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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec :
LA SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DE CONFLITS INC. (SORECONI)
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ENTRE : VINCENT LEECH
(ci-après désigné « le Bénéficiaire »)
CONSTRUCTION MIDALTO INC.
(ci-après désignée « l'Entrepreneur »)
LA GARANTIE ABRITAT INC.
(ci-après désignée « l'Administrateur »)
No dossier SORECONI : 193107001
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DÉCISION ARBITRALE
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Arbitre : Me Errol Payne
Pour le Bénéficiaire : M. Vincent Leech
Pour l'Entrepreneur : M. Tony Bilodeau
Pour l'Administrateur : Me Marc Baillargeon
Date de l'audition : Le 13 février 2020
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Date de la décision : Le 11 mars 2020
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Identification complète des parties
Arbitre : Me Errol Payne 79, boul. René-Lévesque Est, bureau 200 Québec (Québec) G1R 5N5
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Bénéficiaire : M. Vincent Leech [...] Saint-Agapit (Québec) [...]
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Entrepreneur : M. Tony Bilodeau Construction Midalto inc. 1887, chemin Saint-Barthélemy Québec (Québec) G2A 4B5 |
Administrateur : La Garantie Abritat inc. 5930, boul. Louis-H. Lafontaine Anjou (Québec) H1M 1S7
Et son procureur : Me Marc Baillargeon 7333, Place des Roseraies, 3e étage Anjou (Québec) H1M 2X6
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LISTE DES PIÈCES PRODUITES PAR L’ADMINISTRATEUR
Pièce A-1 : Acte de vente en date du 5 septembre 2014;
Pièce A-2 : Contrat d’entreprise et de garantie en date du 4 juin 2014 et 17 octobre 2014;
Pièce A-3 : Formulaire d’inspection préréception en date du 17 octobre 2014;
Pièce A-4 : Certificat d’enregistrement du bâtiment;
Pièce A-5 : Lettre de dénonciation en date du 28 février 2019;
Pièce A-6 : Lettre du bénéficiaire en date du 28 mars 2019;
Pièce A-7 : Photographies;
Pièce A-8 : Avis de 15 jours en date du 2 mai 2019;
Pièce A-9 : Lettres, décision de l’administrateur en date du 10 juin 2019 et preuve de réception;
Pièce A-10 : Demande d’arbitrage en date du 23 août 2019.
LISTE DES PIÈCES PRODUITES PAR LE BÉNÉFICIAIRE
Pièce B-1 : Rapport d’expertise par la firme Gestion Qualité Drain inc. daté du 17 décembre 2019;
Pièce B-2 : Rapport d’expertise de M. Michel Chamberland, ingénieur conseil, daté du 21 janvier 2020;
Pièce B-3 : Plan de la résidence préparé par M. Leech et remis à M. Hamel le jour de l’inspection;
Pièce B-4 : Photographies datées du 31 octobre 2019, en liasse;
Pièce B-5 : Plans de construction de la résidence datés du 16 mai 2012.
ARBITRAGE
MANDAT
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 23 août 2019.
HISTORIQUE DU DOSSIER
4 juin 2014 Contrat de construction entre Construction Midalto inc. et M. Vincent Leech, le Bénéficiaire
5 septembre 2014 Vente du terrain par acte notarié
17 octobre 2014 Contrat de garantie entre Construction Midalto inc. et M. Vincent Leech, le Bénéficiaire
17 octobre 2014 Réception de l’unité résidentielle
5 mars 2019 Réclamation écrite du Bénéficiaire
23 mai 2019 Visite des lieux et inspection par l’Administrateur
10 juin 2019 Décision de l’Administrateur
22 juillet 2019 Demande d’arbitrage par le Bénéficiaire
17 décembre 2019 Expertise technique réalisée par Mme Mélissa Cloutier de la firme Gestion Qualité Drain inc.
21 janvier 2020 Expertise technique réalisée par M. Michel Chamberland, ingénieur
13 février 2020 Audition devant le tribunal d’arbitrage
11 mars 2020 Décision
DÉCISION ARBITRALE
INTRODUCTION
[1] Le Bénéficiaire transmet une demande d’arbitrage contestant la décision rendue par l’Administrateur le 10 juin 2019, laquelle rejette sa réclamation en indiquant que le dégagement sous les fenêtres du sous-sol et la porte menant au sous-sol ainsi que le nivellement du stationnement de la résidence ne constituent pas des vices de construction au sens du contrat de garantie.
