ARBITRAGE En vertu du Règlement
sur le plan de garantie |
||
|
||
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment: Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM) |
||
______________________________________________________________________ |
||
|
||
Entre |
||
Domaine Mon Voisin Le Castor Inc. |
||
Bénéficiaire |
||
Et |
||
9027-8525 Québec Inc. |
||
Entrepreneur |
||
Et |
||
La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ Inc. (GMN) |
||
Administrateur |
||
|
||
No dossier Garantie : |
154316-1 |
|
No dossier GAMM : |
2009-10-004 |
|
No dossier Arbitre : |
13 185-54 |
|
|
||
______________________________________________________________________ |
||
|
||
SENTENCE ARBITRALE |
||
_______________________________________________________________________ |
||
|
||
Arbitre: |
Me Jeffrey Edwards |
|
|
|
|
Pour le Bénéficiaire: |
Me Claude Pouliot Claude Pouliot, Avocat |
|
|
|
|
Pour l’Entrepreneur: |
Monsieur Pierre Blais, président (absent) 9027-8425 Québec Inc. |
|
|
|
|
Pour l’Administrateur: |
Me Stéphane Paquette Savoie Fournier |
|
|
||
Dates d’audience : |
Le 23 novembre 2009 |
|
|
|
|
Visite des lieux et audition d’arbitrage: |
365, rue Martin Prévost Sainte-Béatrix, Québec |
|
|
|
|
Date de la décision : |
Le 25 janvier 2010 |
|
APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE DES PROCÉDURES, VISITÉ LES LIEUX, ENTENDU LA PREUVE ET LES ARGUMENTS DE TOUTES LES PARTIES, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE REND LA DÉCISION SUIVANTE :
1. LES FAITS
[1] Il s’agit d’une demande d’arbitrage de la Bénéficiaire concernant une décision de l’inspecteur-conciliateur qui a rejeté la réclamation de la Bénéficiaire au motif qu’un bâtiment appartenant à la Bénéficiaire n’est pas visé par le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1]. Le soussigné a visité les lieux et l’audition a eu lieu sur place dans le bâtiment en question. Bien que dûment convoqué, aucun représentant de l’Entrepreneur n’a assisté à l’audition.
[2] Monsieur Dominic Golaz, qui est le représentant de la Bénéficiaire, explique dans son témoignage sous serment ce qui suit : En octobre 2007, après plusieurs années de préparation, il a définitivement quitté la Suisse afin de s’établir à Sainte-Béatrix, Québec, Canada. Il voulait ainsi réaliser un rêve qu’il avait caressé depuis déjà plusieurs années, soit de venir au Canada avec sa conjointe et des membres de sa famille et, plus précisément, dans la Grande Nature de la région des Laurentides au Québec et ainsi avoir son propre coin de paradis avec une vue imprenable sur le lac, les collines et la forêt.
[3] Ainsi, il a été mis en contact avec d’autres originaires de la Suisse qui lui ont recommandé des terrains vagues et vierges situés dans la municipalité de Sainte-Béatrix au cœur de Lanaudière. En mai 2005, sur la base de conseils fiscaux, il a incorporé une compagnie, Domaine Mon Voisin Le Castor Inc. En octobre 2005, par l’entremise de cette compagnie, la Bénéficiaire a acquis un terrain vague à Saint-Béatrix (Pièce A-1).
