ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
________________________________________________________________________
ENTRE : | LUC TREMBLAY et MONIQUE MARTIN
Bénéficiaires
|
C. :
ET : | LES ENTREPRISES URBAN BLÜ INC.
Entrepreneur
LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)
Administrateur |
Dossier SORECONI : 211904001
SENTENCE ARBITRALE
Arbitre : Me Sophie Truesdell-Ménard
Pour les Bénéficiaires : M. Luc Tremblay et Mme Monique Martin
[...]
St-Jean-sur-Richelieu (Québec) [...]
Et leur procureur: Me Benoît Chabot-Duchesne
Consensus Avocats
1600, boul. Saint-Martin Est, Tour A, bur.700 Laval (Québec) H7G 4R8
Pour l’Entrepreneur : Steven Francis et Mathieu Provost
Les Entreprises Urban Blü inc.
133, boulevard St-Luc (suite 205)
St-Jean-sur-Richelieu (Québec) J2W 2G7
Et son procureur: Me Jean-François Gilbert
Fréchette Avocats
423, rue St-Louis
Joliette (Québec) J6E 2Y7
Pour l’Administrateur : Garantie de construction résidentielle
4101, rue Molson, 3e étage
Montréal (Québec) H1Y 3L1
Anne Delage, conciliatrice
Et leur procureur : Me Pierre-Marc Boyer
4101, rue Molson, 3e étage
Montréal (Québec) H1Y 3L1
Date de l’audition : 28-29 septembre 2021
Date de la Décision : 21 février 2022
Extraits pertinents du Plumitif
19.04.2021 Réception par le greffe du CCAC de la demande d’arbitrage des Bénéficiaires
27.04.2021 Nomination de Me Sophie Truesdell-Ménard à titre d’arbitre
01.06.2021 Réception du cahier de pièces de l’Administrateur par courriel
08.06.2021 Démarches pour fixer une conférence préparatoire
17.06.2021 Tenue de la conférence téléphonique préparatoire et transmission subséquente du procès-verbal
28.07.2021 Réception des pièces des bénéficiaires
23.08.2021 Confirmation par l’entrepreneur de sa liste de témoins et que son dossier est complet
24.09.2021 Réception d’une pièce additionnelle des bénéficiaires
28.09.2021 Premier jour d’audition virtuelle par le biais de la plateforme Zoom
29.09.2021 Deuxième jour d’audition virtuelle par le biais de la plateforme Zoom
07.10.2021 Réception de l’argumentation écrite des bénéficiaires
15.10.2021 Réception de l’argumentation écrite de l’entrepreneur
26.10.2021 Réception de l’argumentation écrite de la GCR
21.02.2022 Décision
SENTENCE ARBITRALE
INTRODUCTION
[1] La résidence des bénéficiaires est une maison unifamiliale isolée et non détenue en copropriété, aussi connue et identifiée comme le [...], à Saint-Jean-sur-Richelieu (le « Bâtiment »).
[2] La dénonciation écrite des bénéficiaires est reçue par l’Administrateur le 23 novembre 2020.
[3] La réclamation des bénéficiaires est reçue par la GCR le 22 décembre 2020.
[4] Une décision est rendue par la conciliatrice Anne Delage, agissant pour l’Administrateur, le 16 avril 2021.
Mandat et juridiction
[5] Le Tribunal est saisi du dossier conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B-1.1, r.02) (le « Règlement ») adopté en vertu de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q. c. B-1.1) (la « Loi sur le Bâtiment »), par nomination de la soussignée en date du 27 avril 2021, le tout suivant une réclamation pour couverture sous le plan de garantie au Règlement visé par les présentes (le « Plan de garantie ») relativement à une demande d’arbitrage des bénéficiaires parvenue au greffe de SORECONI le 19 avril 2021.
[6] Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée par les Parties et la juridiction du Tribunal est donc confirmée.
[7] À titre d’arbitre, la soussignée doit statuer conformément aux règles de droit et faire appel à l’équité lorsque les circonstances le requièrent[1].
[8] Bien que la soussignée ait le droit de faire appel à l’équité lorsque les circonstances le commandent, l’appel à l’équité par le biais de l’article 116 du Règlement ne peut être utile pour faire échec à une disposition du Plan de garantie qui est sans ambiguïté et calqué sur un Règlement qui est d’ordre public.
