Gabarit EDJ

 

 

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Marie-Claude Thibodeau et Alain Doré

(ci-après les « bénéficiaires »)

 

ET :

Construction Canadienne 2000 inc.

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier APCHQ : 148508-1

No dossier GAMM : 2013-03-004

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour les bénéficiaires :

Me Sylvain Landry

 

Pour l'entrepreneur :

M. Denis Picard

 

Pour l'administrateur :

Me Stéphane Paquette

 

Dates d’audience :

27 juin et 12 août 2013

 

Lieu d’audience :

Québec

 

 

Date de la sentence :

30 septembre 2013

I : INTRODUCTION

[1]           Les bénéficiaires, Mme Thibodeau et M. Doré, ont pris possession de leur unité d’habitation le 18 septembre 2008; il s’agit d’un immeuble situé à Québec, non détenu en copropriété divise.

[2]           Dans la nuit du 18 au 19 mars 2012, soit dans la quatrième année de la garantie, les bénéficiaires ont été victimes d’une importante infiltration d’eau, laquelle a été dénoncée à l’administrateur le 31 mai 2012.

[3]           Entre-temps, les bénéficiaires avaient mandaté M. Claude Champagne, de la firme Symbiose, afin de procéder à une expertise; dans son rapport émis le 28 mai 2012, ce dernier concluait à la présence d’une nappe d’eau permanente ou quasi permanente et proposait de soulever le bâtiment au-dessus de la nappe phréatique pour solutionner le problème.

[4]           Quelques jours après l’émission de ce rapport, M. Jocelyn Dubuc, inspecteur-conciliateur pour l’APCHQ, procédait sur les lieux à une inspection et mandatait la firme Fondasol afin de produire une contre-expertise et obtenir une seconde opinion.

[5]           Dans son rapport daté du 18 octobre 2012, M. Hosseini, de la firme Fondasol, se montre en désaccord avec la solution avancée par Symbiose et préconise plutôt l’amélioration du système de drainage. Il propose, dans un premier temps, de procéder au nettoyage du drain existant ainsi qu’à l’installation d’un puisard intérieur muni d’une pompe submersible; si cette première étape n’est point suffisante, il recommande, dans un deuxième temps, de remplacer le drain existant par un drain de type BNQ.

[6]           Après avoir analysé les rapports de Symbiose et de Fondasol, l’administrateur, dans son rapport de décision daté du 11 février 2013, a opté pour la solution Fondasol.

[7]           Insatisfaits de cette décision, les bénéficiaires, dans une lettre en date du 11 mars 2013, adressaient au GAMM (Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure) une demande d’arbitrage.

[8]           Dès l’ouverture de l’enquête, le soussigné a procédé à la visite des lieux en présence des parties.

[9]           En cours d’enquête, les personnes suivantes ont témoigné :

-       M. Claude Champagne, géologue, expert retenu par les bénéficiaires

-       M. Alain Doré, infirmier, bénéficiaire

-       M. Denis Picard, entrepreneur

-       M. Mohammad Hosseini, ing., Ph. D., Dr, expert retenu par l’administrateur

-       M. Jocelyn Dubuc, inspecteur-conciliateur pour l’administrateur

[10]        Les parties ont accordé au soussigné un délai de soixante (60) jours à compter de la dernière date d’audience pour rendre sentence dans la présente affaire.

II : POSITION DES BÉNÉFICIAIRES

[11]        La présente réclamation des bénéficiaires est essentiellement basée sur les conclusions du rapport de Symbiose préparé par M. Champagne.

[12]        Ce dernier, sur le terrain, a procédé à quatre forages, dont trois ont été convertis en puits d’observation de la nappe d’eau souterraine.

[13]        Sur deux puits d’observation, deux relevés ont été effectués par Symbiose en avril et mai 2012; les résultats obtenus ont amené M. Champagne à conclure que le drain de fondation est constamment immergé dans l’eau souterraine et qu’il ne peut ainsi remplir sa fonction, soit le drainage des eaux d’infiltration (eaux de pluie, eaux de fonte).

[14]        Après l’émission du rapport de Symbiose daté du 28 mai 2012, six autres relevés, effectués principalement par les bénéficiaires, sont venus appuyer les conclusions de M. Champagne.

