264-3212 Québec Inc. c. Moseka[2] que l’arbitrage est un procès « de novo », au cours duquel les Bénéficiaires et l’Entrepreneur peuvent apporter toute preuve nouvelle :
[20] […] L’arbitre peut entendre des témoins, recevoir des expertises et procéder à l’inspection des biens ou à la visite des lieux.
[…] [24] Le Tribunal rappelle que l’arbitre ne siège pas en appel ou en révision de la décision du Conciliateur. Il ne procède pas non plus à décider en se basant uniquement sur le dossier transmis. […]
[36] Notre ancien collègue Jeffrey Edwards, alors arbitre aujourd’hui juge à la Cour supérieure, écrivait en 2006 dans Gauthier et Gagnon c. Goyette Duchesne Lemieux inc. et La Garantie des Bâtiment Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc.[3] :
[130] [...] il n’en demeure pas moins que la demande d’arbitrage donne droit à un procès de novo et le Tribunal d’arbitrage est requis de faire sa propre évaluation de la preuve administrée contradictoirement et d’en tirer ses propres conclusions. [...]
[37] L’article 10 du Règlement dit que la dénonciation écrite des Bénéficiaires doit être faite dans un délai raisonnable de la découverte (extraits) :
10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:
[...] 3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil; [...]
[38] La preuve, à la lumière de la jurisprudence citée ci-après, démontre que le délai de dénonciation a été raisonnable selon les dispositions du Règlement.
[39] Le Tribunal fait siennes, les conclusions de son collègue Yves Fournier, arbitre, dans une décision très récente, Alexandre Carrier et Nathalie Verret c. Construction S.M.B. Inc. et La Garantie de Construction Résidentielle (GCR),[4] citée par le procureur de l’Administrateur à l’audience :
[109] Bref, monsieur Gadbois ne considère plus que le délai de dénonciation de 10 mois, dans les circonstances, comme exagéré. Faut-il ajouter que même le procureur de l’administrateur n’a pas contesté la position des bénéficiaires.
[110] Pour le Tribunal, le délai de dix (10) mois de dénonciation, compte tenu des circonstances particulières du dossier et de l’inexécution par l’entrepreneur, malgré un suivi assidu par le bénéficiaire au moment des différentes échéances reportées systématiquement par l’entrepreneur n’est pas déraisonnable, bien au contraire. Le Tribunal ne peut rien reprocher ou épiloguer aux bénéficiaires. L’entrepreneur est l’artisan de sa négligence et son incurie. Qui plus est, aucun préjudice réel ne fut subi par l’entrepreneur.
[111] Le bénéficiaire a soumis la décision de Ulric Brosseau c. 9253-5400 Québec Inc. et La Garantie Habitation du Québec Inc. (6)
[112] Le Tribunal en rapporte le passage suivant :
Application des principes jurisprudentiels à la malfaçon.
(73) Une évaluation générique du délai raisonnable dans un cadre jurisprudentiel principalement de vices cachés permet de conclure qu’une période de six mois constitue certes un délai raisonnable qui peut être prolongé selon les circonstances jusqu’à un an (7) et plus (tel l’affaire Benoit précitée) alors qu’un délai de deux ans a été jugé déraisonnable (8).
(74) On peut certes tirer des critères applicables à la garantie des vices cachés certains principes relatifs à la détermination de la raisonnabilité du délai de dénonciation, mais pas nécessairement au même titre.
(75) En effet, le Tribunal est d’avis que son analyse doit prendre en considération si l’entrepreneur subit un préjudice ou non d’une dénonciation qui pourrait sembler tardive, et dans les circonstances présentes, l’entrepreneur (et conséquemment sa caution, l’administrateur) ne subit aucun préjudice notable; au contraire, ce serait plutôt le bénéficiaire qui peut se plaindre du délai à jouir paisiblement de son Unité.
(76) De même, un délai défini non seulement par la connaissance du bénéficiaire mais tempéré par des discussions de trouver une solution négociée se doit d’être selon les circonstances pris en considération.
(77) De plus, dans un cadre de malfaçon, le Tribunal considère que selon les circonstances (et c’est le cas aux présentes), la sévérité moindre des conséquences d’une malfaçon (par exemple comparativement à un vice caché) permet une raisonnabilité élargie du délai.