Analyse
[9] Ont témoigné à l’audience :
[10] Pour fins d’analyse, le Tribunal résumera les faits mis en preuve, puis traitera des éléments portés en arbitrage comme suit :
1) Les bénéficiaires ont-ils manqué à leurs obligations contractuelles en faisant défaut de fournir une preuve de financement hypothécaire?
2) L’entrepreneur a-t-il manqué à ses obligations contractuelles?
3) Les bénéficiaires ont-ils droit au remboursement des acomptes et/ou au paiement d’un dédommagement pour les travaux de démolition et de reconstruction effectués au niveau structural?
Les faits mis en preuve
[11] Le 2 septembre 2020, les bénéficiaires et l’entrepreneur signent un contrat d’entreprise (pièce A-1) pour la construction d’un bâtiment unifamilial au montant de 462 348,97$, taxes incluses, avec livraison autour du 29 janvier 2021.
[12] Le terrain sur lequel est prévue la construction neuve appartient déjà aux bénéficiaires et comporte une maison à démolir (cette démolition ainsi qu’une décontamination du terrain font également l’objet du contrat d’entreprise), ainsi qu’un garage et une remise à conserver.
[13] Les travaux à effectuer sont basés sur les plans conçus par la technologue Marie-Ève Boutin (ci-après « Boutin »), lesquels prévoient une dalle sur sol monolithique (pièce B-5).
[14] Dès la rencontre ayant mené à la conclusion du contrat, le 2 septembre 2020, l’entrepreneur indique aux bénéficiaires qu’il ne construit pas ce type de dalle; il propose plutôt de couler une fondation à l’épreuve du gel et de couler la dalle à l’intérieur de ces fondations, ce que les bénéficiaires acceptent[2].
[15] Lors de ladite rencontre, Boutin est d’ailleurs intervenue pour faire un croquis du plan qui allait être produit ultérieurement pour représenter cette modification aux fondations[3].
[16] Cependant, pour ne pas retarder le début des travaux et conséquemment la date de livraison du projet, les parties ont convenu d’un commun accord[4] de procéder à la demande de permis à la ville sur la base des plans alors disponibles, soit ceux représentant la dalle sur sol, sachant pertinemment que ce concept structural ne serait pas celui utilisé.
[17] Le 8 septembre suivant, les bénéficiaires versent un acompte de 40 000$ (pièce B-6).
[18] Vers le 22 septembre 2020, l’entrepreneur commence les travaux, notamment la démolition et remise en état du terrain, au coût de 32 824,21$ (pièce B-11), montant que les bénéficiaires acquittent en entier le 22 octobre 2020 (pièce B-12).
[19] Les relations entre les parties se compliquent déjà dès le début des travaux.
[20] D’une part, les bénéficiaires reprochent à l’entrepreneur de leur avoir demandé un acompte non prévu au contrat, de leur avoir facturé des travaux de démolition, alors que le contrat prévoyait que seule la décontamination était payable en cours de route, et d’avoir chargé des extra qu’ils ne comprennent pas, le tout alors qu’ils croyaient que la Banque ferait les déboursés progressifs à même la marge de crédit.
[21] D’autre part, l’entrepreneur témoigne à l’effet qu’il s’inquiète de ne pas avoir reçu de preuve de financement hypothécaire des bénéficiaires, du fait que la Banque Nationale lui aurait rapporté avoir des problèmes avec les bénéficiaires et du fait que la cuisiniste lui aurait aussi rapporté avoir du mal à traiter avec les bénéficiaires.
[22] Une rencontre est donc tenue entre les parties chez le notaire Michel Lévesque le 13 novembre 2020 pour régler la question des paiements, du financement et tenter de remettre la relation sur les rails.
[23] Force est de constater que cette rencontre n’a pas donné les résultats recherchés et que les parties en sont ressorties avec un conflit consolidé : l’entrepreneur a l’impression que les bénéficiaires essaient de se défiler du paiement des travaux, alors que les bénéficiaires ont l’impression que l’entrepreneur tente de leur imposer unilatéralement des changements de prix et de conditions.
