ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)
ENTRE : SYNDICAT DE COPROPRIÉTAIRES ANSE ST-CHARLES BÂTIMENT C
(ci-après désigné « le Bénéficiaire »)
QUESTCO INC.
(ci-après désignée « l’Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC. (GMN)
(ci-après désignée « l’Administrateur »)
No dossier CCAC : S11-013102--NP
No dossier arbitre : 9964-21197
Date de la sentence : 31 octobre 2011
Audience : 12 juillet 2011
Lieu d’audience : Palais de Justice de Québec
Identification complètes des parties
Arbitre : Me Jean Dallaire
3340, rue de la Pérade, bur. 300
Québec (Québec) G1R 4T4
Bénéficiaire : Syndicat de copropriétaires Anse St-Charles Bâtiment C
27, rue de la Briqueterie
Appartement 401
Québec (Québec) G1L 6A8
Représenté par son procureur
Me François Bélanger
Joli-Cœur Lacasse S.E.N.C.R.L.
1134, Grande Allée Ouest, bureau 600
Québec (Québec) G1S 1E5
Entrepreneur : Questco inc.
920, rue Dubé
Berthierville (Québec) J0K 1A0
Non représentée et absent de l’arbitrage
Administrateur : La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.
5930, boul. Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
Son procureur :
Me François Laplante
Savoie Fournier Avocats
5930, boul. Louis-H. La Fontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE DES PROCÉDURES, ENTENDU LA PREUVE ET LES ARGUMENTS DES PARTIES, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE REND LA SENTENCE SUIVANTE :
[1] Le ou vers le 10 mars 2001, l’arbitre soussigné a été saisi de ce dossier, le tout après la réception par le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial, d’une demande d’arbitrage sous l’article 12 du Règlement d’arbitrage sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (ci-après le Règlement) par le Bénéficiaire à l’égard d’une décision rendue le 3 janvier 2011 par l’Administrateur ;
[2] La demande d’arbitrage vise les points 1 à 30 de la décision de l’Administrateur ;
[3] L’un des éléments essentiels sur lequel se fonde l’Administrateur pour rejeter la demande de la Bénéficiaire est la date de réception des parties communes. Cette date de réception revêt une importance capitale puisqu’elle est l’un des éléments charniers de la procédure d’avis prévue au contrat et au plan de garantie ;
[4] La demande d’arbitrage soulève également l’application du délai de prescription pour les réclamations prévues au Règlement relativement aux vices cachés ;
[5] Il fut convenu avec les parties lors de l’audition que le soussigné aura à trancher sur la date de réception des parties communes, la suffisance ou l’insuffisance des dénonciations du Bénéficiaire ainsi que sur l’application des délais de prescription prévus au Règlement de garantie ;
[6] Dépendamment des conclusions du Tribunal l’arbitrage sur ces points, l’Administrateur s’est engagé à revoir ses conclusions en fonction de la sentence qui sera rendue et il est bien compris et entendu qu’il pourra rendre une nouvelle décision en fonction des critères qui auront été établis par la présente sentence tout en conservant la latitude qui lui est octroyée par le Règlement pour analyser de manière complète la preuve et les arguments du Bénéficiaire ;
RÉSUMÉ DES DATES IMPORTANTES AVEC RÉFÉRENCES AUX PIÈCES
A-1 29 mai 2006 Publication de la déclaration de copropriété au registre foncier
A-2 12 décembre 2006 Liste des déficiences de l’architecte Bruno Gosselin
A-3 12 février 2007 Procès-verbal de l’assemblée des copropriétaires : élection des administrateurs. Il est à noter que c’est à ce moment que les copropriétaires prennent le contrôle du Syndicat des copropriétaires
A-4 15 février 2007 Déclaration d’immatriculation et déclaration initiale (déposée le 12 mars 2007)
A-5 28 mai 2010 Mandat à André Petitpas, Info Bâtiment (annexe 3)
A-5 28 juillet 2010 Remise du rapport A-5 au Syndicat
A-6 19 août 2010 Avis du Bénéficiaire à l’Entrepreneur
A-7 20 août 2010 Avis du Bénéficiaire à l’Administrateur
A-8 20 août2010 Demande de réclamation à l’APCHQ sur le formulaire fourni à cet effet
