COUR D’APPEL

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-013349-030

(450-05-004987-026)

 

DATE :

 15 DÉCEMBRE 2004

 

 

CORAM:

LES HONORABLES

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.

BENOÎT MORIN J.C.A.

PIERRETTE RAYLE J.C.A.

 

 

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC.

APPELANTE - intimée

c.

 

MARYSE DESINDES

YVAN LAROCHELLE

INTIMÉS - requérants

et

RENÉ BLANCHET, ès qualités d’arbitre au Centre d’arbitrage Commercial national et international du Québec

MIS EN CAUSE - mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; -Statuant sur l’appel d’un jugement en date du 11 mars 2003 par lequel la Cour supérieure, district de St-François (l’honorable Pierre C. Fournier) a accueilli avec dépens la requête en révision judiciaire des intimés, cassé la décision en date du 16 mai 2002 d’un arbitre désigné en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (c. B.-1.1, R.0.2) et condamné l’appelante à payer aux intimés 57 787,58 $ avec intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 20 mars 2002;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs de la juge Pierrette Rayle, auxquels souscrivent les juges Thérèse Rousseau-Houle et Benoît Morin;

[4]                ACCUEILLE l’appel sans frais vu la nature des questions soulevées et le dépôt tardif des autorités de l’appelante;

[5]                INFIRME le jugement de la Cour supérieure;

[6]                REJETTE avec dépens la requête en révision judiciaire des intimés.

 

 

 

 

THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN J.C.A.

 

 

 

 

 

PIERRETTE RAYLE J.C.A.

 

Me François Caron

Savoie, Fournier

Pour l’appelante

 

Me Julie Morel

Heenan, Blaikie

Pour les intimés

 

Date d’audience :

12 octobre 2004


 

 

MOTIFS DE LA JUGE RAYLE

 

 

 

 

[7]                Le 16 mai 2002, un arbitre désigné en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (c. B.-1.1, R.0.2, ci-après le Règlement) a condamné l’appelante à payer aux intimés une partie seulement, 30 000 $[1], des acomptes versés par eux à l’entrepreneur accrédité (Pan Iso Système) qui a abandonné, en cours de route, le contrat de construction de leur résidence familiale.

[8]                Insatisfaits, les intimés ont contesté la décision arbitrale dans le cadre d’un recours en révision judiciaire. Le 11 mars 2003, un juge de la Cour supérieure du district de St-François leur a donné raison et a condamné l’appelante à payer plutôt une indemnité correspondant aux coûts de parachèvement des travaux[2].

[9]                L’appelante se pourvoit et demande que soit rétablie la décision arbitrale du 16 mai 2002.

[10]           La Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B.-1.1 ci-après la Loi) oblige les entrepreneurs généraux à détenir une licence, ce qu’ils ne peuvent obtenir à moins de remplir certaines conditions. L’une d’elles est l’adhésion à un plan de garantie de leurs obligations légales et contractuelles pour la vente ou la construction d’un bâtiment résidentiel neuf[3].

[11]           Le Règlement est d’ordre public[4]. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie[5]. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.

[12]           L’appelante est autorisée par la Régie du bâtiment du Québec (la Régie) à agir comme administrateur d’un plan de garantie approuvé[6]. Elle s’oblige, dès lors, à cautionner les obligations légales et contractuelles des entrepreneurs généraux qui adhèrent à son plan de garantie.

[13]           Toutefois, cette obligation de caution n’est ni illimitée ni inconditionnelle[7]. Elle variera selon les circonstances factuelles, notamment selon que le défaut de l’entrepreneur général survient avant ou après la « réception du bâtiment », soit : « l’acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l’usage auquel on le destine… »[8].

[14]           Je reproduis ci-après les dispositions pertinentes, soit celles qui régissent le contenu et les limites de la garantie lorsque le contrat en est un d’entreprise et que le défaut de l’entrepreneur survient avant la réception d’une maison unifamiliale non détenue en copropriété :

 

CONTENU DE LA GARANTIE

7. Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.

