TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

Sous l’égide de

 CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

   Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

CCAC: S17-070301-NP

GARANTIE ABRITAT : 344506-1

ENTRE :

 

                                                                       STEPHANIE CLOUTIER,

PASCAL DION,

                       

                                                                       « Bénéficiaires »

 

                                                                       c.

 

                                                                       9200-2344 QUÉBEC INC.,

                                                                       « Entrepreneur »

 

                                                                       Et

 

RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. ÈS QUALITÉ D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DU PLAN DE GARANTIE DE LA GARANTIE ABRITAT INC.,

                                                                       « Administrateur »

 

 

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE

GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

DÉCISION ARBITRALE RENDUE LE  20 DÉCEMBRE 2017

 

YVES FOURNIER ARBITRE

 

 

IDENTIFICATION DES PARTIES

 

 

 

BÉNÉFICIAIRES :                                     STÉPHANIE CLOUTIER

                                                                       et

                                                                       PASCAL DION

                                                                      

[...]

QUÉBEC, (QUÉBEC)

                                                                       [...]

 

                                                                      

 

ENTREPRENEUR :                                  9200-2344 QUÉBEC INC.

 

                                                                       5374C, RUE MARÉCHAL-JOFFRE

LÉVIS, (QUÉBEC)

                                                                       G6X 3C7

 

                                                                       REPRÉSENTÉ PAR

STÉPHANE MASSE

 

 

 

ADMINISTRATEUR :                                LA GARANTIE ABRITAT INC.

 

5930, BOUL. LOUIS-H. LAFONTAINE

MONTRÉAL, (QUÉBEC)

H1M 1S7

 

                                                                       REPRÉSENTÉE PAR

                                                                       Me MARC BAILLARGEON

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

 

 

MANDAT ET COMPÉTENCE RATIO MATERIAE

 

[1]  Le Tribunal fut saisi du présent dossier suite à une demande d’arbitrage formulée par les bénéficiaires le 3 juillet 2017.  Le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) nomma le soussigné à titre d’arbitre le 11 juillet 2017 afin de disposer d’un seul point en litige.

 

[2] Les parties n’ont formulé aucune objection préliminaire et/ou touchant la compétence du Tribunal.

 

 

HISTORIQUE DES PRINCIPAUX FAITS ET PROCÉDURES

 

[3]  Suite à l’achat de leur propriété située au [...], à Québec par un contrat d’entreprise et de garantie signés le 12 juin 2013, les bénéficiaires Stéphanie Cloutier et Pascal Dion ont pris possession du bâtiment le 14 décembre 2013.

 

[4] Au printemps des années 2014, 2015, 2016 et 2017, lors de la fonte des neiges, des infiltrations d’eau prirent place au-dessus d’une fenêtre du troisième étage donnant sous la portion du toit incliné.

 

[5] Deux dénonciations furent formulées par les bénéficiaires, à savoir celle du 30 mars 2016 et celle du 3 mars 2017.

 

[6] Le conciliateur inspecta les lieux le 17 mai 2017 et rendit sa décision le 5 juin 2017 par laquelle il rejetait les réclamations des bénéficiaires.

 

[7] Le 3 juillet 2017, les bénéficiaires transmettaient au Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) un avis d’appel de cette décision.

 

[8]  Suite à la nomination du soussigné comme arbitre en juillet 2017, une conférence téléphonique prit place le 17 octobre 2017 lors de laquelle il fut décidé que l’audition prendrait place à Québec le 28 novembre 2017.

 

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PREUVE DES BÉNÉFICIAIRES

 

PASCAL DION

 

[9] D’entrée de jeu, monsieur Pascal Dion indique que seul le point 2 de la décision du 6 juin 2017 est contesté, à savoir : « infiltration d’eau par une fenêtre à l’étage » par le conciliateur.

 

[10] Le témoin fait état de la bonne foi des bénéficiaires.  Les problèmes d’eau qu’ils ont subis sont la conséquence d’un vice caché.  Ils ignoraient comment procéder face à cette situation.  Ils ont communiqué avec la Garantie Abritat pour obtenir de l’information.

