TRIBUNAL D’ARBITRAGE
Sous l’égide de
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
CCAC: S17-111501 -NP
GCR - 1049-61
ENTRE :
PAUL CAUVIN,
« Bénéficiaire »
c.
CONSTRUCTION INVESTIRO INC.,
« Entrepreneur »
Et
LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR),
« Administrateur »
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE
GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(RLRQ’ Chapitre B-1.1, r.8)
DÉCISION ARBITRALE RENDUE LE 16 MARS 2018
YVES FOURNIER ARBITRE
IDENTIFICATION DES PARTIES
BÉNÉFICIAIRE : PAUL CAUVIN
[...]
LAVAL, (QUÉBEC)
[...]
ENTREPRENEUR : CONSTRUCTION INVESTIRO INC.,
126 RUE LEBRUN
SHEFFORD, (QUÉBEC)
J2M 1A2
ADMINISTRATEUR : LA GARANTIE DE CONSRUCTION RÉSIDENTIELLE
717, RUE JEAN-TALON EST
BUREAU 200
MONTRÉAL, (QUÉBEC)
H1M 3N2
REPRÉSENTÉE PAR
ME ÉRIC PROVENÇAL
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DÉCISION
MANDAT
[1] Le Tribunal fut saisi du présent dossier à la suite d’une demande d’arbitrage formulée par le bénéficiaire en date du 10 novembre 2017. Le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) nommait le soussigné à titre d’arbitre le 20 novembre 2017 afin de disposer d’un seul point en litige.
Les parties n’ont formulé aucune objection préliminaire et/ou touchant la compétence du Tribunal.
HISTORIQUE DES PRINCIPAUX FAIT ET PRODÉCURES
[3] À la suite de la signature d’un contrat préliminaire intervenu entre l’entrepreneur et le bénéficiaire, ce dernier devait, selon l’entente, prendre possession de sa résidence le 1er décembre 2015 (A-1).
[4] Le 23 juin 2016, l’entrepreneur signait unilatéralement l’annexe D (A-2), appelée modifications postérieures, pour des ajouts totalisants $ 12,663.73 dollars et repoussait la date de livraison au 23 juin 2016.
[5] Le bénéficiaire vendait son ancienne propriété en juin 2016 puisque la prise de possession de la nouvelle résidence fut ultérieurement modifiée pour juin 2016.
[6] À cette dernière date, l’entrepreneur ne fut pas en mesure de respecter la date de livraison laquelle prit place finalement le 27 septembre 2016.
[7] Entretemps, le bénéficiaire et sa conjointe ont dû entreposer leurs meubles et logèrent dans une petite maison avec deux (2) matelas et une table avec chaises. Ils avaient alors un enfant âgé de trois mois.
[8] Avant la prise de possession, une poursuite judiciaire fut engagée compte tenu, nommément, que l’entrepreneur avait majoré le prix d’achat de plus de $ 30,000.00 dollars. Le bénéficiaire n’avait aucunement droit d’aller voir l’intérieur de sa nouvelle résidence ou d’y entreposer des meubles et ce, jusqu’à la prise de possession.
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[9] Curieusement, le contrat de garantie de GCR était signé le 31 août 2016.
[10] Lorsque le bénéficiaire se présenta à la résidence le 8 juillet 2016 pour procéder à la pré-inspection, le représentant de l’entrepreneur, Patrick Croteau, avait déjà complété le formulaire et exigea du bénéficiaire qu’il signe le document sans qu’il puisse procéder à une visite. Monsieur Paul Cauvin s’y opposa formellement. L’entrepreneur déchira illico le document dans un élan de colère. Un autre formulaire de pré-inspection (A-3) fut utilisé pour respecter cette étape, laquelle eut lieu le 15 juillet 2016.
[11] Lors de la visite pour la pré-inspection, laquelle prit place sur une période d’une heure environ. En aucun temps le représentant et président de l’entrepreneur, Patrick Croteau, ne fit état de la peinture.
[12] Initialement, chaque pièce devait recevoir une peinture de couleur différente. Des difficultés surgirent avec le peintre de l’entrepreneur. Une liasse de courriels furent échangés sans succès. Pris de court, le bénéficiaire a dû concéder à faire poser partout de la peinture blanche.