[…]

9. La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles avant la réception du bâtiment doit couvrir :

[…]

2o dans le cas d’un contrat d’entreprise :

a)   soit les acomptes versés par le bénéficiaire à la condition qu’il n’y ait pas d’enrichissement injustifié de ce dernier;

b)   soit le parachèvement des travaux lorsqu’une entente à cet effet intervient avec l’administrateur.

[…]

III.  Limites de la garantie

13. La garantie d’un plan relative à une maison unifamiliale isolée, jumelée ou en rangée est limitée par adresse aux montants suivants :

10 pour les acomptes, 30 000 $;

[…]

30 pour le parachèvement et la réparation des vices et malfaçons, le montant inscrit au contrat d’entreprise ou au contrat de vente sans jamais toutefois excéder 200 000 $;

(Je souligne).

[15]           La réclamation d’un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative. Les dispositions pertinentes du Règlement quant à la réclamation se trouvent aux articles 18, 19 et 20. Ils prévoient :

18. La procédure suivante s’applique à toute réclamation faite en vertu du plan de garantie :

1o dans le délai de garantie d’un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l’entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l’administrateur en vue d’interrompre la prescription;

20 au moins 15 jours après l’expédition de la dénonciation, le bénéficiaire avise par écrit l’administrateur s’il est insatisfait de l’intervention de l’entrepreneur ou si celui-ci n’est pas intervenu; il doit verser à l’administrateur des frais de 100 $ pour l’ouverture du dossier et ces frais ne lui sont remboursés que si la décision rendue lui est favorable, en tout ou en partie, ou que si une entente intervient entre les parties impliquées;

30 dans les 15 jours de la réception de l’avis prévu au paragraphe 20, l’administrateur demande à l’entrepreneur d’intervenir dans le dossier et de l’informer, dans les 15 jours qui suivent, des mesures qu’il entend prendre pour remédier à la situation dénoncée par le bénéficiaire;

40 dans les 15 jours qui suivent l’expiration du délai accordé à l’entrepreneur en vertu du paragraphe 30, l’administrateur doit procéder sur place à une inspection;

50 dans les 20 jours qui suivent l’inspection, l’administrateur doit produire un rapport écrit et détaillé constatant le règlement du dossier ou l’absence de règlement et il en transmet copie, par poste recommandée aux parties impliquées;

60 en l’absence de règlement, l’administrateur statue sur la demande de réclamation et, le cas échéant, il ordonne à l’entrepreneur de rembourser le bénéficiaire pour les réparations conservatoires nécessaires et urgentes, de parachever ou de corriger les travaux dans le délai qu’il indique et qui est convenu avec le bénéficiaire;

70 à défaut par l’entrepreneur de rembourser le bénéficiaire, de parachever ou de corriger les travaux et en l’absence de recours à la médiation ou de contestation en arbitrage de la décision de l’administrateur par l’une des parties, l’administrateur fait le remboursement ou prend en charge le parachèvement ou les corrections dans le délai convenu avec le bénéficiaire et procède notamment, le cas échéant, à la préparation d’un devis correctif, à un appel d’offres, au choix des entrepreneurs et à la surveillance des travaux.

V.  Recours

19. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 15 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur à moins que le bénéficiaire et l’entrepreneur ne s’entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d’en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l’arbitrage est de 15 jours à compter de la réception par poste recommandée de l’avis du médiateur constatant l’échec total ou partiel de la médiation.

20. Le bénéficiaire, l’entrepreneur et l’administrateur sont liés par la décision arbitrale dès qu’elle est rendue par l’arbitre.

La décision arbitrale est finale et sans appel.

(Je souligne).

