CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DOSSIER N°: S15-031601-NP
DATE : 2 septembre 2016
DEVANT L’ARBITRE Me PIERRE BOULANGER
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
JEAN-PHILIPPE ROBITAILLE et MÉLANIE TURCOTTE,
Bénéficiaires
c.
LE GROUPE PLATINUM CONSTRUCTION 2001 INC.,
Entrepreneur
et
LA GARANTIE ABRITAT INC.,
Administrateur de la garantie
INTRODUCTION
[1] Les bénéficiaires ont porté en arbitrage la décision de l’administrateur, rendue le 9 février 2015, rejetant leur demande de remboursement de leur acompte de 35,000.00$.
[2] La base du recours des bénéficiaires contre l’administrateur de la garantie est l’article 9a) sur le règlement sur le plan de garantie qui prévoit spécifiquement une garantie pour le remboursement des acomptes versés par les bénéficiaires dans le cas d’un « manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception du bâtiment… ».
[3] Dans le présent cas, le contrat préliminaire (promesse d’achat, pièce A-2) pour cette maison du 2 rue Joigny à Blainville est daté du 23 janvier 2014.
[4] Il s’agissait d’une maison modèle utilisée par l’entrepreneur pour montrer à ses visiteurs. Des représentations du représentant-vendeur, René Lussier, les bénéficiaires ont compris qu’ils pourraient faire installer une piscine extérieure creusée.
[5] L’entrepreneur désirait vendre cette maison mais les bénéficiaires comptaient sur une entrée de fonds dans un avenir un peu plus éloigné afin de pouvoir la payer.
[6] Les parties ont donc conclu, le 23 janvier 2014, un bail résidentiel (pièce A-3), d’une durée de six mois et demi, soit du 15 mars 2014 au 1er octobre 2014, au loyer mensuel de 2,200.00$. Le bail mentionne que l’immeuble sera prêt pour habitation le 15 mars 2014. Il contient aussi l’inscription suivante, écrite à la main : « Le bail est signé conjointement entre les locataires. Si les locataires n’achètent pas comme prévu au 1er octobre 2014, ils auront une période de 60 jours pour libérer la maison sans avoir aucun recours de compensation à la Régie du Logement. Le bail sera en vigueur si toutes les conditions de la promesse d’achat se réalisent ».
[7] Le 28 janvier 2014, les bénéficiaires ont fait procéder à une inspection du bâtiment par l’inspecteur Marcel Demers de la firme Ameri Spec. Cette inspection a duré trois heures et quarante-cinq minutes. Le rapport d’inspection fait état de diverses anomalies mais l’état général semble plutôt satisfaisant. L’inspecteur a noté dans son rapport qu’il y avait à l’extérieur une couche de neige de 80cm d’épaisseur et que son inspection de l’extérieur fut limitée.
[8] Le 4 février 2014, les bénéficiaires ont versé à l’entrepreneur l’acompte de 35,000.00$ plus un premier loyer mensuel de 2,200.00$, total de 37,200.00$ (pièce A-5).
[9] Le ou vers le 28 février 2014, suivant entente verbale avec le représentant René Lussier, les demandeurs ont emménagé dans la maison.
[10] Il convient de noter que, deux jours auparavant, le 26 février 2014, le bénéficiaire Jean-Philippe Robitaille et un représentant de l’entrepreneur ont signé le «formulaire d’inspection pré-réception » (pièce E-1), sur lequel la « date de réception » est indiquée comme étant le « 26 février 2014 ». Et il y a même, immédiatement au-dessous, une définition de « date de réception » qui se lit comme suit :
« Date à laquelle le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l’usage auquel il est destiné et qui indique, le cas échéant, les travaux à parachever ou à corriger ».
[11] En bout de piste, comme nous le verrons plus loin, les bénéficiaires n’achèteront pas cette maison. Se plaignant de divers problèmes de construction, ils décideront unilatéralement de ne pas honorer leur promesse d’achat et ils déménageront le 31 octobre 2014.
LE RECOURS EXERCÉ
[12] Se plaignant de manquements de l’entrepreneur, les bénéficiaires ont réclamé de l’administrateur le remboursement de leur acompte de 35,000.00$.
[13] Il s’agit de déterminer si, au sens de l’article 9 a) du règlement sur le plan de garantie, il y a eu « manquement » de l’entrepreneur avant la « réception » du bâtiment.
[14] Dans sa décision du 9 février 2015, l’inspecteur-conciliateur Richard Berthiaume cite la définition de l’expression « réception du bâtiment » prévue à l’article 8 du règlement, définition qui se lit comme suit :
« Réception du bâtiment : l’acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l’usage auquel on le destine et qui indique, le cas échéant, les travaux à parachever ou à corriger ».
[15] La garantie pour remboursement d’acompte est destinée à couvrir le cas où un entrepreneur ne livre pas le bâtiment. Dans le présent cas, l’entrepreneur a livré le bâtiment, le donnant d’abord en location puis se montrant disposé à signer l’acte de vente.
