ARBITRAGE

ARBITRAGE En vertu du Règlement sur le plan

de garantie des bâtiments résidentiels neufs

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC)

 

 

No dossier CCAC :                  S11-120906-NP

No dossier Garantie :              148855-1

Date:                                       18 juillet 2012

 

 

ENTRE                        MONSIEUR JEAN-GUY FRÉDÉRIC

ET

MADAME MARIE-ROSE RENÉ

(ci-après « les Bénéficiaires»)

ET                               HABITATIONS ANDRÉ TAILLON INC.

(ci-après « l’Entrepreneur »)

ET :                             La Garantie DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’apchq INC.

(ci-après « l’Administrateur »)

 

 

SENTENCE ARBITRALE RECTIFIÉE

 

Arbitre :                                   Me France Desjardins

Pour les Bénéficiaires :           Me Audrey Sabourin-Papineau, procureure

Monsieur Jean-Guy Frédéric

 Madame Marie-Rose René

Pour l’Entrepreneur :               Monsieur Steve Sauvé

                                                Monsieur Jean-François Prégent (Armoires Agly Inc.)

Pour l’Administrateur :             Me Manon Cloutier, procureure

                                                Monsieur Jocelyn Dubuc

 

Mandat 

L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le  14 décembre 2011

 

Historique du dossier 

 

12 juillet 2008                          Contrat préliminaire et contrat de garantie

17 décembre  2008                 Acte de vente

17 décembre 2008                  Déclaration de réception du bâtiment

12 avril 2011                            Mise en demeure des Bénéficiaires à l’Entrepreneur           

13 juin 2011                            Avis de 15 jours de l’Administrateur à l’Entrepreneur

21 octobre 2011                     Inspection de l’Administrateur

14 novembre 2011                 Décision de l’Administrateur

9 décembre 2011                   Demande d’arbitrage des Bénéficiaires

14 décembre 2011                  Nomination de l’arbitre                       

24 janvier 2012                       1ière Conférence préparatoire téléphonique

23 avril 2012                            2ième Conférence préparatoire téléphonique

30 mai 2012                           Audition et visite des lieux

 

 

INTRODUCTION

 

[1]       Les Bénéficiaires ont déposé une demande d’arbitrage à l’égard d’une décision rendue  le 14 novembre 2011 par l’Administrateur de la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc.

 

[2]       Aucune objection préliminaire n’ayant été soulevée par l’une ou l’autre des parties, la compétence du Tribunal à entendre la demandes d’arbitrage est établie.

 

[3]       Une visite des lieux a précédé l’audition à laquelle étaient présents les représentants des parties déjà identifiés ainsi que monsieur Jean-Paul Benoit, représentant de Laknord, fournisseur des produits de finition des armoires de cuisine.

 

[4]       La visite des lieux et l’audition ont  porté exclusivement sur un  point ayant fait l’objet de la décision suivante de l’Administrateur :

« Tel que mentionné précédemment, l’administrateur est d’avis que la situation observée ne relève nullement de la responsabilité des bénéficiaires. Cependant, lorsqu’il doit statuer sur l’éligibilité d’une demande de réclamation, l’administrateur doit se référer au contrat de garantie.

Dans le cas présent, les bénéficiaires ont affirmé que le fini des armoires de cuisine se dégrade graduellement depuis qu’ils ont emménagé le bâtiment en date du 17 décembre 2008. Or, pour des motifs qui nous sont inconnus, ce n’est qu’en date du 12 avril 2011 qu’ils décidèrent de dénoncer la situation par écrit pour la toute première fois soit, plus de deux ans après avoir pris possession de l’immeuble.

En ce qui a trait au délai de dénonciation, le contrat de garantie stipule que les malfaçons, les vices cachés ou les vices majeurs, selon le cas, doivent être dénoncés par écrit à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de leur découverte ou survenance ou, en cas de vices ou de pertes graduels, de leur première manifestation.

Dans le cas présent, il appert que le délai de dénonciation excède le délai raisonnable qui a été établi par le législateur et par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la demande de réclamation des bénéficiaires à l’égard de ce point.

Par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la demande de réclamation des bénéficiaires à l’égard du point 1

 

 

LA PREUVE ET L’ARGUMENTATION

 

[5]       À la visite des lieux, les Bénéficiaires montrent plusieurs armoires de cuisine dont les surfaces sont dégradées. À plusieurs endroits, le bois est complètement à nu. Madame René montre des miettes qui se détachent des armoires et qu’elle doit ramasser fréquemment. Elle explique que de petites bulles se forment d’abord sur les armoires avant que le vernis et la teinture se dégradent et exposent enfin le bois.