A-9 3 septembre 2010 Avis de l’Administrateur à l’Entrepreneur l’informant d’une réclamation des Bénéficiaires
A-10 3 janvier 2011 Décision de l’Administrateur
A-11 31 janvier 2011 Demande d’arbitrage du Bénéficiaire
RÉSUMÉ DES FAITS
[7] Le Bénéficiaire est représenté par le président du Syndicat des copropriétaires, M. Pierre Chagnon, qui a acquis son unité de condominium en décembre 2006. Au moment où il en a pris possession, les travaux n’étaient pas terminés ;
[8] Les travailleurs de l’Entrepreneur auraient quitté le chantier aux alentours du 14 décembre 2006. À ce moment l’immeuble était à peu près terminé et les copropriétaires l’habitaient à 95% ;
[9] En novembre 2006, il a reçu un appel de Bruno Gosselin, architecte, qui avait été mandaté par l’Entrepreneur pour faire l’inspection des parties communes en vue de la livraison. Il a alors visité les parties communes avec ce dernier et il fut entendu que l’architecte remettrait son rapport à l’Entrepreneur ;
[10] Lors d’une assemblée des copropriétaires tenue le 12 février 2007, il a été nommé administrateur, ainsi que M. Gaétan Marcoux et M. Jacques Maheu ;
[11] M. Marcoux était la personne responsable du dossier pour le Syndicat des copropriétaires avec l’Administrateur sur le plan de garantie. Il est décédé en mars 2008 ;
[12] Après le décès de M. Marcoux, M. Chagnon a hérité du dossier pour le Syndicat. M. Maheu quant à lui a démissionné à la fin de l’année 2008 ;
[13] Vers la fin de janvier ou au début de février 2007, l’architecte Bruno Gosselin a contacté le Syndicat des copropriétaires pour se faire payer ses honoraires pour la confection de son rapport d’inspection pour lequel il réclamait une somme de 695,00$. M. Gosselin avait informé le Syndicat des copropriétaires qu’il avait besoin de son rapport pour la mise en œuvre la Garantie des bâtiments résidentiels neufs et le Syndicat a donc décidé de le payer pour l’obtenir ;
[14} Ce rapport, qui a été produit sous la cote A-2, est daté du 12 décembre 2006 et est adressé à l’Entrepreneur. Il détaille pour les parties communes une liste des travaux à compléter et de déficiences à corriger. L’architecte exclut de son rapport les travaux d’ingénierie, de structure, de plomberie, de ventilation et d’électricité ;
[15] En mars 2007, M. Chagnon s’est rendu aux bureaux de l’Administrateur et a remis le rapport A-2 à Mme Lindsay qui était à l’époque réceptionniste ;
[16] Il aurait alors informé Mme Lindsay qu’il venait déposer son rapport car il croyait que l’Entrepreneur avait fait faillite. Il témoigne avoir également déposé une liste manuscrite de travaux à compléter qui a été produite sous la cote B-1. Mme Lindsay en aurait alors fait une copie, ouvert un dossier et y aurait déposé le rapport A-2 ainsi que la liste partielle des travaux à terminer B-1. Elle a pris les coordonnées de M. Chagnon ;
[17] Il a alors informé Mme Lindsay qu’il entendait faire venir un ingénieur en bâtiment pour compléter l’inspection. Elle l’aurait alors informé qu’elle ne pouvait pas traiter le dossier car il y manquait un rapport. Il a alors compris que son dossier était incomplet et qu’il devait obtenir le rapport manquant. Il a alors considéré son dossier ouvert auprès de l’Administrateur mais incomplet, puisqu’il devait compléter ses démarches ;
[18] Selon son témoignage, Mme Lindsay ne lui aurait pas demandé de poser de geste ou d’acte précis. Il affirme que l’on ne l’a pas informé de l’obligation de dénoncer les malfaçons à l’Entrepreneur pour bénéficier de la garantie et qu’il n’a jamais reçu de document expliquant la procédure à suivre en ce qui concerne les parties communes ;
[19] Mme Lindsay lui aurait dit que lorsqu’il reviendrait la voir, il n’aurait qu’à déposer le rapport manquant. Il n’y a pas eu de discussion quant à la date à laquelle il devait revenir ou d’un délai quelconque pour déposer le rapport de l’ingénieur. Il aurait alors reçu des documents de l’Administrateur relatifs à l’application du plan de garantie en ce qui concerne sa partie privative. Il n’aurait toutefois pas eu de document pour les parties communes ;