[15]        M. Champagne a de plus procédé à des analyses physico-chimiques et bactériologiques.

[16]        Il a constaté que le sol présentait des conditions favorisant la présence d’ocre ferreuse, ce qui indéniablement contribue au colmatage du drain.

[17]        Il prétend que l’on est dans une situation où le potentiel de développement de la problématique liée à la présence d’ocre ferreuse est d’élevé à très élevé; voilà pourquoi il a constaté que le drain, lors de ses observations, était colmaté à tout près de 50 %.

[18]        Il soumet que le risque est plus probable de se développer lorsque la nappe est haute, comme c’est le cas dans le présent dossier.

[19]        M. Champagne affirme que le drain et la semelle des fondations sont immergés de façon permanente, et puisqu’une nappe d’eau, n’étant point statique, varie, il craint que le plancher soit parfois inondé.

[20]        À une situation problématique permanente, M. Champagne recommande une solution permanente, soit le rehaussement (environ trois pieds) de la résidence. En effet, si on laisse la nature prendre le dessus, le drain va se boucher à nouveau d’ici un an.

[21]        M. Champagne qualifie la solution de Fondasol de minimaliste, car un puits effectue un drainage local autour de la pompe et ne réussit pas à rabattre la nappe d’eau présente tout autour du bâtiment; le drain continuerait à se colmater, ainsi que la pompe, laquelle nécessiterait un entretien constant.

[22]        M. Doré, bénéficiaire, nous explique que lui et sa conjointe se sont efforcés, durant la nuit du 18 au 19 mars 2012, d’éliminer l’eau au sous-sol, car le drain ne fonctionnait pas.

[23]        Par la suite, avec l’aide de sous-traitants, les bénéficiaires ont procédé à l’examen et au nettoyage du drain; ils ont constaté la présence d’ocre ferreuse, et ils ont aussi remarqué la présence d’eau par-dessus le drain et par-dessus la semelle; suite à cet état de choses, ils ont confié un mandat à M. Champagne de Symbiose.

[24]        Ce dernier lui ayant montré la façon de faire, M. Doré a procédé à la prise de relevés dans les puits d’observation.

[25]        En juin 2012, une vérification supplémentaire du drain a été réalisée par Technodrain, et déjà, à peine trois mois après un premier nettoyage, ce drain était à nouveau colmaté à 50 %.

Plaidoirie

[26]        Le procureur soumet que toutes les parties, même l’entrepreneur, s’entendent à l’effet que dans le présent dossier, il existe un vice de construction; toutefois, on ne s’entend pas sur les solutions.

[27]        Or, les seules données au dossier sont celles prises par Symbiose à l’aide de puits d’observation; l’étude s’échelonne d’avril 2012 à juin 2013. Fondasol n’a pas jugé bon de procéder à de telles mesures; sa conclusion est basée sur un seul creusage effectué le 27 septembre 2012, lors duquel, semble-t-il, on n’a pas aperçu d’eau. Or, il a été démontré qu’une excavation modifie la situation environnante des lieux.

[28]        M. Champagne a installé les piézomètres à une bonne distance de la maison (quatre pieds) afin de connaître réellement la nature du sol à un endroit où il n’y a ni gravier ni drain.

[29]        La preuve a été faite comme quoi la résidence des bénéficiaires est constamment dans l’eau, ce qui n’est point conforme aux règles de l’art.

[30]        Après avoir dans son rapport suggéré comme solution un puits de captation muni d’une pompe, Fondasol propose maintenant de plutôt procéder par gravité; ce sont là de pures hypothèses.

[31]        La seule défense de l’administrateur, c’est que les calculs des bénéficiaires sont erronés.

[32]        Par la suite, Fondasol avance que si le puits de captation ne fonctionne pas, on installera un autre drain.

[33]        Les bénéficiaires ont dû faire appel à un expert (Symbiose) pour trouver la source du problème; ils n’avaient pas le choix; l’entrepreneur ne l’a pas fait, et l’administrateur a pris en considération l’expertise de Symbiose pour compléter son dossier.