[2] Le procureur de l’Administrateur, quant à lui, défend la décision rendue par l’Administrateur en invoquant l’absence de vice de construction. Selon lui, comme le vice a été dénoncé par le Bénéficiaire au courant de la cinquième année de couverture de la garantie, celui-ci doit constituer un vice de conception, de construction, de réalisation ou du sol au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec afin d’être couvert par la garantie. Il poursuit en argumentant que la situation dénoncée par le Bénéficiaire ne peut se qualifier comme tel.
[3] De son côté, l’Entrepreneur invoque qu’une modification apportée au nivellement de la rue quelques années après la construction de la résidence a eu pour effet de créer le problème de nivellement du stationnement dénoncé par le Bénéficiaire. Il ne se considère pas responsable de la problématique soulevée.
[4] Le tribunal révisera donc la preuve étayée devant lui et les documents d’expertise afin de décider de la justesse des moyens soulevés par les parties.
LES TÉMOINS
[5] À l’audience, M. Vincent Leech témoigne de l’apparition de la problématique d’accumulation d’eau près de sa résidence en raison de la pente négative de son stationnement extérieur.
[6] Mme Mélissa Cloutier et M. Michel Chamberland témoignent à titre d’experts en faveur du Bénéficiaire.
[7] M. Tony Bilodeau représente l’Entrepreneur par son témoignage.
[8] Finalement, M. Michel Hamel, le conciliateur ayant rendu la décision de l’Administrateur, témoigne relativement à sa décision et aux constatations qu’il a effectuées sur les lieux de la résidence du Bénéficiaire.
LES FAITS
[9] Le 4 juin 2014, le Bénéficiaire conclut et signe un contrat pour la construction de sa résidence avec l’Entrepreneur.
[10] Le 17 octobre 2014, le Bénéficiaire conclut et signe un contrat de garantie de maison neuve relativement à sa résidence avec l’Entrepreneur. La même journée, ce premier fait l’inspection préréception du bâtiment avec l’aide de l’Entrepreneur et prend possession du bâtiment.
[11] À ce moment, aucune malfaçon, vice ou problématique quelconque n’est dénoncé par le Bénéficiaire à l’Entrepreneur relativement au nivellement du stationnement ou aux espaces de dégagement sous les fenêtres et la porte menant au sous-sol. Les deux parties signent donc le formulaire d’inspection préréception sans réserve, tel que prévu par le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (ci-après désigné « le Règlement »).
[12] Quelque temps après, la rue sur laquelle se situe la résidence du Bénéficiaire, [...], devient un ouvrage public et est asphaltée par la ville de Saint-Agapit. Selon ce qui est allégué de part et d’autre par les parties, cet asphaltage aurait modifié le niveau de hauteur de la rue. Selon l’Entrepreneur, le niveau aurait été haussé par cette modification. Le Bénéficiaire allègue plutôt que le niveau serait demeuré stable à certains endroits et aurait diminué à d’autres endroits.
[13] Puis, au mois de février 2019, après l’asphaltage de la rue, lors d’une fonte importante des neiges, le Bénéficiaire observe une accumulation d’eau anormale près du mur extérieur de sa résidence qui se trouve près de l’espace de stationnement.
[14] Comme les fenêtres du sous-sol de la résidence ne comportent pas de margelles permettant de drainer les eaux pluviales dans le sol, le Bénéficiaire constate l’accumulation d’eau près de ces fenêtres. Cette accumulation menace d’entrainer des infiltrations d’eau à l’intérieur de la résidence en raison du faible dégagement présent sous ces fenêtres.
[15] Inquiet de cette situation, le Bénéficiaire donne mandat à un entrepreneur de procéder au déglaçage du stationnement extérieur de sa résidence afin de permettre aux eaux issues de la fonte des neiges de pénétrer dans le sol et de pouvoir ainsi limiter l’accumulation près des fenêtres.
