TRIBUNAL D’ARBITRAGE
Sous l’égide du
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL
(CCAC)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
______________________________________________________________________
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
Dossier CCAC no: S16-092801-NP
GIOVANNI DELFINO
Demandeur
c.
9205-4717 QUÉBEC INC.
f/a/s LES IMMEUBLES KAMA
Défenderesse
et
RAYMOND CHABOT, ADMINISTRATEUR provisoire inc.
ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie
de La Garantie Abritat Inc.
Administrateur
_______________________________________________
DÉCISION ARBITRALE
_______________________________________________
Arbitre: Me Jean Philippe Ewart
Pour l’Administrateur : Me Marc Baillargeon
Pour le Bénéficiaire: Me Patrick Brunelle
Identification des Parties
ADMINISTRATEUR: RAYMOND CHABOT,
ADMINISTRATEUR provisoire inc.
ès qualités d’administrateur provisoire
du plan de garantie
La Garantie Abritat Inc.
Attention: Me Marc Baillargeon, directeur
contentieux des garanties abritat/gmn
7333, Place des Roseraies, 3e étage
Anjou (Québec) H1M 2X6
(« Administrateur »)
BÉNÉFICIAIRE : M. GIOVANNI DELFINO
Attention : Me Patrick Brunelle
brunelle drouin laplante
75, rue St-Pierre Nord
Joliette (Québec) J6E 5X8
(« Bénéficiaire »)
ENTREPRENEUR : 9205-4717 QUÉBEC INC.
506, rue Lanaudière
Repentigny (Québec) J6A 8G5
( « Entrepreneur»)
Introduction
[1] La propriété est une unité de condominium (« Unité » ) dans un projet de construction d’un bâtiment situé [...], Montréal, Québec (le «Bâtiment») Unité quant à laquelle le Bénéficiaire Giovanni Delfino (quelquefois « Delfino »), a remis acompte pour achat à l’Entrepreneur.
Mandat et Juridiction
[2] L’Arbitre est saisi du dossier en rubrique par nomination en date du 16 mars 2017 (en substitution par le CCAC de l’arbitre initialement nommé) en conformité du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r. 8) (le « Règlement ») adopté en conformité de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1) (la « Loi ») et de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire datée du 28 septembre 2016 (la « Demande »).
[3] Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée par les Parties et juridiction du Tribunal a été confirmée.
Litige
[4] La demande d’arbitrage aux présentes découle d’une décision de l’Administrateur en date du 12 septembre 2016 (« Décision Adm »), (no de dossier : 345920-1) (Pièce A-11).
[5] Le litige vise une demande de remboursement de dépôt d’acompte par le Bénéficiaire au montant de 15 000 $ à laquelle l’Administrateur sous la Décision Adm a refusé de donner suite.
Déroulement de l’instance
Pièces
[6] Les Pièces contenues au Cahier de l’Administrateur et dont référence sera faite aux présentes sont identifiées comme A-, avec sous-numérotation équivalente à l’onglet applicable au Cahier visé ou en continu suite à dépôt subséquent, et les Pièces présentées par le Bénéficiaire comme B-.
[7] Lorsqu’une même pièce est pourvue au Cahier de l’Administrateur est aussi déposée par une autre partie, le Tribunal réfère à la cote attribuée à la pièce par l’Administrateur, tenant compte de l’article 109 du Règlement.
[8] Aucune objection quant à l’origine de la preuve documentaire ou de l’intégrité de l’information qu’elle porte n’a été soulevée.
Le Règlement
[9] Le Tribunal s’appuie que le Règlement est d’ordre public[1] et prévoit que toute disposition d’un plan de garantie (« Garantie » ou « Plan ») qui est inconciliable avec le Règlement est nulle[2]. Conséquemment, le Tribunal se réfère aux articles du Règlement lorsque requis sans rechercher la clause correspondante au contrat de garantie, s’il en est.
[10] La décision arbitrale est finale et sans appel et lie les parties dès qu’elle est rendue[3].
Chronologie de l’Arbitrage
[11] Sommaire de la chronologie du présent arbitrage :
2014.01.07 Contrat préliminaire et contrat de garantie (Pièce A-2)
2014.02.18 Attestation d’acompte de 15 000$ par le Bénéficiaire
(Pièce A-3)
2014.06.10 Mise en demeure de S. Bissonnette à l’Entrepreneur
(Pièce A-5)
2014.07.15 Mise en demeure du Bénéficiaire à l’Entrepreneur (Pièce A-4)
2015.03.02 Demande de remboursement d’acompte (Pièce A-7)
2015.08.06 Mise en demeure des procureurs du Bénéficiaire à l’Administrateur (Pièce B-6)
2015.12.15 Défense de La Garantie Abritat Inc. dans le dossier de cour 705-22-015525-155 (Pièce A-10)
2016.09.12 Décision de l’Administrateur (Pièce A-11)
2016.09.27 Comparution de Me Patrick Brunelle pour le Bénéficiaire (Pièce A-12 en liasse)
2016.09.28 Demande d’arbitrage (Pièce A-12 en liasse)
2016.09.30 Notification de la demande d’arbitrage du Bénéficiaire et Nomination initiale d’un arbitre (Pièce A-12 en liasse)
2016.11.17 Réception du Cahier de l’Administrateur
2017.01.12 Conférence de gestion
2017.03.16 Substitution d’arbitre : nomination de Me Jean Philippe Ewart
2017.03.16 Réception du cahier de pièces du Bénéficiaire
2017.03.23 Instruction.
Faits pertinents
[12] L’État des renseignements d’une personne morale au Registre des entreprises (Québec) identifie que l’Entrepreneur 9205-4717 Québec Inc. fait aussi affaires sous ‘Les immeubles Kama’.
[13] Le Bénéficiaire et l’Entrepreneur (sous intitulé de Les Immeubles Kama) pourvoient à la signature d’un contrat préliminaire et contrat de garantie (condominium) pour l’achat de l’unité [...] au [...], Montréal (qui sera identifiée comme ‘ 144A ‘ à divers éléments de la preuve documentaire au dossier), sur document standard destiné aux membres de l’APCHQ accrédités auprès de la Garantie Abritat Inc., en date du 7 janvier 2014 (Pièce A-2). (« Contrat »).
[14] Le Bénéficiaire est un courtier immobilier.
[15] Le Contrat prévoit une date de prise de possession de l’Unité au 15 juin 2014.