[13] Il avait été entendu que l’entrepreneur poserait une couche d’apprêt et deux couches de finition.
[14] En février 2017, une infiltration d’eau s’est manifestée au plafond. L’entrepreneur envoya son plombier pour en vérifier la cause. L’entrepreneur négligea de fermer le plafond par la suite. Après un certain temps il s’exécuta et le frère de Patrick Croteau, à savoir Denis Croteau, alla peindre le plafond.
[15] Denis Croteau aurait alors dit au bénéficiaire: « J’ai l’impression que c’est de l’apprêt. Passe ton doigt, tu vas voir, tu vas laisser une trace. ». Le bénéficiaire s’exécuta et de fait il a pu remarquer qu’il y avait une trace.
[16] De là, le bénéficiaire dénonça la situation et s’adressa à la Garantie de construction résidentielle (GCR) le 10 juin 2017 en ces termes (A-5) :
Dernièrement, quelqu’un m’a laissé entendre que les murs de la cuisine ne semblait pas avoir été peintes avec de la peinture mais n’auraient que de l’apprêt scellant (primer).
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En début de semaine, j’ai fais venir un professionnel qui m’a confirmé que selon tout vraisemblance, il n’y aurait qu’une seule et mince couche d’apprêt scellant d’appliquée sur tous les murs de la maison (sauf le sous-sol qui ou il n’y a ni peinture, ni apprêt scellant).
Ceci n’est pas acceptable pour une construction neuve et particulièrement pour la cuisine et les salles de bains qui sont des milieux avec forte concentration d’humidité où il faut appliquer de la peinture adaptée, et non qu’une simple couche d’apprêt scellant. Lorsque j’ai pris livraison de la maison en septembre, vu que tous les murs étaient blancs et que, ce qui me semblait être de la peinture était frais, je n’aurais jamais pu me douté qu’en réalité il ne s’agissait pas de peinture.
Veuillez, SVP, prendre les mesures qui s’imposent le plus vite que possible pour vous assurer de faire la peinture au complet dans la maison. (SIC)
(Le souligné et le caractère gras sont du bénéficiaire)
[17] Après avoir reçu le cahier de pièces de l’administrateur, l’arbitre convoqua les parties à une conférence téléphonique préparatoire.
[18] Suite à cette convocation, l’entrepreneur transmit à l’arbitre un courriel daté du 21 décembre 2017 dans lequel il était simplement écrit :
« porter une attention particulière au point clause spéciale.
Merci »
(Sic)
[19] Le document joint à ce courriel est non daté et non signé. Le Tribunal reprend la clause spéciale.
CLAUSE SPÉCIALE
Les acheteurs reconnaissent que le prix de vente prévu au présent acte notarié fait partie intégrante d’une transaction intervenue avec le Vendeur et fut l’objet de concessions de part et d’autre dans le but d’éviter la judiciarisation du litige entre ces derniers. En conséquence, les acheteurs acceptent de payer le prix de vente décrit au présent acte, sans réserve et sans protêt, renonçant à tout recours visant à obtenir toute compensation ou diminution du prix de vente sur la base de faits exprimés à leur mise en demeure du 22 juillet 2016.
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De plus, les acheteurs déclarent accepter et se satisfaire des travaux de parachèvement et des corrections exécutées par le vendeur lesquels travaux sont plus amplement décrits au formulaire d’inspection préréception signé par les parties en date du 8 juillet 2016, et ce, sans réserve et sans protêt, le vendeur déclarant l’immeuble parachevé et les travaux terminés et conséquemment les acheteurs se déclarent satisfaits de la déclaration du vendeur.
En considération de la transaction intervenue entre les parties, les acheteurs renoncent à réclamer du vendeur ou de l’administrateur du plan de garantie toute forme de compensation pour tout retard dans la livraison de l’immeuble.
Les parties se donnent mutuellement quittance, finale et complète relativement à tout dommage, frais, honoraire subi ou engagé en date des présentes, et ce, en capital, intérêts et frais.
[20] En clair, l’entrepreneur fait valoir que le bénéficiaire ne peut les poursuivre en vertu de cette clause spéciale.