[24] Pendant cette rencontre du 13 novembre, l’entrepreneur déclare qu’il cesse les travaux et met fin au contrat.
[25] Dès le 20 novembre 2020, les bénéficiaires envoient une mise en demeure à l’entrepreneur (pièce A-4), dans laquelle ils confirment que l’entrepreneur a indiqué vouloir mettre fin au contrat lors de la rencontre du 13 novembre et qu’ils refusent cette tentative de résiliation. Ils demandent à l’entrepreneur de remplir ses obligations contractuelles et croient toujours que le projet peut se réaliser à la satisfaction des parties.
[26] En réponse, le 23 novembre 2020 (pièce B-14), l’entrepreneur reproche pour la première fois formellement aux bénéficiaires de ne pas avoir fourni de preuve de financement hypothécaire, indique que le lien de confiance est brisé et reproche aux bénéficiaires leur ingérence; il donne aux bénéficiaires 72 heures pour fournir la preuve de financement, sans quoi le contrat sera résilié.
[27] Dans la même missive, il précise que si une entente intervenait entre les parties, le contrat devrait de toute façon être remplacé par un nouveau contrat, car les dates prévues ne seront plus valides; il indique aussi qu’un nouveau contrat comporterait des clauses supplémentaires qui devront être respectées.
[28] Les bénéficiaires envoient leur dénonciation écrite à l’administrateur le même jour, soit le 23 novembre 2020.
[29] Les bénéficiaires transmettent leur preuve de financement hypothécaire à l’entrepreneur le 25 novembre 2020, soit dans le délai octroyé par l’entrepreneur.
[30] L’entrepreneur témoigne avoir demandé à Boutin, en décembre 2021, de préparer les plans modifiés quant au changement de stratégie structurale du bâtiment (fondation plutôt que dalle sur sol), ce que Boutin confirme dans son témoignage.
[31] Parallèlement, les bénéficiaires transmettent leur réclamation à l’administrateur le 22 décembre 2020.
[32] Les discussions reprennent et l’administrateur fait une tentative de conciliation des parties au début janvier 2021, obtenant de l’entrepreneur un engagement verbal de reprendre les travaux et de livrer le bâtiment pour mai 2021[5].
[33] N’ayant pas eu le temps de s’en occuper avant, Boutin témoigne à l’effet qu’elle n’a transmis les plans modifiés à l’entrepreneur qu’en février 2021.
[34] Entretemps, les bénéficiaires ont retenu les services d’un avocat et demandent à l’administrateur de suspendre le traitement de la réclamation, car ils désirent faire expertiser les fondations.
[35] En février 2021, les bénéficiaires transmettent une expertise de Stéphane Beauchamp, ingénieur de la firme Habitat-Fix inc. (pièce B-28), qui conclut que les fondations construites ne permettront pas la répartition de la charge de la structure à partir de la toiture jusqu’aux fondations, puisqu’aucun empattement ou lien structural n’a été prévu; il suggère une reprise par le biais de pieux métalliques en sous-œuvre.
[36] En mars 2021, une deuxième expertise est transmise par les bénéficiaires, cette fois de Carl Simon Valiquette, ingénieur de la firme VCMA-génie-conseil (pièce B-38), qui conclut que les assises prévues pour le transfert des charges à l’intérieur du bâtiment sont inadaptées au concept initial de murs porteurs combinés avec poutres et colonnes supportant l’étage et la toiture, que la dalle sur sol ne respecte pas les prescriptions d’armature minimale et que le treillis mis en place à 7 pouces de profondeur n’est pas acceptable pour prévenir la fissuration; il recommande la démolition de la dalle sur sol et sa reconstruction de façon adéquate.
1) Les bénéficiaires ont-ils manqué à leurs obligations contractuelles en faisant défaut de fournir une preuve de financement hypothécaire?
[37] Le contrat d’entreprise A-1 a été élaboré sur la base d’un formulaire standard de la Garantie GCR, dont les parties ont rempli les champs prévus en fonction des modalités convenues.
