ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
ENTRE : SYNDICAT DE COPROPRIÉTÉ L’ÉLYSÉE-PHASE III ;
(Ci-après le « Bénéficiaire »)
ET : LES HABITATIONS DU QUARTIER BOISBRIAND INC. ;
(Ci-après l’« Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC. ;
(Ci-après l’« Administrateur »)
Dossier CCAC : S17-051801-NP
Décision
Arbitre : Me Christian Villemure
Pour le Bénéficiaire :
Pour l’Entrepreneur : Me Carolan Villeneuve (Dunton Rainville)
Pour l’Administrateur : Me François-Olivier Godin (Bélanger Paradis)
Date de la Décision : 13 août 2018
Identification complète des parties
Bénéficiaire : SDC l’Élysée Phase III
3195, rue des Francs-Bourgeois
Boisbriand (Québec) J7H 0G3
Entrepreneur : Les Habitations du Quartier Boisbriand inc.
72, rue de Lindoso
Blainville (Québec) J7B 1Z6
Et son représentant :
Me Carolan Villeneuve
Dunton Rainville Avocats
800, Square Victoria
Montréal (Québec) H4Z 1H1
Administrateur : La Garantie Habitation du Québec inc.
9200, boul. Métropolitain Est
Montréal (Québec) H1K 4L2
Et son procureur :
Me François-Olivier Godin
Bélanger Paradis Avocats
9200, boul. Métropolitain Est
Montréal (Québec) H1K 4L2
Mandat
L’arbitre a reçu son mandat par lettre datée du 25 mai 2017.
Valeur en litige
Demande en litige : valeur de 185 000,00 $
Plumitif
18.05.2017 Réception de la demande d’arbitrage par le greffe du CCAC
25.05.2017 Nomination de l’arbitre
06.06.2017 Procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion
13.06.2017 Cahier des pièces de l’Administrateur (Déposé en preuve à l’audition du 19.07.2018)
27.09.2017 Procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion
26.10.2017 Procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion
18.12.2017 Procès-verbal d’appel de conférence de gestion
07.02.2018 Procès-verbal d’appel de conférence de gestion
21.02.2018 Lettre du procureur de l’Entrepreneur contenant une demande de prolongation de délai
30.04.2018 Liste des admissions de l’Entrepreneur
30.04.2018 Liste des témoins de l’Entrepreneur
02.05.2018 Procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion
04.05.2018 Procès-verbal d’appel conférence et conférence de gestion, et convocation des parties à l’enquête et audition
17.07.2018 Lettre de l’arbitre aux parties
17.07.2018 Lettre du procureur de l’Administrateur contenant la liste de ses témoins
19.07.2018 Acte de désistement de l’Entrepreneur (Notification le 18.07.2018, 17H31)
19.07.2018 Enquête et audition
20.07.2018 Représentation/Jurisprudence de l’Administrateur
20.07.2018 Représentation/Jurisprudence de l’Entrepreneur
02.08.2018 Prise en délibéré
Décision
[1] Il s’agit d’un arbitrage institué en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (Chapitre B-1.1, r. 8) demandé par l’Entrepreneur suite à une décision rendue par l’Administrateur le 13 mai 2017 ;
[2] Le 13 mai 2017, l’Administrateur avait rendu une décision ordonnant à l’Entrepreneur d’effectuer certains travaux le long des murs de fondations des immeubles concernés, en plus de réparer les fissures aux murs de fondations, avant de remettre en état l’aménagement du terrain sur le pourtour des immeubles, tel qu’il appert de la pièce A-4, déposée par l’Administrateur ;
[3] La nature du litige soumit à l’arbitrage porte essentiellement sur la détermination des travaux à réaliser sur les bâtiments concernés ;
[4] Les premiers mois de la présente instance arbitrale ont été utilisés par les parties, à leur demande, pour tenter de négocier un règlement du litige arbitral. À cet effet, les parties ont demandé conjointement au Tribunal d’arbitrage de reporter l’enquête et audition dans l’espoir d’en arriver à un règlement négocié ;