[16]           Quant aux obligations de l’administrateur à l’égard des bénéficiaires, elles sont décrites dans un contrat de garantie qui prévoit entre autres :

2. DANS LE CAS DE MANQUEMENT DE L'ENTREPRENEUR À SES OBLIGATIONS LÉGALES OU CONTRACTUELLES

AVANT LA RÉCEPTION DU BÂTIMENT ET SOUS RÉSERVE DE LA CLAUSE 5 QUANT AUX LIMITES DE LA GARANTIE, LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L'APCHQ INC. GARANTIT CE QUI SUIT:

2.1       Dans le cas d'un contrat de vente

a)…

b)…

2.2       Dans le cas d'un contrat d'entreprise

a)         soit les acomptes versés par le bénéficiaire à la condition qu'il n'y ait pas d'enrichissement injustifié de ce dernier;

b)         soit le parachèvement des travaux lorsqu'une entente à cet effet intervient avec La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc.

[…]

5.         LIMITES DE LA GARANTIE

5.1       Remboursement d'acompte

La garantie offerte au bénéficiaire relativement au remboursement d'acompte est limitée au montant de:

a)         30 000$ par adresse pour une maison unifamiliale isolée, jumelée ou en rangée;

[…]

5.4       Parachèvement et réparation des vices et malfaçons à l'égard d'une maison unifamiliale, isolée, jumelée ou en rangée.

La garantie offerte quant au parachèvement et réparation des vices et malfaçons relativement à une maison unifamiliale, isolée, jumelée ou en rangée est limitéepar adresseaux montants inscrits au contrat d'entrepriseou au contrat de vente sans jamais toutefois excéder 200 000$.[9]

[17]           On constate rapidement que le contrat ne fait que reprendre, presque textuellement, le contenu impératif du Règlement. J’y reviendrai.

[18]           En l’espèce, le contrat d’entreprise a été signé le 2 septembre 2001 et l’entrepreneur a abandonné les travaux au mois de décembre, avant qu’ils ne soient complétés. L’avocat de l’appelante ne met pas en doute la bonne foi des intimés ni celle de l’entrepreneur. Toutefois, leur relation est marquée d’incongruités que je me dois de souligner :

-         le prix du contrat était à l’origine de 121 207,31 $. Il a été ramené à 104 072 $ une fois exclus les travaux de briquetage. Malgré cela, les intimés ont versé des acomptes totalisant 110 124,24 $;

-         il est admis que le coût des travaux exécutés avant que le chantier ne soit abandonné s’élevait, taxes incluses, à 133 391,84 $;

-         par ailleurs, le coût de parachèvement des travaux était de 87 787,58 $;

-         le contrat de garantie n’a été signé par les intimés et l’entrepreneur que plus de trois mois après le contrat de construction et à une époque ¾ le 14 décembre 2001 ¾ où il était devenu évident que l’entrepreneur ne pourrait pas remplir ses obligations. Les avocats admettent toutefois que ce décalage dans le temps entre l’exécution du contrat de construction et celle du contrat de garantie est sans conséquence sur les droits des parties, la protection conférée étant impérative.

[19]           Face à cette situation, l’appelante a invoqué la limite de couverture contenue au sous-paragraphe 9 20 a) du Règlement et elle a plaidé devant l’arbitre qu’elle ne devait rien aux intimés vu qu’il résultait des travaux déjà complétés un enrichissement injustifié, leur valeur excédant celle du contrat.

[20]           L’arbitre constate l’enrichissement mais non son absence de justification : celui-ci est justifié par le contrat, dit-il, et les intimés ont droit au remboursement des acomptes versés, limités toutefois à 30 000 $ en vertu de l’article 13.1 du Règlement.

[21]           Même si la réclamation des intimés ne portait que sur le parachèvement des travaux, l’arbitre conclut que le choix entre les deux modes de couverture décrits au paragraphe 9 (20) du Règlement ¾  remboursement d’acomptes ou parachèvement des travaux ¾ appartenait à l’appelante.

