TRIBUNAL D’ARBITRAGE

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

Sous l’égide du

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du Bâtiment

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBÉC

CCAC : S16-111602-NP

GH : 16-258 NN                                           ENTRE

 

KRYSTLE ANDRADE

« Bénéficiaire »

 

 c.

  

9116 - 7056 QUÉBÉC INC.

« Entrepreneur »

 

et

 

RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR PROVISOIRE INC. ÈS QUALITÉS D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DU PLAN DE GARANTIE DE LA GARANTIE ABRITAT INC.

 « Administrateur »

 

 

            ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE

GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

 

 

DÉCISION ARBITRALE RECTIFIÉE RENDUE LE 18 JUIN 2017

 

YVES FOURNIER ARBITRE

IDENTIFICATION DES PARTIES

 

 

BÉNÉFICIAIRE :                                                    KRYSTLE ANDRADE

[...],

LAVAL, (QUÉBEC)

[...]

 

ASSISTÉE DE

CHADI CHANTIRI

 

            

ENTREPRENEUR :                                               9116 - 7056 QUÉBÉC INC.

PERSONNE MORALE

DONT LE SIÈGE SOCIAL ÉTAIT SITUÉ AU

MIRABEL, (QUÉBEC)

J7J 0B3

 

NON REPRÉSENTÉ

 

 

ADMINISTRATEUR :                                           RAYMOND CHABOT ADMINISTRATEUR

PROVISOIRE INC. ÈS QUALITÉS D’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE DU PLAN DE GARANTIE DE LA GARANTIE ABRITAT INC.

PERSONNE MORALE DÛMENT CONSTITUÉE

DONT LE SIÈGE SOCIAL EST SITUÉ AU

9200, BOUL. MÉTROPOLITAIN EST,

MONTRÉAL, (QUÉBÉC)

H1K 4L2

                       

REPRÉSENTÉE PAR

Me NANCY NANTEL

 

 

DÉCISION

 

 

MANDAT ET COMPÉTENCE RATIO MATERIAE

 

[1] Le Tribunal fut saisi du présent dossier suite à une demande d’arbitrage formulée par la Bénéficiaire le 31 août 2016. Le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) nomma le soussigné à titre d'arbitre le 24 novembre 2016 afin de disposer d'un seul point en litige.

 

[2] Les parties n'ont formulé aucune objection préliminaire et/ou touchant la compétence du Tribunal.

 

 

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

 

[3] Le 25 octobre 2010 la Bénéficiaire signait avec l’Entrepreneur, 9116-7056 Québec Inc. (Construction Sebalan), un contrat d'entreprise et de garantie obligatoire de maison neuve pour la construction d'un immeuble multiplex situé au [...], à Mirabel pour la somme de 499,020.38 dollars.

 

[4] L’inspection préréception prit place le 6 juillet 2011 et le formulaire requis par l’Administrateur fut signé le même jour. Les parties convenaient par ce même document que la fin des travaux se situerait à la ´´fin juillet ´´ 2011.

 

[5] Tel qu'il apparaît à la décision du conciliateur, datée du 1er novembre 2016, et ceci n’étant pas contestée, la réception de l'immeuble multiplex se situe le 6 juillet 2011.

 

[6] Par courriel transmis à l’Entrepreneur et l’Administrateur le 31 août 2016, la Bénéficiaire dénonçait la fondation de béton pour la descente arrière en ces termes : 

 

´´Refaire la fondation de béton pour la descende arrière du sous-sol car celle-ci s'est détachée de la fondation de l'immeuble car elle n'est pas construite à l'abri du gel, ce qui fait en sorte que la fondation de la descende bouge constamment et vient pousser sur la fondation de l'immeuble et cause plusieurs fissures dans la fondation autour de porte patio.

 

Veillez prendre note que le problème a était constaté le 15 juin 2016. ´´                                        

(SIC)

 

[7] Le conciliateur, Robert Roberge, nommé par l’Administrateur, dans son rapport du 1er novembre 2016, concluait quant à ce point que la Garantie Abritat ne pouvait reconnaître le point dans le cadre de son mandat, invoquant l'absence de vice majeur.

 

[8] Le 16 novembre 2016, la Bénéficiaire avisait le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) qu'elle portait la décision du conciliateur en arbitrage.

 

[9]   La notification de cette demande fut transmise et reçue le 24 novembre 2016.

 

[10] Suite à sa nomination comme arbitre, le soussigné convoqua une conférence téléphonique préparatoire pour le 27 janvier 2017 et le 17 mai 2017 l'audition prenait place en l'absence de l’Entrepreneur.

 

 

 

PREUVE DE LA BÉNÉFICIAIRE

 

STÉPHANE BOSSUS

 

[11] Monsieur Stéphane Bossus est ingénieur et expert en bâtiments. Suite à l’admission de la procureure de l’Administrateur il fut reconnu expert par le Tribunal. Il a réalisé une expertise le 20 janvier 2017 et livrait un rapport écrit le 25 mars suivant.

 

 

 

 

[12] L'immeuble multiplex détaché abrite trois logements et fut construit en 2011. À l'arrière du bâtiment au coin droit, se trouve une cour anglaise, soit une descende de sous-sol donnant accès au logement ayant l'adresse civique du [...], à Mirabel.

 

[13] L'expert identifie deux types de fissuration l'une d'origine capillaire et l'autre structurelle. La première est réparable par injection, la seconde révèle un problème plus sérieux qui est causé dans le présent cas par une force, telle une poussée latérale.

 

[14] Sur les murs de fondation de la cour anglaise reposent quatre colonnes métalliques lesquelles supportent les balcons des niveaux supérieurs. Une fissure en angle est montrée par une photo du rapport (page 6). Donnant prise au gel, l'eau peut s'infiltrer et provoquer une ouverture et par voie de conséquence un soulèvement de cette section de la fondation. Il la qualifie de fissure structurelle.

 

[15] Monsieur Bossus identifie une deuxième fissure structurelle de l'ordre de 1/8 de pouce laquelle est localisée au coin avant du mur de fondation latéral droit de la descente (page 9 et 10 du rapport). L'ouverture va de haut en bas du mur.