 

[6]       Accompagné de monsieur Jean-Paul Benoît, représentant de la compagnie Laknord, fournisseur des produits de finition, monsieur Prégent fait remarquer le débordement du comptoir de granite arrondi et peu étendu, favorisant ainsi, selon lui, l’écoulement d’eau sur les façades des armoires, ce à quoi l’expert mandaté par les Bénéficiaires répond que l’eau ferait alors des stries verticales et que le bois ne serait pas blanc.

 

[7]       Les Bénéficiaires invitent ensuite l’arbitre et les représentants des parties à visiter la salle de bain à l’étage pour montrer que les armoires n’y posent pas problème. Madame René fait également remarquer que son mobilier de chambre à coucher, qui a un certain nombre d’années et qu’elle entretient avec le même produit que les armoires de cuisine, est intact.

 

[8]       À l’audition, madame René témoigne à l’effet que les Bénéficiaires  ont pris possession du bâtiment le 17 décembre 2008. Selon son témoignage, ils ont choisi des armoires en bois d’érable pour leur qualité et durabilité et, selon la feuille de route de l’Entrepreneur, ils ont déboursé 17 500$ pour celles-ci. Le témoin explique qu’en juin 2009, elle a constaté une petite égratignure sur un tiroir situé à côté d’une armoire en coin. Elle a alors cru que la porte battante de l’armoire avait pu glisser sur le tiroir et ainsi l’endommager. C’est vers le mois de juillet 2010 qu’elle constate de petites lignes sur les portes situées sous l’évier. C’est finalement en novembre 2010 qu’elle constate vraiment la détérioration. Il y a écaillement et elle ramasse les particules par terre.

 

[9]       Sur la question des délais, elle explique que c’est finalement au début du mois de mars 2011 qu’elle a parlé à monsieur Michel Guillot, représentant de l’Entrepreneur, lequel s’est présenté le 14 mars à la résidence et, après inspection des armoires, communique avec le sous-traitant, Armoires Agly. Deux semaines plus tard, madame René a rappelé monsieur Guillot, à la suite de quoi un représentant du sous-traitant est venu inspecter les armoires avant de conclure qu’il devait y avoir eu débordement d’eau, usage de produits nettoyants trop forts ou simplement qu’il s’agissait du frottement du «jean» sur le tiroir sous l’évier.

 

[10]    N’ayant pas de nouvelles, madame René a par la suite communiqué avec l’APCHQ qui lui a recommandé de transmettre une lettre à l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur de la garantie. La dénonciation écrite est datée le 12 avril 2011.

 

[11]    L’Entrepreneur a alors communiqué avec les Bénéficiaires, niant toute responsabilité mais référant ceux-ci au sous-traitant. Ce dernier refuse aussi d’intervenir alléguant, d’une part, sa garantie limitée à une année et d’autre part,  la faute des Bénéficiaires.

 

[12]    À la question de son procureur, madame René indique qu’elle utilise le produit «Murphy’s» pour entretenir les armoires. Elle prend un linge humide avec une goutte de nettoyant. Aux 4 à 6 mois, elle effectue un grand nettoyage. Elle fait remarquer qu’il n’y a pas d’écaillement aux endroits où elle nettoie le plus souvent, comme l’armoire à épices par exemple.

 

[13]    Madame René fait ensuite état de l’inspection effectuée le 21 octobre 2011 par monsieur Dubuc, représentant de l’administrateur de la garantie, en présence des Bénéficiaires. L’inspection a duré 45 minutes au cours desquelles madame René a fait un test pour montrer que simplement en essuyant les armoires avec un chiffon sec, il y a écaillement. Aujourd’hui, dit-elle, c’est encore plus détérioré qu’à cette époque.

 

[14]    Enfin, madame René témoigne avoir consulté Armodec qui aurait indiqué qu’il en coûterait 33 000$ pour refaire les armoires au complet et 12 000$ pour refaire seulement les portes. Une soumission écrite aurait coûté 300$, ce qu’elle a refusé de payer vu les dépenses déjà engagées dans ce dossier. Elle ajoute «si j’avais su, je n’aurais pas acheté ces armoires et même une maison neuve parce qu’on ne voulait pas de problème».