[5] Le 7 février 2018, devant l’absence de règlement, le Tribunal d’arbitrage a fixé un échéancier et imposé aux parties des délais de rigueur afin de compléter le dossier d’arbitrage avant la tenue de l’enquête et audition ;
[6] Le 4 mai 2018, le Tribunal d’arbitrage a convoqué les parties et les procureurs à l’enquête et audition de l’instance, le 19 juillet 2018. Ce faisant, le Tribunal d’arbitrage a prorogé certains délais pour permettre aux parties de compléter leurs dossiers au plus tard le 29 juin 2018, en prévision de l’enquête et audition du 19 juillet 2018 ;
[7] En date du 29 juin 2018, où le dossier du Tribunal d’arbitrage devait être complété en ce qui concerne les expertises, les pièces et la liste des témoins à entendre à l’audition, seul l’Administrateur avait déposé ses pièces ;
[8] Aucune expertise n’a été déposée par l’Entrepreneur au soutien de sa demande, de sorte qu’aucune contre-expertise n’a été déposée par la suite par les Bénéficiaires ou l’Administrateur ;
[9] Dans ce contexte, le 17 juillet 2018, l’arbitre a communiqué une demande à toutes les parties, requérant que le dossier d’arbitrage soit complété rapidement, en prévision de l’enquête et audition ;
[10] Le 19 juillet 2018, le Tribunal d’arbitrage a reçu du procureur de l’Entrepreneur un acte de désistement suivant lequel l’Entrepreneur se désiste de sa demande d’arbitrage relativement à la décision de l’Administrateur du 13 mai 2017. Cet acte de désistement a été notifié la veille à 17h31 ;
Partage des frais d’arbitrage
[11] À l’enquête et audition, les procureurs de l’Entrepreneur et de l’Administrateur ont fait des représentations concernant le partage des frais d’arbitrage, vu le désistement de l’Entrepreneur ;
[12] Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs mentionné ci-devant prévoit :
« Les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l’Administrateur à moins que le Bénéficiaire n’obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l’arbitre départage ces coûts.
Seul l’organisme d’arbitrage est habilité à dresser le compte des coûts de l’arbitrage en vue de leur paiement. »
[13] Le procureur de l’Administrateur plaide que l’issu de cette instance d’arbitrage était prévisible, compte tenu que l’Entrepreneur n’a déposé aucune expertise au soutien de cette prétention, ni même aucune pièce en prévision de l’audition ;
[14] Il soutient que le désistement de l’Entrepreneur aurait dû être déposé plus tôt, afin notamment de limiter les frais et de libérer l’assignation de témoins faite par toutes les parties ;
[15] Il invoque l’article 116 du Règlement et affirme que les circonstances justifient l’application de cet article qui se lit comme suit :
« Un arbitre statue conformément aux règles de droit ; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient. » ;
[16] Le procureur de l’Administrateur soutien que l’Entrepreneur a utilisé la demande d’arbitrage pour repousser les délais pour l’exécution des travaux ordonnés par l’Administrateur. Il affirme que l’Administrateur n’a pas à subir les frais de cette stratégie, en payant la moitié des frais d’arbitrage tel que le prévoit l’article 123 du Règlement ;
[17] De son côté la procureure de l’Entrepreneur rappelle que le Règlement est d’ordre public, et que le texte de l’article 123 est clair, ne comportant aucune exception, quelle que soit l’issue de la demande d’arbitrage ;