 

[11] Madame Mélanie Tremblay, leur locataire à l’époque et qui depuis est devenue propriétaire de l’immeuble en cause, les informa au départ que des infiltrations d’eau avaient été remarquées dans l’une des chambres du logement.

 

[12] Sa conjointe, Stéphanie Cloutier, communiqua avec Abritat en avril 2014. On lui conseilla d’aviser l’entrepreneur « parce que de toute façon, c’est lui qui va payer ultimement », ajoute monsieur Dion.

 

[13] Ils communiquèrent à cette époque avec l’entrepreneur pour qu’il intervienne et celui-ci s’exécuta d’une certaine façon.

 

[14] La même problématique se présenta au printemps 2015.  Les bénéficiaires n’ont pas communiqué avec la garantie puisqu’ils avaient obtenu l’information quant à la démarche à suivre l’année précédente.  Après avoir communiqué de nouveau avec l’entrepreneur, celui-ci s’exécuta.  Les infiltrations prenaient place à chaque occasion au 3ième étage de l’immeuble et parvenaient de la fenêtre arrière «  où le toit peut se vider ».

 

[15] Au printemps 2016, les infiltrations se manifestent à nouveau.  Les bénéficiaires tentent de communiquer avec le représentant de l’entrepreneur, Carole Lavoie, malheureusement sans résultat.  Ils entrent de nouveau en contact avec la garantie par téléphone et par courriel, avec copie conforme à l’entrepreneur.  Celui-ci se présente alors et constate qu’il y a une brisure au-dessus de la fenêtre.  Seul un joint de silicone noir est apposé.

 

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[16] Le témoin précise que l’eau coule toujours « le long de la fenêtre, des mûrs, au haut du cache de la fenêtre, mais l’eau peut venir de partout ».  Il explique que l’eau peut prendre sa source partout puisqu’elle peut se faufiler en empruntant un chemin qui l’amène vers une pente descendante.

 

[17] Au printemps 2017, la problématique d’infiltration d’eau réapparaît.  L’entrepreneur n’est pas intervenu.  Les bénéficiaires dénoncent à nouveau en avisant l’administrateur le 3 mars 2017.  Le même jour Garantie Abritrat les informe de la démarche à suivre.

 

[18] Monsieur Dion cible un passage de ce courriel que le soussigné reproduit :

 

À cet effet, si votre entrepreneur n’est pas intervenu à l’intérieur du délai que vous lui avez accordé ou si vous jugez son intervention non satisfaisante, vous pouvez nous faire parvenir votre demande de réclamation en nous transmettant les documents suivants:

 

[19] Monsieur Dion ajoute :

 

« Cette phrase-là, c’est l’information que l’on avait depuis le début, depuis avril 2014. Si on jugeait son intervention non satisfaisante il fallait ouvrir le dossier.  On a suivi la recommandation depuis le début.

 

[20] Il s’agit clairement d’un vice caché pour le bénéficiaire mais le débat ne repose que sur le délai de six (6) mois, précise-t-il.

 

 

CONTRE INTERROGATOIRE

 

[21] Questionné par le procureur de l’administrateur quant à savoir s’il avait lu les clauses du contrat de garantie, il répond avec une certaine hésitation :

 

« On l’a signé mais on n’a pas lu les clauses ligne par ligne. Clairement pas. »

 

[22] Quant au petit pamphlet de la Régie du bâtiment qu’il a reçu en 2014, il s’exprime ainsi :

 

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              J’ai n’ai pas de détails.  On lit des choses.  Je ne sais pas

                comment….. Des documents j’en lis dans une journée. 

                Est-ce que j’ai vu qu’il y avait un six (6) mois comme délai,

                je n’ai pas porté attention.

 

 

MÉLANIE TREMBLAY

 

 

[23] Madame Mélanie Tremblay aménagea dans l’immeuble en décembre 2013.