 

[15]    En contre-interrogatoire, madame René précise avoir effectué un grand nettoyage approximativement 4 fois depuis l’acquisition de la maison. Elle confirme avoir constaté l’écaillement des armoires en novembre 2010, que celui-ci ne nuit pas à l’utilisation des armoires.

 

[16]    Il est admis que monsieur Frédéric aurait fourni les mêmes réponses.

 

[17]    La procureure des Bénéficiaires fait entendre monsieur Luc Gauthier, ingénieur,  qui a produit un rapport d’expertise à la demande des Bénéficiaires. Celui-ci témoigne qu’il a visité les lieux le 6 février 2012 et a constaté une dégradation généralisée du fini des armoires. Il explique que la teinture est décollée, laissant le bois à l’état nu. N’ayant jamais vu cela, il a apporté un tiroir et, faute de collaboration du sous-traitant Armoires Agly,  a requis l’avis de spécialistes.

 

[18]    Sans être en mesure d’identifier précisément la cause exacte du décollement de la teinture, Monsieur Gauthier liste plusieurs probabilités à la page 9 de son rapport écrit, conclut à malfaçon et exclut définitivement la mauvaise utilisation ou l’hypothèse d’un frottement excessif, comme suggéré par le fabricant. Invité à donner son avis à l’audition, monsieur Gauthier indique que le bois étant resté blanc, il est clair que la teinture n’a pas adhéré. Ne sachant pas si les armoires sont réparables, il conseille leur remplacement.

 

[19]    En contre-interrogatoire, à la question si les armoires du bas seulement sont détériorées, le témoin répond que la détérioration s’étend à la partie inférieure des armoires du haut également.

 

[20]    L’Entrepreneur est représenté par monsieur Steve Sauvé qui indique qu’en 30 ans, il a déjà vu quelques cas semblables. Dans la plupart des cas, ajoute-t-il, les propriétaires faisaient beaucoup de cuisine à vapeur sans mettre en fonction le ventilateur. Il ajoute travailler avec le sous-traitant depuis 15 ans et n’avoir jamais eu ce problème. Selon lui, le sous-traitant serait disposé à faire des correctifs mais il serait impossible de s’entendre avec les Bénéficiaires.

 

[21]    Monsieur Jean-François Prégent, contremaître de production chez Armoires Agly, témoigne de son expérience de 15 ans dans le domaine des armoires de cuisine et de 5 ans chez Armoires Agly. Il présente le rapport écrit préparé par le sous-traitant  à la suite d’une inspection effectuée le 19 avril 2012 par monsieur Massé de Armoires Agly et monsieur Benoît, de la compagnie Laknord, fournisseur en produits de finition. Malgré que le sous-traitant nie toute responsabilité et attribue plutôt le problème à un écoulement d’eau sur les surfaces ou au nettoyage, monsieur Prégent rapporte que son patron, monsieur André Massé, serait allé chez les Bénéficiaires avec l’intention de régler le conflit en offrant de réparer les armoires. Les Bénéficiaires auraient refusé de discuter, indiquant avoir un avocat.

 

[22]     Monsieur Prégent indique qu’Armoires Agly suit à la lettre les mêmes étapes de fabrication depuis 1992. Il ajoute que la teinture sert à plusieurs clients et que les portes sont achetées déjà sablées. Il ne comprend pas pourquoi ce problème est survenu sauf s’il y a eu humidité excessive et eau. Le témoin convient toutefois que les armoires de la salle de bain, du même bois et teinture, sont intactes. En ce qui concerne le tiroir situé à proximité de l’armoire en coin, il est d’avis que la vis a égratigné, ce qui a permis à l’eau de pénétrer à l’intérieur du bois.

 

[23]    Monsieur Prégent termine en disant : «on peut reprendre les portes, les décaper et les refaire». À la question s’il s’agit d’une offre de règlement, le témoin répond par la négative.

