Gabarit EDJ
J.D. 780

COUR SUPÉRIEURE

 
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° : 500-05-071027-021
   

 

DATE : Le 12 juin 2002

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DENIS DUROCHER, J.C.S.

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LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
Requérante
c.
Me ROBERT MASSON
Intimé
et
FRANCINE MAINVILLE
Mise en cause
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JUGEMENT
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1. La requérante demande la révision judiciaire de la sentence arbitrale rendue par l'intimé. La requérante avait garanti les obligations légales et contractuelles d'un entrepreneur pour la construction d'une maison neuve pour le compte de la mise en cause, madame Francine Mainville. L'entrepreneur abandonna le chantier, fit cession de ses biens, et sa licence était révoquée par la Régie du bâtiment. Elle s'adressa donc à la requérante pour qu'elle exécute les obligations contractuelles de l'entrepreneur en défaut : correction des malfaçons, parachèvement des travaux et remboursement de l'acompte versé.

MOTIFS DE RÉVISION

2.
La requérante allègue que l'arbitre a excédé la compétence que lui confère les textes réglementaires et contractuels en accordant à la mise en cause le remboursement d'acomptes pour une somme excédant ce qu'il lui est permis d'octroyer. Il en est de même quant aux frais de relogement, d'entreposage et de déménagement. Il a aussi adjugé ultra petita, accordant des intérêts et l'indemnité additionnelle qui n'était pas demandée.

CONTRAT ET RÈGLEMENT

3.
La Loi sur le bâtiment, (L.Q. ch. B-1.1), oblige les entrepreneurs à détenir une licence et à adhérer à un plan qui garantit l'exécution de leurs obligations légales et contractuelles pour la vente ou la construction d'un bâtiment résidentiel. C'est le « Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs », (B-1.1, R. 0.2), qui gouverne le contenu des plans de garantie et des contrats qu'offre l'entrepreneur. Le contrat de garantie comporte des mentions obligatoires quasi identiques à celles du règlement, bien qu'avec une numérotation différente. Comme l'arbitre utilise celle du contrat, c'est celle-ci qui sera reproduite ici.

« 6.4  COUVERTURE DE LA GARANTIE :

6.4.l La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles AVANT LA RÉCEPTION du bâtiment couvre :

[…]

1.0.0.1
Dans le cas d'un contrat d'entreprise :

1.0.0.1.1
Soit les acomptes versés par le bénéficiaire à la condition qu'il n'y ait pas d'enrichissement injustifié de ce dernier.

1.0.0.1.2
Soit le parachèvement des travaux lorsqu'une entente à cet effet intervient avec l'administrateur.

1.0.0.2
Le relogement, le déménagement et l'entreposage des biens du bénéficiaire dans les cas suivants :

1.0.0.2.1
Lorsque le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l'entrepreneur à moins que les acomptes ne soient remboursés.

1.0.0.2.2
Lorsque le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue avec l'entrepreneur afin de permettre à l'administrateur de parachever le bâtiment.

[]

0.1 LES LIMITES DE LA GARANTIE :

0.1.1
La garantie d'un plan relative à une maison unifamiliale isolée, jumelée ou en rangée et non détenue en copropriété divise est limitée par adresse aux montants suivants :

0.1.1.1
Pour les acomptes, 30 000 $ ».

[]

LA SENTENCE, QUANT AU REMBOURSEMENT DES ACOMPTES

4.
Le contrat R-5 prévoyait un coût total de 147 162,98 $ pour la construction de la maison sur le terrain que madame Mainville possédait. Elle a versé un acompte de 3 000 $ lors de la signature, et payé 78 941,32 $ de déboursés progressifs, (tel que prévu à l'article 2.4 du contrat), au moment de l'abandon du chantier. Elle n'a pu s'entendre avec La Garantie pour que celle-ci corrige les malfaçons et parachève les travaux, d'où sa demande d'arbitrage.

5. L'arbitre analyse longuement et décide avec force détails le coût des travaux de correction des malfaçons, soit 42 102,43 $. Il détermine ensuite la valeur nette des travaux réalisés : travaux exécutés, moins le coût des réparations des malfaçons, soit 40 428,01 $. Il détermine ensuite le remboursement dû, soit le total des acomptes versés moins la valeur nette des travaux : 81 941,32 $ - 40 428,01 $ = 41 513,31 $. C'est au paiement de cette dernière somme qu'il condamne La Garantie, quant à ce poste de la réclamation dont il est saisi.