[16] Il procède également à l’installation d’un tuyau temporaire permettant d’allonger la gouttière descendant le long de la résidence pour diriger les eaux pluviales jusqu’à la rue plutôt que de les laisser s’évacuer près du mur extérieur de la résidence et ainsi limiter l’accumulation.
[17] Puis, le 28 février 2019, soit au courant de la cinquième et dernière année de couverture de la garantie, le Bénéficiaire met l’Entrepreneur en demeure de venir constater la situation vécue et de procéder aux travaux correctifs appropriés.
[18] Face à l’absence de réponse de l’Entrepreneur, le 5 mars 2019, le Bénéficiaire dénonce la situation à l’Administrateur. De manière subséquente, le conciliateur représentant l’Administrateur, M. Michel Hamel, se déplace sur les lieux afin de procéder à une inspection.
[19] Le 10 juin 2019, le conciliateur rejette la réclamation du Bénéficiaire quant aux deux points dénoncés, soit le dégagement sous les fenêtres du sous-sol et la porte menant au sous-sol ainsi que le nivellement du stationnement. Le conciliateur appuie sa décision en invoquant que les problématiques soulevées ne sont pas de nature à causer la perte de l’ouvrage et n’ont pas l’importance d’un vice majeur. Pour ce qui est du nivellement de l’espace de stationnement, le conciliateur rejette ce point de réclamation pour le motif qu’il s’agit d’une exclusion expresse à la couverture de la garantie.
[20] Cette décision fait l’objet de la présente demande d’arbitrage par le Bénéficiaire.
[21] À ce jour, la situation relative à l’accumulation d’eau près des fenêtres du sous-sol de la résidence n’a été observée par le Bénéficiaire qu’à deux reprises, soit une première fois en février 2019 et une seconde fois en mars 2019.
[22] En vue de procéder au présent arbitrage, le Bénéficiaire a fait appel à Mme Mélissa Cloutier, experte en drainage des eaux pluviales œuvrant chez Gestion Qualité Drain inc. Celle-ci s’est déplacée sur les lieux en décembre 2019 afin de constater la problématique dénoncée par le Bénéficiaire et a produit un rapport d’expertise à cet effet. Ce rapport fait état de plusieurs éléments de construction de la résidence qui n’auraient pas été exécutés conformément au Code du bâtiment par l’Entrepreneur.
[23] Le Bénéficiaire a également demandé à M. Michel Chamberland, ingénieur conseil, de se prononcer quant à l’impact de l’asphaltage de la rue sur le nivellement de son espace de stationnement. Plutôt que de se déplacer sur les lieux, M. Chamberland a analysé le plan de génie civil du développement résidentiel, des photos de la résidence, les plans de construction de la résidence et le plan d’arpentage du quartier afin de rédiger son rapport, lequel tient sur une page et demie.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[24] Afin de trancher la présente demande d’arbitrage, le tribunal doit répondre aux questions suivantes :
1) La problématique dénoncée par le Bénéficiaire constitue-t-elle un vice de construction couvert par la garantie dans les cinq années suivant la réception de la résidence?
2) Le cas échéant, la problématique liée au nivellement de l’espace de stationnement est-elle expressément exclue de la couverture de la garantie?
ANALYSE DE LA PREUVE
L’existence d’un vice de construction
[25] Tel que précédemment mentionné, la situation vécue par le Bénéficiaire a été dénoncée à l’Administrateur en date du 5 mars 2019, soit dans la cinquième année de couverture de la garantie. Lors de l’audition, le Bénéficiaire a admis devant le présent tribunal ne pas avoir observé d’accumulation d’eau près des fondations du mur extérieur de sa résidence avant le mois de février 2019. Les seuls événements d’accumulation d’eau constatés par ce dernier depuis la construction de sa résidence sont donc isolés et respectivement survenus en février et mars 2019.
[26] Le tribunal comprend de la preuve étayée devant lui que les points contestés de la décision de l’Administrateur contribuent à la même problématique. C’est-à-dire que le dégagement existant sous les fenêtres du sous-sol et la porte menant au sous-sol serait trop faible. De plus, l’espace de stationnement du Bénéficiaire comporterait une pente négative ayant pour effet de diriger l’écoulement des eaux pluviales vers les fondations de la résidence et donc, vers les fenêtres du sous-sol qui sont installées près du niveau du sol. Selon le Bénéficiaire, cette combinaison de facteurs rend sa résidence à risque de subir des infiltrations d’eau en période de fortes pluies ou de redoux.