 

[24]    En contre-interrogatoire, la procureure des Bénéficiaires réfère le témoin aux photos qu’il a prises et lui demande pourquoi aucune de représente les armoires du haut. Selon le témoin, les petits éclats sur les armoires du haut constituent de l’usure normale alors que dans le bas, les dégâts sont aggravés. Le témoin confirme que le problème commence par une petite picot (bulle), mais ajoute qu’il doit y avoir eu  accroc, à la suite de quoi l’humidité entre dans l’éclat car «c’est du bois». À la question si les picots sur les armoires du haut seraient le commencement d’un gros écaillement, le témoin répond «si c’est lavé..oui». À la question ce qui cause l’éclat, monsieur Prégent répond que «c’est un accroc, un cognage, un  frottement répété»

 

[25]    Monsieur Prégent reconnaît que le produit utilisé par les Bénéficiaires est celui que sa compagnie recommande et que le chiffon qu’il a vu à la visite des lieux paraît correct. Il ne comprend pas pourquoi dans la salle de bain, plus humide, il n’y a pas d’écaillement parce que, selon lui, le travail aurait été fait la même journée. Quant au débordement du comptoir, il y est plus important car fabriqué par Armoires Agly. À la question «comment l’eau aurait pu monter et se rendre à l’ilôt», le témoin répond qu’un «verre ou un plat aurait pu y être posé».

 

[26]    Finalement, à la question s’il a «la certitude que la teinture va adhérer», le témoin répond que «oui car c’est la même teinture et la même laque pour tous les clients».

 

[27]    L’Administrateur fait entendre monsieur Jocelyn Dubuc, inspecteur-conciliateur, qui témoigne qu’il n’avait jamais vu ce problème malgré qu’il effectue environ 200 inspections par an. Il conclut que la situation est anormale pour une maison construite en 2008 et bien entretenue selon, entre autres, l’état parfait des planchers de bois. Selon les informations obtenues de l’Entrepreneur suite à son inspection, le sous-traitant déclinait toute responsabilité.

 

[28]    Monsieur Dubuc indique ensuite qu’il a rendu sa décision selon la compréhension qu’il avait du dossier mais que suite au témoignage rendu par la Bénéficiaire à l’audition, le rejet de la réclamation pour défaut de respecter le délai de dénonciation prescrit ne tient plus. Par ailleurs, il ne croit pas qu’il s’agisse d’un vice caché parce que, quoiqu’anormale, la situation ne rend pas le bien impropre à l’usage.

 

[29]    En contre-interrogatoire, monsieur Dubuc convient qu’il a déjà rencontré un vice qui constitue une défectuosité matérielle sans que ça affecte l’usage. Il donne pour exemple les planchers.

 

[30]    En argumentation, la procureure des Bénéficiaires rappelle les faits et conclut des témoignages qu’il n’y a pas lieu de plaider la question du délai de dénonciation, le signataire de la décision ayant convenu qu’il ne trouvait pas application.

 

[31]    Me Sabourin-Papineau plaide la présence du vice caché. Elle dépose un extrait  de l’ouvrage de Pierre-Gabriel Jobin intitulé «La vente» [1]. Elle réfère aux propos de l’auteur particulièrement en regard de la défectuosité fonctionnelle, de la gravité du vice, qui doit être inconnu de l’acheteur, être caché, être antérieur à la vente, de la garantie de durabilité et de la présomption de connaissance du vendeur.

 

[32]    Plus particulièrement, la procureure argue qu’il faut examiner le critère de la gravité en regard de la détérioration prématurée. Elle rappelle que les armoires ont coûté 17 500$ et se sont écaillées après 2 ans. Le contrat de garantie assure la protection des vices cachés découverts dans les trois ans et qu’aucune des exclusions qu’il comporte ne s’applique à la situation. Elle rappelle que, vu l’état général de la maison, il ne s’agit pas d’un problème d’entretien. Elle dépose une sentence arbitrale rendue par l’arbitre Dupuis.[2]

 

[33]    En ce qui concerne le délai, Me Sabourin-Papineau invoque l’article 1739 du Code cicil du Québec et argue que l’apparition de petits picots (bulles) ne pouvait pas laisser prévoir la dégradation, dont la gravité n’est apparue qu’en novembre 2010.

 

[34]    Quant au remède, elle plaide que même si le sous-traitant croit possible de reprendre le travail, il n’y a pas de certitude d’adhésion de la teinture. De plus, ses intentions quant au bas des caissons ne sont  pas claires. L’Entrepreneur a le choix du fournisseur mais les Bénéficiaires ont perdu confiance envers le sous-traitant.