[4] Ayant une formation en gestion à son actif et à la suite à des représentations de la part d’un tiers, Monsieur Golaz avait compris qu’il pouvait combler un poste en administration dans une entreprise locale. Il nous paraît probable qu’il envisageait déjà la possibilité d’accueillir, pour des fins récréo-touristiques, certains invités à sa future résidence. Après avoir mandaté des architectes et obtenu des plans préliminaires, Monsieur Golaz s’est mis à la recherche d’un entrepreneur en construction afin de réaliser son projet de résidence. Monsieur Golaz explique que le représentant de l’Entrepreneur, Monsieur Pierre Blais est venu en Suisse afin de démontrer que ses compétences et ses habilités faisaient de lui une personne apte à réaliser le projet. Monsieur Golaz témoigne que Monsieur Blais a alors affirmé que sa compagnie de construction était dûment accréditée pour construire des maisons qui sont visées par le Plan gouvernemental de garantie et que la maison que sa compagnie construirait pour la Bénéficiaire serait ainsi visée par ce Plan de garantie. Ce témoignage n’a pas été contredit à l’audition. Par ailleurs, cette version des faits est confirmée par la teneur du contrat d’entreprise intervenu entre la Bénéficiaire et l’Entrepreneur intitulé « contrat d’entreprise / construction d’une maison (à l’usage exclusif des membres de l’APCHQ) » (Pièce A-2). En effet, à la page 7 de l’Annexe 1 du contrat d’entreprise daté de janvier 2007 apparaît clairement la mention suivante « Garantie APCHQ 1 200,00 $ » plus taxes. Ce n’est pas contredit que la Bénéficiaire a effectivement payé ce montant supplémentaire à l’Entrepreneur et ce, afin d’obtenir cette protection gouvernementale juridique.
[5] Selon Monsieur Golaz, la date de la fin des travaux n’a pas été respectée. En effet, les travaux devaient être complétés avant son arrivée qui a eu lieu en octobre 2007, alors qu’à cette date, la maison n’était toujours pas terminée selon les plans et devis. Vers le 21 décembre 2007, la maison était habitable mais non complétée.
[6] Avec le retard de livraison et les divers travaux non-complétés ou contestés, la relation entre l’Entrepreneur et le représentant de la Bénéficiaire s’est progressivement détériorée au point que l’Entrepreneur a ainsi refusé d’exécuter quoi que ce soit.
[7] Dans un premier temps, la maison a été habitée par Monsieur Dominic Golaz, son épouse, Madame Alice Golaz et le père de Madame Golaz. Après un certain temps, le père a dû quitter celle-ci pour des raisons médicales, n’ayant pas de couverture d’assurance maladie au Québec.
[8] Devant l’impasse avec l’Entrepreneur, Monsieur Dominic Golaz s’est fait alors conseiller par son entourage à faire appel à l’Administrateur en vertu du plan de garantie applicable. Il a alors appelé le service de garantie de l’APCHQ et il a été informé par Madame Anne-Marie Spezza que sa maison n’avait pas de numéro d’accréditation en vertu du plan de garantie.
[9] Suite à certaines vérifications et hésitations, le Directeur du service des projets spéciaux, Division des garanties de l’APCHQ, Monsieur Gilbert Poirier a décidé d’accorder le numéro d’accréditation de la maison le ou vers le 4 octobre 2008. La Bénéficiaire a déposé le certificat d’enregistrement du bâtiment (Pièce B-1) auprès du plan de « La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ ». Le certificat inclut le texte suivant : « Ceci est pour certifier que l’Entrepreneur a enregistré à « La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. » le bâtiment ».
[10] À la demande de l’Administrateur, Monsieur Poirier a témoigné à l’audition. Il a expliqué qu’il avait fait les vérifications nécessaires afin de conclure que l’Entrepreneur avait toutes les qualifications, habilités et adhésions requises auprès de la Régie du bâtiment du Québec et de l’Association provinciale d’habitations du Québec afin que le bâtiment soit inscrit au Plan de garantie de l’Administrateur. Au cours de son enquête, Monsieur Poirier a demandé à Monsieur Blais la raison pour laquelle ce bâtiment n’était pas inscrit au plan. Selon Monsieur Poirier, la réponse était que Monsieur Blais n’était pas certain que le bâtiment était admissible au Plan de l’Administrateur. Cela contredit évidemment les déclarations qui avaient été faites par le représentant de l’Entrepreneur à Monsieur Golaz à cet effet et la perception par l’Entrepreneur auprès de la Bénéficiaire du montant requis à ce titre, ce qui est mentionné dans le contrat d’entreprise. Après avoir décidé que le bâtiment allait bénéficier, de manière provisoire au moins, du Plan de garantie de l’Administrateur, Monsieur Poirier a demandé à Monsieur Blais d’envoyer le montant d’inscription requis, à savoir 1 250,00 $, ce que l’Entrepreneur a fait. Monsieur Poirier explique dans son témoignage qu’il n’avait pas en sa possession l’Annexe 1 du contrat d’entreprise ayant la mention spécifique qu’un paiement avait été effectué par la Bénéficiaire pour la « Garantie APCHQ ». Monsieur Poirier explique qu’en autorisant l’émission du certificat d’enregistrement du bâtiment, il n’était pas certain que le bâtiment était visé par le Règlement, mais il était prêt à accepter qu’une visite au bâtiment ait lieu pour permettre à un inspecteur-conciliateur de l’Administrateur d’enquêter sur la réclamation de la Bénéficiaire. Ces réserves ne sont toutefois pas expliquées à Monsieur Golaz à ce moment.