[16] Le Contrat indique ‘Morin & Fortin’ à titre de notaire (du vendeur) instrumentant.
[17] Le ou vers le 18 février 2014, le Bénéficiaire pourvoit à l’émission par Banque Laurentienne du Canada d’un chèque officiel (ndlr - en format de traite bancaire) de 15 000$ payable à l’ordre de Morin et Fortin Notaires, avec attestation d’acompte du Bénéficiaire contresignée par l’Entrepreneur (Pièce A-3 en liasse), pour fins d’acompte selon l’attestation d’acompte pour l’unité [...], Montréal.
[18] La Décision Adm souligne que la preuve a été fournie que ce montant de 15 000$ a été encaissé par la Banque Laurentienne du Canada, l’institution financière de l’Entrepreneur, le 19 février 2014 (« Acompte »).
[19] Ce même jour, le 19 février 2014, et devant le même notaire, le Bénéficiaire et Serge Bissonnette (aussi courtier immobilier) (« Bissonnette ») signent à titre de prêteur un acte notarié pour Prêt et Hypothèque immobilière de second rang de 65 000$ grevant un immeuble désigné lot 5 088 483 du Cadastre du Québec (circonscription Montréal) au bénéfice de l’Entrepreneur (P. Fortin, notaire sous le
no 18 595 de ses minutes) (Pièce B-7) (« Hypothèque65 »).
[20] L’Administrateur dépose en preuve un acte de prêt et hypothèque de premier rang de 300 000$ devant le même notaire, entre A. Ward à titre de prêteur et l’Entrepreneur à titre d’emprunteur daté du 29 janvier 2014 grevant le même immeuble que l’Hypothèque65 (lot 5 088 483 du Cadastre du Québec) (P. Fortin, notaire sous le no 18 550 de ses minutes) (Pièce B-6) qui indique un premier déboursé de 171 000$ (« Hypothèque300/171 »).
[21] Le montant précité de 171 000$ est prévu déboursé sous l’Hypothèque300/171 à la date de signature, ce qui concorde avec l’entrée comptable au tableau des ‘Transactions en fiducie du dossier 13MF1299’ du cabinet Morin & Fortin, notaires (Pièce A-8) (« Tableau M&F ») sous la rubrique ‘Recettes’ qui représente un dépôt au compte en fidéicommis notarial.
[22] Le Tribunal note que le signataire pour l’Entrepreneur (i) du Contrat et (ii) de l’Hypothèque65 et (iii) de l’Hypothèque300/171 est Steve Leblanc.
[23] Le Registre des entreprises identifie Mathieu Touchette à titre d’actionnaire majoritaire (et seul actionnaire inscrit), seul administrateur et président, secrétaire et trésorier de l’Entrepreneur (Pièce B-1).
[24] Le Tribunal note que le Registre des entreprises identifie Steve Leblanc à titre d’actionnaire majoritaire (et seul actionnaire inscrit), seul administrateur et président, secrétaire et trésorier de Société immobilière Emyka Inc., aussi inscrite au Tableau M&F.
[25] Le Tableau M&F indique des entrées comptables sous la rubrique ‘Recettes’ d’un montant de 15 000$ respectivement de Delfino (en date du 19 février 2014) et de Bissonnette (en date du 20 février 2014).
[26] Le 11 avril 2014, le cabinet Morin et Fortin, notaires a émis un chèque pour le compte de l’Entrepreneur (selon la Décision Adm) au Bénéficiaire pour une somme de 6 711,11$ ce qui concorde avec une entrée comptable comme débours au Tableau M&F sous la rubrique ‘Raison’ à titre de ‘REMBOURSEMENT DES AVANCES PAIEMENT AUX FOURNISSEURS’ (le « Paiement »)
[27] Ce même jour, le 11 avril 2014, le Tableau M&F indique une entrée comptable comme débours sous la rubrique ‘Raison’ à titre de ‘REMBOURSEMENT DES AVANCES PAIEMENT AUX FOURNISSEURS’ pour un autre montant identique de 6 711,11$ à Bissonnette.
[28] Le 21 avril 2014, le chèque précité émis au Bénéficiaire de 6 711,11$ a été encaissé par celui-ci, tel que confirmé par M. Lacoste, collaboratrice au sein de la firme Morin & Fortin notaires, dans un courriel daté du 20 octobre 2015 adressé à A. Joly, agente de recouvrement de l’Administrateur (Pièce A-9).
[29] Le 15 juillet 2014, le Bénéficiaire transmet une lettre de mise en demeure à Mathieu Touchette, représentant de l’Entrepreneur (« Touchette ») , réclamant le remboursement de l’acompte de 15 000$ (dont réception de même date confirmée par Touchette en contresignature) (Pièce A-4) et indiquant que les travaux de construction n’étaient pas encore entamés à ce jour (« Demeure Delfino » ).
[30] Auparavant, Bissonnette (que l’on comprend a acquis une unité du Bâtiment soit, selon sa correspondance (Pièce A-5), l’unité 144B du Bâtiment) a transmis une lettre de mise en demeure datée du 10 juin 2014 à Touchette, réclamant le remboursement d’un acompte de 15 000$ $ (dont réception confirmée le 17 juin suivant sous paraphe de Touchette) (Pièce A-5) (« Demeure Bissonnette » ).
[31] Delfino témoigne que son associé Bissonnette et lui-même ont pourvu chacun à un contrat préliminaire et contrat de garantie pour l’acquisition d’une unité de condominium du Bâtiment.
[32] N’ayant pas reçu de réponse de l’Entrepreneur suite à l’envoi de sa mise en demeure, le Bénéficiaire transmet le 2 mars 2015 une ‘Demande de remboursement d’acompte’ à l’Administrateur (Pièce A-7) réclamant la somme de 15 000$, soit la totalité de l’acompte qu’il a versé le 19 février 2014.
[33] Suite à cette demande du Bénéficiaire, l’Administrateur pourvoit à la Décision Adm refusant de donner suite à la demande de réclamation pour remboursement de l’acompte (Pièce A-11) pour les motifs que le Bénéficiaire a reçu un remboursement partiel de l’acompte (Pièce A-8 et A-9), et que lors de sa demande de remboursement le Bénéficiaire a fait une déclaration mensongère à l’Administrateur en omettant de divulguer ce remboursement partiel et a plutôt réclamé la totalité de l’acompte (Pièce A-7).
Prétentions et Plaidoiries des Parties
[34] L’Administrateur soulève à l’Instruction la question à savoir si Delfino est un bénéficiaire au sens du Règlement ou plutôt un promoteur immobilier, tenant compte qu’il est courtier immobilier.