 

[24] L’immeuble reçoit un toit plat avec une portion qui présente une pente vers la fenêtre en cause laquelle fait presque toute la largeur du mûr.  Le tout se vide à cet endroit.

 

[25] En mars 2014, elle monte à la chambre de son fils et elle aperçoit une flaque d’eau par terre.  Le lendemain, la même situation est remarquée.  Elle précise davantage l’endroit lequel se situe au haut de la fenêtre et non sur les côtés.  Elle transmet un courriel à la bénéficiaire Stéphanie Cloutier.

 

[26] Lorsque l’entrepreneur s’est exécuté au printemps 2014, il n’y avait plus de neige.  Elle note que cette problématique s’échelonne sur une période d’un mois environ.

 

[27] En 2015, c’est identique à 2014.  L’entrepreneur est de nouveau intervenu en scellant le pourtour des fenêtres.  Pour 2016 et 2017, la même problématique se présenta.

 

[28] Étant donné que madame Tremblay envisageait sérieusement d’acquérir la propriété, elle exigea que l’inspecteur Marc Millaire lui fournisse un rapport d’inspection préachat.  Ce dernier lui expliqua que l’eau prend le chemin qui l’amène au plus bas et de là elle s’évacue.  Son rapport serait du mois d’août 2017 puisque la facturation est en date du 20 août 2017.

 

[29] La fenêtre fut alors retirée par Construction P. Forand pour être remplacée ou replacée.  Elle fut calfeutrée à nouveau et les joints furent repris.  Elle ajoute : « Il se peut qu’au printemps prochain il y ait encore une infiltration d’eau. On s’attend à ce que ce soit garanti. »

 

 

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[30] Interrogée par Me Baillargeon elle précise qu’elle a acquis la propriété le 25 octobre 2017 et que les travaux ont été exécutés par Construction Forand à compter du lendemain.

 

[31] Ce même entrepreneur n’a pas trouvé la cause des infiltrations.

 

[32] Une soumission de 6,576.57$ dollars de Construction P. Forand est déposée.  Les travaux décrits ont été payés pour le même montant.

 

[33] Madame Tremblay et son conjoint ont décidé de procéder aux travaux car ils voulaient acquérir la propriété.  Elle ajoute :

 

« Non c’est pas urgent, non on n’a pas respecté le processus, mais pour acheter la maison on voulait voir un peu. »

 

STÉPHANIE CLOUTIER

 

[34] Madame Stéphanie Cloutier indique que madame Tremblay souhaitait faire l’achat de l’immeuble.  Avant de procéder à l’achat elle l’a fait inspecter et ils ont donné suite aux recommandations, c’est-à-dire enlever la fenêtre, la réinstaller afin de trouver la cause des infiltrations.

 

[35] Les bénéficiaires ont décidé d’agir ainsi sans attendre la décision de l’arbitre.

 

[36] Quant à savoir si elle a lu le contrat de garantie, elle se montre également hésitante avant de répondre.

 

J’ai lu très rapidement.  On lit, on ne lit pas.  J’ai lu entre les lignes. J’ai lu sommairement, rapidement.

 

 

PREUVE DE L’ADMINISTRATEUR

 

MICHEL HAMEL

 

[37] Deux (2) plaintes furent déposées par les bénéficiaires.  La première, le 30 mars 2016 et la seconde le 3 mars 2017. Malgré que le dossier fût ouvert en 2017 c’est la première date qu’il faut considérer, selon le conciliateur.

 

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[38] Ce dernier reconnaît avoir omis l’infiltration d’eau du printemps 2015 dans sa décision du 5 juin 2017.

 

[39] Les bénéficiaires ont eu l’occasion de dénoncer avant mars 2016 puisque la problématique s’est manifestée à deux reprises avant cette date.  Le délai de six (6) mois exigé par les paragraphes 3o, 4o et 5o de l’article 10 ou 27 du Règlement est largement prescrit.