[11] Le 5 octobre 2008, la Bénéficiaire a ouvert un dossier de réclamation (Pièce A-3) auprès de l’Administrateur. Les différentes mises en demeure à l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur ont également été envoyées (Pièces A-4 et A-5).
[12] Le 22 janvier 2009, conformément à sa pratique usuelle, l’Administrateur a demandé à l’Entrepreneur de réaliser les travaux requis (Pièce A-6).
[13] Le 10 février 2009, l’inspecteur-conciliateur, Monsieur Yvan Mireault, architecte, représentant de l’Administrateur a effectué une inspection du bâtiment. Monsieur Mireault a témoigné qu’il a examiné les vices et malfaçons allégués par la Bénéficiaire lors de cette inspection.
[14] Le 16 avril 2009, Monsieur Poirier a envoyé une lettre à la Bénéficiaire annonçant que l’Administrateur considère que la « destination de l’immeuble, au moment de la signature du contrat d’entreprise, n’était pas principalement résidentielle » (Pièce A-12) et qu’ainsi le plan de garantie de l’Administrateur « ne peut s’appliquer sur cette transaction ». Monsieur Poirier admet qu’il n’avait pas visité la propriété avant de décider ainsi. Il s’est fié sur ses propres recherches et sur une discussion avec Monsieur Mireault. En contre interrogatoire, il a déclaré qu’il y a une part de « subjectivité » dans sa décision.
[15] Le 20 avril 2009, l’inspecteur-conciliateur a envoyé une décision formelle à la Bénéficiaire (Pièce A-12) confirmant la décision de Monsieur Poirier et annexant la lettre de Monsieur Poirier.
[16] Le 14 mai 2009, la Bénéficiaire a demandé l’arbitrage (Pièce A-14) de cette décision.
2. QUESTION EN LITIGE
[17] Est-ce que la décision (Pièce A-12) de l’inspecteur-conciliateur est bien fondée en vertu du Règlement?
3. ANALYSE ET DÉCISON
[18] Les principales parties pertinentes du Règlement qui ont trait à son application se lisent comme suit :
« 2. Le présent règlement s’applique aux plans de garantie qui garantissent l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur visées au chapitre II et résultant d’un contrat conclu avec un bénéficiaire pour la vente ou la construction :
10 des bâtiments neufs suivants destinés à des fins principalement résidentielles et non détenus en copropriété divise par le bénéficiaire de la garantie :
a) une maison unifamiliale isolée, jumelée ou en rangée;
La destination d’un bâtiment s’établit à la date de conclusion du contrat. Cette destination est présumée valoir pendant tout la période de garantie et la garantie s’applique à l’ensemble du bâtiment. »
(note : les caractères en gras sont du soussigné)
[19] Nous avons demandé aux procureurs de la Bénéficiaire et de l’Administrateur de nous fournir toute jurisprudence pertinente existante à leur connaissance en vertu de cet article. Les deux procureurs nous ont annoncé que, malgré leurs recherches, ils n’ont pas pu trouver de jurisprudence pertinente ayant trait à cet article.