[38] La clause 8.4 s’intitule « Financement hypothécaire ou preuve de fonds disponibles » et se présente comme suit :
[39] Le Tribunal constate que cette clause n’a pas été entièrement remplie, en ce que ni 8.4.1 prévoyant une exigence de financement hypothécaire, ni 8.4.2 prévoyant plutôt une preuve de disponibilité de fonds, n’ont été cochées. La clause 8.4.1 a été partiellement remplie, mais un doute subsiste quant à l’intention commune des parties.
[40] À l’audience, les bénéficiaires et l’entrepreneur offrent des témoignages contradictoires quant à leurs intentions respectives, les premiers expliquant qu’ils avaient des économies et n’étaient pas certains de vouloir financer les travaux, regardant la possibilité de demander un prêt de type « bridge » lié à la vente de leur chalet à Magog, alors que l’entrepreneur explique que le financement hypothécaire est essentiel pour lui afin de s’assurer qu’il sera payé pour ses travaux, lorsque comme ici le terrain ne lui appartient pas.
[41] L’article 1426 du Code civil du Québec prévoit :
« On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages. [nos soulignements)».
[42] Or, les parties se sont comportées comme s’il n’y avait pas de telle obligation formelle, en procédant aux travaux sans parler de ce financement hypothécaire pendant presque trois mois, malgré l’ambiguïté de la clause contractuelle (case non cochée et champs non remplis), et ce, jusqu’à la demande écrite du 23 novembre 2020 (pièce B-14), alors que l’entrepreneur a déjà cessé les travaux.
[43] En cas de défaut contractuel du client (ici les Bénéficiaires), la clause 4.5 du contrat A-1 prévoit que l’entrepreneur « pourra » donner un avis de défaut au client, « pourra » suspendre la réalisation de l’Ouvrage et, si le défaut est important, « pourra » résilier le Contrat.
[44] Force est de constater que l’entrepreneur, s’il était d’avis que les Bénéficiaires avaient l’obligation de fournir cette preuve de financement hypothécaire, a renoncé à soulever ce défaut et ce, jusqu’au 23 novembre 2020, où il exige cette preuve de financement pour la première fois.
[45] Les bénéficiaires ont finalement fourni leur preuve de financement hypothécaire le 25 novembre 2020, soit dans les deux jours de la première demande de l’entrepreneur à cet effet, alors que le contrat leur accorde dix jours pour remédier à un défaut dénoncé par avis écrit de l’entrepreneur (clause 4.5).
[46] Le Tribunal ne peut donc conclure que les bénéficiaires ont manqué à leurs obligations contractuelles à cet égard.
2) L’entrepreneur a-t-il manqué à ses obligations contractuelles?
[47] Les bénéficiaires, qui portent en arbitrage la décision de l’Administrateur, ont le fardeau de la preuve d’établir l’existence d’un défaut ou d’une non-conformité des travaux réalisés par l’entrepreneur par rapport à ce qui avait été convenu.
[48] Dans ce cas-ci, comme nous l’avons vu ci-haut, l’intention commune des parties était une stratégie structurale basée sur des fondations à l’épreuve du gel supportant les charges et non le concept de dalle sur sol illustré dans les plans de Boutin de mars 2020 (ci-après « les plans B-5 »).
[49] Le Tribunal note que les deux rapports d’expertise déposés par les bénéficiaires se prononcent sur la conformité des travaux réalisés par rapport au concept initial de dalle sur sol illustré dans les plans B-5.
[50] Il s’ensuit qu’on ne peut considérer que les solutions proposées par les experts des bénéficiaires sont des méthodes correctives visant à rendre l’ouvrage conforme aux exigences du contrat.
[51] Il n’y a donc pas au dossier de preuve prépondérante de défaut par rapport au résultat convenu, qui entrainerait l’obligation de l’entrepreneur de corriger un tel défaut.
[52] L’entrepreneur avait certes l’obligation de parachever les travaux contractuellement convenus et avait le libre choix des moyens d’exécution pour ce faire, tel que l’article 2099 C.c.Q. le prévoit.
[53] Les questions qui se posent sont donc de savoir si l’entrepreneur a fait défaut, dans les circonstances, de parachever ses travaux contractuels en conformité avec l’entente et/ou de savoir si les bénéficiaires l’ont empêché, par leurs agissements, de s’exécuter.