 

[40] Interrogé par monsieur Pascal Dion monsieur Massé reconnaîtra que le site internet de la Régie du bâtiment en 2016 indiquait alors que la dénonciation devait prendre place « dans un délai raisonnable », sans qu’il soit mention du délai maximal de six (6) mois.

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[41] La question initiale qui se pose dans le présent dossier est de savoir si la dénonciation par les bénéficiaires, en date du 30 mars 2016, traitant d’infiltration d’eau, est recevable eu égard aux faits, au droit et à la jurisprudence.

 

[42]  La décision de l’arbitre doit être rendue judiciairement et par conséquent en conformité aux règles de preuve généralement admises.  Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (1) est d’ordre public.

 

[43]  L’arbitre ne peut et ne doit décider par complaisance ou dû au fait que la cause se veut sympathique.  Il doit décider dans le cadre de la loi et de la jurisprudence.

 

[44] La seconde question est de savoir si les bénéficiaires ont droit au remboursement des frais encourus pour les travaux entrepris par Construction P. Forand.

 

FARDEAU DE PREUVE

 

__________________

(1)  R.R.Q. c. B-1-1.02

 

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[45] En matière règlementaire la règle de la preuve applicable est celle prévue au Code Civil du Québec et de façon plus particulière, les articles 2803 et 2804 du même code, lesquels édictent :

 

2803 C.c.Q. : Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.  Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

 

2804 C.c.Q. : La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

 

[46]  En matière d’appel d’une décision de l’administrateur (conciliateur), il est clair que le fardeau de preuve repose sur les épaules de l’appelant.  Par prépondérance de preuve, les bénéficiaires, en l’espèce, devront prouver que les faits qu’ils allèguent sont plus probables qu’improbables et que leur preuve qu’ils ont présentée a permis de convaincre l’arbitre davantage que celle de l’administrateur.

 

[47] L’appréciation de la preuve se fait non pas en fonction de la quantité, mais bien de la qualité.  Ce n’est pas le nombre de témoins qui établit une preuve, mais bien leur capacité de convaincre.  Le fait allégué doit être probable et non uniquement possible.

 

[48] La preuve n’a pas à être d’une certitude absolue, ni être comme en matière criminelle, hors de tout doute raisonnable, mais elle se doit d’être prépondérante.

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[49] La version du Règlement applicable en l’espèce est celle préalable aux amendements du 1er janvier 2015. Considérant la date du contrat d’achat de l’immeuble laquelle remonte à 2013, il s’agira plutôt, en l’espèce, de la version retenue à L.R.Q. c. B-1.1, r.02.

 

 

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DROIT APPLICABLE AUX MALFACONS ET AUX VICES

 

[50] Le droit applicable quant aux délais de dénonciation particulièrement pour les bâtiments non détenus en copropriété divise fut ainsi formulé par le législateur provincial à l’article 10 du Règlement :

 

10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :

 

…3o la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des malfaçons;

 

4o la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;

 

5o la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice, en cas de vices ou de pertes graduelle, de leur première manifestation.

                                                  (Je souligne)

 

[51] L’article 1739 du Code civil du Québec dont fait état le paragraphe 4 de cet article 10 enseigne à l’acheteur les limites de son exercice de dénonciation :

 

1739. L’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte.  Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement du jour où l'acheteur’ a pu en soupçonner la gravité et l’étendue.

 

 

 

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[52] Les bénéficiaires doivent donc avoir dénoncé la malfaçon ou le vice « dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte » en vertu de l’article 10, 3o, 4 o et 5 o du Règlement.

 

[53]  Ce délai de six mois est d’ordre public et ne peut être prolongé ou interrompu (art. 116 du Règlement) même par l’exercice d’un quelconque pouvoir discrétionnaire.

 

[54] La jurisprudence(2) et la doctrine confirment qu’il s’agit d’un délai de déchéance.