[34]        Il est donc raisonnable de rembourser les frais d’expertises réalisées pour le compte des bénéficiaires, de même que le coût relié à la dernière présence de M. Champagne à l’audience (2 000 $).

[35]        Depuis le début de la présente affaire, l’entrepreneur n’a effectué aucune démarche afin de déterminer la cause du problème.

[36]        Le procureur estime que la situation actuelle nécessite une solution permanente afin de ne pas avoir à dénoncer à un éventuel acheteur qu’il existe une problématique avec le drainage des eaux.

[37]        Il rappelle que le bassin de rétention d’eau pluviale situé de l’autre côté de la rue des Pigamons, face à la résidence des bénéficiaires, contient environ quatre pouces d’eau, selon le témoignage de M. Hosseini.

[38]        Le procureur soulève de plus que le drain français qui contourne la propriété doit être utilisé pour évacuer l’eau de pluie et non pour évacuer une nappe d’eau.

[39]        À l’appui de son argumentation, le procureur a soumis la jurisprudence suivante :

-       David Richer et 9141-3873 Québec inc. (cession de biens juin 2010) et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 15 novembre 2011 par M. Alcide Fournier (CCAC).

-       Isabelle Perreault et Dave Cusson et 9034-5877 Québec inc. (Construction Clément Arès) et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 2 septembre 2010 par M. Claude Dupuis (GAMM).

-       Rae c. Construction Réal Landry inc., 2009 QCCS 1913.

III : POSITION DE L’ENTREPRENEUR

[40]        M. Denis Picard, représentant de l’entrepreneur, admet sa responsabilité et se dit prêt à procéder à des travaux.

[41]        Dans un premier temps, il prétend connaître plusieurs solutions et pouvoir en essayer quelques-unes avant d’arriver au rehaussement de la propriété.

[42]        Sa méthodologie consiste à procéder à un ou deux essais et par la suite régler le problème.

[43]        Il rappelle que l’entrepreneur a déjà racheté des propriétés comportant la même problématique et qu’il les a revendues après avoir corrigé la situation.

[44]        Il affirme que si un essai ne fonctionne pas, il procède à un autre, et ainsi de suite.

[45]        L’entrepreneur conclut qu’il s’agit ici de l’eau de pluie et qu’il faut l’arrêter.

[46]        Dans un deuxième temps, après avoir entendu le témoignage de M. Hosseini, expert chez Fondasol, M. Picard endosse la méthode corrective proposée par celui - ci.

IV : POSITION DE L’ADMINISTRATEUR

[47]         Dans son rapport de décision, M. Dubuc, inspecteur-conciliateur pour l’APCHQ, ne favorise pas le rehaussement de la propriété.

[48]        Il témoigne qu’il traite chaque année une dizaine de situations similaires à la présente.

[49]        Lors de son inspection au mois d’août 2012, il constate que le sol est sec dans les margelles, alors que le niveau d’eau se situe à 12 pouces en bas du dessus de la dalle.

[50]        Au sous-sol, en inspectant le gypse, il remarque qu’il y a effectivement eu une infiltration d’eau.

[51]        Il commande alors un rapport d’expert, car selon lui, rehausser une propriété constitue la dernière étape, sans compter que le coût de la présente réclamation est de l’ordre de 125 000 $, incluant la remise en état des lieux.

[52]        Le 20 septembre 2012, il retourne sur les lieux avec l’expert Hosseini de la firme Fondasol.

[53]        À l’aide de deux tranchées effectuées près du mur de fondation, il constate que le niveau d’eau dans une tranchée est à ¼ de pouce de la hauteur du drain, tandis qu’un graphique confectionné par Symbiose à la même date démontre que le drain est complètement inondé; c’est alors qu’il conclut que les mesures effectuées par Symbiose ne sont pas fiables.

[54]        Pour l’autre tranchée, le niveau est à ¾ de pouce de la hauteur du drain.

[55]        Dans les deux cas, il a constaté la présence d’ocre ferreuse.

[56]        Lorsque le potentiel de colmatage est de moyen à très élevé (comme c’est présentement le cas), M. Dubuc recommande l’installation d’un drain rigide de PVC à paroi intérieure lisse (appelé drain BNQ) plutôt que le drain traditionnel (tuyau flexible en polyéthylène) actuellement en place dans la propriété des bénéficiaires.