 

[16] Au-dessus du muret se retrouve une fissure en oblique fracturant le mur de fondation. Son ouverture est de 1/16 de pouce. Il qualifie cette fissure de structurelle. Selon le témoin, cette fissure origine du soulèvement du mur latéral droit de la fondation de la descente du sous-sol lequel exerce une force en bras de levier sur le mur de la fondation arrière de l'immeuble. Un niveau à bulle conventionnel a confirmé une inclinaison des murets vers le mur de fondation du bâtiment.

 

[17] Une fissure de 1/8 de pouce prend place de haut en bas à la jonction du mur de fondation latéral gauche de la descente et du mur de fondation arrière de l'immeuble, à droite de la porte-patio. La fissure est structurelle et confirme l'instabilité du mur de fondation latéral gauche.

 

[18] Une fissure horizontale apparaît dans le mur de fondation arrière de l'immeuble (page 17 du rapport). Elle dénonce un point de compression et fracture ce mur de fondation (page 19 du rapport).

 

 

[19] Au-dessus de la porte-patio s'est formée une fissure horizontale au niveau de la base de linteau. Au moment de l'expertise cette même porte était décadrée. Cette situation n'existait pas au moment de la visite du conciliateur ni lors de la visite au matin de l'audition.

 

[20] Deux nouvelles fissures sont apparues depuis la visite du 20 janvier 2017 et elles furent constatées lors de la visite, au matin du 17 mai 2017.

 

[21] Sous la dalle de béton, seule de la styromousse fut retrouvée lors du sciage de la dalle de béton faisant office de plancher dans la cour anglaise permettant d’accéder à la semelle de fondation. C'est dans le cadre d'un enregistrement vidéo produit en preuve qu'il fut permis de constater l'absence de murs pare gel sous les murs de la cour anglaise et sous le mur de fondation arrière du bâtiment.

 

[22] L'expert soutient que ces manquements aux règles de l'art représentent la cause des dommages encaissés par l'immeuble à savoir :

 

´´les soulèvements gélifs induits par ces structures non protégées des effets de gel et les fissures et autres désordres conséquents. ´´

 

[23] Qui plus est, les plans de construction avaient prévus des murs pare gel. Il souligne que la poussée latérale est bien présente telle que le confirme la fissure angulée au coin arrière droit de la fondation de l'immeuble qui montre un décrochement latéral des lèvres. Il note la pente négative du terrain qui amène un apport d'eau additionnel. Mais selon le témoin, cette situation n'est pas causale.

 

[24] Monsieur Bossus opine que les dommages seront d'ordre progressif et qu'ils se reproduiront au fil du temps, dès lors ´´ces structures sont graduellement menées à leur perte´´.

 

[25] En contre-interrogatoire l'expert reconnaît qu'il n'y a pas des signes d’effondrement de la bâtisse ou des murets de la cour anglaise :

 

´´Il va y avoir un dommage progressif, mais de là à parler d'effondrement, non. L'immeuble ne tombera pas. La fondation de la porte patio de part et d'autre va se faire pousser. C'est tout. Ça ne tombera pas. ´´

 

[26] Il reconnaît que la dalle qui est appuyée sur les semelles n'est pas fissurée. Elle se soulève de façon monolithique.

 

[27] En réponse à l'apport d'eau, l'expert mentionne que cet apport à une importance relativement au soulèvement. Plus il y a de l'eau dans le sol, plus le soulèvement sera marqué. Il y a un lien de corrélation. Toutefois, s'il y avait des murs pare gel, il n'y aurait pas de soulèvement. Il précise que tant les eaux de surface que la nappe phréatique opèrent dans le soulèvement.

 

[28] L’expert avance que le mouvement de la fondation va se faire dans un premier temps dans une ouverture. Les fissures au gypse s'installent lorsqu'il y a de forte intensité. Traitant du gypse il soutient qu’il est faux de prétendre que ce matériau n'admet aucun mouvement. Selon la règle de Woodward, il peut bouger d'un (1) pouce sur 300 pouces avant de fissurer. En l'espèce, il y a un mouvement, mais il est ´´très minime’’ et il poursuit :

 

´´Ici, il n'y a pas de désordre, hormis le ’’décadrement’’ de la porte patio. Oui, ça s'est replacé. Ce matin la porte n'était pas décadrée. ´´

 

[29] Il ne peut dire qu'il puisse s'agir uniquement d'une question d'ajustement de la porte patio.

 

[30] Me Nantel l'interroge ainsi :

 

´´Q. Pour résumer, tout cela est dû à la présence d'eau ?

   R. Oui, l'eau ou des lentilles de glace. ´´

 

 

 

 

 

CHADI CHANTIRI

 

[31] Monsieur Chantiri est le conjoint de la Bénéficiaire. Il a constaté toutes les fissures à la mi-juin 2016, à l’exception de deux, lorsque la locataire du [...], lui a fait part de cette situation.

 

[32] Il se qualifie de travailleur autonome et il a acheté l'immeuble avec sa conjointe (la Bénéficiaire) pour se faire ´´un fond de pension ´´.

 

[33] Il décrit les photos soumises en preuve (B-3 à B-8) lesquelles n'ont pas été prises au même moment. La locataire lui pointait les fissures et il ajoute : ‘’elle avait peur d'effondrement ´´. Encore aujourd'hui, ajoute-t-il, d’autres fissures sont apparues. La problématique est majeure.

 

[34] Il a dénoncé la situation au mois d'août 2016. Il conteste les conclusions du conciliateur ajoutant que celui-ci n'est pas expert pour prétendre à quelle époque les fissures sont apparues.

 

[35] En contre-interrogatoire, monsieur Chantiri fait valoir qu’il a travaillé plusieurs années comme agent d'immeubles et qu’il a déjà possédé d'autres immeubles auparavant. Il s'exprime ainsi :

 

´´Je sais c’est quoi une fondation qui bouge. J'ai suivi des cours. J'ai   assisté à plusieurs inspections d'immeubles. J'ai vu différentes fissures. ´´

 

[36] L'immeuble est du type locatif. L'entretien est confié à une entreprise. Il se rend sur les lieux lorsqu'un problème se présente. Mais dans les faits ce n’est qu’en juillet 2016 qu'il s'est rendu pour la première fois sur les lieux pour traiter d'un problème.