 

[55] Le Tribunal se doit de notifier d’office la déchéance du recours, le législateur l’ayant prévu à l’article 2878 du Code civil du Québec :

 

2878.  Le Tribunal ne peut supplier d’office le moyen résultant de la prescription.  Toutefois, le Tribunal doit déclarer d’office la déchéance du recours, lorsque celle-ci est prévue par la loi.  Cette déchéance ne se présume pas, elle résulte d’un texte exprès.

 

[56] Un parallèle intéressant peut se faire avec certaines dispositions du Code civil du Québec quant à la notion du délai de déchéance, en regard avec la déclaration de sinistre en matière d’assurances.  L’ancien juge en chef, Michel Robert, de la Cour d’appel l’élaborait ainsi : (3)

 

« En matière d’assurance de dommages, l’obligation d’informer l’assureur est prévue à l’article 2470 C.c.Q., celui-ci requérant de l’assuré qu’il déclare le sinistre avec célérité dès qu’il en a connaissance [ndlr «  … doit déclarer à l’assureur tout sinistre de nature à mettre en jeu la garantie, dès qu’il en a eu connaissance »¨.  Les tribunaux ont conçu que cette obligation naissait au moment où se

____________

(2) SDC Promenade de la Rive c. Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, 2014 QCCS 6396, juge Alicadia Soldevila, J.C.S., 21 août 2014; Domaine-Bellerive c. Construction Robert Garceau Inc. Et Garantie Qualité Habitation, CCAC S13-091201-NP, Me Michel A. Jeanniot, 18 juillet 2014; Gattas-Aboud c. Groupe Constructions Royale Inc. et Garantie des Bâtiments Résidentiels neufs de L’APCHQ, SORECONI 130606001, Me T. Holländer, 10 octobre 2013

(3) Bourcier c. Citadelle (La) compagnie d’assurances générales, 2007 QCA 1145, para.27.

 

 

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produit le fait dommageable, et non au moment où l’étendue des dommages est constatée, la seule exception étant lorsqu’il est déraisonnable pour l’assuré de penser qu’il existe un lien entre le fait dommageable et la perte qui en résulte. »

 

[57] La célérité, la vigilance et la diligence s’avèrent évidemment des considérants à retenir dans l'appréciation du moment de la connaissance. 

 

[58] On pourrait définir ainsi la diligence raisonnable pour les bénéficiaires : qu’ils aient un degré de jugement, d’attention et de prudence auxquels on peut raisonnablement s’attendre d’une personne placée dans une situation similaire.

 

[59] L’évaluation de l’existence potentielle d’un dommage, d’un vice ou de sa présomption ne s’analyse pas uniquement eu égard au bénéficiaire mais de tout acheteur raisonnable.

 

[60] Me Jean Philippe Ewart traitait ainsi de l’objection quant au délai de dénonciation en présence de vice majeur dans l’affaire Syndicat des Copropriétaires du 716 Saint-Fernand et al. (4)

 

«Point de départ du délai de dénonciation

 

[87] La preuve révèle que nous sommes dans un cadre de non simultanéité de la faute (vice de conception et construction - absence de blocage et d’entretoisement) et du préjudice (affaissement de structure et al.) et que la manifestation du préjudice peut être qualifiée de tardive qui emporte la manifestation graduelle de l’art. 27 [note du soussigné, équivalent à l’article 10 pour la copropriété] du Règlement […]

 

[91] La doctrine nous enseigne sous la plume de Jean Louis Beaudoin, citant d’autre part l’auteur et une jurisprudence très abondante de nos tribunaux, dans un cadre de simultanéité lorsque la faute et le dommage se produisent en même temps :

 

____________

(4) Syndicat des Copropriétaires du 716 Saint Fernand et al. C. Développements TGB et Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, SORECONI 101206001, 15 avril 2011.