[20] Il est clair que le législateur n’a pas édicté que seul un bâtiment utilisé exclusivement à des fins résidentielles est visé par le Règlement. Au contraire, il est seulement requis que l’utilité principale du bâtiment soit résidentielle. Ainsi, en autant que la destination ou l’utilité principale du bâtiment soit résidentielle, il est permis que celui-ci soit également destiné et utilisé à d’autres fins, soit commerciale, artisanale, institutionnelle, industrielle ou récréo-touristique, et ce, sans pour autant perdre son admissibilité en vertu du Règlement. Il est également utile de noter que l’article 2 précise que la destination d’un bâtiment, aux fins de l’application du Règlement, s’établit au moment de la conclusion du contrat d’entreprise ou de vente. Cette destination est alors présumée continuée pendant la période de la garantie, soit cinq (5) ans.
[21] Dans son témoignage, Monsieur Poirier admet qu’en principe le fait d’opérer un commerce, et notamment une gîte (« Bed and Breakfast »), ne fait pas obstacle à l’application du Règlement. Il concède que rien dans le Règlement ne s’oppose à ce qu’un propriétaire d’une maison utilise celle-ci également pour une activité commerciale comme un gîte, un commerce de coiffure ou encore une garderie. Il faut cependant que, lors de la conclusion du contrat, le caractère résidentiel du bâtiment prédomine.
[22] Le soussigné, lors de la visite des lieux, a examiné l’ensemble du bâtiment. Il a également entendu l’ensemble des témoignages ayant trait à la question en litige, soit celui de Monsieur Golaz, Monsieur Poirier et Monsieur Mireault.
[23] Le procureur de la Bénéficiaire soumet notamment au Tribunal d’arbitrage notamment les définitions suivantes provenant de diverses sources, et ce, pour les mots « principalement » et « principale » :
Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2007 :
« Principalement - Avant les autres choses, par-dessus tout »
Le Petit Larousse 1995
« Principalement - avant tout, par-dessus tout »
Dictionnaire du français parler 1987
« Principal - qui est le plus important, le plus grand, le premier, etc., parmi d’autres »
« Principalement - particulièrement, surtout »
Google Définition 2009
« Principalement - s’entend généralement de plus de 50 p. 100.
[24] Monsieur Golaz a déposé en preuve un tableau des surfaces du bâtiment qu’il a recensées. (Pièce B-4). Il a ensuite fait une division de ces surfaces, selon leur utilisation privée ou commerciale pour les invités du gîte. Selon ces calculs, 63,60% des surfaces sont utilisées à des fins privées et 36,40 % à des fins commerciales. Il a cependant oublié d’y intégrer le spa et la mezzanine dont l’utilité est partagée selon lui à 50% privée et 50% commerciale. Quoi que les procureurs n’ont pas fait la preuve de la conséquence de ces modifications, il paraît que ces données font, selon les calculs, en sorte que plutôt 62.9% du bâtiment est utilisé à des fins privées résidentielles et 37.1% est utilisé à des fins commerciales de gîte.
[25] Malgré un contre-interrogatoire serré, le caractère exact de ces chiffres soumis par la Bénéficiaire n’a pas été sérieusement mis en doute.
[26] Le procureur de la Bénéficiaire a soumis des autorités jurisprudentielles principalement en matière fiscale afin de valider cette approche quantitative[2].
[27] À part ces données quantitatives, qui sont d’ailleurs relativement convaincantes, il y a lieu de noter que la Cour suprême du Canada[3] a récemment souligné l’importance d’interpréter les normes législatives et réglementaires en tenant également compte d’une appréciation qualitative des données disponibles. À cet égard, il faut noter que Monsieur Golaz a témoigné à l’effet qu’il n’y a aucune chambre qui est louée pour une période d’environ six (6) mois durant l’année, à savoir les mois d’avril, mai, juin, octobre, novembre et la première moitié de décembre. Ces mois, selon ce témoignage, ne présentent pas des conditions attrayantes ou populaires pour les touristes ou invités. Cette preuve n’a pas été contredite. C’est donc dire que, si l’on prend le temps passé à la maison pendant lequel celle-ci est utilisée à des fins soit privées / résidentielles ou commerciales, les pourcentages devraient être ajustés à environ 18,20% à des fins commerciales et 81.8% à des fins privées / résidentielles.