[16] Les bénéficiaires argumentent qu’il n’y a pas eu de réception du bâtiment à cause des manquements de l’entrepreneur.
[17] S’il est exact qu’ils ne sont jamais devenus propriétaires de l’immeuble, demandons-nous s’il y a eu manquement de l’entrepreneur à ses obligations. À cet égard, une courte narration chronologique des problèmes concernés s’impose.
LES PROBLÈMES ÉPROUVÉS
[18] Le samedi 15 mars 2014, de l’eau a coulé à l’intérieur de la salle de bain de la chambre des maîtres en provenance du puits de ventilation situé au plafond. Le lundi 17 mars 2014, les bénéficiaires en ont verbalement avisé monsieur Lucien Ouellet, employé de l’entrepreneur.
[19] Le 4 avril 2014, les bénéficiaires ont télécopié à l’entrepreneur un formulaire «Demande de service après vente» contenant les demandes suivantes :
1° Salle de bain des maîtres : la fan (ventilateur au plafond) coule… de l’eau s’échappe;
2° Salle de bain, 2e étage : le robinet douche n’est pas fixé au mur de céramique (Lucien est passé);
3° La ventilation au 2e étage est faible (chauffage). Un message «service» apparaît sur le panneau contrôle;
4° Lorsqu’ils sont venus brancher la plaque céramique, ils ont laissé un gros trou sous (dans les armoires);
5° Au sous-sol, de l’eau s’échappe des tuyaux (eau chaude / froide) lorsque marche la sécheuse;
[20] Un rappel écrit suivra le 17 avril 2014 (pièce non cotée) où on peut lire : « Auriez-vous l’amabilité de bien vouloir communiquer avec nous afin de nous indiquer quand les travaux seront effectués, surtout en ce qui concerne la ventilation (il fait froid au 2e étage) et relativement à l’eau qui s’échappe lorsque la sécheuse fonctionne. À cet effet, nous aimerions que ce soit fait rapidement puisque nous désirons finir le sous-sol dans les meilleurs délais ».
[21] Suite à ce rappel à l’entrepreneur, un employé de la firme Bertrand Climatisation est passé pour régler le problème de ventilation.
[22] Par la suite, après la fonte des neiges, les demandeurs ont constaté qu’à l’extérieur, le garde-corps en verre qui ceinture la terrasse (situé sur le toit du garage) était branlant. Il s’agissait d’un problème d’ancrage au plancher. Un représentant du sous-traitant Clôture Aristocrate aurait avisé les bénéficiaires qu’il ne pouvait rien faire parce que le garde-corps aurait dû être fixé sur du béton bref, que ce n’était pas de son ressort.
[23] Le 20 août 2014, les bénéficiaires ont écrit à l’entrepreneur pour réitérer leurs plaintes (l’eau qui s’échappe du ventilateur dans la salle de bain, robinet de douche instable dans la salle de bain du 2e étage, ventilation qui n’est pas équilibrée, l’eau qui s’écoulait des tuyaux du sous-sol lorsque la sécheuse et la laveuse fonctionnaient en même temps (problème corrigé par eux-mêmes en isolant les tuyaux). Ils ont aussi ajouté que, suite à la fonte des neiges, ils ont découvert que le garde-corps de la terrasse était instable, que le cadrage de la porte de garage était bosselé, qu’un joint de ciment est manquant sur la devanture et que le terrain à l’arrière ne peut être aménagé pour y installer une piscine sans y investir plusieurs dizaines de milliers de dollars pour la coupe d’arbres et le nivellement. Les bénéficiaires concluent comme suit :
« Sachez que nous sommes de bonne foi et que jamais nous n’aurions accepté de vous verser un si gros dépôt en connaissance de cause. Sachez que nous n’aurions pas non plus pris la décision d’acheter cette maison avec tout ce que nous constatons aujourd’hui.
Ceci étant dit, nous vous demandons, par la présente, de casser l’offre d’achat que nous avons signée et de nous remettre le dépôt de 35,000.00$ que vous avons remis » (sic).
[24] Le 25 août 2014, un inspecteur thermographe retenu par les bénéficiaires, Sylvain Leroux, a rédigé un rapport, pièce A-7. Il y est fait état de diverses anomalies dans certains joints d’étanchéité du périmètre des portes, que le palier de pavé uni de l’escalier est en contre-pente, que plusieurs chantepleures sont obstruées par du crépi, que les pentes de terrain sont négatives dans la cour arrière et sur le côté de la résidence et que, ce qui est le plus urgent, le garde-corps de la terrasse n’est pas sécuritaire et qu’il faut corriger la situation en modifiant la méthode d’installation des poteaux en les fixant adéquatement à la structure du plancher qui devra être modifiée.