 

[35]    Pour sa part, la procureure de l’Administrateur, Me Cloutier, rappelle que le litige est régi par le Règlement sur la Garantie des bâtiments résidentiels neufs (Ci-après le Règlement)[3]  . Ainsi, le plan de garantie est plus limité que les responsabilités plus larges de l’Entrepreneur. Quant à la dénonciation tardive, elle rappelle que monsieur Dubuc a reconnu que ce n’est pas le cas.

 

[36]    Me Cloutier plaide que l’article 10(4) du Règlement doit trouver application et l’Administrateur ne considère pas le problème comme un vice caché. Elle argue que le facteur de gravité n’est pas ici rencontré car il n’y a pas un problème de structure de bois mais d’adhérence de teinture. Me Cloutier ajoute que l’usage des portes n’étant pas compromis, il s’agit plutôt d’un problème esthétique. À l’appui de son argumentation, la procureure dépose deux décisions. [4]

 

[37]    En regard de la méthode corrective, Me Cloutier rappelle que celle-ci appartient à l’Entrepreneur et qu’il faut laisser au sous-traitant le choix des moyens. L’expert des Bénéficiaires n’a pas été en mesure d’identifier la méthode corrective, ajoute-t-elle.

 

 

L’ANALYSE ET LA DÉCISION

 

[38]    Avant d’amorcer l’analyse pour disposer de chacun des points en litige, il y a lieu de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement. Ainsi la garantie trouvera application si l’Entrepreneur est en défaut de respecter ses obligations légales ou contractuelles, plus précisément s’il néglige de terminer les travaux convenus ou si l’exécution des travaux est affectée de vices ou de malfaçons.

 

[39]    De plus, le Règlement impose d’autres conditions à la mise en œuvre de la garantie, dont le respect par les Bénéficiaires, des délais de dénonciation prescrits. En l’espèce, l’Administrateur a rejeté la réclamation des Bénéficiaires au motif que ceux-ci n’ont pas respecté le délai de dénonciation de 6 mois de la découverte du problème.

 

[40]    Toutefois, à l’audition, monsieur Jocelyn Dubuc, signataire de la décision pour l’Administrateur, a, après avoir entendu le témoignage de la bénéficiaire madame René, indiqué au Tribunal que le motif de la tardivité de la dénonciation ne tenait plus. Par ailleurs, selon lui, il n’en fallait pas moins rejeter la réclamation au motif que la situation problématique ne constituerait pas un vice caché.

 

[41]    Ce faisant, l’Administrateur a ainsi substitué le motif principal de sa décision écrite initiale par un autre motif invoqué pour la première fois à l’audition. En certaines circonstances, cette procédure aurait pu être ignorée par l’arbitre parce qu’elle ne permet pas à l’autre partie, prise par surprise, de préparer adéquatement sa preuve et son argumentation à l’égard de ce nouveau dispositif de la décision qui lui est défavorable. Toutefois, en l’espèce, la procureure des Bénéficiaires ne s’y est pas objectée et était, de toute évidence, préparée à plaider cette question. Les Bénéficiaires n’ont donc subi aucun préjudice.

 

[42]    Considérant la preuve contradictoire entendue, les questions auxquelles le Tribunal doit répondre sont donc les suivantes :

 

-         Les Bénéficiaires sont-ils responsables de la situation comme le prétendent l’Entrepreneur et le fournisseur des armoires?

-         La dégradation des armoires constitue-t-elle un vice caché?

 

[43]    Il convient d’abord de rappeler les dispositions législatives et réglementaires pertinentes au présent arbitrage, plus particulièrement les articles 10 et 12 du Règlement et l’article 1726 du Code civil du Québec.

 

10.   La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

 

    … 

 

  4°    la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil;

 

   …

 

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

 

 

La responsabilité des Bénéficiaires

 

 

[44]    Dans la décision qu’il a rendue pour l’Administrateur, l’inspecteur-conciliateur établit qu’à son avis, «il est clair que le problème soulevé par les bénéficiaires ne relève pas de leur responsabilité. L’administrateur est plutôt d’avis qu’il s’agit d’un problème de mauvaise adhérence de la teinture et du vernis, lesquels se détachent anormalement en miettes».. À l’audition, il réitère n’avoir jamais vu un tel problème malgré son expérience de plus de 25 ans à raison d’approximativement 200 inspections par  année.

 

[45]    Cet avis est corroboré par monsieur Luc Gauthier, ingénieur, dont les services ont été retenus par les Bénéficiaires, lequel opine que le bois étant resté blanc sous la teinture, il faut en conclure que celle-ci n’a pas adhéré.