[21] Après cette conférence téléphonique tenue le 13 janvier 2018, l’entrepreneur transmettait aux parties et à l’arbitre, le 15 janvier 2018, le contrat de vente daté du 27 septembre 2016, non signé, incluant de nouveau la clause spéciale.
[22] L’arbitrage prit place le 23 février 2018 en l’absence de l’entrepreneur. Au début de l’audience, le conciliateur Normand Pitre, a rejoint l’entrepreneur représenté par Patrick Croteau par cellulaire. Ce dernier lui indiqua qu’il avait oublié que l’arbitrage prenait place à cette date. Pourtant deux courriels avaient confirmé la date, soit celui en date du 12 janvier 2018 et l’autre en date du 12 février.
DÉCISION DE L’ADMINISTRATEUR
[23] Le 9 novembre 2017, l’administrateur, sous la plume du conciliateur Normand Pitre, rendait la décision ayant trait au fait que seule une couche d’apprêt aurait été mise sur les murs et le plafond de la résidence. Il écrit :
Lors de notre visite, nous avons constaté que la peinture mise sur les murs et plafonds est d’un fini mat. Par contre, rien n’a été démontré à l’effet que la peinture mise en place est uniquement un apprêt.
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Décision (point 6) :
En ce qui concerne ce point, l’inspection nous a permis de constater qu’il s’agit d’une malfaçon apparente au sens de l’article 10, paragraphe 2 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.
Les informations que nous avons au dossier révèlent que cette malfaçon apparente n’a pas été dénoncée par écrit dans les délais mentionnés à l’article 10, paragraphe 2 du Règlement.
« 10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :
2o la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l’article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception. Pour la mise en œuvre de la garantie de réparation des vices et malfaçons apparents du bâtiment, le bénéficiaire transmet par écrit sa réclamation à l’entrepreneur et en transmet copie à l’administrateur dans un délai raisonnable suivant la date de fin des travaux convenue lors de l’inspection préréception; »
Toutefois, on constate qu’il s’est écoulé 11 mois entre la date de l’inspection préréception (8 juillet 2016) et la date à laquelle la réclamation du bénéficiaire a été reçue par l’administrateur (10 juin 2017).
Dans les circonstances, l’administrateur est d’avis que le délai est déraisonnable au sens du Règlement, raison pour laquelle la réclamation à l’égard de ce point doit être rejetée.
PREUVE DU BÉNÉFICIAIRE
PAUL CAUVIN
[24] Sans reprendre les faits relatés plus haut et apportés par le bénéficiaire il y a lieu de résumer ainsi.
[25] La connaissance quant au fait qu’il pourrait s’agir d’une peinture d’apprêt s’est présentée lorsque Denis Croteau, le peintre et frère de l’entrepreneur, est venu peinturer le plafond à la suite d’un dégât d’eau.
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[26] Plus tard, monsieur Cauvin aurait fait venir un peintre qui leur aurait confirmé qu’il s’agissait d’un apprêt. Le procureur de l’administrateur s’est objecté quant à l’opinion soumise par ce dernier. L’objection devait être retenue sur la base du ouie-dire.
[27] Lors de la visite des lieux en date de l’audition, le conciliateur, Me Éric Provençal, le bénéficiaire, son épouse et le soussigné ont visité le premier étage de la maison, sans aller au second étage, pourtant rien ni personne ne les empêchait d’y aller.
[28] Lors de son témoignage le bénéficiaire a fait valoir que le gypse était visible dans la salle de bain au second étage.
[29] Monsieur Cauvin fit remarquer qu’à la prise de possession tout paraissait ‘’correct’’, la peinture étant fraichement faite. Avec le temps, il a pu remarquer que la peinture ne se nettoyait pas. Une fois sale, même en lavant ou frottant, la saleté ne pouvait disparaître. C’était sa première maison neuve.
[30] En aucun temps, son épouse ou les gens qu’ils invitaient lui ont apporté des remarques quant à la peinture.
[31] Pour le bénéficiaire, cette situation n’était nullement apparente. Il venait d’acquérir sa première résidence neuve. Il est informaticien et se dit profane dans le domaine de la peinture.