[20] Il a également témoigné qu’à cette époque, il rencontrait le procureur du Syndicat régulièrement en raison de nombreuses hypothèques légales qui avaient été publiées sur les unités de condo. La construction s’est avérée un véritable cauchemar : les entrepreneurs et fournisseurs n’étaient pas payés et les autres membres du Conseil d’administration du Syndicat se désintéressaient du dossier ;
[21] Les hypothèques légales lui ont pris tout son temps et c’est à la fin de l’année 2009 que toutes les hypothèques légales se sont réglées. Avant décembre 2009, il n’a pas eu le temps de traiter le dossier de garantie. Il croyait son dossier toujours ouvert chez l’Administrateur et il a alors entrepris de le continuer au printemps 2010. Il soumet que les malfaçons alléguées n’étaient pas importantes, et qu’il n’y avait pas d’urgence d’agir ;
[22] Le 28 mai 2010, il a rencontré M. André Petitpas, ingénieur, pour lui donner le mandat de procéder à l’inspection des lieux et faire une visite. M. Petitpas a fait 5 à 6 visites et il l’accompagnait à chaque fois.
[23] Aux environs du 15 août 2010, il aurait rencontré Mme Lindsay à nouveau pour lui présenter le rapport de M. Petitpas et c’est alors que Mme Lindsay lui aurait dit que l’Entrepreneur devait être avisé ;
[24] C’est à ce moment-là nous dit-il qu’il découvre qu’il doit donner des avis et que des délais s’appliquent pour pouvoir bénéficier du plan de garantie. Il dépose alors 100,00$ pour l’ouverture du dossier et il écrit à l’Entrepreneur et à l’Administrateur deux lettres pratiquement identiques datées du 19 août 2010 ;
[25] En l’absence de réponse de l’Entrepreneur à l’avis A-9 de l’Administrateur, une visite du représentant de ce dernier a été cédulée. Entre mars 2007 et août 2010, soit un peu plus de 3 ans, il n’a eu aucune discussion avec des représentants de l’Administrateur ;
[26] M. Chagnon a toujours cru que l’Entrepreneur avait fait faillite. L’Entrepreneur aurait même laissé selon lui un écriteau à son bureau à sa place d’affaires sur le boulevard Pierre-Bertrand déclarant qu’il avait faillite. Il s’avère par ailleurs que l’Entrepreneur n’a pas fait faillite.
[27] Le Bénéficiaire aurait par ailleurs durant cette période effectué certaines réparations aux parties communes notamment une réparation aux portes.
[28] Mme Lindsay a été entendue. Elle est au service de l’Administrateur depuis le 13 avril 2006 et en 2007 elle partageait son temps entre la réception et le service à la clientèle ;
[29] Elle ne se souvient pas exactement des discussions qu’elle a eues avec le Bénéficiaire en mars 2007, mais elle tient un journal auquel elle fait référence. Elle y a noté que M. Chagnon est venu porter des documents, qu’elle lui a expliqué la procédure de dénonciation et lui aurait donné les formulaires expliquant la façon de procéder pour bénéficier du plan de garantie ;
[30] Elle témoigne qu’elle n’a pas ouvert de dossier, mais a placé les documents qui lui ont été remis par M. Chagnon dans une filière qui contient des dossiers en attente d’être traités ou dont les formalités n’ont pas été remplies. Elle ne se souvient pas avoir vu la liste des travaux à compléter B-1 de M. Chagnon. Elle témoigne avoir informé M. Chagnon qu’il devait faire une demande à l’Entrepreneur. Elle n’a aucune mention dans ses notes quant à une faillite possible de l’Entrepreneur. Comme le rapport de l’architecte A-2 n’était pas adressé à l’Entrepreneur, elle ne l’a pas considéré comme un avis à ce dernier et c’est pourquoi elle considérait le dossier incomplet ;
[31] Le 20 août 2010, il y a eu ouverture du dossier puisqu’elle avait reçu l’avis à l’Entrepreneur et le 3 septembre 2010, elle avisait à son tour l’Entrepreneur de lui faire part de sa position dans le délai de 15 jours prévu au Règlement ;
ANALYSE ET DÉCISION
A) La liste de déficiences de l’architecte A-2 peut-elle constituer l’avis prévu à l’article 34 du Règlement ?