[57]        Selon le témoin, si le niveau d’eau se situait à 2 ou 3 pouces plus haut que la dalle, le tout baignerait dans l’eau.

[58]        La résidence ne nécessite pas d’être rehaussée, car elle n’est point située dans la nappe d’eau.

[59]        M. Dubuc a confié à l’expert Hosseini le soin de commenter le rapport de Symbiose et de présenter une solution en fonction des données géotechniques, de même que des analyses chimiques et bactériologiques effectuées par Symbiose.

[60]        Lors de son témoignage, M. Hosseini nous informe qu’il a situé l’emplacement de la propriété avec un plan de localisation et un plan topographique, et qu’il a consulté les niveaux d’eau ainsi que les différentes analyses granulométriques et chimiques réalisées par Symbiose.

[61]        Contrairement à Symbiose, M. Hosseini a constaté que le drain français n’était  pas entièrement immergé dans l’eau, mais plutôt à 50 %.

[62]        Les résultats d’analyse de Fondasol concluent à l’existence d’un sol proche d’imperméabilité.

[63]        Le soussigné reproduit ci-après quelques extraits de la conclusion du rapport de Fondasol daté du 18 octobre 2012.

7.          COMMENTAIRES ET RECOMMANDATIONS

Basés sur les données obtenues lors du présent mandat, nous formulons les commentaires et recommandations suivants :

1.    […] Ainsi, contrairement à ce qui est affirmé par Symbiose, les terrains du secteur ne sont pas plats, faisant l’objet d’une accumulation d’eau de ruissellement provenant de l’amont. […]         

[…]

4.    […] Contrairement à ce qui est affirmé par Symbiose, le drain français n’est pas immergé dans l’eau, mais à mi-hauteur dans l’eau stagnante. Le dessus du tuyau de drain français se trouve à 330 mm sous la surface de plancher du sous-sol. De l’eau stagnante, colorée, était présente à mi-hauteur du tuyau de drain français. Suite à une coupure du drain français, il nous a été possible de constater la présence d’un dépôt d’ocre à l’intérieur du drain français, photos 19 à 22 de l’annexe 5;

[…]

9.    Selon les niveaux d’eau mesurés dans les puits d’observation installés par Symbiose, les niveaux d’eau de la nappe phréatique sont situés à 264, 82 et 142 mm sous la surface du plancher de sous-sol et ce le 20 septembre 2012;

10.  Le plan topographique et la photo-aérienne consultés indiquent que la résidence à l’étude se trouve sur un terrain avec une pente générale vers le sud-ouest avec un terrain qui était boisé avant l’urbanisation. La visite effectuée a permis de constater la formation d’une couche de film huileux sur la surface d’eau colorée dans le bassin de rétention pluviale (photos 10 à 13). Ces indices combinés à l’environnement du site (terrain initialement boisé et topographie de colline) nous permettent d’estimer à élevé le potentiel de colmatage des drains de fondation par le dépôt d’ocre. Par ailleurs, nous attirons l’attention du lecteur sur la présence de dépôt d’ocre dans le bassin de rétention où aucune construction n’est présente. Basés sur ces observations, nous sommes en désaccord avec la solution de soulèvement de la résidence, proposée par Symbiose. En ce qui concerne la solution de cuvelage, nous sommes d’avis que la solution de drainage, proposée dans les sections suivantes permettra de rabattre la nappe phréatique sans avoir recours aux solutions extrêmes comme le cuvelage. Ce dernier est réservé dans les cas particulier [sic] où les sols de fondation sont très perméables et que la nappe souterraine est en permanence au dessus de la surface du plancher de sous-sol (Navfac DM-7.2, 1982), ce qui n’est pas le cas du présent dossier;

[…]