[22]           Pour trancher le pourvoi, je dois en premier lieu examiner si le premier juge a erré d’une façon dominante qui justifie notre Cour d’intervenir. Si tel est le cas, il me faut alors, dans un second temps, reprendre à sa place l’exercice de révision judiciaire de la décision de l’arbitre.

[23]           Sans qu’il soit nécessaire de reprendre chacun des moyens soulevés par l’appelante, je suis d’avis, avec égards pour l’opinion du premier juge, d’accueillir le pourvoi et de rétablir la décision de l’arbitre.

[24]           Selon moi, le juge de la Cour supérieure s’est mal dirigé quant à la qualification du différend et quant à l’étendue de la couverture et ces erreurs sur des aspects essentiels du litige commandent notre invention.

 

La qualification du différend

 

[25]           L’appelante ne conteste pas que, depuis la naissance du conflit, les intimés ont toujours réclamé le parachèvement des travaux. C’est d’ailleurs l’hypothèse que l’appelante a explorée, tout d’abord en acheminant le 18 février 2002 une mise en demeure de s’exécuter à Pan Iso Système, et par la suite, en faisant en sorte que son inspecteur mandaté sur le chantier dresse un rapport le 26 février suivant. Ce rapport fait état de l’absence d’un règlement avec l’entrepreneur et traite de l’étendue de la réclamation des bénéficiaires.

[26]           Chaque cas en est un d’espèce. C’est donc par une visite du chantier et à la suite d’un examen de la situation en fonction du contrat d’entreprise et du contrat de garantie, que l’inspecteur peut informer l’appelante du fondement de la réclamation et sa mesure véritable. Une fois identifiés les travaux non complétés qui font en principe l’objet de la garantie, l’appelante est en mesure de faire quantifier son obligation en demandant à des entrepreneurs qualifiés une évaluation du coût des travaux à faire et du coût des travaux déjà effectués.

[27]           Le juge de première instance a conclu que la lettre du 18 février et le rapport du 26 février 2002 constituaient, de la part de l’appelante, un engagement « d’intervenir directement dans le cadre du contrat de garantie et d’exécuter tous les travaux de parachèvement ». Le juge poursuit et conclut comme suit :

[50]            […] Cet engagement est un fait et l'ignorance totale de ce fait par l'arbitre est carrément «manifestement déraisonnable».

[28]           Il m’apparaît, au contraire, qu’en procédant ainsi, l’appelante n’a fait que se conformer à la procédure mandatoire décrite à l’article 18 du Règlement. Les étapes successives qu’il comporte visent à assurer le traitement adéquat de la réclamation d’un bénéficiaire en regard de la position de son entrepreneur et à favoriser un règlement entre les parties. La dernière étape est celle par laquelle l’administrateur fait connaître la position qui lui est propre. Je rappelle le contenu du paragraphe 18. 70 :

70 à défaut par l’entrepreneur de rembourser le bénéficiaire, de parachever ou de corriger les travaux et en l’absence de recours à la médiation ou de contestation en arbitrage de la décision de l’administrateur par l’une des parties, l’administrateur fait le remboursement ou prend en charge le parachèvement ou les corrections dans le délai convenu avec le bénéficiaire et procède notamment, le cas échéant, à la préparation d’un devis correctif, à un appel d’offres, au choix des entrepreneurs et à la surveillance des travaux.

[29]           Avant cette décision, qui en l’espèce a pris la forme d’une lettre adressée aux intimés le 20 mars 2002, l’appelante ne peut pas être liée par ce qui constitue une étape d’un processus obligatoire d’investigation d’une situation donnée. Je ne peux donc pas voir dans la lettre du 18 février adressée à l’entrepreneur en défaut non plus que dans le rapport de l’inspecteur préparé pour répondre aux exigences du Règlement un engagement par l’appelante à exécuter tous les travaux de parachèvement. J’ajouterai que l’eût-elle voulu, l’appelante n’aurait pas pu, dans un excès de complaisance, s’obliger en faveur d’un bénéficiaire à plus que ce que le Règlement d’ordre public ne permet.