PREUVE DE L’ADMINISTRATEUR
NORMAND PITRE
[32] Pour le conciliateur la peinture est de fini mat sur tous les murs. Cette situation de fini mat était apparente lors de la prise de possession. Le fait que le fini mat ‘’laisse des marques sur le mur, c’est quelque chose de normal’’.
[33] Questionné par le Tribunal, il définit le mot apparent par « quelque chose qui peut être vu par le commun des mortels ». L’arbitre lui propose : « Si c’est apparent, c’est évident »? Le conciliateur répond positivement à cette assertion.
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[34] Monsieur Pitre ajoute qu’il n’y a « aucune preuve ou trace à l’effet que la peinture d’apprêt serait insuffisante, à l’exception qu’il y a énormément de marques qui sont sur les murs ». En d’autres mots le conciliateur indique que l’entrepreneur pouvait poser un apprêt au lieu d’une peinture au fini mat car les deux sont pratiquement identiques. Le Tribunal se questionne : comment le bénéficiaire pouvait-il les particulariser ?
[35] Le témoin poursuit à l’effet « qu’une couche d’apprêt est évidemment mat et la peinture mat peut avoir différentes couches de fini ». Pour lui, la situation était présente et apparente lors de la prise de possession et elle aurait dû alors être dénoncée.
[36] Le Tribunal rappelle à monsieur Pitre que le bénéficiaire a témoigné à l’effet que la peinture n’est pas lavable et lui demande de commenter cette situation. On devra avouer que sa réponse est fort contradictoire. Il s’exprime ainsi :
Une peinture mat n’est pas plus lavable qu’un apprêt, la seule différence c’est au niveau de la réflexion. Toutes les peintures sont lavables, mais pas frottables, lavable c’est avec un savon doux. »
[37] Pour conclure, le conciliateur fait valoir qu’il n’y a aucune évidence qu’il s’agit d’un apprêt. La différence est mince, précise le conciliateur, et elle ne pouvait être constatée qu’à la réception et d’abouter : elle ne couvre pas à 100% la surface à peindre.
ANALYSE ET DÉCISION
[38] Le Règlement sur le Plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs (1) campe les conditions applicables à ceux qui désirent administrer un plan de garantie. Il enchâsse tant les modalités que les limites du plan de garantie tout comme le contenu du contrat de garantie auquel le bénéficiaire a adhéré. Les difficultés d’interprétation que peut rencontrer l’arbitre ainsi que les questions quant aux droits et devoirs du bénéficiaire ou de l’entrepreneur doivent trouver normalement réponse dans le Règlement.
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(1) RLRQ, chapitre B-1.1, r.8
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FARDEAU DE PREUVE
[39] Puisque le bénéficiaire conteste le bien-fondé de la décision de l’administrateur, le fardeau de preuve repose sur ses épaules. L’article 2803 du Code Civil du Québec énonce :
« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
[40] L’article 2804 du Code civil du Québec mérite également qu’il soit reproduit puisqu’il définit la preuve prépondérante, soit le niveau de preuve que doit présenter le bénéficiaire :
« La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
[41] En l’espèce, le Règlement n’exige pas cette preuve plus convaincante.
[42] Pour le bénéficiaire, il suffit que sa preuve soit prépondérante. La Cour suprême dans l’arrêt Montréal Tramways Co c. Léveillé (2) nous enseignait :
«This does not mean that he must demonstrate his case. The more probable conclusion is that for which he contends, and there is anything pointing to it, then is evidence for a court to act upon.”
[43] En 2008, le plus haut tribunal du pays traitait ainsi de la norme applicable en matière civile laquelle se veut similaire à celle que l’on retrouve en matière règlementaire : (3)
“En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de prévue s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu (…) ». (Je souligne)
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(2) R.C.S. 456
(3) F.H. c. McDougall, (2008) CSC 53 (Call)
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[44] Rien ne peut être mathématiquement prouvé. La décision de l’arbitre doit être rendue judiciairement et par conséquent en conformité aux règles de preuve généralement admises devant les tribunaux. Le Tribunal ne peut décider par complaisance ou par le fait que la preuve présentée par l’une des parties se veut sympathique.
