TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GAJD : 20221504
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DEVANT L’ARBITRE : : Robert Néron, LL.B, LL.M., Arb.A.
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Jean-Philippe Landry
Bénéficiaire
- Et -
Jacques Cloutiers et fils Inc.
Entrepreneur
- Et -
Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualité d’administrateur provisoire du Plan de garantie de la Garantie Abritat Inc.
Administrateur
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SENTENCE ARBITRALE
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[1] Le 20 avril 2022, le soussigné était nommé arbitre dans le dossier identifié en rubrique.
[2] Après avoir reçu divers documents traitant dudit dossier et ceux du Groupe d’Arbitrage Juste Décision (GAJD), le soussigné a entrepris de contacter les parties et/ou leur procureur afin de commencer l’arbitrage.
[3] Le 30 mai 2022, une conférence préparatoire à l’arbitrage a eu lieu dans un dossier similaire avec les Bénéficiaires Julie Lafleur et Jean-Michel Séguin.
[4] Or, après la conférence préparatoire dans le dossier similaire de Julie Lafleur et de Jean-Michel Séguin, j’ai décidé de joindre ce dossier avec leur dossier, soulevant les mêmes problématiques.
Valeur du litige
[5] La valeur du litige est de plus de $ 7,000.
[6] La réception du bâtiment a eu lieu le 30 novembre 2015 et la réception de la réclamation du Bénéficiaire par l’Administrateur a eu lieu le 22 octobre 2019.
[7] Le conciliateur a fait une inspection des lieux le 23 janvier 2020.
[8] Le Bénéficiaire a déposé une demande d’arbitrage à l’encontre de la décision de l’Administrateur le 15 avril 2022.
[9] Étant donné que le présent dossier constitue une question procédurale, il a été déterminé de procéder par écrit dans cette affaire, et ce afin de déterminer de la recevabilité de la demande d’arbitrage.
Question en litige
[10] Est-ce que la demande d’arbitrage est admissible ?
[11] Le Bénéficiaire vit les mêmes problématiques que les Bénéficiaires Julie Lafleur et de Jean-Michel Séguin. Or, Mme Lafleur et M. Séguin disent qu’ils ont été informés de la présence d’infiltrations au niveau des toitures de leur bâtiment en 2019, et ce, suite à l’inspection de l’Administrateur. Ce diagnostic a eu lieu en 2019 et a relevé un problème d’aération causant de la moisissure et détériorant la cellulose dans la toiture.
[12] La décision d’Abritat du 19 mai 2020 portant sur la présence d’infiltrations d’eau des toitures ainsi que la cellulose de toiture contaminée par l’eau stipule qu’une ventilation non conforme est la source de l’anomalie en question et qu’elle sera traitée par l’Entrepreneur dans un délai de 45 jours, et le cas échéant, si l’Entrepreneur n’honore pas son engagement, Abritat prendra en charge les travaux en les affectant à un autre Entrepreneur.
[13] Or, selon le Bénéficiaire rien n’a été fait à ce jour par l’Entrepreneur, et ce malgré l’admissible de leur point # 1 et # 2 et l’ordonnance de faire les travaux.
[14] En effet, deux ans après ladite ordonnance de l’Administrateur, les travaux ne sont pas encore achevés malgré la décision d’Abritat de régler le Point # 1 ainsi que le Point # 2 de leur dénonciation.
[15] En somme, les Bénéficiaires Lafleur et Séguin soulignent dans leur témoignage :
- Que le problème d’humidité persiste à ce jour (des frimas gelés au niveau des grilles de ventilation, et la toiture dégradée), et que l’état d’inspection remonte à l’année 2019. À cet effet, l’état des lieux a sûrement évolué défavorablement. Ainsi, une autre inspection doit être engagée et les déficiences apparues entretemps doivent être prises en charge.
- Qu’ils ont sollicité, avant le recours à l’arbitrage, l’assistance d’Abritat qui les rassure à chaque fois et affirme leur confiance en l’Entrepreneur, sans aucune suite concrète.
[16] En l’espèce, le Bénéficiaire demande l’admissibilité de leur demande d’arbitrage, malgré le fait que le délai de 30 jours soit expiré depuis le 3 mars 2020. En outre, le Bénéficiaire demande une nouvelle inspection et que les travaux nécessaires soient faits selon les règles de l’art. Il ne peut plus attendre que les travaux soient faits face à l’inertie tant de l’Entrepreneur que de l’Administrateur.
[17] Pour sa part, l’Administrateur soumet que d’accepter de façon tardive la demande d’arbitrage du Bénéficiaire contrevient à la nature et à la définition et au rôle de l’article 19 du Règlement statuant qu’un Bénéficiaire ou un Entrepreneur insatisfait d’une décision de l’administrateur doit soumettre son différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur.
[18] L’Administrateur affirme que l’Entrepreneur a sans équivoque déclaré sa volonté de faire les travaux correctifs nécessaires des Points # 1 et # 2. En outre, l’Administrateur affirme que le Bénéficiaire n’a pas fait la preuve de leur impossibilité d’agir dans les délais prescrits par l’article 107 du Règlement.
[19] En outre, l’Administrateur demande de rejeter la demande d’arbitrage, mais demande au Tribunal d’arbitrage de rendre toute autre Sentence arbitrale nécessaire afin de s’assurer du respect ainsi que la conformité des Décisions rendues par l’Administrateur.