 

[37] Interrogé par le Tribunal, il dira contradictoirement qu'il n'a pas eu à se déplacer souvent et, curieusement, il admettra qu’il ne se rend jamais à l'arrière de l'immeuble. Il n’a jamais fait quelque vérification quant à l'état de l'immeuble. Pourtant sa formation comme agent d'immeuble aurait dû l'inciter à le faire.

 

[38] La Bénéficiaire, bien que présente, s’est abstenue de témoigner.

 

PREUVE DE L’ADMINISTRATEUR

 

ROBERT ROBERGE

 

[39] Monsieur Robert Roberge travaille pour l’Administrateur depuis le printemps 2015. Il a été directeur du service des réparations pour l’Office National d’Habitation pendant 10 ans. Pendant 25 ans, il a possédé une entreprise comme entrepreneur général, comme plombier, menuisier. Il a agi à titre de surveillant de chantiers. Il a suivi toutes les formations dispensées par l'employeur (gouvernement) en matière de construction.

 

[40] Il fixe la date de réception de l'immeuble au 6 juillet 2011. La dénonciation fut reçue le 31 août 2016.

 

[41] Lors de son inspection, le 11 octobre 2016, il avait en mains les documents d'usage. Monsieur Chantiri lui présenta des photos. Il constata les fissures, prit des photos de chacune des fissures et de l'environnement de l'immeuble (A-7 en liasse).

 

[42] Il nota un affaissement du terrain, en pente négative à partir de 8 pieds du côté de l'immeuble adjacent à la cour anglaise. L'inclinaison s'est produite graduellement avec le temps selon lui. Il remarqua une tuyauterie de gouttière qui se jette par un prolongement cylindré un peu loin, soit environ 5 pieds du côté droit du bâtiment lorsqu'on est en façade.

 

[43] La photo A-7-2 montre une démarcation en permanence sur le mur de crépis du côté de la pente négative démontrant la présence d'eau pendant une très longue période.

 

[44] Cette pente négative du terrain est visible à l'arrière de l'immeuble de sorte qu'un apport d'eau anormal s'est déversé en bordure de la cour anglaise arrière. Il faut absolument relever le terrain pour obtenir en finale une pente positive.

 

 

 

 

 

[45] Un trou de 7 à 8 pouces se présente (photo A-7-4) à proximité du tuyau de renvoi de la gouttière. Pour le témoin, toute l'eau descend en terre et s'infiltre notamment au périmètre de la cour anglaise. Monsieur Chantiri lui avait confirmé qu'il n'était pas à l'origine de ce trou, par conséquent celui-ci se serait formé par l’accumulation de l’eau. Les photos A-7-5 et 6 confirment la pente négative menant à la cour anglaise. L'arbitre fut en mesure de constater la situation de visu.

 

[46] Selon monsieur Roberge, l'eau s'accumule de façon anormale en périphérie de la cour anglaise. Par expérience, fait-il valoir, ´´si on avait un soulèvement par gel, toute la dalle aurait cessée´´. Il confirme les dires de l'ingénieur quant à conclure qu'il s'agit en l'espèce d'un gel par adhérence. Quant à lui, il situe l'arrivée des fissures à l'hiver 2015, car l'hiver 2016 n'a pas offert de gels excessifs contrairement à l’hiver 2015.

 

[47] Il opine qu’il n'y a pas de vice majeur :

 

´´Rien n'a brisé. Il y a beaucoup d'eau, le vidéo le démontre. La styromousse est présente et elle protège la fondation contre la gelée. Le bâtiment n'a pas levé, n'a pas bougé. Il n'y a pas des fissures dans la fondation. ´´

 

[48] Pour la porte patio il s'agit davantage d'un désajustement. S’il y avait ½ pouce d'écart au bas de la porte, la céramique intérieure aurait fendillé alors qu'en l’espèce il n'y a aucun dommage, si minime soit-il.

 

[49] Il n'y a aucune entrée d'eau à l'intérieur par les fissures. La cour anglaise est une structure différente du bâtiment. Elle bouge, dans le haut particulièrement, 2 à 3 mm d'ouverture, ce que ne peut être qualifié de défaut structurel.

 

[50] Deux fissures se sont rajoutées depuis son inspection. La fissure au-dessus de la porte patio est due à la pièce de bois et elle se répare facilement, selon le conciliateur.

 

[51] Il souligne que la Bénéficiaire et/ou son conjoint aurait dû signaler la pente négative lors de l'inspection préréception.

 

 

[52] En contre-interrogatoire, monsieur Chantiri le confronte au fait qu'il ne pourrait monter le terrain et lui donner une pente inverse. Monsieur Roberge rétorque qu'il lui appartient de rendre le terrain en pente positive sur au moins 8 pieds.

 

[53] Pour régler la situation,’’ il faut sortir l'eau’’ i.e. minimiser l'apport d'eau dû à la pente du terrain. Il conviendra que la pose d'un ´´styrofoam ´´ par l'extérieur est nécessaire. La dalle de ciment de la cour anglaise doit être refaite.  

 

 

ARGUMENTATION

 

BÉNÉFICIAIRE

 

 

[54] Monsieur Chantiri rappelle que l'expert Bossus a témoigné à l'effet que les murets de la cour anglaise poussent sur la fondation de l'immeuble. Les hivers qui suivront apporteront une répétition de ce mouvement, ce qui pourrait mener à la perte de l'immeuble.

 

[55] La fissure oblique de la fondation va s'amplifier de sorte qu'il y aura un péril possible du bâtiment. L'expert a qualifié certaines fissures de structurelles. Il est nécessaire de s'exécuter avec une nouvelle cour anglaise munie de murets pare gel.