[45] Il faut rappeler finalement que l’article 116 du Règlement donne au Tribunal le pouvoir de faire appel à l’équité en certaines circonstances qui le justifient.
[46] Le rôle du Tribunal est d’analyser la preuve soumise quant à un différend découlant d’une décision du conciliateur (administrateur) touchant une ou des dénonciations et par conséquent de reconnaître ou pas si ce dernier a correctement analyser le ou les points en litige ou si, par exemple, l’entrepreneur a manqué ou pas à ses obligations tant contractuelles que légales.
ANALYSE ET PREUVE
[47] Pour l’administrateur c’est un fini mat que l’on retrouve sur tous les murs. Curieusement, il indique qu’on ne peut faire de différence entre une peinture de fini mat et un apprêt. Conséquemment et minimalement on ne peut nier qu’il se peut que la peinture appliquée puisse être un apprêt.
[48] Le conciliateur fait valoir au terme de sa déposition que la différence est mince entre un apprêt et une peinture au fini mat i.e. qu’elle ne peut être constatée qu’à la livraison. Le Tribunal ne comprend pas l’explication ainsi livrée par monsieur Pitre. A quel moment s’agit-il dans le présent dossier? Deux dates ont été avancées lors de l’audition pour l’inspection pré-réception : 8 et 15 juillet 2016. Dans sa décision l’administrateur situe la réception du bâtiment le 8 juillet 2016 alors que le bénéficiaire indique qu’il n’a pu prendre possession de sa résidence que le 27 septembre 2016. Aucune preuve n’établit la date à laquelle l’entrepreneur a terminé la pose de la peinture. Était-ce en juin, au début juillet? Le Tribunal ne peut d’aucune façon voir comment appliquer l’avancée du conciliateur. Pendant combien de temps après la pose cette différence peut être perçue? Je l’ignore et aucune preuve l’établit. Comment comprendre qu’une différence entre deux types de peinture se voit, se vérifie en si peu de temps. Je dois l’avouer, je dois émettre des doutes.
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[49] Selon le conciliateur, le fait que le fini mat laisse des marques sur le mur s’avère normal. Quel est alors la logique d’appliquer un tel fini sur tous les murs? Pour le Tribunal, poser la question c’est y répondre. Monsieur Pitre ajoute que ce résultat (laisser des marques) s’applique aussi pour l’apprêt. Encore ici, comment peut-on les différencier, et comment le bénéficiaire pouvait-il les différencier?
[50] L’argument de l’administrateur à l’effet qu’il n’y a aucun endroit qui laisse voir le gypse et par conséquent il ne peut s’agir d’un apprêt ne peut être retenu par le Tribunal. Si l’entrepreneur a voulu poser uniquement un apprêt, il avait avantage justement à s’appliquer la peinture (presque) partout.
[51] Ce dernier argument soutenu par l’administrateur est réfuté par le témoignage de monsieur Cauvin qui indiqua que le gypse est visible dans la salle de bain. Le Tribunal n’a aucune raison de ne pas croire son témoignage.
[52] Lors de la visite, le Tribunal et les parties ont été en mesure de constater que les murs étaient marqués en une multitude d’endroits. Le bénéficiaire a fait remarquer que malgré toutes les tentatives de nettoyage entreprises les marques ne pouvaient disparaître. Il m’apparaît évident que la peinture appliquée sur les murs n’est pas lavable.
[53] Le conciliateur apporte au mot apparent la définition suivante : « quelque chose qui peut être vu par le commun des mortels ». Ce dernier souscrit au fait que « si c’est apparent, c’est évident ».
[54] Le dictionnaire « Le Petit Robert » définit ainsi le mot apparent :
Apparent : Qui apparaît, se montre clairement aux yeux.
FIG : évident, manifeste, clair.
[55] Avec respect pour l’opinion contraire, pouvoir discerner entre un apprêt et un fini mat n’est certes pas du domaine du commun des mortels. Il n’était certes pas apparent qu’il puisse s’agir de l’un ou de l’autre.
[56] Lors de l’audition, le bénéficiaire a rapporté l’opinion du peintre, Denis Croteau, frère de l’entrepreneur. Le procureur de l’administrateur ne s’est pas objecté sur cette déclaration, mais il a soumis son objection quant au peintre qu’il avait consulté. Je rappelle que l’objection doit être retenue.