[27] Étant donné que les deux points contestés par le Bénéficiaire emportent la même problématique, le soussigné traitera de ceux-ci de manière conjointe dans sa décision.
[28] D’emblée, afin de déterminer si la situation dénoncée par le Bénéficiaire est couverte par le contrat de garantie, le tribunal d’arbitrage doit se référer à la version du Règlement qui était en vigueur en 2014 au moment de la conclusion du contrat de garantie entre l’Entrepreneur et le Bénéficiaire. Plus précisément, le tribunal d’arbitrage reproduit l’article 10 du Règlement[2], lequel disposait de l’étendue de la garantie existant dans les cinq années suivant la réception du bâtiment par le Bénéficiaire :
10. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :
[…]
5° la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder 6 mois de la découverte ou survenance du vice ou, en cas de vices ou de pertes graduelles, de leur première manifestation.
[Nos soulignements]
[29] Afin d’être couverte, la problématique dénoncée par le Bénéficiaire au courant de la cinquième année de garantie doit donc se qualifier à titre de vice de conception, de construction ou de réalisation, et ce, au sens de l’article 2118 C.c.Q. Cette disposition est reproduite ci-bas :
2118. À moins qu’ils ne puissent se dégager de leur responsabilité, l’entrepreneur, l’architecte et l’ingénieur qui ont, selon le cas, dirigé ou surveillé les travaux, et le sous-entrepreneur pour les travaux qu’il a exécutés, sont solidairement tenus de la perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux, que la perte résulte d’un vice de conception, de construction ou de réalisation de l’ouvrage, ou, encore, d’un vice du sol.
[30] Aux termes de l’article 2118 C.c.Q., ce vice de conception, de construction ou de réalisation doit à son tour entraîner ou menacer d’entraîner la perte de l’ouvrage en question. L’existence d’un vice à lui seul ne peut suffire à entraîner l’application de la garantie.
[31] Selon la jurisprudence rendue en la matière, la notion de perte de l’immeuble implique nécessairement la survenance d’inconvénients sérieux pour le Bénéficiaire. Ce vice doit minimalement rendre l’ouvrage impropre à son usage. La Cour d’appel a récemment rappelé cette position dans la décision Construction GMR inc. c. Syndicat des copropriétaires du 521 de Cannes à Gatineau[3] :
[5] Les appelantes soutiennent que l’absence d’infiltration d’eau pendant de nombreuses années fait en sorte que le problème identifié ne peut être traité comme une perte de l’immeuble au sens de l’article 2118 C.c.Q. et aurait plutôt dû être qualifié de malfaçon au sens de l’article 2120 C.c.Q.
[6] Il est bien établi, et la Cour l’a rappelé à quelques occasions, qu’une défectuosité grave entraînant des inconvénients sérieux et rendant l’ouvrage impropre à son usage constitue une perte.
[7] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore font un rapprochement entre la notion de perte et celle de vice et enseignent :
[…] que le défaut reproché, pour constituer une perte, doit être un défaut sérieux qui compromette la solidité de l’ouvrage et entraîne le risque de le voir s’écrouler, s’affaisser, s’enfoncer ou tomber en tout ou en partie.
[8] Ils ajoutent que la jurisprudence a donné une définition large à la notion de perte :
La jurisprudence a donné une interprétation large à la notion de perte en l’appréciant par rapport à la destination et à l’utilisation prospective de l’ouvrage. Constitue donc une perte, toute défectuosité grave qui entraîne un inconvénient sérieux et rend l’ouvrage impropre à sa destination. En d’autres termes, le défaut qui, en raison de sa gravité, limite substantiellement l’utilisation normale de l’ouvrage entraîne une perte qui autorise la mise en œuvre du régime.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[…]
[10] De plus, la menace de destruction éventuelle de l’immeuble est suffisante pour engager la responsabilité de l’entrepreneur, car « la menace d’une perte potentielle aura pour conséquence de rendre l’immeuble impropre à l’usage auquel on le destine et à entraîner une diminution importante de sa valeur marchande ». Conséquemment, il n’est pas nécessaire que la perte se soit concrétisée et il est suffisant « de démontrer que l’état de l’ouvrage permet de croire que celle-ci se produira dans l’avenir, si aucun remède n’est apporté ».