[113] Les juges Pierre-J. Dalphond, Julie Dutil et Marie-France Bitch de la Cour d’Appel enseignent dans l’arrêt Claude Joyal Inc. c. CNH Canada Ltd, (9) :
… les conséquences du défaut de dénonciation dans un délai raisonnable doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit.
[114] Faut-il ajouter la position des auteurs Jean-Louis Baudouin et Yvon Renaud (10) qui écrivaient en 2016 :
Un délai plus long que la normale peut se justifier s’il y a des circonstances particulières, telles des tentatives de remédier aux problèmes, des pourparlers de règlement, des essais de réparation.
[115] Considérant la preuve, l’état du droit, de la jurisprudence et de la doctrine, le Tribunal doit accueillir l’appel des bénéficiaires quant aux points 4 et 5.
[40] Également récemment, soit le 3 août 2020, le Tribunal d’arbitrage soussigné écrivait de même dans l’affaire Sangdehi and Tour Utopia inc. (Domaine Bobois)[5] :
[49] In Ulric Rousseau c. 9253-5400 Québec Inc. et PricewaterhouseCoopers[6], where the Manager was informed five months and twenty days after the end of the contacts/negotiations between the Beneficiary and the Contractor, and 10 months and 10 days after the first complaint to the Contractor, our colleague wrote [notre traduction: où l’Administrateur fut informé cinq mois et vingt jours après la fin des contacts/négociations entre le Bénéficiaire et l’Entrepreneur, et 10 mois et dix jours après la première reclamation à l’Entrepreneur, notre collègue écrivait] :
[88] Critères relatifs au délai raisonnable. En sommaire, et sans restreindre les éléments identifiés à la rubrique ‘Analyse et Motifs’, le Tribunal considère qu’il est approprié dans les circonstances particulières de ce dossier de tenir compte pour les fins de la discordance de dimensions affectant le comptoir et modules de cuisine:
- l’Entrepreneur (et subséquemment l’Administrateur) subit-il un préjudice de la longueur du délai pour les fins de la réclamation des dimensions discordantes; le Tribunal conclut qu’aucun préjudice notable n’est subi;
- la sévérité moindre des conséquences d’une malfaçon (par exemple comparativement à un vice caché) permet une raisonnabilité élargie du délai;
- le Bénéficiaire a avisé l’Entrepreneur immédiatement suite à sa prise de connaissance de la malfaçon de discordance des dimensions;
- qu’un délai initial à la dénonciation est lié à des discussions entre les parties afin de tenter de trouver une solution négociée;
- l’Entrepreneur est soumis à une obligation de résultat.
[50] La Cour d’appel dans Claude Joyal inc. c. CNH Canada Ltd[7] a statué ce qui suit en matière de dénonciation d’un vice caché :
[35] Considérant que les dispositions relatives à la garantie légale de qualité et du droit de propriété ont été adoptées principalement afin de protéger l’acheteur - ces dispositions étant inspirées de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1, et de la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises3 (« Convention de Vienne ») - je suis d’avis que les conséquences du défaut de dénonciation dans un délai raisonnable doivent correspondre à un préjudice réel pour le vendeur, et non à un simple préjudice de droit, afin de pouvoir justifier l’irrecevabilité du recours intenté par l’acheteur.
[36] L’évaluation des conséquences du défaut de dénonciation, plutôt que le rejet automatique du recours de l’acheteur, est une solution que valide le professeur Jobin :
169 - Préavis. Sanction - Le préavis constitue une condition de fond de la garantie. […] Pour cette même raison, on a décidé, avec raison selon nous, que la sanction devrait être radicale (rejet de l'action) uniquement lorsque l'omission du préavis a privé le vendeur de la possibilité de vérifier l'existence et la gravité du vice et de le réparer; qu'une simple diminution des dommages-intérêts ou un ajustement à la baisse de la réduction du prix conviendrait mieux aux cas où le défaut de préavis a simplement privé le vendeur de la possibilité de réparer lui-même le vice à meilleur compte. (soulignés par la Cour d’appel)
[…] [46] Finalement, je rappelle que lorsque le vendeur connaissait ou était présumé connaître le vice, la dénonciation peut être faite tardivement (art. 1739, 2e al. C.c.Q). Il s’ensuit que l’action en justice pourra alors constituer à la fois une dénonciation suffisante et une mise en demeure (art 1596 C.c.Q.; Denys-Claude Lamontagne, Droit de la vente, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, par. 239).