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[57] La C.R.T. a rappelé les principes applicables quant au ouï-dire en matière administrative. (4)
« [43] La Commission répète que le procureur du plaignant s’est objecté à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire. Dans leurs témoignages, les représentants de l’employeur, MM. Chénier et Giguère, ont souligné que plusieurs salariés étaient venus se plaindre du rendement du plaignant. Ces
Ces salariés ne sont pas venus témoigner. Il s’agit, entre autres, de MM. Desjardins, Lorrain, Bélisle et Clément. En plaidoirie, le procureur patronal et celui du plaignant se sont renvoyé la balle. Le procureur patronal a suggéré à la Commission que la partie adverse n’avait qu’è assigner ces personnes si elle voulait contredire sa preuve. Le procureur du plaignant a plutôt soumis qu’il revenait à l’employeur d’assigner ses témoins puisqu’il s’agissait d’un de ouï-dire illégal.
[44] Dans l’affaire Restaurants et Motels Inter-Cité Inc. c. Maurice Vassart et Hélène Marquette (1981) C.S. 1052, le juge Maurice E. Lagacé écrit à la page 1055 :
C’est donc dire que si la procédure suivie par le commissaire intimé doit être appréciée en fonction des principes voulant que les Tribunaux administratifs, tout en étant liés par les principes de justice naturelle, ne sont par ailleurs pas liés par les règles de procédure, ou de preuve, en cours devant les Tribunaux judiciaires, ceci explique d’ailleurs pourquoi la preuve par ouï-dire a été considérée admissible devant les Tribunaux administratifs lorsque les principes de justice naturelle n’avaient pas été violés.
[45] Cet énoncé du juge Lagacé a toujours été appliqué devant les Tribunaux administratifs. Le principe veut qu’une preuve pertinente, même si elle provient de ouï-dire, sera permise devant un Tribunal administratif si elle ne viole pas les principes de justice naturelle et qu’elle offre des garanties minimales de fiabilité.
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(4) Kim Bell c. Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier (CTC) et Général Cable, 2007 QCCRT 0475.
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[46] La pertinence de la partie des témoignages de MM. Chénier et Roberge qui comporte du ouï-dire ne fait pas de doute. En effet, ils rapportent les propos de salariés qui viennent en quelque sorte soutenir et « corroborer » leur propre témoignage quant au rendement insatisfaisant du plaignant. Par cette preuve de ouï-dire, l’employeur n’introduit pas une preuve inédite, mais plutôt, tente de renforcer celle qu’il a déjà présentée.
[47] En regard du respect du principe de justice naturelle, la Commission doit se demander si le plaignant pouvait contredire cette partie des témoignages de MM. Chénier et Roberge ou, à tout le moins, y faire face adéquatement. Les personnes dont on rapporte les paroles sont des salariés de l’employeur compris dans l’unité de négociation du syndicat. Il était loisible pour le syndicat de les assigner. Le ouï-dire est ressorti dès la première journée d’audition alors que l’enquête a duré trois jours.
[48] Pour qu’elle soit recevable, la Commission devait également s’assurer que la preuve par ouï-dire offrait des garanties minimales de fiabilité. La Commission juge que c’est le cas. Considérant l’ensemble de la preuve directe qui porte sur les lacunes du plaignant, les propos de ces salariés rapportés par MM. Chénier et Roberge apparaissent tout à fait vraisemblables et n’ont nullement pour effet de prendre la partie adverse par surprise. La preuve par ouï-dire, présentée par l’employeur, est donc admissible et la Commission lui accorde une valeur certaine. »
(Je souligne)
[58] Cette grande souplesse dont dispose la C.R.T. est tout-à-fait conciliable avec les objectifs d’une justice administrative qui se doit d’être accessible, plus simple et moins formaliste.
[59] Pour l’opinion exprimée par Denis Croteau, il ne s’agissait pas d’un ouï-dire puisqu’il rapportait les paroles d’un employé de l’entrepreneur, pour ne pas dire de ‘’l’entrepreneur’’.