 

[56] Au soutien de ses prétentions, la Bénéficiaire soumet la décision SDC 6597 Boul. des Laurentides c. 9107-9301 Québec Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ[1], où l'arbitre Jean Morissette devait trancher si l'état des fissures à la cage d'escalier arrière, formée de mur de béton sur lesquels reposaient les assises des balcons des 2e et 3e étage constituaient des vices jamais. L'arbitre conclut positivement sur la base que les poussées sur les assises de balcons pouvaient engendrer l'effondrement. Le soussigné, tout comme la procureure de l’Administrateur l’a fait valoir, soulignent que ce dossier diffère de celui sous étude puisqu’il y avait un risque de perte de l’immeuble, soit l’effondrement des assises.

 

 

[57] La décision SDC 2917 à 2923 William Tremblay c. Saint-Luc Habitation Inc. et la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ[2] fut produite. L'arbitre conclut que des fissures constatées au mur de gypse à l'intérieur de l'unité 2923 étaient causées par un soulèvement de la structure due au gel durant l'hiver et qu'il s'agissait d'un vice majeur. Je dois souligner qu’il avait été constaté de nombreuses déformations découlant d’un mouvement structural et que les différents déplacements tant à l’intérieur qu’à l’extérieur étaient anormaux pour le type de bâtiment.

 

[58] La dernière décision produite trayait d'un vice caché. L'arbitre, Me Jean Doyle, dans la sentence arbitrale Kevin Giguère et Claude Giguère c. Construction Rochette Inc. et La Garantie Abritat Inc.[3] statuait ainsi :

 

81.      Considérant que cette explication du seul expert reconnu à l’audience est la plus probable et rejoint celle de l’entrepreneur qui admet que le gel du sol près de la fondation crée une poussée latérale sur celle-ci, le tribunal conclut que la cause la plus probable selon la preuve déposée à l’audience est que :   

 « Le terrain tel que remis aux bénéficiaires présente des pentes négatives, le tout tel qu’il appert au schéma d’ailleurs présenté par l’entrepreneur, et que le terrain ne se draine pas adéquatement, causant un gel près de la fondation du côté gauche de la propriété qui exerce la poussée latérale fatale à la fondation ».

 

 

ADMINISTRATEUR

 

[59] La procureure de l’Administrateur indique que l'analyse de la preuve permet de reconnaître qu'il y a accord quant aux points suivants :

 

1.      Ces sont les soulèvements des murets de la cour anglaise en hiver qui produisent l'effet de levier.

2.      Pour qu'il y ait un soulèvement, il doit y avoir une présence d'eau.

3.      Les soulèvements occasionnent des fissures aux murets et à la fondation.

4.      Il n'y a pas de risque d'effondrement des murets de la cour anglaise ou du mur arrière du bâtiment.

5.      Il n'y a pas d'infiltration d'eau à l'intérieur du bâtiment.

6.      Il n'y a pas d'indice de mouvement à l'intérieur de l'immeuble, pas de fissures au gypse, ni à la céramique ou ailleurs.

7.      À un seul moment (janvier 2017) il fut constaté un ‘’décadrement’’ mineur de la porte patio. L'expert ne peut dire qu'il puisse s'agir d'un simple ajustement à apporter.

 

[60] Me Nancy Nantel fait valoir qu'à la limite, il pourrait s'agir d'une malfaçon quant à la porte patio, ce qui ne peut occasionner une perte de l'immeuble.

 

[61] La question en litige peut être formulée ainsi : Est-ce que les soulèvements des murets de la cour anglaise constituent un vice majeur ?

 

[62] Elle rapporte la décision Normand Lavallée et Louise Malboeuf c. 9085-1247 Québec Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ[4], où l'arbitre Albert Zoltowski indiquait :

 

´´ [89] À la lumière de cet article 2118 du Code civil, pour établir l'existence d'un vice majeur, les Bénéficiaires doivent prouver, par prépondérance des probabilités :

a)      La perte de l'ouvrage,

b)      La manifestation ou la survenance de cette perte dans les cinq (5) ans qui suivent la fin des travaux,

c)      L'existence d'un vice de conception, de construction, de réalisation de l'ouvrage ou un vice du sol, et

d)      Un lien causalité entre le vice et la perte. ´´

 

 

[63] La décision SDC Les Jardins du Parc c. La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ[5] est soumise, où Me Johanne Despatis écrit :

 

´´ [51] En l'espèce, la preuve révèle que les problèmes observés n'ont pas entraîné de conséquences sérieuses. Messieurs Séguin et Fortin conviennent certes que les situations observées contreviennent aux normes des construction mais aucune d'elles n'est décrite comme susceptible de mettre en péril la solidité de l'ouvrage ou encore d'entraîner des troubles graves dans l'utilisation de l'immeuble. ´´

 

[64] Me Nantel pointe les passages suivants dans la sentence arbitrale rendue par Me Michel A. Jeanniot, dans SDC du 1274 Gilford, Montréal et 153642 Canada Inc.[6] :

 

´´ [33] Il n’y a pas eu de preuve que l’immeuble est devenu non sécuritaire en raison de vices ou encore qu’il y a danger d’écroulement de certaines parties.  

 

[34] Il est plus que possible que si certains travaux de correctifs ne sont pas adressés, les façades extérieures périront de façon prématurée. 

 

[35] J’accepte la position qu’une réfection de l’enveloppe extérieure a des conséquences, que ces conséquences sont possiblement lourdes et très coûteuses. L’inconvénient est que le coût ne constitue pas le seul élément pour qualifier un vice de majeur au sens de la doctrine et de la jurisprudence qui m’est connue. Il est vrai qu’une importante infiltration d’eau récurrente à court ou moyen terme créera des problèmes importants de moisissure apte à rendre le bâtiment impropre à l’usage auquel il est destiné mais cette démonstration ne m’a pas été faite. […] ´´               (sic)

 

 

[65] Pour l’Administrateur, l'expert de la Bénéficiaire n'a pu statuer à quel moment la problématique de soulèvement s'est manifestée pour la première fois et laquelle a provoqué des fissures. Au surplus, il ne mentionne pas si la solidité ou la sécurité de l'immeuble serait affectée, ni si la problématique déboucherait sur un risque certain et ce, dans un avenir rapproché.

 

[66] D'autres décisions ont été apportées par Me Nancy Nantel traitant du vice majeur.