13.  Basés sur l’ensemble des données obtenues lors du présent mandat, nous sommes d’avis que la résidence à l’étude n’est pas munie d’un système de drainage performant, et ce malgré la présence d’un tapis de drainage en gravier sous la dalle de plancher de sous-sol, pour rabattre la nappe phréa-tique pouvant s’approcher de la surface du plancher de sous-sol. Compte tenu de la présence d’un tapis de pierre nette sous la dalle de plancher de sous-sol, la solution recommandée pour le rabattement de la nappe phréatique consiste, à mettre en place un puisard (bassin de captation ou fosse de retenu [sic]) étanche muni d’une pompe submersible sous la dalle de plancher du sous-sol loin des fondations extérieures et intérieures. […]

14.  […] Par ailleurs, compte tenu du potentiel élevé de colmatage par dépôt d’ocre de drain de fondation de la résidence à l’étude, il est recommandé de prévoir des cheminées de nettoyage, conformes aux exigences de la norme BNQ mentionnée, pour l’entretien régulier du drain de fondation;

[64]        Par contre, lors de son témoignage, M. Hosseini a modifié son approche en soumettant que pour rabattre la nappe, la pompe submersible dans le puisard n’était pas requise, puisque l’élévation de ce dernier permettrait l’évacuation par gravité.

Plaidoirie

[65]        Le procureur estime que la position de M. Champagne, de Symbiose, comporte des aspects discutables.

[66]        Ce témoin, dit-il, a de beaucoup exagéré afin de vendre sa solution.

[67]        M. Champagne situe le niveau d’eau parfois au dessus, parfois en dessous de la dalle. Or, la preuve a démontré que ce niveau est continuellement en dessous de la dalle; son témoignage n’est donc pas exact.

[68]        En ce qui a trait à la confection des graphiques du niveau de l’eau, le procureur se dit prêt à accepter les données prises par Symbiose, mais éprouve une certaine gêne quant aux données prises par le bénéficiaire.

[69]        Le procureur se questionne sur la meilleure solution à apporter à la présente situation, soit un drainage efficace ou la surélévation de la propriété de l’ordre de trois à cinq pieds.

[70]        Or, il a été reconnu que le drain actuel, non efficace, ne peut rabattre la nappe phréatique; il faut donc installer un drain plus performant avec cheminées de nettoyage; ceci constitue une solution moins coûteuse que celle préconisée par les bénéficiaires, laquelle est estimée à 125 000 $.

[71]        Le procureur rappelle que durant les quatre premières années d’occupation, il n’y a pas eu d’infiltration d’eau. Alors, si un drain partiellement colmaté a suffi, qu’en est-il d’un drain super-efficace tel que proposé par l’administrateur?

[72]        Contrairement à la prétention de Symbiose, il n’existe aucune apparence de pression hydrostatique sur la dalle.

[73]        Le procureur qualifie d’exorbitants les honoraires facturés aux bénéficiaires par Symbiose, soit un montant d’environ 13 000 $.

[74]        Pour l’essentiel, son expertise a été menée en mai 2012; par la suite, les honoraires chargés par Symbiose n’ont point résulté en un rapport complémentaire.

[75]        Au soutien de ses prétentions, le procureur a soumis la jurisprudence suivante :

-       Construction Réal Landry c. Rae, 2011 QCCA 1851.

-       Lisa Rae et Michael Nutter et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ et Construction Réal Landry inc., sentence arbitrale rendue le 10 juin 2008 par Me Johanne Despatis (GAMM).

[76]        Relativement à la juridiction du tribunal, le procureur a déposé la décision arbitrale suivante :

-       Pierre Gauthier et Maurice Bibeaud et Frank-Fort Construction inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 5 avril 2013 par Me Jean Philippe Ewart (SORECONI).

V : DÉCISION ET MOTIFS

[77]        Il existe un point sur lequel les deux experts Champagne et Hosseini sont d’accord, à savoir, et je cite M. Champagne : « Que le potentiel de développement de la problématique de formation de dépôts d’ocre ferreuse dans le drain de fondation est qualité d’élevé à très élevé ».

[78]        M. Hosseini, dans son rapport, s’exprime de façon similaire : « Par ailleurs, compte tenu du potentiel élevé de colmatage par dépôt d’ocre de drain de fondation de la résidence à l’étude […] ».

[79]        M. Champagne nous a expliqué que son analyse lui permet d’affirmer que le sol en question favorise facilement et plus rapidement la formation et le dépôt de l’ocre lorsque ce type de sol est en milieu humide, ce qui n’a pas été contredit, et ce qui est notre cas.