[18] Elle ajoute que l’article 116 et les pouvoirs de l’arbitre de faire appel à l’équité ne peuvent être utilisés pour aller en contravention avec une disposition législative claire ;
[19] La procureure ajoute que malgré l’absence de rapport d’expert au soutien des prétentions de l’Entrepreneur, il n’était pas l’intention de ce dernier de se désister de sa demande d’arbitrage, et ce jusqu’au 18 juillet 2018. L’Entrepreneur, soutien-t-elle, avait l’intention de plaider d’autres points pour convaincre le Tribunal d’arbitrage de la nécessité de renverser la décision rendue par l’Administrateur le 13 mai 2017. Notamment des points sur l’interprétation du rapport de l’Administrateur avec d’autres rapports précédant constituaient le centre de l’argumentaire à présenter au Tribunal d’arbitrage ;
[20] Aucun témoin n’a été entendu à l’enquête et audition ; aucun témoin ne s’est d’ailleurs présenté malgré le désistement de dernière minute ;
[21] Aucuns frais d’expertise n’a été documenté et le Tribunal d’arbitrage doit départager uniquement les frais de l’Arbitrage ;
Analyse
[22] Le Tribunal d’arbitrage a octroyé à l’Entrepreneur et à l’Administrateur un délai pour soumettre leur argumentaire et la jurisprudence au soutien de leur prétention respective concernant le partage des frais d’arbitrage, suite au désistement de l’Entrepreneur ;
[23] Dans l’affaire 7713673 Canada Inc. et La Garantie de Construction Résidentielle [1], l’arbitre Me Philippe Patry, devait adjudiquer sur la question du partage des frais d’arbitrage dans le cadre spécifique d’un désistement unilatéral de l’Entrepreneur et il écrit :
« [6] Tel que l’affirme une jurisprudence récente, le texte de cet article est clair et limpide. Il ne comporte aucune exception. Il stipule explicitement que lorsque l’Entrepreneur est le demandeur, comme en l’espèce, les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur. Ainsi, considérant cette disposition spécifique du Règlement quelle que soit l’issue de la demande d’arbitrage, le Code de procédure civile du Québec ne peut trouver application.
(…)
[7] Pour toutes ces raisons, le Tribunal statue que l’Administrateur et l’Entrepreneur devront assumer à parts égales les frais du présent arbitrage. »
[24] D’autres décisions jurisprudentielles sont au même effet ;
[25] De son côté, le procureur de l’Administrateur réfère le Tribunal à la décision arbitrale rendue par Me Jean-Robert LeBlanc, où l’arbitre avait également dû traiter de la question du partage des frais d’arbitrage, dans le cadre d’un désistement (présumé) de l’Entrepreneur de sa demande d’arbitrage [2]. Dans cette affaire, l’arbitre réfère au Code de procédure civile à titre de source législative supplétive pour déterminer les conséquences juridiques du désistement de la partie qui a déposé la demande d’arbitrage. Il souligne que le Code de procédure civile prévoit que le désistement remet les parties dans l’état où elles étaient si la demande n’avait pas été faite, en ajoutant que le Code prévoit l’obligation de payer les frais occasionnés par la demande (paragraphe 15 de la décision arbitrale) ;
[26] L’arbitre Me Jean-Robert LeBlanc écrit :
« [19] Avec égard pour l’opinion contraire, le Tribunal arbitral est d’avis que dans les circonstances de l’espèce, obliger l’Administrateur à payer la moitié des frais du présent arbitrage constitue une injustice à son l’égard (sic). Cette injustice doit être réduite le plus possible.