[30]           Cela étant, je reviens à la question posée au départ : quelle était donc la nature véritable du différend? Il n’y a pas de doute que la réclamation des intimés visait le parachèvement des travaux.

[31]           Le premier juge a ainsi qualifié le différend, et conclu qu’il était déraisonnable pour l’arbitre de refuser l’exécution en nature de l’obligation de l’appelante et d’ordonner plutôt le remboursement maximum des acomptes versés. Le premier juge écrit :

[45]            Et comme suite logique de tout ceci, les requérants soumettent (voir par. 23 supra) à l'arbitrage le différend qui est (selon la situation concrète qui les oppose alors à l'intimée) «le refus de parachèvement des travaux» et le refus «d'indemniser pour retards de livraison».

[46]            En conséquence, le différend dont était saisi l'arbitre n'avait rien à voir, ni de près ni de loin, avec une demande des requérants ayant trait à la garantie des acomptes versés;  une telle demande des requérants n'a jamais été faite à qui que ce soit.

[47]            Le différend soumis à l'arbitre par les requérants portait donc uniquement sur la décision de l'administrateur (l'intimée) de refuser de parachever et de refuser d'indemniser pour retards de livraison et ces refus étaient les seuls fondements de la «réclamation» (la demande) des requérants [voir article 106 du Règlement, paragraphe 7 supra].

[48]            C'est ce différend qui portait sur cette décision de l'intimée (l'administrateur) qui relevait de la compétence exclusive de l'arbitre désigné en vertu de la section III (articles 106 à 131) du chapitre IV du Règlement et aucun autre différend.  L'arbitre n'était pas saisi d'un différend portant sur des «acomptes versés par le bénéficiaire».[10]

[32]           En tout respect, je ne peux me rallier à cette conclusion. Les intimés ne pouvaient, par le seul contenu de leur plainte, dicter le mode de règlement de la garantie. On ne doit pas confondre la réclamation des intimés avec le différend qui découle de la suite des évènements, le cas échéant. S’il fallait adopter la conclusion du premier juge, il s’ensuivrait que l’arbitre ne pourrait que rejeter la réclamation qui se limiterait à une demande de parachèvement des travaux lorsque cette demande est mal fondée, sans pouvoir octroyer un remboursement d’acomptes, lorsque cela est possible, malgré la dualité de la garantie, dualité qui se situe dans le cadre d’une protection d’ordre public. Autrement dit, les bénéficiaires, en optant pour une demande d’exécution en nature, renonceraient à l’avance à l’autre forme de protection offerte. Cette conséquence est non seulement contraire à l’objectif rémédiateur de la Loi, elle viole les dispositions expresses des articles 139 et 140 du Règlement :

139. Toute clause d’un contrat de garantie qui est inconciliable avec le présent règlement est nulle.

140. Un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confère le présent règlement.

[33]            Je conclus de ce qui précède que le différend n’est pas fonction de la seule réclamation des bénéficiaires; qu’il est le produit de l’insatisfaction du bénéficiaire ou de l’entrepreneur face à la décision prise par l’administrateur à la suite de son investigation du conflit entre le bénéficiaire et son entrepreneur[11], et que ce différend, s’il n’est pas résolu par entente (avec ou sans l’intervention d’un médiateur), le sera par la décision d’un arbitre qui est finale et sans appel et qui lie le bénéficiaire, son ancien entrepreneur et l’administrateur du plan de garantie[12]; enfin, que la décision arbitrale prendra en compte toutes les modalités et respectera toutes les limites et exclusions que prévoit le Règlement.

[34]           En résumé, rien, hormis le contexte factuel et les contraintes réglementaires, n’interdisait à l’arbitre d’ordonner le remboursement d’acomptes malgré la demande de parachèvement des travaux des intimés.