[11] Ainsi, le juge de première instance doit apprécier la preuve et déterminer s’il estime que la défectuosité est suffisamment grave pour rendre l’immeuble impropre à son usage.
[Nos soulignements et emphases]
[32] Ces enseignements sont tout autant repris dans la jurisprudence relative à l’application du Règlement et de la garantie qui en découle. Lors de l’audition, le procureur de l’Administrateur a d’ailleurs déposé deux décisions portant sur le vice de construction et l’interprétation à faire de l’article 2118 C.c.Q.[4], lesquelles ont été évaluées par le soussigné au moment du délibéré.
[33] À la lumière de ce qui précède, le tribunal d’arbitrage juge que la preuve étayée devant lui ne permet pas de conclure que la résidence du Bénéficiaire est affectée d’un vice de construction qui menace d’entraîner sa perte potentielle. Ce fardeau de preuve, lequel repose sur le Bénéficiaire[5], n’a pas été rempli, et ce, pour les raisons exposées ci-dessous.
[34] D’abord, le rapport d’expertise B-1 rédigé par Mme Cloutier de la firme Gestion Qualité Drain inc. fait état des différents manquements aux normes applicables qu’elle a pu constater sur la résidence du Bénéficiaire par rapport au dégagement minimal nécessaire en dessous des fenêtres du sous-sol et à la pente négative de l’espace de stationnement. Après avoir constaté différents manquements au Code de Construction du Québec et aux recommandations de l’APCHQ, Mme Cloutier tire la conclusion suivante :
Nous croyons que le niveau du sol fini par rapport à la fondation, les pentes du terrain/de l’entrée et la hauteur de l’entrée versus celle de la rue, ne respectent pas les exigences du Code de Construction du Québec, les recommandations de l’APCHQ et des experts, et que ces malfaçons mettent à risque le bâtiment, à d’éventuelles infiltrations d’eau.
[Nos soulignements]
[35] Lors de l’audition, Mme Cloutier témoigne à l’effet que les espacements de dix pouces sous les fenêtres du sous-sol qui étaient initialement prévus aux plans de construction de la résidence n’ont pas été respectés lors de la construction par l’Entrepreneur. La résidence n’est donc pas conforme aux plans. Selon elle, la pente négative de l’espace de stationnement et le dégagement insuffisant sous les fenêtres du sous-sol mettent la résidence à risque de subir des infiltrations d’eau lors des périodes de redoux ou de fortes pluies.
[36] Aux yeux du tribunal, les manquements rapportés par Mme Cloutier relèvent davantage de la malfaçon que du vice de construction risquant d’entraîner la perte partielle ou totale de l’ouvrage. Effectivement, bien que la configuration actuelle de la résidence entraîne une possibilité d’infiltration d’eau par les fenêtres du sous-sol lors de températures extrêmes, cette possibilité ne risque pas d’emporter la perte de l’immeuble et d’empêcher le Bénéficiaire d’en faire l’usage auquel il est destiné.
[37] Le cœur de l’enjeu concernant le présent arbitrage réside dans la distinction qui doit être faite entre le vice de construction au sens de l’article 2118 C.c.Q. et la simple malfaçon. À ce sujet, citons l’auteur Vincent Karim[6] qui écrit :
1323. De même, la perte de l’usage normal de l’ouvrage pourrait à certaines conditions être considérée comme un vice couvert par la garantie prévue à cet article. Il en est ainsi lorsqu’un défaut sérieux rend l’ouvrage inutilisable par son propriétaire. Par contre, le défaut qui ne cause que certains désagréments sans menacer l’ouvrage ne peut être qualifié comme étant une perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 C.c.Q.