 

 

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[61] Toutefois, la juge France Thibault de notre Cour d’appel, dans l’arrêt Alexandre c. Dufour (5), a établi qu’il n’est pas obligatoire d’avoir les mots déchéance ou forclusion mentionnés à un article de loi pour que ce soit le cas.  Elle écrit :

 

[34]  Au sujet des termes utilisés, une mention formelle du terme « déchéance » ne me paraît pas obligatoire.  Il faut, cependant, qu’il ressorte du texte que l’intention du législateur est d’en faire un tel délai.  Dans Charrette c. Grande-île (Municipalité de) [15], le juge Boyer a exprimé l’avis suivant que je partage sans réserve :

 

‘’L’exigence d’un texte exprès que poste l’article 2878 C.c.Q. pour en faire résulter la déchéance d’un droit n’impose pas une mention formelle de ce terme. Il suffit que le législateur se soit exprimé sur le sujet de façon précise, claire et non ambiguë pour que le délai préfix existe.’’

 

[62]  Considérant l’ossature de la couverture de la garantie, il est essentiel dans certains cas et par le passage du temps, de déterminer de quelle nature est la dénonciation, soit de vice caché (art. 1726 C.c.Q.) ou de vice de conception, de construction ou de réalisation et de vices du sol (art. 2118 C.c.Q.). Cette supputation aura un impact sur la période de couverture de la garantie et sur les critères requis pour chaque type de problématique. 

 

[63] Le Tribunal devra avoir en tête, dans l’application de la manifestation pour la première fois, la maxime suivante rapportée par les tribunaux. (6)

 

Il n’y a recours que s’il y a dommage et c’est l’application de ce dernier qui donne ouverture à l’action. »

 

[64] La doctrine, sous la plume de Jean-Louis Baudoin (7), citant une jurisprudence fort nourrie, dans le cadre de coexistence lorsque le dommage et la faute se produisent en même temps, nous enseigne :

 

______________________

(5) [205] R.D.I. 1

(6) Creighton c. Immeubles Trans-Québec [1988] R.J.Q. 27 (C.A.) p. 32, citant Champagne c. Robitaille J.E. 85-353 (C.A.)

(7) Opus Cité, para 1-1419

 

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« La victime n’a pas à attendre que le dommage se réalise complètement, du moment que sa manifestation est certaine ».

 

[65] Le premier signe appréciable et tangible fera débuter le moment où la connaissance du délai a pris place.

 

[66] Qu’en est-il en l’espèce?

 

[67]  Les bénéficiaires soutiennent qu’ils ont toujours respecté les informations verbales ou même écrites de l’administrateur. Monsieur Dion a ciblé le courriel du 3 mars 2017 pour faire valoir qu’en tout temps l’administrateur s’exprimait dans le même sens que le texte rapporté.

 

À cet effet, si votre entrepreneur n’est pas intervenu à l’intérieur du délai que vous lui avez accordé ou si vous jugez son intervention non satisfaisante, vous pouvez nous faire parvenir votre demande de réclamation en nous transmettant les documents suivants :

                          (Les caractères gras sont du soussigné)

 

[68]  Le vice est donc apparent au printemps 2014.  Les bénéficiaires contactent l’administrateur qui leur indique de contacter initialement l’entrepreneur.  Pour se protéger et tel que le Règlement et le contrat de garantie le prescrit explicitement ils devaient, dès la survenance des infiltrations, dénoncer par écrit tant à l’administrateur et l’entrepreneur la problématique pour ainsi se protéger vis-à-vis ce même administrateur.

 

[69] Malgré l’importance monétaire de la transaction, les bénéficiaires n’ont pas lu, selon le soussigné, le contrat de garantie qui s’inscrit sur 2½ pages seulement et qui stipule quant à la dénonciation d’une malfaçon ou d’un vice (art. 10 du Règlement) :

 

« […] la réparation des vices…qui sont découverts dans les trois ans...’’

                                                  (Je souligne)

 

[70] Le texte est limpide et d’une clarté irréprochable. Le vice était découvert.

 

 

 

 

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[71] Même en poursuivant au-delà du printemps 2014, les bénéficiaires auraient dû comprendre et juger que du fait que les infiltrations se manifestaient à nouveau .… son intervention (l’entrepreneur) s’avérait non satisfaisante.