[80]        Or, l’expertise conduite par Symbiose sur une période de 14 mois démontre que le drain est immergé de façon permanente.

[81]        Même si des critiques ont été formulées par l’administrateur au sujet de certaines mesures, M. Champagne a été le seul expert à procéder à une telle analyse à l’aide de piézomètres, méthode reconnue comme étant fiable.

[82]        Cette fiabilité a été notée dans une sentence arbitrale[1] dans un dossier pour lequel M. Hosseini avait été également retenu comme expert par l’administrateur; l’arbitre rapporte que M. Hosseini avait critiqué les positions prises par l’expert de la partie adverse parce que ce dernier n’avait pas mesuré les niveaux d’eau à l’aide d’un piézomètre.

[83]        À sa première présence sur les lieux en août 2012, M. Dubuc, inspecteur-conciliateur, a constaté que le drain était inondé.

[84]        M. Dubuc met en doute la fiabilité des données de Symbiose; à l’appui de cette affirmation, il soumet que lors du creusage des tranchées en septembre 2012 (TR-1 et TR-2 du rapport de Fondasol), le drain n’était qu’au quart ou à demi inondé; rappelons que ces tranchées étaient situées près des fondations. Par son affirmation, M. Dubuc fait abstraction du phénomène de rabattement du niveau d’eau lorsque celui-ci se situe près du gravier ou d’un drain même à demi colmaté.

[85]        Par comparaison, dans un lavabo ou dans un bain, lorsque l’eau s’écoule, le niveau d’eau près du drain est inférieur à celui près des parois.

[86]        Ainsi, l’on ne peut comparer un niveau mesuré près des fondations (tranchées TR-1 et TR-2) avec un autre situé à quatre pieds ou plus de ces mêmes fondations (piézomètres), où il n’y a ni gravier ni drain.

[87]        Lors de son témoignage, M. Champagne a déclaré que ses relevés et analyses (rappelons qu’il est le seul à avoir effectué des relevés à l’aide de piézomètres) lui permettent d’affirmer que le drain et la semelle sont toujours inondés.

[88]        Il soumet de plus que la nappe n’est pas statique, que son niveau varie et que ce dernier peut parfois atteindre la dalle (plancher).

[89]        Le géologue ajoute qu’un drain immergé ne peut remplir sa fonction lors de forte pluie ou de fonte.

[90]        C’est ce qui s’est véritablement produit au printemps 2012, soit au cours de la nuit du 18 au 19 mars, alors que le niveau d’eau a atteint le plancher du sous-sol.

[91]        La présence d’ocre ferreuse au niveau des fondations et le colmatage du drain à tout près de 50 % ne sont pas contestés.

[92]        Après un premier nettoyage du drain suite à l’infiltration d’eau au sous-sol, lors d’un second nettoyage trois mois plus tard, il n’a pas été contesté que le drain était à nouveau colmaté de l’ordre de 50 %, ce qui ajoute foi à l’affirmation de M. Champagne selon laquelle ce type de sol en milieu humide favorise le développement rapide des dépôts d’ocre.

[93]        Lors de l’audience, M. Hosseini a soumis au tribunal un guide de référence sur l’ocre ferreux, préparé par l’APCHQ et publié en 2007; en première page, le nom de M. Hosseini apparaît dans la liste des personnes ayant collaboré à cet ouvrage.

[94]        À la section 2.3 dudit guide, on peut lire ce qui suit :

Les drains ne doivent pas être installés sous le niveau de la nappe phréatique. Si possible, le sol doit être sec;

[95]        Dans le présent dossier, il existe une preuve prépondérante que ces conditions ne sont point rencontrées.

[96]        Cette recommandation de l’APCHQ appuie la thèse voulant qu’un drain ne doit pas être utilisé pour rabattre une nappe, mais plutôt pour évacuer l’eau de pluie et l’eau de fonte.

[97]        Le procureur de l’administrateur met en doute la fiabilité des relevés effectués par les bénéficiaires; toutefois, il se dit confiant quant aux mesures réalisées par Symbiose; or, ces dernières démontrent un niveau non seulement par-dessus le drain et par-dessus la semelle, mais même au niveau de la dalle.