[51] La Cour d’appel réitère ce passage dans Immeubles Bernadet inc. c. Kerzérho[8]: [13] Cela étant, il y a lieu, comme dans l'affaire Claude Joyal inc., de faire droit à la solution que proposent les professeurs Jobin et Cumyn.
[41] Considérant :
[41.1] que l’Administrateur a reconnu la présence d’un vice caché quant au point 1 (fini époxy) mais a rejeté la réclamation pour non-respect de l’obligation de dénonciation par écrit dans un délai raisonnable ;
[41.2] les représentations de l’Entrepreneur et du Bénéficiaire à l’audience, tous les deux absents lors de la visite des lieux de l’inspecteur-conciliateur, (voir les paragraphes [10] à [19] ci-haut), et que le délai de dénonciation d’un problème devenu significatif en mars - avril 2019 et une dénonciation reçue le 4 décembre 2019 était raisonnable en vertu de l’article 10 du Règlement ;
[41.3] que les travaux correctifs ordonnés quant au point 1 (fini époxy) rendront inutile car académique, la problématique soulevée au point 2 (fini mat),
vu la preuve, vu le Règlement et le droit applicable, vu la jurisprudence, le Tribunal accueille la demande d’arbitrage des Bénéficiaires quant au point 1 (fini époxy) et déclare purement académique le point 2 (fini mat).
DÉLAIS POUR LES TRAVAUX CORRECTIFS
[42] Le délai pour effectuer les travaux correctifs a été discuté à l’audience vu la pause des Fêtes toute proche et les informations, déjà disponibles au moment de l’audience, d’un reconfinement prochain jusqu’au 11 janvier 2021.
[43] L’Entrepreneur a mentionné être en litige judiciaire avec son sous-traitant de plancher.
[44] Le Tribunal a rappelé à l’Entrepreneur que :
[44.1] les Bénéficiaires n’ont conclu qu’un contrat, soit avec l’Entrepreneur, dont les obligations contractuelles et légales sont garanties par l’Administrateur en vertu du Règlement ;
[44.2] que les recours des Bénéficiaires envers l’Administrateur du plan de garantie prévus au Règlement, entendus par le Tribunal d’arbitrage établi par le Règlement, et les ordonnances de travaux correctifs contre l’Entrepreneur en vertu du Règlement, sont un complément aux recours prévus au Code civil.
[45] La Cour d’appel réitère ce principe dans l’arrêt Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal[9] :
[18] La procédure d'arbitrage expéditive prévue au Règlement pour réparer rapidement les malfaçons est, comme le note la juge, un complément aux garanties contre les vices cachés du Code civil. […]
[19] Le juge Dufresne, alors de la Cour supérieure, expose à bon droit les finalités du recours arbitral prévu au Règlement dans La Garantie habitations du Québec inc. c. Lebire [7] [10]:
[69] Le législateur veut, par l'adhésion obligatoire de tout entrepreneur à un plan de garantie dont les caractéristiques sont définies au Règlement, donner ouverture à un mode de résolution des réclamations ou des différends survenus à l'occasion de la construction ou de la vente d'un bâtiment résidentiel neuf qui soit plus souple, plus rapide et moins coûteux pour les parties à un contrat assujetti au Règlement.
[46] Le Règlement a été adopté en vertu de la Loi sur le bâtiment[11] dont l’article 11 stipule :
11. La présente loi n'a pas pour effet de limiter les obligations autrement imposées à une personne visée par la présente loi.
[47] Suite aux représentations de part et d’autre lors de l’audience, tel qu’annoncé à l’audience, le Tribunal d’arbitrage fixe le délai pour effectuer les travaux correctifs à 60 jours à être calculés à partir du lundi 11 janvier 2021.
[48] L’article 123 du Règlement stipule :
Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.