 

[67] En l'espèce, rappelle-t-elle, rien n'empêche l'usage du bâtiment ou de sa cour anglaise. Le vice doit présenter un caractère sérieux. Elle avance que les fissures peuvent se stabiliser.

 

[68] La Bénéficiaire ou son conjoint ont été négligents en maintenant le terrain avec une pente négative, en laissant un trou énorme près de la descente de la gouttière, ne suivant pas ainsi les recommandations du conciliateur transmises lors de son inspection en octobre 2016.

 

[69] En bout de piste, la Bénéficiaire n'a pas prouvé par preuve prépondérante qu'il avait l'existence d'un vice grave affectant l'immeuble.

 

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

 [70] Le Règlement sur le Plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs[7] est d'ordre public[8]. Il campe les conditions applicables à ceux qui désirent administrer un plan de garantie. Il enchâsse tant les modalités que les limites du plan de garantie tout comme le contenu du contrat de garantie auquel la Bénéficiaire a adhéré. Les difficultés d'interprétation que peut rencontrer l'arbitre ainsi que les questions quant aux droits des Bénéficiaires ou de l’Entrepreneur doivent trouver normalement réponse dans le Règlement.

 

 

 

FARDEAU DE PREUVE

 

[71] Puisque la Bénéficiaire conteste le bien-fondé de la décision de l’Administrateur, le fardeau de preuve repose sur leurs épaules. L'article 2803 du Code civil du Québec énonce :

                   

´´Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. ´´

 

[72] L’article 2804 Code civil du Québec mérite également qu'il soit reproduit puisqu'il définit la preuve prépondérante.

 

´´La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. ´´

 

[73] Il suffit donc pour les Bénéficiaires que leur preuve soit prépondérante. La Cour suprême, dans l’arrêt Montréal Tramways Co. c. Léveillé [9], nous enseignait :

 

«This does not mean that he must demonstrate his case. The more probable conclusion is that for which he contends, and there is anything pointing to it, then there is evidence for a court to act upon. »

 

[74] En 2008, le plus haut tribunal du pays traitait ainsi de la norme applicable en matière civile laquelle se veut similaire à celle en matière réglementaire[10] :

 

 « En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu (...) »

 

[75] Rien ne peut être mathématiquement prouvé[11]. La décision doit être rendue judiciairement et par conséquent en conformité aux règles de preuve généralement admises devant les tribunaux. Le Règlement étant d’ordre public, l’arbitre ne peut décider par complaisance ou par le fait que la preuve présentée par l’une des parties se veut sympathique. 

 

[76] Finalement l'article 116 du Règlement donne au Tribunal le pouvoir de faire appel à l'équité en certaines circonstances.

 

´´116. Un arbitre statue conformément aux règles de droit ; il fait    aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient.

 

[77] Le rôle du Tribunal est d’analyser la preuve soumise quant à un différend découlant d’une décision du conciliateur (Administrateur) touchant une ou des dénonciations et, par conséquent, de reconnaître ou pas si ce dernier a correctement analysé la ou les dénonciations dans le cadre de la Garantie et si l’Entrepreneur a manqué ou pas à ses obligations tant contractuelles que légales qui de circonscrivent la couverture de la Garantie.

 

 

DROIT APPLICABLE QUANT AUX VICES

 

[78] Il convient de caractériser le droit applicable dans le cas où le Bénéficiaire dénonce des malfaçons, des vices cachés ou des vices de construction ou de réalisation. Le législateur l’a ainsi formulé à l’article 10 du Règlement :

 

10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :

... 

4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil ;

 

5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.

                                                                  (Je souligne)

 

[79] L’article 1739 du C.c.Q. auquel réfère le Règlement enseigne à l'acheteur les limites de son exercice de dénonciation :

 

1739. L’acheteur qui constate que le bien est atteint d’un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue. 

                                                                 (Je souligne)

 

[80] Ajoutons que le délai de six mois entraîne la déchéance du recours. L’article 2878 du Code civil du Québec le confirme :

 

2878. Le tribunal ne peut suppléer d’office le moyen résultant de la prescription. Toutefois, le tribunal doit déclarer d’office la déchéance du recours, lorsque celle-ci est prévue par la loi. Cette déchéance ne se présume pas, elle résulte d’un texte exprès. 

                                         (Je souligne)

 

NOTION DU BÂTIMENT

 

[81] Le Tribunal doit initialement s'assurer que la cour anglaise, qui est en cause dans le présent dossier, peut être considérée comme faisant partie du bâtiment au sens de Règlement. Le législateur a ainsi défini ´´bâtiment ´´ à l'article 1 :

 

« bâtiment » : le bâtiment lui-même, y compris les installations et les équipements nécessaires à son utilisation soit le puits artésien, les raccordements aux services municipaux ou gouvernementaux, la fosse septique et son champ d'épuration et le drain français ;

(Je souligne)

 

 

[82] L'article 12 du Règlement stipule :

 

´´12. Sont exclus de la garantie :

9° les espaces de stationnement et les locaux d'entreposage situés à l'extérieur du bâtiment où se trouvent les unités résidentielles et tout ouvrage situé à l'extérieur du bâtiment tels les piscines extérieures, le terrassement, les trottoirs, les allées et le système de drainage des eaux de surface du terrain ;

                                              (Je souligne)

 

 

[83] Il faut remarquer que les exemples fournis à ´´tout ouvrage situé à l'extérieur du bâtiment tels…´´ ne sont pas limitatifs. Mis en parallèle avec la définition à l’article premier on note l’utilisation du terme ´´soit ´´ et non ‘´notamment ´´.  Il existe une règle de droit qui énonce inclusio unius est exclusio alterius et qui doit trouver application en l'espèce. Les éléments particuliers énoncés par le législateur sous-tendent qu'il faut écarter tout autre élément.

 

 

[84] Les autres Gilles Doyon et Serge Crochetière écrivent dans ´´Le règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs commenté ´´[12] :

 

´´Interprétation spécifique

 

Par voie de conséquence, il faut conclure que seul le bâti qui abrite le ou les logements, ainsi que les seuls installations et équipements qui sont énumérés à la définition, doivent être pris en considération pour fins d'administration de la garantie réglementaire. Cette interprétation deviendra particulièrement importante au moment où l'administrateur du plan de garantie, ou l'arbitre le cas échéant, aura à déterminer les droits et obligations respectifs du bénéficiaire et de l'entrepreneur dans le cadre de la garantie.