1324. Une simple malfaçon, même si elle affecte la conservation de l’immeuble ou cause des inconvénients sérieux, n’entraînera pas la responsabilité légale des intervenants en construction, si le défaut ne porte pas atteinte à la solidité de l’ouvrage. Lorsqu’il s’agit d’une malfaçon, la responsabilité des intervenants en construction est régie par l’article 2120 C.c.Q.
1325. La notion de « perte de l’ouvrage » oblige donc à faire la preuve de l’existence des vices de construction pouvant causer la perte de l’immeuble et non de malfaçons reflétant possiblement un manquement aux normes et aux règles de l’art.
[Nos soulignements]
[38] Lors de l’audition, le Bénéficiaire témoigne à l’effet qu’il n’a observé une accumulation d’eau près des fondations de sa résidence qu’à deux seules reprises en presque cinq années. Une seule fois, lors d’un redoux, il a procédé au déglaçage préventif de son entrée pour contrer cette accumulation d’eau. Le témoignage du Bénéficiaire et celui de Mme Cloutier font la preuve d’une possibilité que la résidence subisse des infiltrations d’eau lors de la survenance d’un climat particulier. En revanche, il n’a pas été établi devant le tribunal d’arbitrage que cette menace d’infiltration d’eau est telle qu’elle menace de porter atteinte à la solidité de la résidence.
[39] Certes, une infiltration d’eau par les fenêtres de la résidence pourrait causer des inconvénients sérieux au Bénéficiaire. Il semble effectivement que la résidence n’ait pas été construite en conformité avec les plans de construction et les normes relatives au dégagement minimal sous les fenêtres. Pourtant, là n’est pas le fardeau de preuve à remplir afin d’entraîner la couverture de la garantie dans la cinquième année. Tel que précédemment expliqué, encore faut-il qu’il existe une menace d’atteinte à la solidité du bâtiment.
[40] Qui plus est, le rapport d’expertise B-2 rédigé par l’ingénieur, M. Michel Chamberland, n’éclaire pas davantage le tribunal d’arbitrage quant à la preuve d’une possibilité d’atteinte à la solidité de la résidence.
[41] Lors de son témoignage devant le tribunal d’arbitrage, M. Chamberland explique que son mandat consistait seulement à évaluer le changement dans le nivellement de l’espace de stationnement suite à l’asphaltage de la rue survenu quelque temps après la construction de la résidence. En étudiant les plans de construction de la rue, il a constaté que la pente négative de l’espace de stationnement était déjà existante avant l’asphaltage de la rue. Il poursuit son témoignage en précisant que la résidence du Bénéficiaire a été construite trop basse par rapport au niveau de la rue afin de permettre un écoulement naturel du terrain, ce qui explique la possibilité d’accumulation d’eau près des fondations du bâtiment.
[42] Le tribunal juge qu’il n’est pas pertinent d’établir la cause du nivellement de l’espace de stationnement dans la mesure où il y a absence de preuve à l’effet que ce nivellement constitue un vice qui risque de porter atteinte à la solidité du bâtiment. Le rapport d’expertise de M. Chamberland portant sur cette question n’est donc pas utile au litige.
[43] Néanmoins, toujours dans le rapport d’expertise B-2, M. Chamberland tire la conclusion suivante :
Ce bâtiment ne présente pas de danger pour ses occupants, mais le non-respect des recommandations mentionnées ci-haut, pourrait (sic) mener à une détérioration du bâtiment, donc une perte de valeur.
[44] Interrogé à ce sujet lors de l’audition, M. Chamberland explique qu’un sol qui est correctement drainé, dans lequel il se trouve peu d’eau, crée une faible pression hydrostatique latérale sur le mur de la résidence. Au contraire, si le sol est toujours saturé d’eau en raison de l’accumulation des eaux pluviales, la pression hydrostatique génère une force plus importante vers l’intérieur du mur de la résidence. Cela peut avoir pour conséquences la fissuration des fondations ainsi que la possibilité d’infiltration d’eau. M. Chamberland qualifie lui-même le phénomène lié à la pression hydrostatique de potentiel. Toujours selon lui, ce phénomène est décuplé advenant le cas où le matériel du sol est de type gélif. Ce facteur dépend du type de sol qui a été utilisé lors du remblai effectué par l’Entrepreneur autour de la résidence.