[25] Le 26 août 2014, par l’intermédiaire de son représentant Sandrin Olivier, l’entrepreneur a répondu par écrit aux griefs soulevés par les bénéficiaires (pièce B-4). Il a notamment expliqué que certains problèmes ont déjà été corrigés, que d’autres le seront prochainement et que, pour le garde-corps, cela a pris un certain temps pour cerner le problème et que, lorsqu’un représentant de l’entrepreneur s’est présenté pour faire les travaux correctifs, les bénéficiaires ont refusé de lui laisser accès à la propriété. Enfin, quant au terrain, Sandrin Olivier a précisé qu’il serait étonnant que la neige ait empêché de constater la présence d’arbres. Il s’agit d’ailleurs d’une zone de protection écologique. Néanmoins, l’installation d’une piscine pourrait être réalisée.
[26] Comme nous l’avons vu plus haut, le rapport de Sylvain Leroux est daté du 25 août 2014. Les bénéficiaires l’ont fait suivre à l’entrepreneur. Ils ont aussi fait suivre un autre rapport d’expertise (pièce A-8) rédigé par l’ingénieur Siméon Nikoruhoze, daté du 27 août 2014, qui critique notamment l’instabilité des garde-corps de la terrasse et le nivellement du terrain.
[27] Par l’intermédiaire de son représentant Sandrin Olivier, l’entrepreneur a répondu, le 4 septembre 2014 (pièce B-5). Il y est notamment mentionné que les joints qui présentent des fissurations seront corrigés, que le terrain respecte les exigences de la ville quant à ses pentes et que la fissure dans la fondation sera observée.
[28] Des avocats sont ensuite intervenus de part et d’autre et un échange de lettres s’en est suivi (pièces A-9, B-6, B-7, B-8, B-9, B-10, B-11, B-12, B-13, B-14 et B-15). Dans les faits, le garde-corps branlant a été solidifié pour le compte de l’entrepreneur. Toutefois, en fin de compte, les parties ne se sont pas entendues et, comme je l’ai déjà mentionné plus haut, les bénéficiaires ont déménagé le ou vers le 31 octobre 2014. L’acte de vente notarié ne sera donc jamais signé.
DISCUSSION
[29] Dans l’ensemble, les problèmes dont se sont plaints les bénéficiaires n’apparaissent pas suffisamment graves pour justifier l’annulation de la vente et la remise en état des parties. L’entrepreneur s’est montré disposé à effectuer des corrections et plusieurs ont été faites, notamment le garde-corps de la terrasse.
[30] Il ressort plutôt de la preuve entendue que l’enthousiasme des bénéficiaires pour cette propriété s’est évaporé après la fonte des neiges, possiblement en considération de difficultés qu’ils n’avaient pas prévues pour l’installation de la piscine extérieure creusée qu’ils souhaitaient. En ce sens, les problèmes invoqués pour quitter les lieux relèvent davantage de prétextes que de manquements de l’entrepreneur. On ne peut pas conclure, dans les circonstances, qu’il y a eu un « manquement » de l’entrepreneur avant la « réception ».
[31] Enfin, il me reste à disposer de l’argument des bénéficiaires, soulevé in limine litis à l’effet que la contestation de l’entrepreneur doit échouer au seul motif qu’il a revendu l’immeuble à des tiers le 28 mai 2015, de sorte qu’il devrait nécessairement restituer l’acompte (puisqu’il ne peut plus livrer l’immeuble aux bénéficiaires).
[32] Il est ici utile de citer la clause générale n°31 du contrat préliminaire (promesse d’achat, pièce A-2) qui se lit comme suit :
« 31. Le défaut par le promettant-acheteur de respecter l’une ou l’autre des conditions et obligations lui incombant en vertu du présent contrat préliminaire permettra au vendeur de le résilier, après l’écoulement d’un délai de sept (7) jours pour remédier au défaut à compter de l’envoi d’un avis écrit à cet effet, auquel cas le vendeur conservera tous les acomptes déjà reçus du promettant-acheteur, sans préjudice à tout autre recours ».
[33] Comme nous l’avons vu plus haut, les problèmes dont se sont plaints les bénéficiaires ne les justifiaient pas de résilier leur promesse d’achat unilatéralement, de sorte que l’entrepreneur était pleinement justifié de conserver l’acompte et ensuite vendre l’immeuble à des tiers.
POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE SOUSSIGNÉ :
[34] REJETTE la demande d’arbitrage des bénéficiaires.
[35] MAINTIENT la décision de l’administrateur.
[36] Vu les articles 116 et 123 du règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, CONDAMNE les bénéficiaires au paiement des coûts d’arbitrage limités à 100.00$, le solde étant payable par l’administrateur.
(signé) PIERRE BOULANGER
Me PIERRE BOULANGER
Arbitre
Jean-Philippe Robitaille
Mélanie Turcotte
Bénéficiaires
Me Jean-Bernard Dehaut
Pour l’entrepreneur
Me Julie Parenteau
Pour l’administrateur de la garantie
DATES D’AUDITION: 4 et 5 AVRIL 2016