[35] L’Administrateur n’a pas donné suite à la demande de réclamation pour remboursement d’acompte du Bénéficiaire déterminant à la Décision Adm que lors de sa demande de remboursement le Bénéficiaire a fait une déclaration mensongère (soit que le Bénéficiaire a omis de divulguer qu’il avait reçu un remboursement partiel de l’acompte versé alors qu’il en réclame le montant total) et soulevant en ratio decidendi que dans ces circonstances l’article 2472 C.c.Q. entraîne alors la déchéance du droit du Bénéficiaire au remboursement réclamé.
[36] Le Bénéficiaire plaide que le Paiement n’est pas un remboursement partiel d’un acompte versé tel que caractérisé par l’Administrateur à la Décision Adm mais plutôt un remboursement de prêt constaté et pourvu à l’Hypothèque65.
[37] Le Bénéficiaire dépose en preuve en copies carbone trois (3) ‘chèque officiel’ émis par la Banque Laurentienne du Canada respectivement de 37 500$ (en date du 28 septembre 2011 à l’ordre de ‘Notaire Gilles Forest in trust’), de 13 750$ (en date du 29 septembre 2011 à l’ordre de ‘Notaire Jean-Philippe Martel in trust’) - ayant chacun une indication de ‘Prêt hypothécaire’ inscrite au ‘Détails’ - et de 35 000$ (en date du 1er novembre 2011 à l’ordre de ‘Me Gilles Forest in trust’) ayant une indication de ‘Giovanni Delfino’ inscrite au ‘Détails’, donc prima facie un total de 86 250$ (collectivement, les « Traites 2011 »).
[38] Le Bénéficiaire allègue que ces montants sont composantes du prêt constaté et pourvu à l’Hypothèque65.
Analyse et Motifs
[39] Le Tribunal se doit de souligner la complexité de l’analyse requise imposant au Tribunal certaines démarches et délibéré qui découlent (i) d’une trame factuelle imprécise et multiple, tant un manque documentaire que testimonial, et (ii) des arguments avancés et (iii) du ratio decidendi de l’Administrateur à la Décision Adm. Les Parties auraient pu combler certaines de ces carences et peser plus avant les arguments et éléments décisionnels, ce qui aurait possiblement simplifié de beaucoup les motifs requis aux présentes.
Delfino - Bénéficiaire ou assimilé à un promoteur
[40] L’Administrateur soulève en plaidoirie que la question initialement adressée par celui-ci préalablement à l’Instruction visait à confirmer si Delfino est un bénéficiaire au sens du Règlement ou plutôt un promoteur immobilier, tenant compte qu’il est courtier immobilier.
[41] Le Règlement ne fait pas mention de l’expression ‘promoteur immobilier’ et ne réfère qu’au terme ‘entrepreneur’.
[42] On note que notre Code civil (au chapitre du contrat d’entreprise) assimile le promoteur immobilier dans un cadre de vente, à un entrepreneur :
2124. Pour l’application des dispositions du présent chapitre, le promoteur immobilier qui vend, même après son achèvement, un ouvrage qu’il a construit ou a fait construire est assimilé à l’entrepreneur.
[43] Le Code civil définit d’autre part le promoteur :
1093. Est considéré comme promoteur celui qui, au moment de l’inscription de la déclaration de copropriété, est propriétaire d’au moins la moitié de l’ensemble des fractions ou ses ayants cause, sauf celui qui acquiert de bonne foi et dans l’intention de l’habiter une fraction pour un prix égal à sa valeur marchande.
[44] L’article 1093 C.c.Q. ne souligne pas le rôle de constructeur ou mandant de construction dans sa définition de promoteur et la jurisprudence de notre Cour d’Appel[4] est au même sens élargi; il peut s’agir d’un immeuble existant où le ‘promoteur’ n’a pas construit ou fait construire, mais a procédé à l’achat d’un bâtiment existant construit préalablement par un tiers.
[45] Dans ce cadre, une personne peut être considérée promoteur quant à un bâtiment qu’il n’a pas construit ou fait construire - mais le Tribunal est d’avis qu’il faut une volonté, dans un cadre de copropriété, d’agir comme vendeur et d’être propriétaire d’un nombre d’unités du syndicat à une époque donnée d’au moins la moitié de l’ensemble immobilier.
[46] Cette caractérisation d’une intention de vente se retrouve d’ailleurs en application de la définition de l’article 1093 C.c.Q. précité, ainsi qu’en application des articles de notre Code (1104, 1106, 1785, 1788, 1794 et 2124 C.c.Q.) qui visent le promoteur, chacun selon ses circonstances.
[47] Toutefois, tel qu’avancé par l’Administrateur, est-ce que Delfino, par sa détention d’un permis de courtier immobilier [devant être émis par l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec en conformité de la Loi sur le courtage immobilier (« LCI ») [5] ], peut être assimilé à un promoteur?
[48] L’on comprend qu’un courtier immobilier agit à ce titre selon les paramètres applicables à la LCI:
« 1. La présente loi s’applique à toute personne ou société qui, pour autrui et contre rétribution, se livre à une opération de courtage […]
et on réfère à une personne physique à l’article 4 de la LCI:
4. Le courtier immobilier est la personne physique qui se livre à une opération de courtage visée à l’article 1.
et cette opération de courtage requiert d’agir à titre d’intermédiaire, ce que confirme notre Cour Supérieure[6]:
« [40] La jurisprudence nous enseigne que pour être en présence d’une opération de courtage, le courtier doit tout d’abord agir à titre d’intermédiaire. Constitue notamment «agir comme intermédiaire» la mise en contact d’un vendeur et d’un acheteur. »
[49] La doctrine est au même effet :
« En règle générale, le courtier immobilier sert d’intermédiaire dans la négociation de toute affaire relative à des immeubles telle que la location, la vente ou le financement. Plus spécifiquement, sa fonction consiste à rapprocher les parties afin de les amener à conclure elles-mêmes l’opération visée. (…) »[7]
[50] Les circonstances du présent dossier ne supportent pas que Delfino agissait à titre d’intermédiaire, au contraire. Conséquemment, il n’est pas opportun d’analyser plus avant l’argument de l’Administrateur à cet effet; dans les circonstances présentes, Delfino est un bénéficiaire au sens du Règlement.
L’application de l’article 2472 C.c.Q.