[60] Même si cette opinion devrait être considérée comme un ouï-dire, ces propos doivent être retenus par le Tribunal. L’entrepreneur tout comme l’administrateur savaient depuis le début que les propos de Denis Croteau seraient rapportés. Serait-il risqué de prétendre que l’entrepreneur ne s’est pas présenté du fait que la seule défense qu’il pouvait offrir avait comme fondement la clause spéciale? Je ne le crois pas…
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[61] Il est d’un certain intérêt de traiter de la clause spéciale si quelque interprète tentait de prétendre qu’elle pourrait faire obstacle au recours du bénéficiaire dans la présente situation même si ladite clause cible une malfaçon non apparente ou apparente.
[62] Le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (5) est d’ordre public (6). Il édicte notamment aux articles 105 et 140 :
105. Une entente ne peut déroger aux prescriptions du présent règlement.
140. Un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le présent règlement.
[63] Il faut conclure, sans hésitation, que la clause spéciale ne saurait avoir un quelconque impact quant au droit du bénéficiaire à dénoncer une malfaçon non apparente.
.[64] Il est de connaissance judiciaire qu’on doit utiliser un fini mat pour les plafonds. Il est de mise d’avoir moins de brillance possible sur le plafond ce que procure ce fini. Au surplus, il est moins lavable et cache davantage les défauts et donne un effet de hauteur.
[65] Il est de connaissance judicaire que le fini velours ou coquille d’œuf s’applique sur les murs comme couche finale mais surtout pas un fini mat ou un apprêt. Le fini velours ou coquille d’œuf est suffisamment brillant pour être lavable. On l’applique évidemment par-dessus une couche d’apprêt.
[66] La connaissance d’office a une particularité quant aux tribunaux administratifs. Me Philippe Casgrain, dans un article de la Revue du Barreau, (7) la présentait ainsi :
« Les juges des tribunaux administratifs sont autorisés à tenir compte de leurs connaissances particulières dans leur domaine d’expertise. »
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(5) RLRQ Chapitre B-1, 1, r.8
(6) Consortion M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal 2013 QCCA 1211; Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Desindes, J.E. 2005 - 132 (C.A.)
(7) Revue du Barreau, « Depuis l’avènement du Code civil du Québec, comment faire la preuve », L. Durocher et C.N. Dumais.
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[67] La preuve prépondérante m’amène à conclure que la peinture appliquée sur les murs au domicile du bénéficiaire se veut un apprêt
[68] Même s’il ne s’agissait pas d’un apprêt, la preuve établit qu’une seule couche de peinture fut appliquée.
[69] Si l’entrepreneur a posé une peinture de fini mat sur les murs du domicile du bénéficiaire ce choix ne respectait pas les règles de l’art en l’espèce. Il n’avait pas à poser une peinture de fini qui ne se lave pas tel que constaté chez le bénéficiaire.
[70] Le bénéficiaire est en droit d’avoir sur tous les murs de son domicile deux couches de fini velours ou coquille d’œuf, et ce, de bonne qualité. Les règles de l’art l’imposent.
[71] L’entrepreneur devra poser deux (2) couches de peinture au fini velours et il devra s’exécuter dans les trente (30) jours des présentes en ciblant des moments et des dates qui conviendront au bénéficiaire.
[72] L’entrepreneur devra s’exécuter selon les règles de l’art.
[73] L’administrateur devra supporter les frais de l’arbitrage.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage du bénéficiaire;
ORDONNE à l’entrepreneur de poser deux (2) couches de fini velours de bonne qualité sur tous les murs du domicile du bénéficiaire;
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ORDONNE à l’entrepreneur de s’exécuter dans les trente (30) jours des présentes en ciblant des moments et des dates qui conviendront au bénéficiaire;
ORDONNE à l’entrepreneur de s’exécuter selon les règles de l’art en pareille matière;
CONDAMNE l’administrateur à payer les frais d’arbitrage, avec intérêts au taux légal, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de facturation émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de carence de 30 jours.
RÉSERVE à l’administrateur ses droits à être indemnisé par l’entrepreneur et/ou caution, pour toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
LAVAL, CE 16 MARS 2018.
Yves Fournier
__________________________
YVES FOURNIER
ARBITRE