6. Il y a lieu d'observer qu'il retient cette méthode de calcul, qui est celle que La Garantie propose au soutien de sa décision de ne pas parachever les travaux et corriger les malfaçons. Elle choisit plutôt le remboursement des acomptes. Selon la pièce R-6, elle offrirait de rembourser les 3 000 $ d'acompte initial, plus 3 051,12 $, soit les déboursés à date de 78 943 $, moins 75 891,88 $, valeur à laquelle elle estimait alors les travaux réalisés. Il faut aussi retenir que la requérante ne conteste pas ici cette méthode, ni les évaluations et chiffres auxquels l'arbitre a conclu.

7. La Garantie soutient qu'en vertu des textes cités plus haut, les parties se trouvent dans la situation où l'entrepreneur a manqué à ses obligations avant la réception du bâtiment. Dans ce cas, elle a le choix : ou parachever les travaux, ou rembourser les acomptes versés. L'article 6.6.1.1. limite ce dernier remboursement pour les acomptes à 30 000 $. L'arbitre n'aurait pas compétence pour l'excéder.

8. L'arbitre pose correctement la question aux pages 23, 25 et 26 de la décision. Il observe que l'article 116 du Règlement prévoit « qu'un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient ».

9. À notre avis, et avec respect pour l'opinion contraire, l'arbitre observe avec justesse qu'il n'est nullement question des travaux de réparation des malfaçons et vices de construction lorsqu'un litige survient avant la réception des travaux. Il observe aussi que ce contrat de garantie « est à la fois un cautionnement d'exécution et un cautionnement contre les malfaçons garantissant la qualité des travaux exécutés », (p. 9); et que « le Règlement s'inscrit dans la lignée des lois visant la protection du consommateur », (p. 12). Ainsi, il se dit d'avis que les textes du Règlement et du contrat « escamotent un pan complet de la réalité contractuelle » en ne traitant pas de la réparation des malfaçons.

10. Il faut noter que l'article 6.6.1.3 traitant des limites de la garantie se lit ainsi :

« 6.6.1.3 Pour le parachèvement et la réparation des vices et malfaçons, le montant inscrit au contrat de vente ou d'entreprise (contrats préliminaires) sans jamais toutefois excéder 200 000 $ ».

11.
Ce texte n'indique pas, en l'occurrence, qui se charge alors de la réparation des malfaçons. On peut néanmoins en induire qu'au cas de refus du garant de les prendre en charge, le paiement peut lui être imposé, dans les limites prévues.

12. C'est à ce titre seulement de correction des malfaçons qu'il accorde les 41 513,31 $. Bien que la méthode proposée par La Garantie comprenne toutes les sommes versées par le client, on ne peut dire que la condamnation équivaut au remboursement d'acomptes, ce que l'arbitre ne mentionne d'ailleurs pas.

13. Il n'est donc pas exact de soutenir que la somme accordée ne peut l'être qu'à titre d'acompte. Si on retenait, au surplus, l'interprétation stricte et restrictive de l'article 6.4.1, il faudrait conclure que le garant n'a qu'à rembourser 3 000 $, les autres sommes, (78 941 $), n'ayant été versées qu'à titre « de déboursés progressifs », tel que mentionné au contrat et reconnu par les parties. Il en résulterait une injustice considérable, et un enrichissement pour l'entrepreneur. Ce n'est pas l'objet recherché par le législateur.

14. L'article 79.1 de la Loi sur le bâtiment prévoit que l'entrepreneur, qui doit adhérer à un plan de garantie, est tenu de réparer tous les défauts couverts par ce plan. Et :

« Faute par l'entrepreneur de réparer ces défauts et, le cas échéant, de compléter ces travaux ou d'acquitter ces indemnités, l'administrateur du plan procède aux réparations et, le cas échéant, complète les travaux ou verse les indemnités ».

15.
Il va de soi, à notre avis, que l'entrepreneur est responsable des malfaçons et vices de construction, même si le contrat ou le Règlement ne le mentionne pas explicitement.