[51] La Décision Adm s’appuie en ratio decidendi sur l’art. 2472 C.c.Q. qui, dans le cadre du Titre ‘Des Obligations’ est contenu au chapitre 15e ‘Des Assurances’, [sous- section III - 1- IV (titrée ‘De la déclaration de sinistre et du paiement de l’indemnité’)], s’adressant au caractère indemnitaire de l’assurance, stipule que toute déclaration mensongère entraîne pour son auteur la déchéance de son droit à l’indemnisation.
[52] L’Administrateur allègue que le Bénéficiaire a fait une déclaration mensongère en omettant de divulguer le fait qu’il a déjà reçu un remboursement partiel et en réclamant le remboursement de la somme totale de l’acompte. Pour ces motifs, l’Administrateur à la Décision Adm invoque l’application de l’article 2472 C.c.Q. à l’effet que la déclaration mensongère du Bénéficiaire entraine la déchéance de son droit à l’indemnisation.
[53] L’article 2472 C.c.Q. énonce:
« 2472. Toute déclaration mensongère entraîne pour son auteur la déchéance de son droit à l’indemnisation à l’égard du risque auquel se rattache ladite déclaration.
Toutefois, si la réalisation du risque a entraîné la perte à la fois de biens mobiliers et immobiliers, ou à la fois de biens à usage professionnel et à usage personnel, la déchéance ne vaut qu’à l’égard de la catégorie de biens à laquelle se rattache la déclaration mensongère.»
[54] Cet article se trouve au Chapitre XV, Section III, soit «De l’assurance de dommages». Pour que les dispositions de cette section s’appliquent il doit s’agir d’un contrat d’assurance au sens des articles 2389 C.c.Q. et suivants, et donc pour nos fins déterminer la nature du Contrat.
[55] Le contrat d’assurance est défini à l’article 2389 C.c.Q :
« 2389. Le contrat d’assurance est celui par lequel l’assureur, moyennant une prime ou cotisation, s’oblige à verser au preneur ou à un tiers une prestation dans le cas où un risque couvert par l’assurance se réalise.
L’assurance est maritime ou terrestre.»
[56] Le contrat d’assurance est celui qui intervient entre un assureur au sens de la Loi sur les assurances (chapitre A-32, r.1) et un preneur[8]. Selon l’article 1 un assureur est:
« assureur » : quiconque, directement ou indirectement, s’annonce comme assureur […] mais à l’exclusion […] et de toute personne qui, en matière d’assurance, n’offre ou ne conclut que des contrats de garantie supplémentaire en vertu desquels elle s’engage envers une autre personne à assumer directement ou indirectement, en tout ou en partie, le coût de la réparation ou du remplacement d’un bien ou d’une partie d’un bien advenant leur défectuosité ou leur mauvais fonctionnement;
[57] L’Administrateur ne rencontre pas les critères d’un assureur au sens de la définition de la Loi sur les assurances et d’autre part ne rencontrerait pas plusieurs des autres normes requises, telle celle de capitalisation minimale d’un assureur.
[58] Par contre, le Contrat serait plutôt qualifié comme un cautionnement couvert sous le livre des obligations au Code civil du Québec.
[59] Selon l’article 2333 C.c.Q. :
« 2333. Le cautionnement est le contrat par lequel une personne, la caution, s’oblige envers le créancier, gratuitement ou contre rémunération, à exécuter l’obligation du débiteur si celui-ci n’y satisfait pas.»
[60] Le Règlement, qui est d’ordre public, fixe les conditions et les modalités du Plan et constitue tel que souligné par la cause phare de notre Cour d’appel dans l’affaire Desindes[9] un contrat de cautionnement des obligations de l’entrepreneur : « … [l’administrateur] s’oblige, dès lors, à cautionner les obligations légales et contractuelles des entrepreneurs généraux qui adhèrent à son plan de garantie. »
ce que confirment diverses jurisprudences au même effet[10] :
«Le CONTRAT DE GARANTIE fourni par l’entrepreneur est un contrat de type contrat de cautionnement par lequel La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. garantit l’exécution des travaux convenus par un entrepreneur en construction. Ce contrat est à la fois un cautionnement d’exécution, garantissant la complète exécution des travaux, et un cautionnement contre les malfaçons, garantissant la qualité des travaux exécutés.[11]»
[] Le Code civil du Québec traite le contrat de cautionnement et le contrat d’assurance de façon distincte de sorte qu’ils ne répondent pas aux mêmes règles et la Cour d’appel confirme:
« À mon avis, vu les dispositions précises du Code civil du Québec en matière de cautionnement, l'intimée n'est pas admise à invoquer l'application de la disposition qu'elle qualifie de remédiatrice que l'on trouve au chapitre des assurances dans l'article 2470. »[12].
Par conséquent, le cautionnement n’est pas un contrat d’assurance[13].
[61] Le juge Paul Reeves a fait une étude approfondie des différences entre les deux types de contrat et a énoncé « [qu’] on ne peut donc appliquer au contrat de cautionnement les dispositions sur le contrat d'assurance pour fins d'interprétation.»[14]
[62] Le Tribunal est d’avis que l’Administrateur ne peut se prévaloir des dispositions applicables à l’assurance incluant celles de l’article 2472 C.c.Q. ou de l’ensemble des éléments d’ordre public de protection ou de direction dans le chapitre des assurances à notre Code civil.
Le remboursement d’acompte
[63] Le Règlement prévoit à l’article 26(1)(a) que la Garantie couvre les acomptes versés par le bénéficiaire, en cas de manquement aux obligations légales ou contractuelles de l’entrepreneur :
« 26. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
1° dans le cas d'un contrat de vente:
a) soit les acomptes versés par le bénéficiaire […] »
[64] Un remboursement d’acompte aux fins de couverture de la Garantie doit se situer avant la réception du Bâtiment.
[65] Le Tribunal considère qu’il n’est pas requis pour les fins des présentes de statuer plus avant sur la détermination de la réception du Bâtiment à la Décision Adm soulignant qu’une réception en conformité inter alia de l’article 8 du Règlement[15] requiert que le Bâtiment soit en état de servir à l’usage auquel on le destine et que la preuve non contredite démontre que le Bâtiment n’était pas en état à cette date et qu’il y a constat non-contredit à la Décision Adm que l’Entrepreneur « …n’a pas livré l’unité tel que convenu le 15 juin 2014 ».