 

[72] Il y avait nécessité qu’ils s’exécutent en dénonçant aussitôt la problématique tant à l’administrateur qu’à l’entrepreneur.

 

[73]  Rappelons qu’au printemps 2015 les infiltrations d’eau se sont à nouveau manifestées et madame Tremblay précisait que c’était sur une période approximative d’un mois.  Lors de ce printemps les bénéficiaires ne se sont pas adressés à l’administrateur.

 

[74]  Tous les témoins entendus du côté des bénéficiaires ont insisté sur le fait qu’il s’agissait d’un vice caché parce qu’il y avait des infiltrations d’eau.  La locataire, à l’époque et propriétaire au moment des représentations des parties, s’exprimait ainsi:

 

« Si ça coule, s’il y a des infiltrations d’eau, c’est sûr que c’est un vice.

 

[75]  A priori, sans preuve d’expert, le Tribunal serait enclin à reconnaître qu’il s’agit d’un vice caché puisque la source du problème n’est pas visible et qu’aucun des intervenants n’a été en mesure de déterminer la cause, ni de toute évidence par un acheteur prudent et diligent (article 1726 du Code civil du Québec).

 

 [76] Mon collègue, Me Rolland-Yves Gagné dans la décision Evangélista et Lamolinura c. Construction Trilikon Inc. et la Garantie Abritat (8) écrit :

 

[160] Le Règlement à l’article 10 dit très clairement que le délai de dénonciation est de six mois de la découverte, les bénéficiaires ont attendu trois hivers avant de le dénoncer par écrit à l’Administrateur et à L’Entrepreneur.

 

[161] Pour les motifs déjà exposés aux paragraphes [136] et suivants ci-haut, le Tribunal d’arbitrage se doit de rejeter la réclamation des Bénéficiaires, vu le non-respect du délai de dénonciation.

 

__________________

(8) CCAC, 515-101101-np, 19 avril 2017

 

 

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[…]

 

[167] En résumé, les Bénéficiaires

 

[167.1] ont attendu trois hivers pour dénoncer une problématique alléguée découverte lors de leur premier hiver alors que le Règlement déterminant le contenu de leur garantie fournie par l’Administrateur leur imposait un délai de dénonciation de six mois, le délai de dénonciation étant déraisonnable à sa face même;

 

[167.2] de façon subsidiaire (obiter dictum puisque le non-respect du délai de dénonciation est fatal), alors que les Bénéficiaires ont le fardeau de la preuve,

 

[167.2.1] ils n’ont pas communiqué avec l’Administrateur « avant le 1er mars 2016 » pour lui permettre de constater le vice ou la malfaçon alléguée alors que ce dernier l’avait clairement « décidé dans sa décision »;

 

[167.2.1.1] conséquence, l’Administrateur n’a pas pu constater la problématique alléguée au point 14 :

 

[77]  L’ignorance de la loi, la bonne foi ou la cause sympathique ne font pas obstacle à l’appréciation stricte du délai de six (6) mois. Me Michel A. Jeannot, dans l’affaire Domaine C. Construction R. Garceau et Garantie Qualité Habitation (9) l’exprime ainsi :

 

[58] Le Tribunal comprend qu’il ne s’agit pas ici de plaider sa propre turpitude mais, l’ignorance du délai de dix (6) mois prévu aux articles 3.2, 3.3 et/ou 3.4 du contrat de garantie et/ou de l’article 10 du Règlement ainsi que la bonne foi des parties ne constituent pas des éléments en droit qui habilitent le décideur à faire fi d’un délai de déchéance.  Tout motif, quel qu’il soit, (si noble soit-il) ne peut reposer sur un fondement juridique puisque même si la preuve révèle qu’il pouvait s’agir de l’erreur ou de la négligence d’un tiers mandataire et/ou conseiller, il s’agit ici d’un délai de déchéance; sitôt le calendrier constaté l’arbitre est dans l’impossibilité d’agir.