[98]        Le tribunal, en accord avec le procureur de l’administrateur, reconnaît qu’il n’existe aucune apparence de pression hydrostatique sur la dalle; toutefois, M. Champagne, dans son rapport, évoque plutôt un potentiel de dommage.

[99]        Le procureur de l’administrateur soumet que M. Champagne a de beaucoup exagéré pour vendre sa solution (rehaussement de la résidence); lors de l’audience, le tribunal n’a point constaté cette attitude. Le géologue a reçu un mandat d’un non-initié qui ne pouvait lui suggérer ou lui imposer une solution.

[100]     En cours d’enquête, cette attitude m’a plutôt semblé être celle de M. Hosseini, lequel a reçu un mandat de la part d’un initié qui, selon son témoignage, trouvait le rehaussement disproportionné et dispendieux.

[101]     Relativement à l’entrepreneur, qui admet être responsable de la présente situation, il n’a aucune solution concrète à proposer. Il dit, sans les énoncer, connaître de 10 à 12 solutions; il procède par essais et erreurs pendant une période de temps indéterminée. Durant cette période, les bénéficiaires sont en attente, sur le qui-vive, et ne peuvent disposer librement de leur propriété, le cas échéant.

[102]     Même l’expert de Fondasol propose une solution par étapes.

[103]     Dans un premier temps, ce dernier, dans son rapport, propose la mise en place d’un bassin de captation avec pompe; si non suffisant, dans une deuxième étape, on installe un drain plus performant. Subséquemment, lors de l’audience, notant que l’installation d’une pompe peut occasionner des inconvénients majeurs (arrêt de l’alimentation électrique, absence des bénéficiaires, danger de colmatage de la pompe), il suggère plutôt d’évacuer l’eau par gravité.

[104]     Le procureur des bénéficiaires a soumis une sentence de l’arbitre Alcide Fournier, dans laquelle ce dernier rapporte les propos de l’honorable juge Hélène Langlois dans un dossier de la Cour supérieure (700-05-006791-986), propos que le soussigné fait siens[2] :

« [65]    Un acheteur est en droit de s’attendre à ce qu’un « immeuble soit construit en conformité avec le Code…

« Également, il apparaît tout à fait raisonnable de s’assurer de « régler une fois pour toutes le problème…

« [67]    Il ne s’agit pas d’envisager une solution dans la « perspective d’une minimisation des dommages, mais en fonction « de la garantie de qualité à laquelle est tenue le vendeur.

[105]     Subséquemment, l’arbitre Fournier poursuit[3] :

[70]       Dans le présent litige, les moyens de correction suggérés par l’Administrateur (percer des trous dans les parois du bassin de captation, élever l’extrémité du tuyau d’évacuation de l’eau des drains…) constituent uniquement des moyens pour minimiser la situation actuelle et ne constituent pas une solution permanente et définitive.

[106]     Il existe une preuve prépondérante que nous sommes en présence d’une situation problématique naturelle et permanente. Le remède exige donc une solution naturelle et permanente, ce qu’un bassin de captation ou tout drain, si efficace soit-il, ne peuvent constituer, dû à la formation permanente et rapide d’ocre ferreuse dans un milieu continuellement humide.

[107]     Le procureur des bénéficiaires a également déposé une sentence du soussigné émise en 2010[4]; dans ce dossier, M. Hosseini, qui était également l’expert retenu par l’administrateur, proposait la même solution que celle soumise dans la présente affaire, et le soussigné l’a appuyé. Toutefois, dans ce dossier de 2010, contrairement au cas dont il est ici question, le taux d’agressivité de l’ocre avait été calculé comme étant de faible à moyen, il n’existait aucune preuve de colmatage du drain, le niveau d’eau n’avait jamais atteint le niveau de la dalle, et il n’y avait jamais eu infiltration d’eau.

[108]     Dans la présente affaire, après avoir analysé les faits et les preuves des parties, le tribunal conclut que la méthode d’intervention proposée par l’expert des bénéficiaires est la seule qui réponde aux exigences du plan de garantie, soit la correction du vice ci-devant démontré et reconnu.