[66] Dans le cas d’espèce, l’Entrepreneur n’a pas livré l’Unité à la date convenue au Contrat (15 juin 2014) alors que la Demeure Delfino souligne, ce qui n’est pas autrement contredit, que le 15 juillet 2014 les travaux n’avaient alors pas même débutés.
[67] Il a été confirmé sous le Règlement, à diverses reprises, que lorsque qu’un entrepreneur a manqué à son obligation de livrer le bâtiment au bénéficiaire à l’intérieur du délai convenu, il doit y avoir remboursement de l’acompte versé, tant que :
« Le retard en cause ne résultait donc pas de l'omission de la bénéficiaire de remplir ses obligations en vertu du contrat, d'une force majeure ou de la survenance d'une cause indépendante de la volonté de l'entrepreneur, de sorte qu'il doit y avoir remboursement »[16]
[68] Il doit y avoir remboursement des acomptes lorsque l’entrepreneur n’est pas en mesure de livrer le bâtiment, lorsqu’il est en situation de faillite ou lorsque le chantier est abandonné[17].
Contrat - Obligation de résultat
[69] Dans les circonstances, l’Entrepreneur a une obligation de résultat.
[70] Dans un cadre d’activité de construction, Hon. J. L. Baudouin identifie dans son ouvrage doctrinal La responsabilité civile l’obligation de résultat et le fardeau de preuve correspondant comme :
« Obligation de résultat - […] celui qui accepte de faire un travail précis, comme construire[18] […] selon certaines spécifications, est responsable s’il n’atteint pas le résultat promis. Sur le plan de la preuve, l’absence de résultat fait présumer la faute du débiteur […] Elle place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l’inexécution provient d’une cause qui ne lui est pas imputable. »[19]
[71] Les auteurs Edwards et Ignacz dans La responsabilité de l’entrepreneur et du sous-entrepreneur[20], analysant les termes de l’art. 2100 C.c.Q., (que le Tribunal note est d’ordre public de protection[21]), soulignent l’obligation de résultat de l’Entrepreneur dans un cadre de contrat d’entreprise et confirment son fardeau de preuve s’il cherche à s’exonérer:
« Le deuxième alinéa de l’article 2100 C.c.Q., au chapitre du contrat d’entreprise ou de service, énonce maintenant formellement le principe général selon lequel l’entrepreneur ne peut, lorsqu’il est tenu à une obligation de résultat, se dégager de sa responsabilité qu’en prouvant la force majeure. »
(nos soulignés)
La preuve
[72] Le Tribunal ne peut que souligner des inconsistances - et pour certains éléments des manques de toute preuve documentaire quelconque - relativement aux mouvements de fonds et usage et destination des fonds dans le présent dossier tant sous les actes de prêts et hypothèques que sur les remboursements.
[73] Le Contrat et la Demeure Delfino réfèrent à l’Unité comme sous adresse 144A alors que l’attestation d’acompte du Bénéficiaire contresignée par l’Entrepreneur (Pièce A-3 en liasse), identifie que l’attestation est pour l’unité 144C.
[74] Les Demeure Delfino et Demeure Bissonnette réfèrent chacune (sous un texte identique) à une entente du 17 février 2013 :
« Cette lettre est pour vous rappeler que nous avons conclu une entente en date du 17 octobre 2013 lors de la signature d’un contrat destiné à l’achat d’un condominium situé à l’adresse mentionnée en rubrique … ».
et l’adresse en rubrique de ces lettres est respectivement le [...] et le [...] à Pointe aux Trembles.
[75] Les deux correspondances, dans un interlude de plus d’un mois, visent une même date et entente; il ne peut donc difficilement s’agir d’une erreur typographique.
[76] À tout le moins, la preuve n’est pas concluante quant à cette entente que l’on indique datée du 17 octobre 2013 et qui n’est pas au dossier:
§ ce n’est certes pas la date du Contrat pour le Bénéficiaire (celle-ci est du 7 janvier 2014);
§ ni la date de l’Hypothèque65 (celle-ci est du 19 février 2014)
- quoique l’Hypothèque65 stipule à sa rubrique ‘Décaissement’ que « Le prêt a été décaissé au moyen de plusieurs avances », et l’usage du temps de verbe au passé peut référer à ce que ces sommes ont été versées à l’Entrepreneur avant le 19 février 2014;
[77] Une analyse de certains éléments du Tableau M&F est requise tant quant aux prétentions de l’Administrateur qu’aux motifs aux présentes.
§ Il n’y a pas d’entrée relative à l’Hypothèque65 alors que l’Hypothèque300/171 (1ère entrée au Tableau M&F) est inscrite avec sa ‘Recette’ de 171 000$; ceci peut se comprendre s’il n’y a pas de fonds à déposer au compte en fidéicommis notarial, le décaissement étant déclaré à l’Hypothèque65 comme antérieur à celle-ci.
§ Deux jours suivant l’entrée de fonds de 171 000$, un débours à Bissonnette (et P. Fusco) de plus de 168 000$ est inscrit avec, sous la rubrique ‘Raison’, la description : ‘remb. Prêt hypothécaire [...] à Montréal’. (nos soulignés)
§ Lors d’un débours à Gilles Forest en date du 20 février 2014, ce débours est inscrit sous la rubrique ‘Raison’ comme : ‘remboursement hypothèque légale re : 9205-4717 Québec inc.’.
§ Il ne serait pas surprenant que ce Gilles Forest soit le Notaire Gilles Forest à l’ordre duquel ‘in trust’ les ‘chèque officiel’ précités de 37 500$ (en date du 28 septembre 2011) et de 35 000$ (en date du 1er novembre 2011) ont été émis.
§ Le Paiement (de 6 711,11$) est effectué alors que le compte en fidéicommis notarial (ayant un solde créditeur de seulement 101$) n’a pas les fonds nécessaires pour couvrir ce montant (ni le montant - du même jour et du même montant additionnel de 6 711,11$ - dont débours inscrit à Bissonnette).
[78] D’autre part, le témoignage de Delfino est non seulement confus à plusieurs égards mais ne permet pas de saisir certaines inconsistances dans divers éléments de la preuve documentaire et de la preuve testimoniale que Delfino a allégué devant le Tribunal.
[79] Certaines coïncidences ne sont possiblement pas des coïncidences mais la preuve ne permet pas de pousser plus avant des inférences ou conclusions quelconques sur certains allégués ou prétentions.