[28] L’avocat de l’Administrateur a mis beaucoup l’emphase dans son argumentation sur le fait que jusqu’à 4 chambres à coucher sur cinq (5) peuvent en certaines circonstances être occupées par des invités du gîte. Or, la preuve non-contredite établit que le projet d’origine de Monsieur et Madame Golaz était de s’installer au Canada avec le père de Madame Golaz et d’avoir suffisamment de chambres pour accueillir d’autres membres de leur famille. Le départ du père pour des raisons médicales a fait en sorte que sa chambre est également disponible pour occupation par des invités touristiques. Selon nous, il est clair, selon l’analyse quantitative et qualitative déjà effectuée devant le Tribunal d’arbitrage, que le bâtiment en question est principalement utilisé à des fins résidentielles.
[29] Lors de l’audition, l’avocat de l’Administrateur a demandé à Monsieur Golaz de produire les états financiers de la Bénéficiaire. Cette demande a soulevé une objection de la part du procureur de la Bénéficiaire, qui a été rejetée par le soussigné au motif qu’il y avait une certaine pertinence. Le document a été produit sous scellé afin de protéger les informations confidentielles de Monsieur et de Madame Golaz qui y sont contenus (Pièce A-19 sous scellé). Cependant, à la lecture de ces états, il est clair que le montant des revenus provenant de la location des chambres est, avec tout respect, relativement dérisoire par rapport aux frais d’entretien du bâtiment. Il est clair que nous sommes pas en présence d’une entreprise réelle mais plutôt d’une activité commerciale marginale largement déficitaire et que la destination véritable et prédominante du bâtiment est d’une résidence privée et dont l’activité de gîte n’est là qu’afin de défrayer une partie mineure des coûts d’une telle résidence privée.
[30] L’Administrateur soulève deux autres points afin de contester l’application du Règlement au bâtiment soit que certains traits architecturaux suggèrent une utilisation commerciale et que la publicité faite pour la Bénéficiaire indique une utilisation comme gîte. Ainsi, premièrement, l’Administrateur plaide que les portes de chambres sont d’un niveau supérieur de résistance au feu (soit 20 minutes) au-delà de ce qui est requis pour une habitation privée. Avec respect, nous ne trouvons pas cet argument très convaincant. En premier lieu, une porte de cette qualité est également mise dans la chambre des maîtres qui est utilisée exclusivement par Monsieur Golaz et sa femme. En deuxième lieu, selon la preuve, les plans préliminaires d’architecte ne prévoyaient pas ce détail. En troisième lieu, devant l’utilisation privée résidentielle prépondérante du bâtiment, ce n’est pas parce que le propriétaire ou l’Entrepreneur prend des précautions supplémentaires en matière de sécurité contre l’incendie que la résidence perd son statut principalement résidentiel.
[31] L’Administrateur soulève également que toutes les chambres sont munies d’une salle de bain individuelle et que deux (2) chambres sont indépendantes en vertu du fait qu’elles ont chacune une porte de sortie donnant sur l’extérieur du bâtiment. Quant à la salle de bain, Monsieur Golaz explique que cela est normal dans les maisons en Suisse, ce qui n’a pas été contredit. Quant aux portes donnant sur l’extérieur du bâtiment, il explique que cela est vu comme un point négatif des invités de nature touristique et que c’est même mal perçu auprès des instances et des associations d’hébergement.
[32] Deuxièmement, l’Administrateur plaide que la publicité de Monsieur et de Madame Golaz concernant leurs activités de gîte met toute l’emphase sur son aspect touristique. L’Administrateur dépose en preuve plusieurs publicités (Pièces A-11, A-17, A-18 et A-20). Après lecture attentive de ces publicités, nous ne pouvons pas souscrire à ce raisonnement.
[33] En premier lieu, il est normal que la publicité de nature touristique met en valeur les traits et activités d’accueil et de divertissement. En fait, faire autrement aurait été plutôt surprenant.