 

L’étendue de la garantie

 

[35]           L’arbitre a ordonné le remboursement d’acomptes limités à 30 000 $ selon ce qu’autorisent le sous-paragraphe 9 20 a) et le paragraphe 13 1o du Règlement. Le juge de première instance a plutôt ordonné à l’appelante de défrayer le coût de parachèvement de tous les travaux, sans limite aucune, ayant vu dans la correspondance et le rapport de février 2002 un engagement de ce faire.

[36]           J’ai déjà indiqué pourquoi je ne pouvais voir dans ces pièces un engagement liant l’appelant qui, à cette époque, ne faisait que suivre une démarche procédurale impérative.

[37]           Mon désaccord se situe également au niveau de l’importance que le juge accorde au contrat de garantie, ce document signé le 14 décembre 2001, à la veille de l’abandon des travaux par l’entrepreneur. Le juge y voit (paragraphe 31, note 26 et paragraphe 37) un contrat d’adhésion qui l’autorise, par application de la règle contenue à l’article 1432 C.c.Q., à laisser de côté les limites de couverture au motif qu’il peut interpréter le contrat « dans tous les cas en faveur de l’adhérent »[13].

[38]           Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que l’article 1432 C.c.Q. ne s’applique pas en l’espèce. Les droits des parties et les difficultés d’interprétation susceptibles de se poser, le cas échéant, ne découlent pas du contrat mais du Règlement lui-même, ce qui exclut le recours à une règle d’interprétation qui ne s’applique qu’à certains types de contrats. D’ailleurs, comme je l’ai indiqué antérieurement, il est admis que les intimés auraient bénéficié d’une protection identique même si un contrat de garantie n’avait pas été signé le 14 décembre 2001[14].

[39]           Au mieux, nous sommes en présence d’un contrat réglementé, c’est-à-dire d’un contrat dont le contenu est imposé par le législateur et non par l’appelante, elle aussi obligée de se plier aux volontés du législateur et de faire approuver son plan par la Régie[15]. Cet élément de subordination est ce qui distingue la situation de l’appelante, en tant qu’administrateur d’un plan de garantie réglementé, de celle de la société publique dans l’arrêt Hydro-Québec c. Surma[16] où notre Cour qualifiait de contrat d’adhésion le contrat de fourniture d’électricité. Hydro-Québec était un agent de la couronne qui détenait le pouvoir de réglementer les tarifs et les conditions essentielles apparaissant à son contrat de fourniture d’électricité.

[40]           Pour ces raisons, je suis donc d’avis que le jugement de la Cour supérieure est entaché d’erreurs dominantes qui justifient l’intervention de notre Cour.

[41]           Y a-t-il lieu toutefois de casser la décision de l’arbitre qui a refusé d’ordonner à l’appelante de parachever les travaux mais qui l’a condamnée à rembourser un acompte limité à 30 000 $? C’est la question à laquelle il faut maintenant répondre.

 

La révision de la décision de l’arbitre

 

[42]           L’arbitre désigné est autorisé par la Régie à trancher les différends découlant des plans de garantie (article 83.1 de la Loi).

[43]           La Loi et le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète. L’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel (articles 19, 20, 106 et 120 du Règlement). Enfin, il doit statuer « conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient » (article 116 du Règlement).

[44]           Les procureurs admettent que l’arbitre était saisi d’une question mixte de fait et de droit. En ce qui concerne l’appréciation des faits, il n’est pas vraiment contesté que seule une décision manifestement déraisonnable autoriserait une révision judiciaire. Je ne suis pas encline à m’éloigner de cette norme au seul motif que la question à trancher comportait l’obligation pour l’arbitre d’interpréter les dispositions du Règlement quant aux limitations de la garantie offerte. Cette fonction se situe à l’intérieur du champ de sa compétence. D’ailleurs, il appert des mémoires des parties que celles-ci sont prêtes, à tout le moins de manière subsidiaire, à défendre leur position respective en fonction de la norme de retenue la plus sévère. C’est celle que je privilégie en l’occurrence.