[54] Les bénéficiaires font grand cas du fait que la Ville, lors de l’émission du permis de construction, a demandé qu’un plan d’ingénieur soit fourni pour les fondations indiquées aux plans soumis, soit les plans B-5 représentant une dalle sur sol.
[55] Or, puisqu’il n’a jamais été question de procéder avec cette méthode, il aurait été inutile d’obtenir un plan signé et scellé pour cette stratégie structurale.
[56] Vu la vitesse à laquelle les relations entre les parties se sont dégradées, on peut comprendre que la confection de plans représentant la stratégie structurale convenue, soit une fondation à l’épreuve du gel, n’ait pas été une priorité pour l’entrepreneur.
[57] L’entrepreneur a bel et bien coulé une fondation, mais il semble que la présence également d’un carré de béton visible à l’emplacement de l’empattement prévu au concept initial des plans B-5 ait causé bien de la confusion.
[58] La transmission en janvier 2021 de plans de Barrette montrant une poutre d’acier s’appuyant sur une colonne à l’emplacement de l’empattement, avec un « Calcul d’acier – final » de Frédéric Mongeau, a certainement alimenté cette confusion, de même que la livraison au chantier, le 20 janvier 2021, d’une poutre d’acier qui correspond à ce concept.
[59] Steven Francis témoigne à l’effet que c’est l’ingénieur Barrette qui a proposé d’utiliser un empattement à l’emplacement illustré sur ses plans, mais que Urban Blü n’avait pas l’intention de procéder ainsi, car cette stratégie aurait nécessité un mur porteur pour le relier aux fondations et les clients voulaient un espace ouvert, donc incompatible avec un mur porteur à cet emplacement.
[60] Selon la preuve entendue et déposée, le Tribunal est d’avis que l’entrepreneur a coulé l’empattement par erreur[6], bien qu’il ne fût plus requis vu la stratégie structurale convenue et divergente des plans B-5.
[61] Vu les demandes des bénéficiaires à cet effet, l’entrepreneur a soumis les plans de Barrette datés du 20 décembre 2020 représentant la poutre et colonne selon ces plans B-5, vraisemblablement parce que des plans illustrant la méthode convenue n’avaient pas encore été préparés.
[62] Ces erreurs et ambiguïtés ont très certainement alimenté la méfiance des bénéficiaires et la confusion quant à la stratégie structurale effectivement suivie et construite.
[63] Le Tribunal constate que l’entrepreneur a eu beaucoup de mal à communiquer clairement avec ses clients, tant par le contrat, par ses divers écrits, que verbalement.
[64] Nous comprenons que le côté brouillon et désinvolte de l’entrepreneur s’est avéré particulièrement insécurisant pour les bénéficiaires, qui sont manifestement des gens rigoureux et bien au courant des dynamiques juridiques et contractuelles[7].
[65] Ceci ne change cependant pas le fait que la volonté commune des parties lors de la conclusion du contrat était de ne pas utiliser la dalle sur sol représentée aux plans B-5, mais plutôt de construire une fondation à l’épreuve du gel.
[66] À la suite du rapport d’expertise de Beauchamp, proposant l’ajout de pieux, l’entrepreneur a proposé de procéder soit par la méthode qu’il avait prévue (fondation à l’épreuve du gel) ou encore avec la méthode des pieux en sous-œuvre proposée au rapport Beauchamp, au choix des bénéficiaires, le tout approuvé par un ingénieur en structure (courriels du 11 février 2021, reproduit en page 6 de la pièce B-37, et du 12 février 2021, pièce B-34) pour finaliser les travaux de structure, régler les comptes en souffrance et permettre aux bénéficiaires de continuer les travaux avec l’entrepreneur de leur choix pour la suite.
[67] Les bénéficiaires, qui n’avaient plus du tout confiance en leur entrepreneur, ont préféré refuser que celui-ci vienne compléter ses travaux et démolir, en juin 2021, les fondations exécutées, ce qui a empêché de facto l’entrepreneur de démontrer la conformité de ses travaux par rapport à la stratégie structurale convenue.
3) Les bénéficiaires ont-ils droit au remboursement des acomptes et/ou au paiement d’un dédommagement pour les travaux correctifs qu’ils prétendent avoir effectués?