[20] Pour sa part, l’Entrepreneur affirme que la demande d’arbitrage déposée par le Bénéficiaire est irrecevable étant donné qu’elle porte sur des points sur lesquels l’Administrateur a rendu une décision favorable. En outre, selon l’Entrepreneur, aucune disposition du Règlement ne permet au Bénéficiaire de saisir le tribunal d’arbitrage.
[21] L’Entrepreneur ajoute qu’il a toujours été dans son intention de réaliser les travaux requis en fonction des décisions de l’Administrateur. Cependant, il affirme que ses efforts ont été ralentis en raison d’un dossier judiciarisé l’opposant à l’architecte responsable des problématiques ainsi que de la livraison des matériaux nécessaires à la complétion des travaux. Enfin, l’Entrepreneur demande au Tribunal de suspendre le traitement de cette demande d’arbitrage afin de lui donner l’opportunité de faire les travaux requis.
Analyse
[22] Je suis d’accord avec l’Administrateur sur le fait qu’il y a bel et bien un délai de 30 jours afin de déposer une demande d’arbitrage, mais il y a des conditions exceptionnelles qui pourraient justifier la prorogation dudit délai procédural.
[23] Cependant, le deuxième alinéa de l’article 19.1 du Règlement stipule que : « Le nonrespect d’un délai ne peut non plus être opposé au Bénéficiaire, lorsque les circonstances permettent d’établir que le Bénéficiaire a été amené à outrepasser ce délai suite aux représentations de l’Entrepreneur ou de l’Administrateur ».
[24] Or, en l’espèce, nous avons un Administrateur qui a rendu la décision suivante :
L’Administrateur accueille la demande de réclamation du Bénéficaire pour les Points 1 et 2 et a ordonné à l’entrepreneur d’effectuer les travaux correctifs requis en ce qui a trait à ces points, et ce, dans un délai de quarante-cinq (45) jours suivant la réception de la décision.
[25] Force m’est de constater que rien ne s’est passé depuis deux ans et que l’Entrepreneur, de toute évidence, ignore ladite ordonnance de l’Administrateur. En outre, si l’Entrepreneur n’est pas en situation de faire les travaux, il incombe à l’Administrateur de faire exécuter les travaux par un autre Entrepreneur.
[26] Je trouve cette situation complètement inacceptable, car le Législateur en adoptant le Règlement ne voulait sûrement pas que les Entrepreneurs et même les Administrateurs ne fassent pas les travaux qui sont tenus de faire dans les délais prescrits.
[27] Nous avons aussi un Entrepreneur qui affirme qu’il veut faire les travaux, mais en raison d’un dossier judiciarisé avec l’architecte ainsi que du délai d’obtention des matériaux nécessaires pour faire les travaux, il ne peut les faire. Cette justification n’a aucun impact sur le fait que l’Entrepreneur est tenu de respecter la décision de l’Administrateur et s’il veut véritablement faire les travaux, qu’ils les fassent.
[28] En outre, je ne trouve pas opportun d’ajourner cette affaire afin de lui permettre de faire les travaux, quand son comportement me démontre qu’il n’a rien fait depuis deux ans, et ce au détriment du Bénéficiaire.
[29] En l’espèce, nous sommes en présence d’un Bénéficiaire qui a des sorties de ventilation de toiture inadéquate avec de la moisissure et le passage du temps n’aidera sûrement pas à régler le problème, sinon à l’accentuer.
[30] En outre, il est raisonnable de conclure que le Bénéficiaire a outrepassé les délais de déposer leur demande d’arbitrage en raison de l’ordonnance de l’Administrateur et des promesses de l’Entrepreneur qu’il allait faire les travaux, mais rien ne s’est passé depuis. Combien d’années doivent-ils attendre avant que les travaux soient effectués ? Je trouve la situation complètement inacceptable.
[31] Cela dit, je vais accepter la demande tardive de la demande d’arbitrage compte tenu du caractère exceptionnel de cette affaire, soit dans le cas d’un Entrepreneur qui ne respecte pas la décision de l’Administrateur et dans le cas d’un Administrateur qui ne fait pas faire les travaux, comme il se devait. Il est raisonnable de conclure que le Bénéficiaire s’appuyait sur l’ordonnance et des dires de l’Administrateur et de l’Entrepreneur pour faire le travail, mais rien n’est fait, et ce malgré que les dommages au bâtiment s’aggravent.
[32] Cependant, étant donné qu’il n’est pas nécessaire de traiter la demande du Bénéficiaire, car il demande uniquement que l’ordonnance de l’Administrateur soit respectée et exécutée, il n’est donc pas nécessaire pour moi de considérer ces points qui sont sans objet (moot), ayant reçu une réponse positive par l’Administrateur quant aux points en litige.
DÉCISION
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage ;
ORDONNE à l’Entrepreneur ou à défaut à la Garantie de procéder aux mesures correctives qui s’imposent quant aux Points # 1 et # 2, incluant les problèmes de moisissure, dans les soixante (60) jours suivant la présente décision ;
ORDONNE à l’Administrateur de procéder au paiement des frais d’arbitrage encourus dans le cadre du présent arbitrage, conformément au Règlement avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, et ce à compter de la date de la facture émise par GAJD, après un délai de grâce de 30 jours.
EN FOI DE QUOI, j’ai signé ce 12e jour du mois d’août 2022.
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Robert Néron, Arbitre