[80] Tel par exemple, on peut s’interroger sur le fait que les Traites 2011 soient déposées en fidéicommis en auprès des notaires Forest et Nantel alors que la preuve est silencieuse sur un suivi quelconque de la raison ou objectif de déposer ces sommes en fidéicommis, des circonstances d’un déboursé par les notaires de celles-ci et l’existence ou non d’une entente ou convention documentaire quelconque qui régit alors cette approche fidéicommissaire.
Le Paiement versé au Bénéficiaire
[81] Qu’en est-il du fardeau de preuve des divers éléments constitutifs du litige. En vertu de l’article 2803 C.c.Q (selon une balance des probabilités (2804 C.c.Q)):
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[82] Le Tribunal doit entre autre tenir compte, tel que stipulé à notre Code civil que :
2805. La bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n’exige expressément de la prouver.
[83] Au départ, le fardeau d’établir prima facie le versement d’un acompte incombe au Bénéficiaire.
[84] Il revient à l’Administrateur (alors que l’Entrepreneur est absent et tenant compte de la position prise par l’Administrateur au dossier) d’assumer le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, le caractère « mensonger » d’une déclaration ou la « faute intentionnelle » du Bénéficiaire.
[85] Si l’Administrateur, par une preuve directe ou par des présomptions graves, précises et concordantes, amène le Tribunal à croire que le Bénéficiaire a fait des déclarations mensongères et qu’il y a dol et mauvaise foi du Bénéficiaire devant emporter nullité de l’obligation de remboursement de l’Acompte, c’est par la suite sur le Bénéficiaire que repose alors maintenant dans une 3e étape le fardeau de cette difficulté.
[86] Selon l’Administrateur, le Paiement était un remboursement partiel de l’acompte que le Bénéficiaire avait versé à l’Entrepreneur et cette prétention est fondée sur l’extrait du Tableau M&F (Pièce A-8) qui énonce que la raison d’émission du chèque et pour « remboursement des avances paiement aux fournisseurs».
[87] Il est important de souligner que les notaires Morin ou Fortin n’ont pas témoigné lors de l’audience et aucune preuve n’a été soumise au Tribunal à l’effet de l’intention des notaires sous leurs entrées au Tableau M&F découlant de leur compréhension de l’intention s’il en est de l’Entrepreneur quant à l’émission du Paiement.
[88] De même, la correspondance courriel de M. Lacoste (de Morin & Fortin, notaires) (Pièce A-9) ne caractérise pas plus avant les montants de 15 000$ ou les montants de 6 711,11$ et n’explique donc aucunement les expressions au Tableau M&F:
- avances paiement fournisseurs,
ou
- remboursement des avances paiement aux fournisseurs.
[89] Le Tribunal infère toutefois selon la preuve que l’entrée ‘remboursement des avances paiement aux fournisseurs’ est un remboursement de la somme en ‘Recette’ sous l’intitulé ‘avances paiement fournisseurs’ au Tableau M&F.
[90] D’autre part, il semble que lorsqu’il y a un remboursement d’un montant soumis à hypothèque, tel le montant de plus de 168 000$ à Bissonnette ou celui sous l’hypothèque légale à Gilles Forest, le registre des transactions en fiducie au Tableau M&F caractérise le débours sous mention de remboursement ‘hypothécaire’ ou ‘d’hypothèque’ - ce qui n’est pas le cas de l’acompte de 15 000$ ni du Paiement.
[91] Une approche est de considérer que dans un cas de remboursement d’un prêt hypothécaire, le Tableau M&F aurait une notation similaire pour un remboursement applicable à la dette visée par l’Hypothèque65; c’est l’approche que la preuve dicte à ce sujet au Tribunal.
[92] De plus, que l’Hypothèque65 ne soit pas inscrite au tableau M&F, le décaissement antérieur peut l’expliquer. Il est plus difficile de concilier la preuve que les Traites 2011, émises à des notaires autres (G. Forest et J.P. Martel) que ceux ayant mandat pour l’Entrepreneur selon le Contrat, soient :
(i) le sujet d’une hypothèque plus de 2 ans plus tard,
(ii) sont des sommes que le Bénéficiaire témoigne sont prévues affectées au projet du Bâtiment, et
(iii) que deux des trois Traites 2011 indiquent en note ‘prêt hypothécaire’ et que la preuve est silencieuse qu’il n’y ait pas une hypothèque ou tel que souligné plus haut par le Tribunal une entente ou convention quelconque (alors en 2011) qui s’y adresse, autre donc que l’Hypothèque65 alors que le Bénéficiaire allègue que le Paiement est un remboursement de prêt constaté et pourvu à l’Hypothèque65.
[93] Finalement, il faut prendre note (mais ce n’est pas un facteur déterminant) que l’on peut s’interroger pourquoi des notaires en fidéicommissaires, Morin & Fortin, débourseraient un ou des montants plus élevés (le Paiement et le montant identique versé de même date à Bissonnette) que les sommes alors détenues (101$ selon le Tableau M&F).
[94] Ce constat s’accompagne d’ailleurs du manque de support quelconque à la preuve quant à la détermination d’un montant aussi précis que 6 711,11$ pour chacun du Paiement et du montant versé à Bissonnette (qui ne représente pas un solde en main quelconque selon le Tableau M&F).
[95] Par conséquent, le Tribunal ne peut, sans preuve autre en support, inférer ou considérer que cette ‘avance paiement fournisseurs’ soit une preuve prima facie de l’imputation du Paiement pour remboursement partiel d’une dette visée par l’Hypothèque65, dette dont le solde n’est d’ailleurs aucunement en preuve à une époque quelconque dans la chronologie des faits allégués.
Imputation
[96] Le Bénéficiaire avance à l’audience que l’Hypothèque65 était pour garantir une dette antérieure. Selon les affirmations du Bénéficiaire, les Traites 2011 sont des sommes qui ont été prêtées à l’Entrepreneur pour construction et aménagement du Bâtiment, qui ont été partiellement remboursées. L’Hypothèque65 a été consentie pour concrétiser et garantir le solde de la dette antérieure.
[97] Le Paiement n’étant pas accompagné de plus de renseignement que «remboursement des avances paiement aux fournisseurs», le Bénéficiaire soumet qu’en absence d’indication claire la loi permet que le paiement soit appliqué à la dette la plus ancienne. Par conséquent, le Bénéficiaire avance que ce paiement n’était pas un remboursement partiel de l’acompte mais plutôt un remboursement partiel du prêt hypothécaire.
[98] En effet, l’article 1572 C.c.Q. énonce :
« 1572. À défaut d'imputation par les parties, le paiement est d'abord imputé sur la dette échue.