[68] Vu la transmission des rapports d’expertise, les travaux de l’entrepreneur n’ont pas repris et Delage, la conciliatrice de l’administrateur, a rendu une décision le 16 avril 2021, concluant qu’elle ne pouvait accorder le remboursement des acomptes versés, puisqu’un tel remboursement aurait pour effet de créer un enrichissement injustifié des bénéficiaires.
[69] En effet, l’entrepreneur témoigne avoir exécuté des travaux pour un montant de 91 307,73$ (pièce E-1) en plus de la facture 206 d’une somme de 32 824,21$ déjà acquittée (pièce B-11), dont une valeur de 82 269,55$ est admise par les bénéficiaires[8].
[70] Il n’est pas contesté que des travaux de démolition, d’excavation, de décontamination et de préparation du terrain ont bien été effectués, serviront à l’ouvrage et donnent une plus-value à l’immeuble des bénéficiaires. Les semelles et les murs des fondations ont même été conservées par les bénéficiaires[9].
[71] L’ensemble des travaux de fondations auraient pu servir si on avait donné l’occasion à l’entrepreneur de terminer la mise en place de sa stratégie structurale et d’en démontrer la conformité.
[72] D’autre part, il n’est pas contesté que les bénéficiaires ont versé un montant de 72 824,21$ qui peut être considéré comme un acompte sur le prix du contrat.
Conclusion
[73] Vu la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive à l’effet que les bénéficiaires n’ont pas rempli leur fardeau de démontrer que les travaux de l’entrepreneur étaient non conformes ou affectés d’un défaut en justifiant la démolition, on ne peut tenir compte des sommes engagées par les bénéficiaires pour la démolition et la reconstruction des éléments structuraux.
[74] Puisque la valeur des travaux effectués par l’entrepreneur (au minimum 82 269,55$) dépasse le montant des acomptes (72 824,21$), le Tribunal conclut qu’il y aurait enrichissement injustifié s’il ordonnait le remboursement des acomptes, le tout en contravention de l’article 9 par.2 a) du Règlement.
[75] Pour l’ensemble des motifs repris ci-haut, la soussignée se doit donc de maintenir la décision de l’Administrateur, soit de rejeter la demande des bénéficiaires quant au remboursement de l’acompte.
[76] Notons que la présente décision s’inscrit dans le cadre strict de l’application du Règlement et de la couverture offerte par le Plan de garantie émis par l’Administrateur conformément à ce règlement.
[77] Il n’appartient pas au Tribunal dans la présente instance de décider de toute question en litige qui pourrait relever de l’application du droit commun ou d’autres lois qui pourraient s’appliquer au présent litige entre les parties, et leurs droits sont donc réservés à cet égard.
[78] Le Tribunal tient à remercier chacune des parties pour leur collaboration, laquelle a permis un déroulement harmonieux de l’audience.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[79] REJETTE la demande des bénéficiaires;
[80] MAINTIENT la décision de l’Administrateur;
[81] RÉSERVE les droits des parties relativement à tout recours qu’ils ont ou pourraient porter devant les tribunaux civils;
[82] LE TOUT avec frais à être départagés entre les bénéficiaires et l’Administrateur, à raison de cinquante dollars (50$) de frais à la charge des bénéficiaires et à l’Administrateur pour le reliquat.
Montréal, le 21 février 2022
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Me Sophie Truesdell-Ménard
Arbitre
[1] Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Desindes, [2004] no AZ-50285725 (C.A.), par. 43.
[2] Tel que relaté aux paragraphes 8 à 10 du plan d’argumentation des bénéficiaires.
[3] Témoignage de Boutin lors de son interrogatoire en chef par Me Gilbert.
[4] Témoignage non contredit de Steven Francis.
[5] Voir la décision de la conciliatrice Delage, pièce A-29, en page 4.
[6] Le fait d’utiliser comme référence des plans ne représentant pas le concept retenu a vraisemblablement contribué à cette erreur.
[7] Selon leur témoignage respectif, Mme Martin est une avocate retraitée et M. Tremblay est ingénieur et a été gestionnaire de projet dans une Société de transport.
[8] Plan d’argumentation des bénéficiaires, par.99.
[9] Plan d’argumentation des bénéficiaires, par.120.