 

[46]    De leur côté, après avoir d’abord invoqué auprès de l’Entrepreneur et des Bénéficiaires que la garantie qu’il donne est  limitée à un an, le sous-traitant conclut ensuite à l’absence de responsabilité, attribuant la situation à la faute des Bénéficiaires, à la configuration du comptoir ou à l’usure par frottement.

 

[47]    Il est clair que l’Entrepreneur s’en est totalement remis au sous-traitant, dont la preuve n’est pas convaincante.  Au contraire, la probabilité de débordement d’eau provenant de l’ensemble des comptoirs et de l’ilôt central est invraisemblable eu égard à l’état des armoires. De plus, l’allégation d’un entretien inadéquat par les Bénéficiaires n’est soutenue ni par la preuve ni par la visite de la maison dont les planchers, les armoires de la salle de bain et les meubles  sont impeccables. Aussi, aucune preuve d’humidité excessive n’a été faite. Le sous-traitant n’a pas démontré la responsabilité des Bénéficiaires

 

[48]    Le Tribunal conclut que la preuve soumise par les Bénéficiaires et l’Administrateur est prépondérante et exclut toute responsabilité des Bénéficiaires.

 

[49]    Au surplus, en aucun temps l’Administrateur n’a-t-il invoqué l’exclusion du plan de garantie prévue à l’article 12, paragraphe 3 du Règlement, qui se lit comme suit :

 

12.  Sont exclus de la garantie:

 

   ……

 

3°    les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l'entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire;

 

La dégradation des armoires constitue-t-elle un vice caché?

 

[50]    Selon l’Administrateur, la situation ne peut être qualifiée de vice caché parce que l’usage des portes d’armoires n’est pas compromis et la structure du bois n’est pas en cause. L’absence d’adhérence de la teinture ne répondrait pas au critère de gravité nécessaire pour conclure à la présence d’un vice caché. Au soutien de son argumentation, la procureure de l’Administrateur a déposé deux décisions arbitrales pour faire valoir que le déficit d’usage du bien doit être important et qu’il ne suffit pas de démontrer que le bien vaut moins en raison du vice.

 

[51]    Dans son traité portant sur la garantie de qualité, Edwards analyse les exigences de qualification du vice prévu à l’article 1726 C.c.Q. au sens de la garantie et conclut que :  

« Tout phénomène, quelle que soit sa forme ou son origine, constitue un vice dès qu’il entrave l’usage normal du bien. »[5]

 

[52]    Pour sa part, dans son traité sur la vente[6], le professeur Pierre-Gabriel Jobin estime qu’il n’y a cependant pas lieu de définir le vice au sens strict comme un déficit d’usage. Selon son analyse de la jurisprudence, il existe trois principales formes de vices.  La défectuosité matérielle, lorsque le bien livré est détérioré ou brisé. La défectuosité fonctionnelle, lorsque le bien est totalement ou partiellement incapable de servir à son usage normal. Finalement, la défectuosité conventionnelle quand le bien est incapable de servir à l'usage spécifique que les parties avaient en vue lors de la vente.

 

[53]    En l’espèce, tous les intervenants ont convenu que la dégradation des armoires n’est pas esthétique mais l’Administrateur et les Bénéficiaires ne s‘entendent pas sur la présence d’un vice caché. Sur cette question, il y a lieu de noter les propos du  professeur Jobin sur la forme de vice que constitue la défectuosité matérielle :

« Cette première catégorie inclut le défaut esthétique (cosmetic, en common law), c’est-à-dire une présentation imparfaite, spécialement pour un profuit neuf, laquelle en soi n’affecte pas le fonctionnement mais qui ne répond pas aux attentes normales de l’acheteur»

 

[54]    Il n’y a pas de doute : la dégradation des armoires constitue un vice. Toutefois, celui-ci doit encore répondre aux conditions de l’article 1726 C.c.Q.  En effet, pour donner ouverture à la garantie, le vice doit être grave, inconnu de l’acheteur, caché et antérieur à la vente.