Entre plusieurs dettes échues, l'imputation se fait sur celle que le débiteur a, pour lors, le plus d'intérêt à acquitter.
À intérêt égal, l'imputation se fait sur la dette qui est échue la première, mais si toutes les dettes sont échues en même temps, elle se fait proportionnellement.»
[99] Dans le cas d’espèce, le Bénéficiaire allègue être créancier auprès de l’Entrepreneur pour deux dettes, soit un prêt visé selon les allégués du Bénéficiaire par l’Hypothèque65 et l’acompte versé.
[100] Il est exact que selon l’article 1572 al. 2 C.c.Q lorsqu’il y a défaut d’imputation et plusieurs dettes échues, le paiement est imputé sur celle que le débiteur, ici l’Entrepreneur, a plus d’intérêt à acquitter et que selon la jurisprudence, le débiteur a plus intérêt à rembourser un prêt hypothécaire qu’un prêt sans garantie[22].
[101] Le Tribunal note les commentaires et énoncés de l’auteur V. Karim dans l’ouvrage Les obligations (vol.2, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015):
« Selon l’article 1572 C.c.Q., trois facteurs principaux doivent être considérés afin de permettre l’imputation du paiement sur une dette de préférence à une autre, soit l’exigibilité, l’importance et l’ancienneté de la dette[23] […]
Parmi les dettes échues, l’article prévoit que l’imputation se fait sur celle que le débiteur a le plus d’intérêt à acquitter. Ainsi, le paiement sera imputé le plus souvent sur la dette qui est la plus onéreuse pour le débiteur, comme par exemple une dette hypothécaire de préférence à une dette non garantie[24] ou une dette générant des intérêts de préférence à celle qui n’en produit pas. »
(Nos soulignés)
[102] L’Hypothèque65 prévoit un taux d’intérêt de deux pour cent (2%) l’an, calculé semestriellement et payable trimestriellement, donc dette générant intérêts.
[103] Toutefois, il n’y a pas preuve au dossier que, à la date du Paiement (le 11 avril 2014), il y ait une dette échue en vertu de l’Hypothèque65.
[104] Au contraire, l’Hypothèque65 prévoit à la rubrique ‘Remboursement et Intérêts’ que le 1er versement d’intérêt était prévu à trois mois de la date de signature (nonobstant que l’acte indique ce trois mois comme étant le 19 juin 2014 - et qu’un calcul indique une date d’échéance du 19 mai 2014) - et on comprend que le remboursement du capital (qui n’est pas identifié à l’acte notarié en preuve) sera à échéance d’un an de la signature.
[105] Donc il n’y a pas, selon la preuve au dossier (incluant une lecture attentive de l’Hypothèque65) de dette échue relativement à un prêt sous l’Hypothèque65 à la date du Paiement et conséquemment les dispositions plaidées de l’article 1572 C.c.Q. et les arguments et prétentions du Bénéficiaire à ce titre ne peuvent trouver application.
La qualification de la déclaration du Bénéficiaire
[106] Nonobstant que l’article 2472 C.c.Q ne trouve pas application dans le cas d’espèce, le Tribunal peut s’inspirer de certains commentaires jurisprudentiels et doctrinaux afin supporter ses propres conclusions des principes applicables; la Cour d’appel sous la plume du juge Baudouin dans l’affaire Bureautique [en référence alors à l’article 2574 C.c.B.C.] nous enseigne :
« Pour qu'il y ait, en effet, déclaration mensongère au sens de ces textes [ndlr : applicables au contrat d’assurance], il est nécessaire que les fausses déclarations aient été faites dans le but de tromper l'assureur et donc d'obtenir de lui une prestation, un paiement ou une indemnité auquel l'assuré n'a pas droit. »[25] (nos soulignés)
[107] La jurisprudence entend par mensonge une «intention de frauder son assureur en voulant obtenir une indemnité à laquelle il n’aurait pas droit, s’il avait agi de façon honnête et de bonne foi»[26] et que « l’assuré tente de façon dolosive de frustrer l’assureur d’une somme d’argent »[27]. (nos soulignés)
[108] On peut aussi s’inspirer des critères élaborés sous les dispositions applicables au dol, tel que l’on retrouve aux articles 1401 et suivants du C.c.Q. quoique le dol est généralement recherché sous vice de consentement et donc lors d’un consentement qui cristallise un engagement lors de la conclusion d’un contrat. Quoique les faits aux présentes ne sont pas tous contemporains, certains principes d’intérêt se dégagent.
[109] Le Bénéficiaire bénéficie d’une présomption de bonne foi en vertu de l’article 2805 C.c.Q. et il appartient à l’Administrateur d’établir de façon prépondérante une intention frauduleuse de la part du Bénéficiaire qui découle de ses intentions, de sa conduite. Le bonne foi est la règle générale, le dol est l’exception.
[110] La réticence et le silence en matière dolosive (en sommaire : « … laisser le cocontractant croire une chose par erreur, sans le détromper, spécialement en ne lui dévoilant qu’une partie de la vérité … »[28]) emportent dol.
[110] Toutefois, il s’agit selon le Tribunal d’un dol incident (vs un dol principal, cause de nullité) - que l’Hon. Baudouin dans Les Obligations, précité, caractérise :
« [para 240] - Les manoeuvres dolosives [ndlr : frauduleuses] emportent donc un plan de tromperie, une machination préparée d’avance. C’est la forme de dol qui se rapproche le plus de l’escroquerie ][…] L’appréciation du caractère dolosif des manœuvres est une question de fait laissée è l’appréciation du tribunal civil,… »
[111] On sanctionne le dol incident (tel par exemple en circonstances où on s’engage à des conditions plus onéreuses que si on avait connu la vérité) et selon Baudouin sous commentaire de l’article 1407 C.c.Q. :
« … seulement par une réduction du prix ou des dommages-intérêts, et non par la nullité … » [Les Obligations, para 241]
alors que la partie qui les réclame a le fardeau de prouver l’existence de l’erreur et alors et surtout le fardeau de prouver l’intention de tromper; la victime du dol a le choix des sanctions, donc en dol incident des dommages ou une réduction de l’obligation.
[112] Ces principes n’ont été qu’un guide pour le Tribunal dans les circonstances.