[109]     POUR CES MOTIFS, la présente réclamation est favorablement ACCUEILLIE.

[110]     Relativement à la juridiction de l’arbitre à l’égard de l’intervention de l’entrepreneur, le procureur de l’administrateur a soumis une décision arbitrale de Me Jean Philippe Ewart[5], lequel fait une distinction entre l’objet des travaux à exécuter et la méthode d’exécution. Voici quelques extraits de cette sentence :

[43]       L’ensemble de ces diverses expressions démontre clairement la distinction qui se doit d’être faite entre d’une part le choix des méthodes ou modes d’exécution de travaux et, d’autre part, le type et qualité des travaux, de l’ouvrage lui-même - soit au contrat d’entreprise où l’Entrepreneur s’engage à réaliser un ouvrage matériel (art. 2098 C.c.Q.) - deux réalités distinctes qui font dire à l’arbitre Despatis dans l’affaire Rae12 :

«117 […] En cela le choix des travaux et méthodes d’exécution, renvoie à des réalités distinctes, la première désignant l’objet à faire et la seconde la façon d’y arriver»

[52]     Conséquemment, et tenant compte de l’autonomie de l’entrepreneur et des distinctions entre méthodes d’exécution telles que prévues sous l’art. 2099 C.c.Q. et l’identification de travaux requis, le Tribunal dans le cadre du Règlement a clairement compétence pour ordonner des travaux correctifs spécifiques et fixer des conditions de correction.

[111]     Le procureur des bénéficiaires est également d’accord avec ce principe.

Ordonnance

[112]     Afin de remédier à la situation ci-devant décrite, le tribunal ORDONNE donc à l’entrepreneur d’effectuer le rehaussement de la résidence, de corriger définitivement les malfaçons qui affectent les fondations et le drain de la maison des bénéficiaires, et de procéder à la remise en état des lieux. L’exécution des travaux devra être conforme aux règles de l’art, et l’entrepreneur devra s’assurer du niveau de rehaussement. Les travaux devront être complétés pour le 31 août 2014.

[113]     À défaut par l’entrepreneur de remplir ses obligations, le tribunal ORDONNE à l’administrateur d’y suppléer, et ce, dans le même délai.

Frais d’expertises

[114]     L’article 124 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs prévoit que l’arbitre doit statuer quant au quantum des frais raisonnables d’expertises.

[115]     Dans la présente affaire, les frais de nettoyage des drains et autres démarches lors de l’infiltration d’eau au printemps 2012 me semblent raisonnables, pour un montant de 493,25 $.

[116]     Dans le présent litige, le soussigné estime que l’expertise de M. Champagne lui a été très utile pour sa prise de décision. Les frais de ce dernier totalisent 13 180,75 $, incluant les deux jours d’audience; en accord avec le procureur de l’administrateur, ces coûts m’apparaissent élevés, tenant compte qu’un montant d’honoraires important a été chargé après l’émission du rapport du géologue; ainsi, un remboursement de 10 000,00 $ relativement aux frais de M. Champagne me semble plus conforme.

[117]     Le tribunal ORDONNE donc à l’administrateur de rembourser aux bénéficiaires un montant total de dix mille quatre cent quatre-vingt-treize dollars et vingt-cinq cents (10 493,25 $), et ce, dans les trente (30) jours de la présente.

Coûts de l’arbitrage

[118]     Conformément à l’article 123 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont entièrement à la charge de l’administrateur.

BOUCHERVILLE, le 30 septembre 2013.

 

 

 

 

 

 

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Claude Dupuis, ing., arbitre

 



[1]     David Richer et 9141-3873 Québec inc. (cession de biens juin 2010) et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 15 novembre 2011 par M. Alcide Fournier (CCAC).

[2]     Ibid., parag. 69.

[3]     Ibid., parag. 70.

[4]     Isabelle Perreault et Dave Cusson et 9034-5877 Québec inc. (Construction Clément Arès) et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 2 septembre 2010 par M. Claude Dupuis (GAMM).

[5]     Pierre Gauthier et Maurice Bibeaud et Frank-Fort Construction inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., sentence arbitrale rendue le 5 avril 2013 par Me Jean Philippe Ewart (SORECONI).