 

[55]    Ainsi, pour être grave, le vice doit être tel que l’acheteur n’aurait pas acheté le bien ou n’en aurait pas donné si haut prix. La preuve a démontré que les armoires ont coûté 17 500$ aux Bénéficiaires, qui ont témoigné que, s’ils avaient su, ils n’auraient pas acheté ce type d’armoires, voire même pas une maison neuve parce qu’ils ne voulaient pas de problème. Selon une soumission verbale obtenue d’un autre fabricant, il leur en coûterait 33 000$ pour une réfection complète et 12 000$ pour une réfection des portes seulement.

 

[56]    La preuve a démontré également que la dégradation, quoique progressive, a été constatée après deux ans seulement. Elle est prématurée.  À cet effet, le Tribunal réfère aux propos de l’arbitre  Edwards dans une autre affaire présentant des similarités avec le présent dossier : 

«Selon le représentant de l’Administrateur, les céramiques ont été, à certains endroits, installées avec trop de colle, ce qui entraîne la fissuration progressive de certains joints de mortier qui sont évidés et qui se défont.  Cela s’est fait progressivement et a été constaté seulement après 2 ans suivant la réception du bâtiment.  L’Administrateur allègue que ce vice ou malfaçon n’a pas la gravité requise pour constituer un vice caché parce que le problème, aussi réel qu’il soit, n’est pas généralisé (à date du moins) à l’ensemble du plancher de la cuisine.

Selon la jurisprudence pertinente, il faut tenir compte des attentes raisonnables objectives de l’acheteur pour évaluer la gravité du vice.  Or, ici, la Bénéficiaire est un acheteur d’une propriété neuve et, selon le Tribunal d’arbitrage, il est anormal et inacceptable qu’il y ait une détérioration de ce type après seulement deux (2) ans suivant la réception du plancher.  Ainsi, le Tribunal d’arbitrage conclut que le critère de gravité est atteint…...[7]

 

[57]    Considérant le prix payé, le Tribunal ne peut souscrire à l’idée que des armoires de cuisine, dont les finis de teinture et de vernis se détachent en miettes et s’écaillent simplement en passant un chiffon sec,  répondent aux critères de qualité auxquels un acheteur normal est en droit de s’attendre. Conclure autrement équivaudrait à nier l’usage que toute personne doit pouvoir normalement faire d’une cuisine et attribuer aux Bénéficiaires la responsabilité d’un ouvrage qui ne satisfait pas aux règles de l’art.

 

[58]    Qui plus est, de l’aveu même des représentants du sous-traitant et du fournisseur de produits de finition, lorsque de l’eau s’infiltre dans le bois, la finition se dégrade. Le bois de plusieurs armoires étant à nu, le bois ainsi exposé subira une usure anormale et sera privé de protection contre l’eau et l’humidité.

 

[59]    Le tribunal considère qu’au-delà du problème esthétique, il s’agit là d’un vice caché. [8]

 

[60]    Par ailleurs, la perte de confiance des Bénéficiaires envers le sous-traitant ne permet pas de nier la règle à l’effet que le choix de la méthode corrective appartient à l’Entrepreneur, d’autant plus que l’expert des Bénéficiaires  n’a pas été en mesure d’identifier le remède approprié. Quoique l’absence de collaboration de l’Entrepreneur et du sous-traitant ait été soulignée tant par l’expert des Bénéficiaires que par celui de l’Administrateur, la preuve non contredite est à l’effet que le sous-traitant  a semblé disposé à reprendre le travail.

 

[61]    Considérant l’obligation de résultat à laquelle l’Entrepreneur est tenu, les tiroirs,  portes d’armoires  et autres surfaces qui sont endommagés devront être réparés de façon à ce que le fini de l’ensemble des tiroirs, portes d’armoires et autres surfaces soit harmonisé.

 

LES FRAIS D’EXPERTISE

 

[62]    Les Bénéficiaires réclament  les frais d’expertise encourus pour les services professionnels de l’expert Luc Gauthier et sa présence à l’audience.  Un premier compte, au montant de 735,84$ a été déposé à l’audience. Comme convenu, le compte pour la présence à l’audience de l’expert, au montant de 367,92$ a été transmis à l’arbitre et à toutes les parties le 4 juin 2012. Les deux comptes représentent une somme de 1 103.76$.

 

[63]    Invités à se prononcer sur la demande de remboursement de ces frais, l’Entrepreneur et l’Administrateur n’ont émis aucun commentaire.

 

[64]    En application de l’article 124 du Règlement, le tribunal doit se prononcer sur la demande de remboursement de ces frais.