[45]           L’arbitre a refusé d’ordonner le parachèvement des travaux au motif que l’exécution en nature ne constituait qu’un mode de paiement de la garantie. Sans le dire expressément, l’arbitre reconnaît à l’appelante le droit que confère l’article 1545 C.c.Q. à la partie débitrice d’une obligation alternative de choisir entre deux prestations principales[17]. Sa décision sur ce premier volet n’est pas irrationnelle. Le Règlement ainsi que le contrat prévoient tous deux que l’exécution en nature n’est possible que s’il existe une entente entre le bénéficiaire et l’administrateur du plan de garantie. Or, malgré la bonne foi présumée des parties, une telle entente n’est jamais intervenue.

[46]           Par ailleurs, l’arbitre a justifié sa décision de condamner l’appelante à rembourser aux intimés un acompte de 30 000 $ en concluant qu’il n’y avait pas enrichissement injustifié, le contrat d’entreprise constituant lui-même la justification de la supériorité de la valeur des travaux à celle du contrat. Il existe en toute probabilité une autre interprétation que celle proposée par l’arbitre mais la sienne n’est pas attaquée par l’appelante devant nous.

[47]           On sait qu’il n’appartient pas à un tribunal siégeant en révision de contrôler l’opportunité d’une décision[18]. Sans endosser tous les énoncés de l’arbitre, je suis d’avis que sa décision n’est pas manifestement déraisonnable et qu’il y a lieu de la respecter.

 

 

 

 

* * *

[48]           Pour ces motifs je propose d’accueillir l’appel sans frais vu la nature des questions soulevées et le dépôt tardif des autorités de l’appelante, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure et de rejeter la requête en révision judiciaire avec dépens.

 

 

 

PIERRETTE RAYLE J.C.A.

 



[1]    La condamnation incluait également le paiement non contesté de certains frais s’élevant à 1 100 $.

[2]    La condamnation est de 57 787,58 $, en plus des 30 000 $ déjà versés.

[3]    Articles 77 à 83 de la Loi et article 6 du Règlement.

[4]    Articles 3, 4, 5, 105, 139 et 140 du Règlement.

[5]    Articles 43 à 74 du Règlement.

[6]    Chapitre V de la Loi et articles 41 et suivants du Règlement.

[7]    Article 7 du Règlement.

[8]    Article 8 du Règlement.

[9]    Mémoire de l’appelant p. 91 et 92.

[10]   Mémoire de l’appelant, p. 59 et 60.

[11]   Paragraphe 18, 70 du Règlement.

[12]   Articles 19, 20 et 21 du Règlement.

[13]   Article 1379 C.c.Q. : Le contrat est d’adhésion lorsque les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu’elles ne pouvaient être librement discutées.

      Article 1432 C.c.Q. : Dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée. Dans tous les cas, il s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur.

[14]   Pour être « bénéficiaire » de la garantie, au sens du Règlement (article 1) il n’était pas nécessaire qu’un contrat de garantie soit exécuté : le contrat de vente ou de construction suffit.

[15]   Articles 4, 5, 7, 18, 132 60 et 139 du Règlement.

[16]   R.E.J.B. 2001 - 24063 (C.A.).

[17]   Art. 1545. L'obligation est alternative lorsqu'elle a pour objet deux prestations principales et que l'exécution d'une seule libère le débiteur pour le tout.

L'obligation n'est pas considérée comme alternative si au moment où elle est née, l'une des prestations ne pouvait être l'objet de l'obligation.

[18]   Caimaw c. Paccar of Canada Ltd, (1989) 2 R.C.S. 983 , p. 14, Lapointe c. Domtar inc. et al, (1993) 2 R.C.S. 756 , p. 11 et 12.