16. L'arbitre a donc raison d'invoquer l'économie générale du texte réglementaire ou du contrat.

17. L'article 9 du Règlement prévoit que la garantie doit couvrir : soit les acomptes versés, à la condition qu'il n'y ait pas enrichissement injustifié du bénéficiaire; ou soit le parachèvement des travaux par l'entremise du garant s'il y a entente entre les parties. Ces textes ne confèrent pas de discrétion ou de libre choix au garant. Ils sont conçus en fonction de situations concrètes et dans la mesure où on peut les appliquer.

18. Ainsi, il serait illogique de forcer le garant à rembourser un acompte de 30 000 $ alors que la valeur des travaux réalisés serait d'une plus forte somme. L'autre cas prévu est celui où il y a accord des parties pour le parachèvement des travaux par le garant.

19. Mais ces textes n'obligent pas le bénéficiaire à accepter la décision unilatérale du garant; ils n'autorisent pas, non plus, le garant à imposer son choix sans tenir compte de la situation concrète prévue à ces articles.

20. À notre avis l'arbitre intimé a raison de faire appel aux règles de l'équité. Il pouvait aussi s'appuyer sur les règles du contrat d'entreprise prévues au Code civil, (articles 2098 à 2130), comme le contrat le prévoit à l'article 4.4., qui renvoie aussi aux obligations légales et contractuelles de l'entrepreneur. L'article 74 du Règlement dispose aussi que l'administrateur du plan « doit assumer tous et chacun des engagements de l'entrepreneur dans le cadre du plan approuvé ».

21. Or, le cadre du plan approuvé, comme le contrat, n'exclut aucunement la réparation des malfaçons ou le paiement de leur coût. L'économie de la loi, du règlement et du contrat le prévoient.

22. Par analogie, on peut retenir qu'en matière de contrat d'assurance, l'interprétation est favorable à l'assuré au cas d'ambiguïté.

23. Le tribunal a apporté les précisions qui précèdent parce que la requérante a souligné l'absence de jugement sur ce sujet à date. Le débat aurait pu être limité aux critères gouvernant la révision judiciaire.

24. La loi, le règlement et le contrat prévoient l'arbitrage des différends. La décision de l'arbitre est finale et sans appel. Le Règlement le stipule deux fois; (voir articles 36 et 120). La loi, (article 83.1), et le Règlement, (article 112), exigent que l'arbitre soit une personne ayant une formation et de l'expérience en la matière. En l'occurrence, l'intimé est avocat et ingénieur, et fait partie de la liste des arbitres spécialisés pour le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, auprès d'un organisme d'arbitrage reconnu.

25. Selon les principes reconnus, le tribunal n'intervient, en présence de telles règles, qu'au cas de défaut ou excès de compétence, ou au cas où la décision est déraisonnable et sans fondement. Le tribunal estime ici que la décision sur cet élément est non seulement raisonnable, mais aussi bien fondée.

FRAIS DE RELOGEMENT, ENTREPOSAGE ET DÉMÉNAGEMENT

26.
Les articles 6.4.1.3.1 et 6.4.1.3.2 stipulent que ces frais sont couverts au cas de manquement de l'entrepreneur avant la réception du bâtiment « lorsque le bénéficiaire ne peut prendre réception du bâtiment à la date convenue, à moins que les acomptes ne soient remboursés »; ou afin de permettre à l'administrateur de le parachever.

27. La requérante soumet que l'arbitre a décrété le remboursement des acomptes et, en conséquence, qu'il statuait ainsi au-delà de sa compétence.

28. Avec respect, le tribunal rappelle que l'arbitre a accordé 41 513,31 $ « pour l'exécution des travaux de réparation des malfaçons et des vices de construction », et non sous le chapitre de remboursement des acomptes, tel que vu plus haut. C'est donc le cas prévu au premier article qu'il applique, avec motifs à l'appui, et de façon raisonnable.

29. La requête reproche aussi à l'arbitre d'avoir excédé sa compétence en décidant qu'il « estime devoir parfaire la réclamation de la demanderesse » en accordant des frais d'entreposage et de loyer pour le mois de janvier 2002, soit 100 $ et 350 $.