 

Cette position est d'ailleurs confortée par les articles 12, al. 1(9) et 29, al. 1(9) du Règlement qui énoncent notamment que tout ouvrage situe à l'extérieur du bâtiment est exclu de la garantie.

 

Position doctrinale

 

Ceci énoncé, l'on peut ajouter que cette interprétation stricte est confirmée par le fait que nous sommes en présence d'un règlement d'application obligatoire pour tous ceux qui sont concernés par ses dispositions. Selon la doctrine et la jurisprudence, on doit procéder à une interprétation restrictive de telles dispositions.

 

À cet effet, l'on peut se référer notamment à l'ouvrage de Pierre-André Côté sur l'interprétations des lois, dans lequel l'auteur s'exprime comme suit relativement à l'interprétation du droit statutaire (et donc réglementaire) :

 

On s'entend généralement pour reconnaître que la façon dont les tribunaux ont abordé l'interprétation statutaire se caractérise par une tendance à restreindre l'effet des lois et à insister d'abord et avant tout sur la formule légale : l'interprétation des statuts a été dominée par l'attitude restrictive et littérale. 1

                                       (Je souligne)

__________

 

1.      Pierre André Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1990, p. 36 ´´

 

 

[85] L'arbitre Guy Pelletier, dans l'affaire Éric Giroux c. Habitations Promax Inc.[13], écrivait au sujet de problème d'érosion de sol, faisant suite à des fortes pluies qui entraînaient des eaux boueuses vers les drains des patios surbaissés à l'avant et à l'arrière du logement 1040 :

 

´´ [59] Ce problème causé par l’inexécution des travaux de retenue (murets) des terres autour des terrasses extérieures situées en contrebas du terrain environnant a rendu inutilisable les portes extérieures du logement. Cette situation a été prouvée à l’appui de photographies déposées par le Bénéficiaire. 

 

[60] Afin de limiter les dégâts et de permettre plus rapidement l’usage normal du logement, une entente a été conclue avec l’Administrateur pour que le Bénéficiaire puisse lui-même réaliser les travaux prévus au contrat, le coût des travaux lui étant remboursé s’il est établi par le Tribunal que ce problème est couvert par la garantie.

 

[61] Le Bénéficiaire a prouvé que les travaux sont inclus au contrat. Il a argumenté que les murets en blocs de talus « Monco » sont des éléments essentiels au bon fonctionnement de l’immeuble et qu’ils ne peuvent être considérés comme des travaux de terrassement. 

 

[62] Monsieur Giroux a aussi plaidé à l’effet que ces travaux auraient pu être en béton, donc rattachés au bâtiment et auraient ainsi été considérés comme faisant partie de l’immeuble

 

[63] L’Administrateur a plaidé que, bien qu’évidemment utiles au bon fonctionnement de l’immeuble, ces travaux de terrassement sont spécifiquement exclus de la garantie. 

 

[64] La question qui se pose ici n’est pas d’établir, si les travaux sont utiles ou nécessaires au bon fonctionnement du bâtiment, mais bien d’établir s’ils sont exclus par l’article 12.9o du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. 

 

[65] Le problème causé par l’érosion des sols ne résulte pas du choix des matériaux mais du fait qu’ils n’ont pas été complétés en temps utile par l’Entrepreneur. Que les matériaux spécifiés aient été en béton, bois, blocs ou autres matériaux ne changent pas la vocation de cette partie de l’ouvrage, soit de protéger les accès aux portes patio avant et arrière du logement du premier niveau. L’argumentation du Bénéficiaire à l’effet que ces ouvrages sont nécessaires n’est pas contestée. À ce même titre, les trottoirs, les stationnements et les travaux de drainage des eaux de surface, sont nécessaires au bon fonctionnement du bâtiment. 

 

[66] Le Tribunal est sensible à la situation vécue par le Bénéficiaire, mais doit conclure que les murets en blocs réalisés en pourtour des patios sont des ouvrages situés à l’extérieur au bâtiment et spécifiquement exclus par la garantie à l’article 12.9°. D’ailleurs, ils auraient pu aussi être réalisés à l’aide de talus gazonnés et associés plus spontanément à des travaux de terrassement. ´´ 

                                                   (Je souligne)

 

 

[86] Considérant l’interprétation qu’en donnent les auteurs et la jurisprudence, le Tribunal est d'opinion que la cour anglaise ne fait partie de la notion de ´´bâtiment ´´ au sens du Règlement et par voie de conséquence, uniquement sur cet aspect la décision de l’Administrateur doit être maintenue.

 

[87] Au-delà de cette conclusion initiale, le Tribunal entend tout de même se pencher sur le délai de six (6) mois imposé par l'article 10 du Règlement.

 

 

DÉLAI DE SIX MOIS

 

[88] La Bénéficiaire doit en vertu de l'article 10, 5° du Règlement avoir dénoncé le vice ´´dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ´´.

 

[89] Le délai de six mois est d'ordre public et ne peut être prolongé. La très grande majorité des décisions[14]  confirment qu'il s'agit d'un délai de déchéance.

 

[90] Le législateur n’a pas donné de pouvoir discrétionnaire à l’arbitre lui permettant de prolonger le délai de six mois (art. 166 du Règlement). L’exercice d’un quelconque pouvoir discrétionnaire quant au délai prescrit à l’article 10 du Règlement ne saurait permettre l’extension ou la suspension du même délai.