« L'arbitre doit statuer, s'il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d'expertises pertinentes que l'administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.» 

 

[65]    Monsieur Gauthier a produit, le 6 février 2012,  un rapport d’inspection contenant une liste de causes probables de la détérioration établies à la suite de consultations effectuées auprès d’experts du domaine sans toutefois contenir de recommandations.  À l’audience, son témoignage a surtout servi à corroborer l’avis de l’inspecteur-conciliateur sans toutefois qu’il soit en mesure d’identifier une mesure corrective.

 

[66]    L’article 124 du Règlement établit trois critères de recevabilité au remboursement des frais d’expertise engagés par le Bénéficiaire. Il doit avoir gain de cause, c’est le cas en l’espèce, les frais réclamés doivent être raisonnables par rapport à la nature du problème, c’est également le cas, et l’expertise doit avoir été utile.

 

[67]    En ce qui concerne le troisième critère, quoique l’utilité de l’expertise ait été mitigée à certains égards, le tribunal est d’avis que, considérant l’absence antérieure de collaboration de l’Entrepreneur et du sous-traitant,  l’expertise a certainement été déterminante dans leur décision de produire eux-mêmes un rapport écrit et de s’intéresser au dossier des Bénéficiaires.

 

[68]    Considérant l’ensemble du dossier et vu l’absence de contestation de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, un montant de mille (1 000$) dollars devra donc être remboursé aux Bénéficiaires.

 

 

LA CONCLUSION

 

[69]    À titre d’arbitre désigné, la soussignée est autorisée à trancher tout différend découlant des plans de garantie.  L’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit;  il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[9] Sa décision lie les parties; elle est finale et sans appel.[10]

 

[70]    En vertu de l’article 123 du Règlement, les coûts du présent arbitrage sont à la charge de l’Administrateur.

 

123.   Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

 

 

 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

ACCUEILLE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;

RENVERSE la décision de l’Administrateur et ORDONNE à l’Entrepreneur d’effectuer, au plus tard le 15 septembre 2012, les travaux requis selon les règles de l’art afin que les tiroirs,  portes d’armoires  et  autres surfaces endommagés soient réparés de façon à ce que le fini de l’ensemble des tiroirs, portes d’armoires et  autres surfaces soit harmonisé;

        

ORDONNE à l’Administrateur de s’assurer que les travaux correctifs requis soient exécutés au plus tard le 15 septembre 2012 et, à défaut par l’Entrepreneur de s’y conformer, de procéder auxdits travaux dans les trente (30) jours suivant l’expiration du délai alloué à l’Entrepreneur;

 

ACCUEILLE EN PARTIE la demande des Bénéficiaires de rembourser les frais d’expertise et en limite le montant à 1 000.00$;

 

CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage.

 

Me France Desjardins

Arbitre/CCAC



[1]               3e edition, avec la collaboration de Michelle Cumyn,  Éditions Yvon Blais, p 194 à 219

[2]               Christine Bériault et Philip oordberg c. ynergie Constructions-Conseils Inc. et La garantie Habitation du Québec Inc., GAMM 2005-09-027, sentence rendue par monsieur Claude Dpuis le 28 avril 2006

[3]               LRQ, c.B-1.1, r.0.2

[4]               Daniel Côté et Nancy Clermont c. Les Constructions E.D.Y. Inc. et la Garantie des bâtments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., CCAC S09-030301-NP, décision rendue par Me Pierre Boulanger le 12 janvier 2010;  France Bouchard et Yves Guillemette c. Les Constructions M.&E. Godbout Inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, Inc. , SORECONI 09062201, déciion rendue par Me Michel Jeanniot le 22 jin 2010.

[5]               Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Wilson et Lafleur, 1998, p. 134 et ss.

[6]               Pierre-Gabriel JOBIN, La vente, 3e ed.,, Editions Yvon Blais, p. 195 & ss.

[7]               Diane Bellehumeur c. Groupe J.F. Malo Inc. et La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ Inc., CCAC S08-010401-NP, décision rendue le 30 septembre 2008 par Me Jeffrey Edwards.

[8]               Voir au même effet Goyette, Duschene et Lemieux inc. c. Manon Tessier et Claude De Carufel et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., GAMM 2008-12-015, décision rendue le 23 juin 2009 par Me Jeffrey Edwards.

[9]               Article 116 du Règlement

[10]             Articles 20 et 120 du Règlement