30. Quant aux faits, il y a lieu d'observer qu'au moment des audiences, les travaux n'étaient toujours pas complétés. La requérante demande la réouverture de l'enquête durant le délibéré, demande dont elle se désiste le 25 janvier. La sentence est rendue le 31 janvier suivant. Le motif d'équité est donc valablement invoqué par l'arbitre.

31. Les articles pertinents, (6.6.1.2.1 et 6.6.1.2.2), parlent « du remboursement du coût réel raisonnable pour ces frais ». L'arbitre, selon la preuve, pouvait s'en autoriser pour les accorder, sans excéder ou perdre compétence.

32. La requérante n'invoque d'ailleurs pas que la bénéficiaire pouvait prendre réception d'un bâtiment complété à cette date.

LES INTÉRÊTS

33.
On reproche enfin à l'arbitre d'avoir excédé sa compétence en accordant des intérêts et l'indemnité additionnelle sur les sommes octroyées, sans demande à cette fin de la mise en cause.

34. À ce sujet, l'arbitre intimé s'exprime ainsi, (aux pages 26 et 27 de sa décision) :

« Par ailleurs, le tribunal d'arbitrage croit devoir de nouveau faire appel aux règles de l'équité pour traiter de la question des intérêts. La demanderesse n'a pas demandé que des intérêts lui soient payés sur le montant qui précède; et pour cause. Dans un premier temps, elle demande la réparation des malfaçons et non un remboursement des acomptes. Dans un deuxième temps, elle était en droit de s'attendre à ce que ce litige connaisse un dénouement beaucoup plus rapide. En ceci, point de reproche à qui que ce soit; seulement une constatation.

Si le Règlement et le contrat couvrent le remboursement des acomptes < à la condition qu'il n'y ait pas d'enrichissement injustifié > du bénéficiaire, il ne faudrait pas non plus que le remboursement des acomptes occasionne un appauvrissement injustifié du bénéficiaire ou encore un enrichissement de l'administrateur. En conséquence, le tribunal d'arbitrage accorde un intérêt égal au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec. Et comme l'inspecteur-conciliateur a déposé son dernier rapport supplémentaire le 19 novembre 2001, le tribunal d'arbitrage estime que c'est à compter de cette date que les intérêts doivent être calculés ».

35.
Tel que vu plus haut, le Règlement prévoit à son article 116 :

« Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel aux règles de l'équité lorsque les circonstances le justifient ».

36.
L'arbitre a pris ici appui sur ces dispositions pour motiver son intervention. Il explique ensuite les circonstances et les raisons pour lesquelles il accorde les intérêts et l'indemnité additionnelle.

37. Que l'on soit d'accord ou non avec sa décision de recourir aux règles de l'équité, il n'en demeure pas moins qu'il possédait le pouvoir, prévu explicitement, pour le faire.

38. Les motifs qu'il invoque par la suite s'appuient sur les circonstances établies, ainsi que sur des règles de droit, le Règlement et le contrat. Sa décision est donc motivée et n'est pas déraisonnable.

39. La décision de l'arbitre est finale et sans appel. Une telle disposition, à toute fin pratique, constitue l'équivalent d'une clause privative. En présence de telles clauses, qui indiquent la volonté du législateur de confier à des tribunaux spécialisés la fonction de trancher certains litiges, les tribunaux de droit commun doivent faire preuve de retenue à l'égard de leurs décisions. Ils n'interviendront que si la décision est déraisonnable, ou si son auteur n'avait aucune compétence pour la rendre.

40. Dans le présent cas, le tribunal estime donc que les textes confèrent à l'arbitre la compétence requise pour décider de cette question. Il n'a pas commis d'erreur sur ce sujet, et non plus que quant à ses motifs pour accorder les intérêts. Que l'on partage ses vues ou non, il a décidé selon la loi, comme il avait le pouvoir de le faire.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la requête;

AVEC DÉPENS.
 
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DENIS DUROCHER, J.C.S.
 
Me Normand Leblanc
LEBLANC LALONDE ET ASSOCIÉS
Procureurs de la requérante
 
Me Julie Therrien
BERNARD BRASSARD
Procureurs de la mise en cause
 
Date d'audience : Le 3 mai 2002