 

____________________________

(9) CCAC, S13-091201-NP, 18 juillet 2014

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REMBOURSEMENT DES COÛTS POUR MESURES CONSERVATOIRES

 

[78] Avant de traiter de cette demande des bénéficiaires en titre, il est opportun d’indiquer qu’à compter de la date de la vente de la propriété à madame Mélanie Tremblay, celle-ci devenait la bénéficiaire en titre.  L’article 16 du Règlement ne peut être plus évident et univoque :

 

16- La garantie d’un plan bénéficie à tout acquéreur subséquent pour le terme qui reste à courir à la garantie.

 

[79] L’article 18 du Règlement régit le remboursement des coûts de réparations conservatoires nécessaires et urgentes :

 

18.  La procédure suivante s’applique mal à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l’article 10.

 

 

5o dans les 20 jours qui suivent l’inspection, l’administrateur doit produire un rapport écrit et détaillé constatant le règlement du dossier ou l’absence de règlement, l’administrateur statue sur la demande de réclamation et ordonne, le cas échéant, à l’entrepreneur de rembourser au bénéficiaire le coût des réparations conservatoires nécessaires et urgentes et de parachever ou corriger les travaux dans le délai qu’il indique, convenu avec le bénéficiaire.

 

[80] La détermination des travaux correctifs fut traitée par Me Karine Poulain dans Pompena c. Habitations A. Taillon et Garantie des Bâtiments Résidentielles neufs de l’APCHQ (10). En l’espèce, le bénéficiaire avait droit aux travaux correctifs, mais en s’exécutant, il ne pouvait avoir droit qu’au remboursement des coûts pour les réparations conservatoires, nécessaires et urgentes :

 

[83] Quant au dernier point, le Tribunal doit décider si les Bénéficiaires ont droit au remboursement de la dépense encourue pour le déplacement de la gouttière vers l’arrière.  Pour donner suite à la demande des Bénéficiaires, le Tribunal doit décider si la dépense encourue a été faite dans un but conservatoire, nécessaire et urgente.

 

_______________

(10) (GAMM) 2013-13-001

 

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Si la dépense encourue ne répond à ce plan de garantie, soit en l’occurrence le déplacement de la gouttière vers l’arrière, le Tribunal ne pourra faire droit à la demande. […]

 

[81] Qu’en est-il en l’espèce?

 

[82]  Les bénéficiaires n’y ont pas droit pour les motifs suivants :

 

1.    Les bénéficiaires n’ont pas dénoncé la problématique dans un délai de six (6) mois.

 

2.    Faut-il rappeler les propos de madame Mélanie Tremblay en regard de sa décision à procéder aux travaux :

 

Non c’est pas urgent, non on n’a pas respecté le processus, mais pour acheter la maison ou voulait voir un peu.

 

3.    La correction apportée ne prouve aucunement que la problématique est réglée.

 

[83]  En considérant la preuve faite lors de la séance d’arbitrage, l’état du droit et de la jurisprudence le Tribunal se doit de rejeter la demande d’appel des bénéficiaires.

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

 

REJETTE                 l’appel des bénéficiaires;

 

REJETTE                             la demande de remboursements de dépenses encourues;

 

MAINTIENT                         les conclusions du rapport du conciliateur, Michel Hamel, daté du 5 juin 2017;

 

 

 

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LE TOUT                              avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’administrateur conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facturation émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours, sous réserve de la conclusion suivante;

 

CONDAMNE            les bénéficiaires à payer une première tranche de 75.00$ dollars et ce dans le délai de 30 jours des présentes, payable au Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) ;

 

RÉSERVE                à la Garantie Abritat Inc. (l’administrateur) ses droits à être indemnisée par l’entrepreneur, pour toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.

 

 

 

 

 

LAVAL, CE  20 DÉCEMBRE 2017

 

 

 

Yves    Fournier

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YVES FOURNIER

ARBITRE