[113] L’Administrateur n’a pas réussi à rencontrer ce fardeau que le Bénéficiaire a fait des déclarations mensongères dont les caractéristiques emportent comme conséquence qu’il y a dol et mauvaise foi du Bénéficiaire devant emporter nullité de l’obligation de remboursement de l’Acompte; le Tribunal est d’avis que la preuve soumise ne permet pas de le conclure (sans même considérer les commentaires en témoignage du Bénéficiaire qu’il « ne voulait rien cacher et tous ses prétentions ont été honnêtes et fiables »).
[114] Le Tribunal a pris en considération le fait que le Bénéficiaire est courtier immobilier et qu’il a donc en conséquent une certaine connaissance des modalités et usages relatifs aux hypothèques immobilières.
[115] Finalement, le Tribunal prend en considération les principes dégagés afin d’éviter un enrichissement injustifié (voir les articles 1493 et suivants, C.c.Q.).
Conclusions
[116] Le Tribunal s’appuyant sur les dispositions du Règlement, incluant les dispositions de l’article 116 du Règlement dans les circonstances du présent dossier, considère que l’Administrateur est requis de pourvoir au remboursement du solde de l’Acompte calculé tenant compte de la réception par le Bénéficiaire du Paiement, soit 15 000$ dont est soustrait le Paiement de 6 711,11$, pour un montant net de 8 288,89$.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[117] ACCUEILLE en partie la demande d’arbitrage du Bénéficiaire, annulant la Décision de l’administrateur.
[118] ORDONNE à l’Administrateur de rembourser au Bénéficiaire un montant de 8 288, 89$, paiement emportant quittance du remboursement d’acompte réclamé par le Bénéficiaire.
[119] ORDONNE que les frais d’arbitrage soient à la charge de l’Administrateur;
[120] RÉSERVE à Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie La Garantie Abritat Inc. (l’ « Administrateur ») ses droits à être indemnisé par l’Entrepreneur, pour tous travaux, toute action et toute somme versée, incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (paragr.19 de l’annexe II du Règlement), en ses lieu et place et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
[121] LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage à la charge de Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie La Garantie Abritat Inc. conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
DATE: 30 juin 2018
____________________
Me Jean Philippe Ewart
Arbitre
[1] VOIR : Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ c. Desindes, 2004 CanLII 47872 (QC CA); JE 2005-132, para 11 et Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal 2013 QCCA 1211, para 18.
[2] Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r. 8) D.841-98, article 5.
[3] Idem, articles 20 et 120 du Règlement.
[4] Syndicat de copropriété de Villa du golf c. Leclerc 2015 QCCA 366 vise l’acquisition d’un immeuble existant pour transformation en copropriété ‘…en sa qualité de promoteur et propriétaire vendeur des unités de condominium ». Para 27.
[5] Loi sur le courtage immobilier, RLRQ c C-73.2
[6] Beauchamp c. Therrien, 2013 QCCS 1486
[7] Hon. Richard, H. (j.c.s), Le courtage immobilier au Québec, 3e éd., Cowansville, éditions Yvon Blais, 2010, p. 11
[8] 3128521 Canada inc. c. Constructions Denis Boisvert inc., 2012 QCCS 3470
[9] Op. Cit. Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ c. Desindes
[10] Syndicat des copropriétaires du Complexe Fleurimont c. Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ) Inc., 2001 Canlii 10976, para 58-62 (QC CS); voir aussi Assoc. provinciale des constructeurs d'habitations du Québec Inc. c. Dumoulin, 2004 Canlii 10094, para 65-68 (QC CQ); voir aussi Price Waterhouse Coopers inc. et Régie du bâtiment du Québec, 2017 Canlii 5029, para 44.(QCTAT).
[11] Séguin c. G. Lemay construction (1998) inc., 2005 Canlii 59154 (QC OAGBRN).
[12] Cie d'assurance London garantie c. Girard & Girard Inc., 2004 Canlii 20537 (QC CA).
[13] VOIR aussi Kansa General International Insurance Company Ltd (Liquidation de), 2001 Canlii 25250 (QC CS).
[14] Les Câbles Texcan Ltée c. Shock Électrique Inc. [1996] R.J.Q. 2576 (C.S.), p. 2585.
[15] ‘’ « réception du bâtiment »: l'acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l'usage auquel on le destine et qui indique, le cas échéant, les travaux à parachever ou à corriger.’’ Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r. 8), art. 8
[16] 9187-0725 Québec inc. et Cunningham., AZ-51297750, Me Albert Zoltowski, (CCAC) (2016.05.30)
[17] Boucher-Huet et Solvo Solutions Ltd., AZ-51049948, M. Yves Fournier (SORECONI) (2014.02.12)
[18] Art. 2098 C.c.Q; Voir aussi: 2911663 Canada inc. c. A.C. Line Info inc., J.E. 2004-811 (C.A.), REJB 2004-60090 et Gagnon c. Bisson inc., J.E. 2004-671 (C.S.), REJB 2004-54512.
[19] BAUDOUIN et DESLAURIERS, La responsabilité civile, Éd. Yvon Blais, 2007, 7e éd., para. 1-1251.
[20] IGNACZ, Marianne et EDWARDS, Jeffrey, La responsabilité de l’entrepreneur et du sous-entrepreneur dans le cadre de La construction au Québec : perspectives juridiques - sous la direction de KOTT, Olivier F. et ROY, Claudine, Wilson & Lafleur Ltée, Montréal, 1998, p. 542.
[21] Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, 2009 QCCS 3659 (appel rejeté).
[22] Gingras c. Groupe Déluré Inc., 2011 QCCS 1879
[23] Berthierville Automobile Ltée c. Paille, AZ-50304457, (1938) C.S. 401 (C.S.); voir aussi La Rivière Inc. c. The Canadian Surety Company, AZ-73011030, [1973] C.A. 150; voir aussi Frenette & Frères Ltée c. Clauram Inc., AZ-80021175, J.E. 80-390, [1981] 2 R.J.D.E. 322 (C.S.).
[24] Tourangeau c. Brasserie Belgh Brass inc., AZ-01026387, B.E. 2001BE-834 (C.S.).
[25] Bureautique Nouvelle-Beauce c Compagnie d’assurance Guardian du Canada 1995 Canlii 5474 (QC CA)
[26] Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc., 2006 QCCA 887, para 131 sous lequel Hon. P. Tessier J.C.A. (ad hoc) cite en note l’arrêt Bureautique précité aux présentes.
[27] Id. para 131.
[28] Baudouin et Jobin, Les Obligations, 6e édition, Éditions Yvon Blais, Cowansville, Qc, para 235, p. 294.