[32] Lorsque Mme Lindsay a reçu la liste de l’architecte en mars 2007, elle l’a considérée comme l’avis prévu à l’Administrateur du plan de garantie. Toutefois, elle a refusé de considérer cette liste comme étant l’avis prévu pour l’Entrepreneur ;
[33] L’Administrateur prétend donc que les formalités prescrites n’ont été remplies que le 20 août 2010 et c’est à compter de cette date que la mise en œuvre du processus de réclamation en vertu du plan de garantie débute ;
[34] Le Bénéficiaire prétend quant à lui que la liste des déficiences, qui a été confectionnée pour le compte de l’Entrepreneur constitue un avis valablement donné en vertu de l’article 34 du Règlement ;
[35] Il fut admis par les parties lors de l’instance que la liste A-2 avait été confectionnée à la demande de l’Entrepreneur et qu’elle lui a été communiquée par l’architecte ;
[36] Il s’agit donc de décider si la liste des déficiences pouvait constituer l’avis requis à l’article 34 qui prévoit que :
« Article 34. La procédure suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l'article 27:
1° dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans, selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription;
2° au moins 15 jours après l'expédition de la dénonciation, le bénéficiaire avise par écrit l'administrateur s'il est insatisfait de l'intervention de l'entrepreneur ou si celui-ci n'est pas intervenu; il doit verser à l'administrateur des frais de 100 $ pour l'ouverture du dossier et ces frais ne lui sont remboursés que si la décision rendue lui est favorable, en tout ou en partie, ou que si une entente intervient entre les parties impliquées;
3° dans les 15 jours de la réception de l'avis prévu au paragraphe 2, l'administrateur demande à l'entrepreneur d'intervenir dans le dossier et de l'informer, dans les 15 jours qui suivent, des mesures qu'il entend prendre pour remédier à la situation dénoncée par le bénéficiaire;
4° dans les 15 jours qui suivent l'expiration du délai accordé à l'entrepreneur en vertu du paragraphe 3, l'administrateur doit procéder sur place à une inspection;
(…)
[37] À cet égard, la Cour d’Appel dans l’affaire La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc. c. Maryse Desindes et al[2] énonce ce qui suit :
« [11] Le Règlement est d’ordre public4. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie5. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.
[…]
[15] La réclamation d’un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative. Les dispositions pertinents du Règlement quant à la réclamation se trouvent aux articles 18, 19 et 20. Ils prévoient :
[…]
[38] Ainsi, puisque la procédure est impérative, le Bénéficiaire doit s’y plier et, de l’avis du Tribunal d’arbitrage, la liste de déficiences de l’architecte ne pouvait constituer une dénonciation écrite valablement donnée ;
[39] Une dénonciation est une démarche positive entreprise par une partie qui avise par son cocontractant d’un défaut dans l’exécution de ses obligations. De plus, elle requiert que les correctifs appropriés soient apportés ou elle l’avise simplement qu’elle le tient responsable;
[40] Conséquemment, la connaissance réelle ou présumée de vices ou de malfaçons par l’Entrepreneur ne peut remplacer la dénonciation écrite que requiert le Règlement ;
B) La remise du rapport A-2 à l’Administrateur en mars 2007 peut-elle constituer un acte qui aurait interrompu la prescription en vertu de l’article 34 du Règlement ?
[41] Le Bénéficiaire prétend que le dépôt du rapport d’inspection A-2 entre les mains de l’Administrateur en mars 2007 a eu pour effet d’interrompre la prescription en vertu de l’article 34 du Règlement.