 

[91] Un parallèle intéressant peut se faire avec certaines dispositions du Code civil du Québec quant à la notion de délai de déchéance, en regard avec la déclaration de sinistre en matière d’assurances. L’ex juge en chef, Michel Robert, de la Cour d’appel l’élaborait ainsi[15] :

 

"En matière d’assurance de dommages, l’obligation d’informer l’assureur est prévue à l’article 2470 C.c.Q., celui-ci requérant de l’assuré qu’il déclare le sinistre avec célérité dès qu’il en a connaissance [ndlr « ...doit déclarer à l’assureur tout sinistre de nature à mettre en jeu la garantie, dès qu’il en a eu connaissance »]. Les tribunaux ont conçu que cette obligation naissait au moment où se produit le fait dommageable, et non au moment où l’étendue des dommages est constatée, la seule exception étant lorsqu’il est déraisonnable pour l’assuré de penser qu’il existe un lien entre le fait dommageable et la perte qui en résulte. » 

 

[92] Bref, la célérité, la vigilance et la diligence s’avèrent des considérants à retenir dans l’appréciation du moment de la connaissance. 

 

[93] L’évaluation de l’existence potentielle d’un dommage, d’un vice ou de sa présomption ne s’analyse pas uniquement eu regard au Bénéficiaire mais de tout propriétaire raisonnable, prudent et attentionné.

 

[94] Mon collègue, Me Jean Philippe Ewart traitait ainsi l’objection quant au délai de dénonciation en présence de vice majeur dans l’affaire Syndicat des Copropriétaires du 716 Saint Fernand et al.[16] :

 

« Point de départ du délai de dénonciation

 

[87] La preuve révèle que nous sommes dans un cadre de non simultanéité de la faute (vice de conception et construction - absence de blocage et d’entretoisement) et du préjudice (affaissement de structure et al.) et que la manifestation du préjudice peut être qualifiée de tardive qui emporte la manifestation graduelle de l’art. 27 [note du soussigné, équivalent à l’article 10 pour la copropriété] du Règlement. [...]

 

[91] La doctrine nous enseigne sous la plume de Jean Louis Baudouin, citant d’autre part l’auteur et une jurisprudence très abondante de nos tribunaux, dans un cadre de simultanéité lorsque la faute et le dommage se produisent en même temps :

 

…              

                  

« ...que l’on doit se reporter au fondement même de la prescription extinctive : la sanction d’une conduite négligente. On doit donc, à notre avis, partir du jour où une victime raisonnablement prudente et avertie pouvait soupçonner le lien entre le préjudice et la faute » Idem, para.1-1420. VOIR pour jurisprudence la note 92, p.1199 sous le para.1-1420.

 

[92] Applicable en l’espèce, Baudouin indique sous une analyse de l’art. 2926 C.c.Q. et de la manifestation graduelle, que :

 

« ...la prescription du recours commence à courir du jour où il se manifeste pour la première fois. Le législateur entend probablement, par cette expression, la faire débuter au jour où le réclamant constate le premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice, alors même qu’il ne s’est pas totalement réalisé ... » Idem, no.1-1421. 

 

                                                      (Je souligne et renforce le caractère)

 

[95] Ceci dit, qu'en est-il en l'espèce ?

 

[96] Monsieur Chadi Chantiri constata vers juin 2016 les fissures telles que montrées par les photos déposées dans la preuve de la Bénéficiaire. De fait, ces fissures sont identiques à celles constatées par le Conciliateur et l'expert aux dates respectives de leur visite et à celles constatées par les parties au matin de l’audition. Toutefois, à cette dernière date deux petites fissures s'étaient ajoutées.

 

 

[97] Il affirme qu'il fut initialement informé par la locataire du [...] de la situation et qu’il constata lui-même la situation à la mi-juin 2016. Au moment de son constat visuel, la locataire lui cibla toutes les fissures et elle lui aurait dit qu’´´elle avait peur d'un effondrement ´´.

 

[98] De toute évidence la situation qu’il découvre au mois de juin 2016 ne découle pas d'une soudaine manifestation d'un quelconque vice ou d'une soudaine apparition en simultanéité pour toutes les fissures ou encore d’une manifestation instantanée ou concomitante.

 

[99] En d'autres mots, le vice, s'il existait, se serait fait connaître par des manifestations évolutives et graduelles.

 

[100] La preuve révèle, je le rappelle, que la Bénéficiaire ou monsieur Chantiri n'ont jamais été à l'arrière du bâtiment jusqu'à ce que la locataire les avise. En aucun temps, monsieur Chantiri n’a fait le tour du bâtiment pour en vérifier l'état depuis son acquisition.

 

[101] Encore faut-il retenir que cet immeuble se veut tant pour la Bénéficiaire que pour son conjoint ´´un fond de pension ´´.   Bien qu'il ait suivi des formations ou des cours sur les vices de construction, bien qu'à titre d'agent immobilier il ait assisté à plusieurs inspections, bien qu'il soit instruit quant aux problématiques de fissures, monsieur Chantiri, ou même la Bénéficiaire, n'a jamais cru approprier ou utile de vérifier la condition de leur immeuble au fil de années.

 

[102] Lorsqu'un droit est né, un bénéficiaire doit agir avec célérité, à savoir dans les six (6) mois de la découverte du vice.

 

[103] L'article 1739 du C.c.Q. impose à l’acheteur à transmettre sa dénonciation « lorsqu’il constate que le bien est atteint d’un vice et ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu soupçonner la gravité et l’étendue. »  (Je souligne)

 

[104] Applicable en l’espèce, les auteurs Baudouin et Deslauriers enseignent sous leur analyse de l’article 2926 du Code civil du Québec et de la manifestation graduelle que :

 

« ...la prescription du recours commence à courir du jour où il se manifeste pour la première fois. Le législateur entend probablement, par cette expression, la faire débuter au jour où le réclamant constate le premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice, alors même qu’il ne s’est pas totalement réalisé... » [17]

                                          (Je souligne)

[105] La Bénéficiaire n’a pas à circonscrire au départ tous les éléments particularisés des causes

sous-jacentes.

[106] Un tel vice, s'il existe, est tel qu'il se manifeste graduellement de sorte que la Bénéficiaire n'a pu ou ne pourrait indubitablement, en l’espèce, déterminer le temps où il aurait pu être découvert.

 

[107] Des indices d'un vice qui risquent d'aboutir à une perte doivent se manifester progressivement. Les indices doivent être surveillés avec rigueur, car le vice ne se manifeste que graduellement. Ainsi les lézardes qui peuvent apparaître dans un mur porteur sont peut-être attribuables à un commencement d'un affaiblissement plus ou moins grave et d’un vice majeur de construction

 

[108] La Bénéficiaire avait le fardeau d'établir le début de la manifestation d'un vice (s'il existe).