[45] M. Chamberland ne s’est pas déplacé sur les lieux afin d’émettre ces constatations. Il n’a pas non plus procédé à l’analyse du sol autour de la résidence afin de vérifier s’il y avait présence d’un sol gélif. Son rapport n’est appuyé d’aucune donnée permettant d’indiquer la hauteur des eaux dans le sol et la fréquence de leur hausse dans le temps. Le tribunal considère que M. Chamberland fait l’explication de principes physiques généraux sans en avoir objectivement constaté la présence à la résidence du Bénéficiaire. Peu de force probante est accordée à la conclusion finale du rapport de M. Chamberland dans la mesure où son rapport vise uniquement à établir la cause de la pente négative de l’espace de stationnement et non à faire l’explication scientifique d’une problématique qu’il aurait observée à la résidence du Bénéficiaire.
[46] La preuve est plutôt à l’effet qu’en cinq années, une accumulation d’eau n’a été observée qu’à deux courtes reprises par le Bénéficiaire. Ces cas d’accumulation d’eau ne sont pas constants et semblent surtout isolés. Avec égard, le tribunal d’arbitrage considère que le rapport et le témoignage de M. Chamberland n’ont pas permis de faire la preuve d’un vice de construction menaçant d’entraîner la perte de la résidence.
[47] Somme toute, le tribunal d’arbitrage juge que la problématique dénoncée par le Bénéficiaire ne constitue pas un vice de construction au sens de l’article 2118 C.c.Q. permettant d’entraîner l’application de la garantie. Conséquemment, la demande du Bénéficiaire doit être rejetée.
L’application d’une exclusion à la couverture de la garantie
[48] Même si le tribunal d’arbitrage en était venu à la conclusion que la problématique dénoncée par le Bénéficiaire constituait un vice de construction au sens de l’article 2118 C.c.Q, il aurait quand même rejeté la partie de la réclamation liée au nivellement de l’espace de stationnement pour les raisons ci-après étayées.
[49] Le Bénéficiaire invoque que la situation dénoncée n’est pas exclue de l’application la garantie aux termes de l’article 12 du Règlement. Cet article exclut les espaces de stationnement de la couverture de la garantie, mais précise que la pente négative du terrain fait exception à cette exclusion :
12. Sont exclus de la garantie:
[…]
9° les espaces de stationnement et les locaux d’entreposage situés à l’extérieur du bâtiment où se trouvent les unités résidentielles et tout ouvragé situé à l’extérieur du bâtiment tels les piscines extérieures, le terrassement, les trottoirs, les allées et le système de drainage des eaux de surface du terrain à l’exception de la pente négative du terrain;
[Nos soulignements]
[50] Il appert donc que l’existence d’une pente négative de terrain, bien que présente dans un espace de stationnement, serait couverte par la garantie aux termes de l’article 12 du Règlement.
[51] Néanmoins, la version de l’article 12 reproduite ci-haut est seulement entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Le tribunal estime que le Bénéficiaire fait erreur en invoquant son application.
[52] En effet, étant donné que le contrat de garantie liant le Bénéficiaire et l’Entrepreneur a été conclu le 17 octobre 2014, le tribunal doit plutôt se référer au contenu contractuel existant entre les parties et découlant du Règlement en vigueur à cette époque afin de déterminer si la problématique est exclue de la couverture.
[53] Il appert qu’au moment de la conclusion du contrat, l’article 12 du Règlement alors en vigueur se lisait comme suit :
12. Sont exclus de la garantie:
[…]
9° les espaces de stationnement et les locaux d’entreposage situés à l’extérieur du bâtiment où se trouvent les unités résidentielles et tout ouvragé situé à l’extérieur du bâtiment tels les piscines extérieures, le terrassement, les trottoirs, les allées et le système de drainage des eaux de surface du terrain;
[54] À la lumière de ce qui précède, le tribunal doit appliquer l’exclusion qui avait force de loi en 2014 et juger que la situation relative au nivellement de l’espace de stationnement est expressément exclue de l’application de la garantie. Faire autrement serait aller en contravention d’un Règlement jugé d’ordre public par la Cour d’appel[7].