[42] Le Tribunal d’arbitrage est d’avis que le rapport d’inspection A-2 n’a pas interrompu la prescription, d’une part, parce qu’il ne s’agit pas d’une dénonciation écrite comme précédemment mentionnée et, d’autre part, la double formalité de l’alinéa 1 du paragraphe 34 du Règlement qui prescrit la dénonciation à l’Entrepreneur et à l’Administrateur n’a pas été respectée ;
[43] En l’absence d’avis à l’Entrepreneur et à l’Administrateur, il ne peut y avoir interruption de la prescription.
C) Le Bénéficiaire peut-il être exempté de dénoncer à l’Entrepreneur s’il démontre que la dénonciation était inutile ?
[44] Subsidiairement, le Bénéficiaire soutient qu’il n’avait pas à dénoncer le défaut à l’Entrepreneur puisque cette dénonciation aurait été inutile du fait que l’Entrepreneur n’était plus en affaires. Il plaide l’article 116 du Règlement en faisant appel aux règles d’équité pour requérir du Tribunal d’arbitrage de passer outre l’exigence de la dénonciation écrite puisque l’Entrepreneur avait cessé ses activités et qu’il est évident qu’il n’aurait pas effectué les correctifs requis. Au surplus, l’Administrateur s’est vu obligé, dans d’autres immeubles ayant été construits par l’Entrepreneur, de compléter les travaux ;
[45] Le procureur du Bénéficiaire a déposé une sentence arbitrale et un jugement de la division des Petites Créances de la Cour du Québec au soutien de ses prétentions où le défaut de donner l’avis n’a pas été retenu[3] ;
[46] Le Tribunal d’arbitrage partage la prétention du Bénéficiaire à l’effet que l’obligation de dénoncer par écrit prévue à l’article 34 du Règlement n’est pas absolue et chaque cas doit être étudié au mérite. En ce qui nous concerne, il peut être opportun de se référer à l’article 1597 C.c.Q. afin de s’en remettre aux règles de la mise en demeure de plein droit pour déterminer la nature du fardeau de preuve des Bénéficiaires dans un tel cas.
[47] Cet article prévoit qu’un débiteur peut être en demeure de plein droit «lorsqu’il a clairement manifesté au créancier son intention de ne pas exécuter l’obligation ».
[48] Essentiellement, le Bénéficiaire sur ce point plaide que l’Entrepreneur avait fermé sa place d’affaires, qu’il avait quitté le chantier sans avis, qu’il avait fait défaut de payer ses sous-traitants, qu’il a affiché à sa place d’affaires qu’il avait fait faillite et que, finalement, il y a eu des chantiers où l’Administrateur est intervenu, ce qui tend à démontrer qu’il n’aurait pas réagi à l’avis s’il lui avait été donné ;
[49] Ce que le Tribunal d’arbitrage retient, c’est qu’au moment où le Bénéficiaire prétend qu’il n’avait pas à dénoncer par écrit les défauts à l’Entrepreneur, ce dernier se dérobait de ses obligations. Toutefois, il n’a pas clairement manifesté au Bénéficiaire son intention de ne pas compléter ses travaux ni de corriger les déficiences.
[50] Même si l’Administrateur a dû intervenir dans des dossiers où l’Entrepreneur avait refusé d’exécuter ses obligations, la preuve ne permet pas de situer le défaut de ce dernier au moment où le Bénéficiaire plaide la demeure de plein droit. À cet égard, pour qu’il y ait demeure de plein droit par le seul effet de la Loi au sens de l’article 1597 C.c.Q., il faut que la demeure de plein droit existe au moment de l’exercice du droit[4].
D) L’administrateur du plan de garantie a-t-il induit le bénéficiaire en erreur sur les formalités de mise en œuvre de la garantie ?
[51] M. Chagnon a témoigné qu’il savait dès février 2007 qu’il avait besoin du rapport de M. Gosselin pour la mise en œuvre de la garantie et il a lui-même admis qu’il considérait en mars 2007 son dossier comme étant incomplet ;
[52] Le Tribunal d’arbitrage croit par ailleurs que M. Chagnon a été informé que son dossier ne pouvait pas être traité car il y manquait l’avis à l’Entrepreneur. Il semble qu’il ait mal compris Mme Lindsay en supposant qu’elle ne pouvait pas traiter son dossier car il y manquait le rapport de l’ingénieur ;
[53] Par ailleurs, le fait que le Bénéficiaire ait attendu trois ans avant de donner signe de vie à l’Administrateur ne plaide pas non plus en sa faveur ;
E) Quelle est la date de réception des parties communes ?