 

[109] La procureure d l’Administrateur, Me Nancy Nantel, plaide, jurisprudence à l'appui, qu'un arbitre ne peut fonder sa décision sur une hypothèse ou une appréhension ou encore une présomption. J’endosse sans réserve cette assertion.

 

[110] Souscrire à la position de la Bénéficiaire, à savoir de prendre comme point de départ de la prise de connaissance de signes appréciables à juin 2016, donnerait ouverture à l’invraisemblance, à la négligence et le Tribunal cautionnerait ainsi l’inconséquence, l’irresponsabilité et l’imprévoyance. En effet m'arbitre ferait alors fi de l'obligation de surveillance et de diligence pour la Bénéficiaire lorsqu'un des éléments apparaîtrait et permettrait de soupçonner un vice. Ce serait en quelque sorte permettre la grossière négligence. Au surplus, il est reconnu par la jurisprudence que l’Administrateur doit être avisé dans les meilleurs délais aux fins de pouvoir s'exécuter avec diligence et éviter ainsi toute aggravation possible de la problématique.

 

[111] La situation constatée à la mi-juin 2016 par monsieur Chantiri ne correspond pas ´´au premier signe appréciable ou tangible de la réalisation du préjudice ´´.

 

[112] A nouveau sous cet angle l'appel de la Bénéficiaire ne peut être accueilli car la Bénéficiaire ou la preuve qu’elle a présentée ne permet pas d’établir avec une certaine certitude ou par prépondérance de preuve le premier signe appréciable.

 

 

VICE MAJEUR

 

[113] Par conséquent, le Tribunal n'a pas à se prononcer à procéder à l'analyse de preuve quant à savoir s'il y a vice majeur. Toutefois, si l'exercice avait pris place, et même si le soussigné avait considéré que la cour anglaise faisait partie du bâtiment, je n'aurais pas conclu qu'il y avait un vice grave de construction. Le Tribunal aurait possiblement pu conclure ultimement qu’il s’agissait d’un vice caché (notamment par le pare gel manquant).

 

 

LES FRAIS D’EXPERTS

 

[114] La Bénéficiaire réclame le remboursement des frais d'expertise qui totalisent $2,127.03  dollars, incluant les taxes.

 

[115] L’article 24 du Règlement stipule que l’arbitre doit statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur doit rembourser au Bénéficiaire lorsque ce dernier a gain de cause en totalité ou en partie.

 

[116] Le même article énonce trois volets quant à la recevabilité au remboursement des frais encourus. La Bénéficiaire doit avoir gain de cause, les frais doivent être raisonnables par rapport à la nature du problème et l’expertise doit avoir été utile.

 

[117] En l'espèce, me limitant au premier volet la Bénéficiaire n'a pas eu gain de cause.

 

[118] Conséquemment, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la Bénéficiaire quant au remboursement des frais d'expert.

 

 

POUR CES MOTIFS LE TRIBUNAL :

 

 

REJETTE                  l’appel de la Bénéficiaire ;

 

 

MAINTIENT            les   conclusions  du  rapport   du  conciliateur,  Robert  Roberge, daté  du

                                 1er novembre 2016 ;

 

 

REJETTE                  la demande de la Bénéficiaire quant au remboursement des frais d'expert ;

 

 

RÉSERVE            à La Garantie Abritat Inc. (l’Administrateur) ses droits à être indemnisés par l’Entrepreneur, pour toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l'arbitrage (par.19 de l’annexe du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d'adhésion prévue à l'article 78 du Règlement ;

  

 

 

 

 

 

LE TOUT,                 avec   les  frais de  l'arbitrage  à la charge de  l’Administrateur conformément  

                                 au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les

                                 intérêts  au taux  légal  majorés de  l'indemnité additionnelle  prévue à l'article

                                 1619  du Code civil du Québec à compter de la date de la facturation émise par               

                                 l'organisme  d'arbitrage, après un  délai de grâce de 30 jours, sous  réserve de

                                 la conclusion suivante ;

 

 

CONDAMNE          la Bénéficiaire à payer une première tranche de 50.00 dollars (avant taxes) et ce dans le même délai que l’Administrateur.

 

 

 

 LAVAL le 18 JUIN 2017

 

 Yves  Fournier

___________________________    

 

YVES FOURNIER ARBITRE



[1] GAMM 2008-19-003, 4 juin 2009

[2] SORECONI 050612001, Alcide Fournier arbitre, 11 octobre 2005

[3] GAMM 2014-12-003, 11 novembre 2014

[4] CCAC S08-030901-NP, 21 août 2009

[5] GAMM 20009-09-003, 28 janvier 2010

[6] SORECONI 070505001, 14 mars 2008

[7] Décret 841-98, 17 juin 1998

[8] Articles 3, 4, 5, 105, 139 et 140 du Règlement

[9] [1933] R.C.S. 456

[10] F.H. c. McDougall, [2008] CSC 53 (Call)

[11] Rousseau c. Bennett, [1956] R.C.S. 89

[12] Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1999, page 5

[13] SORECONI 080718001, 19 novembre 2008

[14] SOC Promenade de la Rive c. Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, 2014 QCCS 6396, juge Alicadia Soldevila, J.C.S., 21 août 2014 ; Domaine-Bellerive c. Construction Robert Garceau Inc. et Garantie Qualité Habitation, CCAC S13-091201-NP, Me Michel A. Jeanniot, 18 juillet 2014 ; Gattas-Aboud c. Groupe Constructions Royale Inc. et Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, SORECONI 130606001, Me T. Holländer, 10 octobre 2013.

[15] Bourcier c. Citadelle (La), compagnie d’assurances générales, 2007 QCCA 1145, para 27.

[16] Syndicat des Copropriétaires du 716 Saint Fernand et al. c. Développements TGB et Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ, SORECONI 101206001, 15 avril 2011.

 

[17] Baudouin, S.L. et Deslauriers, P., La responsabilité civile, 7e  edition, Cowansville, Ed. Yvon   Blais inc., 2007, para 1-1421.