Frais d’arbitrage et d’expertise
[55] L’article 123 du Règlement traite de la dispense des frais d’arbitrage de la manière suivante :
123. Les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’administrateur et l’entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l’administrateur à moins que le bénéficiaire n’obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l’arbitre départage ces coûts.
Seul l’organisme d’arbitrage est habilité à dresser le compte des coûts de l’arbitrage en vue de leur paiement.
[56] Comme le Bénéficiaire est demandeur en l’instance et qu’il n’obtient gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, le tribunal d’arbitrage doit départager les frais d’arbitrage.
[57] Puisque le Règlement peut être assimilé aux autres règlements pour la protection des consommateurs, le soussigné estime que les frais encourus par le Bénéficiaire pour en appeler de la décision de l’Administrateur doivent être du même ordre que les frais judiciaires prévus pour l’inscription d’une réclamation à la Division des petites créances de la Chambre civile de la Cour du Québec[8].
[58] Conséquemment, le Bénéficiaire devra acquitter la somme de cent quatre (104) $ et l’Administrateur sera tenu d’acquitter la balance.
[59] L’article 124 du Règlement, quant à lui, dispose du paiement des frais d’expertise engendrés pour la tenue de l’arbitrage :
124. L’arbitre doit statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.
Il doit aussi statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur et l’entrepreneur solidairement doivent rembourser au bénéficiaire même lorsque ce dernier n’est pas le demandeur.
Le présent article ne s’applique pas à un différend portant sur l’adhésion d’un entrepreneur.
[60] En l’occurrence, seul le Bénéficiaire a fait appel à deux experts dans la préparation du présent dossier. Le rapport de l’expert Mme Cloutier, experte en drainage des eaux naturelles, a été déposé en pièce B-1. Les frais d’expertise de deux mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf dollars et vingt-sept (2 499,27 $) pour la préparation de ce rapport et le déplacement de Mme Cloutier devant le tribunal doivent être assumés par le Bénéficiaire. Effectivement, le tribunal considère que Mme Cloutier a non seulement agi comme experte en gestion des eaux, mais aussi comme représentante de M. Leech dans la préparation et la présentation de son dossier. Une grande partie de sa facture est d’ailleurs allouée à la préparation de la preuve du dossier de M. Leech alors qu’une partie négligeable est liée à la rédaction du rapport d’expertise.
[61] Qui plus est, le rapport de l’expert M. Michel Chamberland, ingénieur, a été déposé en pièce B-2. Encore une fois, le tribunal juge que les frais d’expertise de six cent soixante-six dollars et quatre-vingt-six (666,86 $) doivent être assumés par le Bénéficiaire. En effet, le rapport d’expertise n’a pas éclairé le tribunal quant aux points en litige.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[62] REJETTE la présente demande d’arbitrage du Bénéficiaire;
[63] ORDONNE au Bénéficiaire de verser à l’Administrateur la somme de cent quatre dollars (104 $) en paiement des frais d’arbitrage encourus dans le présent dossier, et ce, dans un délai de trente (30) jours suivant la présente décision;
[64] CONDAMNE l’Administrateur au paiement des frais d’arbitrage encourus jusqu’à la date de la présente décision.
Québec, le 11 mars 2020
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Errol Payne, avocat
Arbitre / Société pour la résolution des conflits inc. (SORECONI)
[1] RLRQ, c B-1.1, r. 8.
[2] RLRQ, c B-1.1, r. 8, D. 841-98, art 10.
[3] 2018 QCCA 129.
[4] Chbat c. 9219-9439 Québec inc., décision rendue par l’arbitre Roland-Yves Gagné le 20 juin 2019; Geoffrion c. 9252-1707 Québec inc. (société dissoute), décision rendue par l’arbitre Roland-Yves Gagné le 17 juillet 2019.
[5] 2803 C.c.Q.
[6] Vincent KARIM, Contrats d'entreprise, contrat de prestation de services et l'hypothèque légale, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, par. 1323 à 1325.
[7] Garantie des bâtiments résidentiels de l'APCHQ inc. c. Desindes, J.E. 2005-132 (C.A.), par. 11.
[8] Mess c. Constructions Bois & Poliquin inc., 2006 CanLII (QC OAGBRN).