[20] En conséquence, comme l’a plaidé la procureure de l’Administrateur avec le soutien du procureur des Bénéficiaires, le Tribunal arbitral peut recourir aux règles d’équité tel que le Règlement l’autorise à le faire lorsque les circonstances le justifient. » ;
[27] Le Tribunal d’arbitrage doit donc décider quelle est la conséquence légale, au niveau du Règlement, du désistement de l’Entrepreneur de sa demande d’arbitrage dans le présent dossier. Le Tribunal d’arbitrage constate que le Règlement ne contient pas de disposition relativement au désistement de la demande d’arbitrage une fois qu’elle est déposée. Certes, l’enquête et audition n’a pas lieu, et l’instance arbitrale se termine dès la réception de l’acte de désistement ;
[28] Le Tribunal d’arbitrage doit décider si l’acte de désistement de l’Entrepreneur provoque les effets légaux prévus à l’article 213 C.p.c. qui prévoit :
« Le demandeur qui se désiste en totalité de sa demande en justice met fin à l’instance dès que l’acte de désistement est notifié aux autres parties et déposé au Greffe. Le désistement remet les choses en état ; il a effet immédiatement s’il est fait devant le tribunal en présence des parties. Les frais de justice sont à la charge du demandeur, sous réserve d’une entente convenue entre les parties ou d’une décision du Tribunal. »
[29] Le fait que l’instance arbitrale se termine par le dépôt d’un désistement plutôt que d’une décision arbitrale sur le fonds du litige, implique-t-il que les frais seront attribués suivant cette disposition du Code de procédure civile, plutôt que de l’article 123 du Règlement ? Le Code de procédure civile agit-il à titre supplétif, lorsque le Règlement s’avère muet sur un aspect procédural de l’instance arbitral, tel le dépôt d’un désistement ?
[30] Le Tribunal d’arbitrage ne croit pas que l’intention du législateur ait été de retirer de l’article 123 le calcul des frais d’arbitrage issus d’une instance qui se termine par le dépôt d’un désistement. L’article 123 du Règlement procède d’une rédaction claire et dépourvue d’exception. L’instance arbitrale peut se terminer de diverses façons, notamment par un règlement hors Cour, une décision sur le fonds ou un désistement … ;
[31] Le Tribunal d’arbitrage partage les propos de l’arbitre Me Philippe Patry dans l’affaire précitée 7713673 Canada inc. à l’effet que l’article 123 du Règlement reçoit application, quelle que soit l’issue de la demande d’arbitrage ;
[32] Ceci étant, le Tribunal ne peut s’empêcher de citer les propos de l’Honorable juge Pierre-J. Dalphond, de la Cour d’appel du Québec, dans une affaire de désistement tardif [3] :
J’ajouterais que par son comportement, le requérant a fait fi de ses obligations non seulement envers les parties adverses, mais aussi envers le système judiciaire, dont les ressources sont limitées. Un juge a été assigné pour un procès de neuf jours et s’est préparé en conséquence, alors que le requérant avait choisi d’abandonner sa réclamation depuis un certain temps, puisqu’il n’avait pas ses témoins présents à l’ouverture du procès. Pendant ce temps, d’autres dossiers attendaient.
Il est du devoir des avocats d’informer dès que possible le tribunal qu’un recours est abandonné afin d’éviter le gaspillage des ressources juridiques ;
[33] Bien que l’article 116 du Règlement permette à l’arbitre de faire appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient, le Tribunal d’arbitrage ne croit pas que la présente instance et les éléments factuels qu’il a à sa disposition compte tenu de l’absence de toute preuve instrumentée à l’enquête et audition, ne lui permette de s’autoriser à adjuger le partage des frais autrement que suivant les spécifications de l’article 123 du Règlement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
PREND ACTE du désistement total de l’Entrepreneur de la demande d’arbitrage ;
DÉCLARE le présent dossier clos ;
LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, en parts égales, vu l’article 123 du Règlement sur les bâtiments résidentiels neufs, avec des intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours ;
Mirabel, le 13 août 2018
_______________________
Christian Villemure Arb.
Arbitre / CCAC
Décisions consultées et non mentionnées :
Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Desindes (C.A. 2004-12-15, SOQUIJ AZ-50285725, J.E. 2005-132 ;
3093-2313 Québec inc. et La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ, 2015 CANLII 103448 (QC OAGBRN), Me Roland-Yves Gagné, arbitre ;
Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Chartier, 2007 QCCS 2146 ;
Garantie Habitation du Québec inc. c. Clavier, 2018 QCCS 1257 ;
Nazco et 9181-5712 Québec inc., Me Roland-Yves Gagné, arbitre ;
Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC), S16-011902-NR, 2016-04-18.