[54] Essentiellement, l’Administrateur plaide que la demande de réclamation de la Bénéficiaire, qui a été reçue dans la 4e année de la garantie, ne pouvait porter que sur la notion de vices majeurs la privant ainsi du droit de réclamer pour la correction de malfaçons ou des vices cachés ;
[55] Les délais de garantie d’un, trois ou cinq ans, selon le cas, débutent, en ce qui a trait aux parties communes, au moment de leur réception[5] ;
[56] Il est admis qu’il n’y a aucune réception des parties communes qui a été effectuée par un professionnel du bâtiment.
[57] En l’absence de cette réception, l’Administrateur a établi une date de réception au 15 août 2007, soit six mois après la signature de la déclaration initiale d’immatriculation par les propriétaires le 15 février 2007. Il a considéré qu’au 15 février 2007, l’immeuble était en état de servir conformément à l’usage auquel il était destiné et que le Syndicat des copropriétaires, qui avait été formé le 12 février 2007 alors que les copropriétaires ont pris le contrôle de leur Syndicat, était en mesure de mandater un professionnel du bâtiment afin d’effectuer la réception des parties communes ;
[58] Cette date de réception décrétée par l’Administrateur, qui n’est pas vraiment contestée par le Bénéficiaire, et conforme aux sentences arbitrales qui ont été rendues par des collègues sur le sujet[6] ;
[59] C’est donc à bon droit que l’Administrateur a fixé la date de réception des parties communes au 15 août 2007 et c’est donc à compter de cette date que les divers délais de garantie d’un, trois ou cinq ans selon le cas, débuteront ;
F) L’Administrateur était-il justifié de ne considérer que les vices qui rencontrent les critères du vice majeur et qui bénéficient de la garantie de cinq ans ?
[60] Le Bénéficiaire prétend que l’Administrateur a erré en refusant de considérer que la garantie pour vices cachés au sens de l’article 1726 ou 2103 du Code civil en vertu de l’alinéa 4 de l’article 27 du Règlement pouvait s’appliquer au cas sous étude ;
[61] Il nous soumet que ce n’est que le 28 juillet 2010, lorsqu’il a reçu le rapport A-5, qu’il aurait découvert l’existence de vices cachés. Il nous cite plus particulièrement le paragraphe 4.7 en ce qui concerne des infiltrations d’eau au balcon et un coupe-goutte qui devrait être installé pour éviter que l’eau ne ruisselle sur la structure des balcons.
[62] Il nous soumet donc que le rapport A-5 a mis en lumière des vices qui pourraient être considérés comme des vices cachés pour lesquels la garantie de trois ans s’appliquerait. Il plaide que l’Administrateur aurait dû considérer la réclamation du Bénéficiaire sous l’angle des vices cachés au lieu de rejeter purement et simplement toute réclamation qui n’avait pas le caractère d’un vice de conception, de construction ou de réalisation au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec et qui serait apparu dans les cinq ans suivant la réception des parties communes.