[49] Les Bénéficiaires ayant eu gain de cause sur au moins un des aspects de leur réclamation, les coûts de l’arbitrage seront assumés par l’Administrateur, sous réserves de ses droits subrogatoires, selon les conclusions de la présente décision.
[50] POUR CES MOTIFS, le Tribunal d’arbitrage :
[50.1] ACCEUILLE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires Quant au point 1 - Fini époxy au plancher de béton :
[50.1.1] ORDONNE à l’Entrepreneur de procéder aux travaux correctifs quant au fini époxy au plancher de béton le tout conformément à son obligation de résultat selon les normes et les règles de l’art de l’industrie de la construction applicables, dans les soixante (60) jours de calendrier à partir du 11 janvier 2021 et, à défaut par l’Entrepreneur de s’y conformer, ORDONNE à l’Administrateur, sans autre avis ni délai, comme caution de l’Entrepreneur, de les exécuter à l’intérieur d’un délai supplémentaire de quarante-cinq (45) jours de calendrier après l’expiration de ce premier délai ;
[50.2] DÉCLARE le point 2 Fini mat au plancher - devenu purement académique, vu la décision rendue quant au point 1 ;
[50.3] LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage, à la charge de Garantie de Construction Résidentielle (GCR) (l’Administrateur) conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par CCAC, après un délai de grâce de 30 jours ;
[50.4] RÉSERVE à Garantie de Construction Résidentielle (GCR) ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur, pour les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Montréal, le 16 décembre 2020
_________________________
ROLAND-YVES GAGNÉ
Arbitre / CCAC
[1] 17. Chaque bâtiment visé par la garantie doit être inspecté avant la réception. Cette inspection doit être effectuée conjointement par l’entrepreneur et le bénéficiaire à partir d’une liste préétablie d’éléments à vérifier fournie par l’administrateur et adaptée à chaque catégorie de bâtiments. Le bénéficiaire peut être assisté par une personne de son choix.
Lors de cette inspection, le bénéficiaire et l’entrepreneur identifient ce qu’il reste à parachever et les vices et malfaçons apparents qui sont à corriger. Le bénéficiaire et l’entrepreneur conviennent lors de cette inspection d’un délai qui ne peut pas dépasser 6 mois pour la réalisation de ces travaux de parachèvement et de correction. […]
[2] 9264-3212 Québec Inc. c. Moseka 2018 QCCS 5286 (Hon. Juge Johanne Brodeur). Voir aussi, au même effet : Immobilier Versant Ouest Inc. c. SDC de la Bâtisse Savage et Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie La Garantie Abritat, CCAC S19-012101-NP, 19 juillet 2019, Michel A. Jeanniot, arbitre (paragraphes [89] et [90]); 3093-2313 Québec c. Létourneau et Bouchard et la Garantie des maisons neuves de l’APCHQ CCAC S15-022401-NP, Décision rectifiée du 12 novembre 2015, Roland-Yves Gagné, arbitre, paragraphe [335]; Syndicat des copropriétaires 6613-6635 boul. des Laurentides Laval c. 9141-0001 Québec Inc. et Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, (CCAC S14-070901-NP, 1er juin 2015, Yves Fournier, arbitre), paragraphe [68] à [76].
[3] Gauthier et Gagnon c. Goyette Duchesne Lemieux inc. et La Garantie des Bâtiment Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc., SORECONI 050629001, 3 novembre 2006, Jeffrey Edwards, arbitre, paragraphe [130].
[4] Alexandre Carrier et Nathalie Verret c. Construction S.M.B. Inc. et La Garantie de Construction Résidentielle (GCR) CCAC S20-052701-NP et CCAC S20-060901-NP, 19 novembre 2020, Yves Founier, arbitre.
[5] 2020 CanLII 58690 (QC OAGBRN), Roland-Yves Gagné, arbitre.
[6] CCAC S16-112001-NP, Jean Philippe Ewart, arbitre.
[7] 2014 QCCA 588.
[8] 2015 QCCA 644.
[9] 2013 QCCA 1211.
[10] J.E. 2002-1514 (Hon. juge Jacques Dufresne)
[11] B-1.1.