[34] En deuxième lieu, la teneur de ces documents et dépliants publicitaires confirment la thèse de Monsieur et Madame Golaz. Nulle part dans cette documentation, la Bénéficiaire parle d’une auberge. L’emphase est mise sur le site enchanteur, la pleine nature et les activités extérieures en forêt. De plus, l’emphase est mise davantage sur le fait que les invités sont accueillis dans une « maison » privée et une « demeure » intime où leurs hôtes en sont les propriétaires. Voici des extraits partiels de la pièce A-20 :
« Magnifique maison en bois rend […] vous accueille »
« Suisses d’origine et amoureux de cette belle nature québécoise, nous avons construit cette chaleureuse demeure en bois rond afin de vous faire partager des moments de calme et de bien être au milieu de la forêt aux abords du Lac Lajoie. Vos hôtes Alice et Dominic Golaz » (Emphase ajoutée par le soussigné).
[35] Ce langage nous paraît tout à fait en ligne avec la thèse de la Bénéficiaire, soit que le bâtiment en question est utilisé principalement à des fins résidentielles qui intègre un volet secondaire de gîte.
4. CONCLUSION
En conclusion, après avoir entendu les témoins, examiné les pièces et les plaidoiries, visité les lieux, le Tribunal d’arbitrage conclut qu’à partir de la date de la conclusion du contrat de construction (Pièce A-2) jusqu’à ce jour, la destination du bâtiment en question a été principalement résidentielle.
De plus, le tribunal tient à préciser qu’en l’espèce les faits exceptionnels mis en preuve justifient également de faire appel à l’équité et ce, selon l’article 116 du Règlement. En effet, cet article permet à l’arbitre d’intervenir lorsque l’application du Règlement conduirait, en raison des faits exceptionnels ou uniques, à un résultat inéquitable. Or, en l’espèce il est très clair que l’Entrepreneur a fait des représentations expresses à la Bénéficiaire, soit que la maison à construire serait protégée par le Plan de garantie de l’Administrateur. Cela était alors l’attente raisonnable et légitime de la Bénéficiaire. L’Entrepreneur a ensuite perçu de la Bénéficiaire le montant requis à ce titre mais ne l’a pas remis à l’Administrateur, avant que la Bénéficiaire ne formule une demande spécifique à cet effet. Ainsi, la non-application du Règlement serait, dans les circonstances en l’espèce, tout à fait inéquitable. Il est vrai que l’iniquité résultera de la conduite injustifiable de l’Entrepreneur et non celle de l’Administrateur. Il ne faut pas cependant occulter la réalité que, avec les conventions d’indemnisation intervenues et existantes entre l’Administrateur et l’Entrepreneur et ses actionnaires, le paiement effectué par l’Administrateur serait normalement entièrement récupérable de l’Entrepreneur ou de ses propriétaires. Cela pourrait être différent dans l’éventualité où l’Entrepreneur ou ses actionnaires étaient insolvables. Une telle insolvabilité n’a été nullement évoquée ou soulevée ici.
5. FRAIS D’ARBITRAGE
[36] Conformément à l’article 123 du Règlement et étant donné que la Bénéficiaire a eu gain de cause sur au moins un des aspects de sa demande d’arbitrage, les frais d’arbitrage devront être payés par l’Administrateur dans le présent dossier.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE:
ACCUEILLE la demande d’arbitrage de la Bénéficiaire;
DÉCLARE que le bâtiment situé à 365, rue Martin Prévost, à Sainte-Béatrix, Québec a une destination principalement résidentielle et qu’ainsi l’enregistrement par l’Administrateur du numéro d’enregistrement 154316 est valable;
ORDONNE la poursuite du processus de réclamation de la Bénéficiaire;
CONDAMNE l’Administrateur à payer les frais d’arbitrage de la présente instance.
(s) Me Jeffrey Edwards
|
Me Jeffrey Edwards, arbitre |
[1] L.R.Q., c. B.1-1, r.0.2, ci-après, le Règlement.
[2] Markoff c. Sous-Ministre du revenu du Québec, 2009 QCCQ 5361 (C.Q.) (Chambre fiscale); Anderson c. Mont-Tremblant (Ville de) 2009 QCTAQ 09566; Elkabas c. Montréal (Ville de) 2009 QCCQ 6293.
[3] Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), 2009 C.S.C. 47 . Voir en particulier les paragraphes 28 et 29.