[63] Puisque la réception des parties communes a été fixée au 15 août 2007, le délai de garantie trois ans prévu à l’article 27 du Règlement se terminait au 16 août 2010 et la prescription était acquise le 17 août 2010 ;
[64] Le Bénéficiaire aurait donc découvert l’existence de vices cachés le 28 juillet 2010, soit quelques semaines avant l’expiration du délai de prescription de trois ans. Puisqu’il en a avisé l’Administrateur et l’Entrepreneur le 18 août 2010, soit deux jours après l’expiration de la période de garantie de trois ans, il s’agit donc de décider si l’Administrateur était justifié de ne pas considérer la garantie pour vices cachés ;
[65] L’extrait pertinent de l’article 27 du Règlement prévoit ce qui suit :
«Article 27. La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir:
(…)
4° la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l'entrepreneur et à l'administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte des vices cachés au sens de l'article 1739 du Code civil; »
[66] Il appert donc que le Bénéficiaire a découvert le vice caché à l’intérieur du délai de prescription de trois ans et qu’il en a avisé l’Administrateur et l’Entrepreneur dans un délai raisonnable, faisant en sorte qu’il a respecté les prescriptions de l’article 27 du Règlement ;
[67] Que l’avis ait été donné après l’expiration du délai de trois ans ne change rien au fait qu’il a été donné dans un délai raisonnable qui n’a pas excédé six mois. L’Administrateur aurait dû considérer la réclamation du Bénéficiaire recevable quant à la réparation des vies cachés au sens de l’article 27 du Règlement;
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE partiellement la demande du Bénéficiaire ;
DONNE ACTE aux parties de l’entente suivant laquelle la présente sentence se limite à trancher sur la date de réception des parties communes, la suffisance ou l’insuffisance des dénonciations écrites que devait donner le Bénéficiaire ainsi que sur l’application des délais de prescription prévus au Règlement ;
ORDONNE à l’Administrateur de réviser sa décision dans les soixante jours de la date de la présente sentence et de considérer que le Bénéficiaire était justifié de lui réclamer la réparation des vices cachés au sent de l’article 1726 ou 2103 du Code civil du Québec qui ont été découverts le 28 juillet 2010 et dénoncés par écrit le 18 août 2010 ;
RÉSERVE au Bénéficiaire le droit de compléter sa preuve ou de faire entendre son expert, le cas échéant, ou de faire toutes les représentations nécessaires et utiles afin de faire valoir ses droits dans le cadre de la présente sentence ;
RÉSERVE à l’administrateur le droit d’analyser au mérite la preuve et les représentations du Bénéficiaire afin de déterminer si l’immeuble était affecté ou non par des vices cachés qui auraient été découverts le 28 juillet 2010 et qui lui ont été dénoncés par écrit le 18 août 2010 ;
LE TOUT avec les frais d’arbitrage contre l’Administrateur.
________________________________
Me Jean Dallaire
Arbitre
[1] L.R.Q. c. B.-1.1, R.0.2.
[2] REJB 2004-81730 (CA)
[3] Veillette c. Garantie des maîtres bâtisseurs, 2008 CANLII 1053 (QCCQ) : Dans cette affaire, l’Entrepreneur avait déclaré faillite. Au surplus, le juge a reproché à l’Administrateur sa conduite envers les Bénéficiaires alors qu’il avait fait présumer que leur réclamation avait été acceptée. Proulx c. Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., 2006 CANLII 60451 (QCOAGBRN) : Dans cette affaire l’arbitre avait fait remarquer que l’absence de dénonciation était due à la conduite de l’Entrepreneur qui s’était comporté d’une façon équivalente à de la fraude et de la mauvaise foi mais également que le Bénéficiaire n’avait jamais reçu une copie de son contrat de garantie de sorte qu’il n’était tenu à l’exécution de ses obligations prévues au contrat avec l’Entrepreneur qu’à compter du moment où il serait en possession d’un double du contrat de garantie dûment signé.
[4] Complex Jean-Talon Ouest inc. c. 2974100 Canada inc., 2011 QCCS 27 , 12
[5] Article 27 du Règlement
[6] Syndicat des copropriétaires 2860, rue Montcalm, Vaudreuil-Dorion c. Groupe Immobilier Farand inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, SORECONI, (Me Michel A. Jeanniot). Syndicat de copropriété MRLH c. Les Constructions G. Mélatti inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., 7 juin 2006, SORECONI, (Me Jeffrey Edwards). Syndicat Les Villas sur le Parc Rembrandt c. Les Villas sur le Parc Rembrandt et La Garantie Qualité Habitation, 8 mars 2007, SORECONI, (Me Michel A. Jeanniot). Syndicat des copropriétaires Les Villas du Golf, phase II et als c. Les Maisons Zibeline et La Garantie Qualité Habitation et La Garantie des maisons neuves de l’APHQ, 15 mars 2010, CCAC, (Me Michel A Jeanniot). Syndicat de la copropriété du 840, chemin Bord-de-l’Eau c. Le Groupe Ecoterm Entrepreneur Général inc. et La Garantie Habitation du Québec inc., 6 mars 2009, SORECONI, (Me Robert Masson).