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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

(Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

 

 

ENTRE :

 

Pro-Urbain inc.

 

 

                   (ci-après « l’Entrepreneur »),

 

 

 

ET :

 

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.

 

 

                   (ci-après « L’Administrateur »).

 

 

 

ET :

 

Monsieur Chakib Taous

 

 

                   (ci-après « Le Bénéficiaire »),

 

 

 

 

 

 

 

No dossier CCAC : S09-190501-NP

 

 

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

 

Arbitre :

 

Me Albert Zoltowski

 

 

 

Pour le Bénéficiaire :

 

Monsieur Chakib Taous

 

 

 

Pour l’Entrepreneur :

 

Monsieur Yves Langevin

 

 

 

Pour l’Administrateur :

 

Me Élie Sawaya


 

 

 

Date de la décision :

 

4 décembre 2009

 

 

Identification complète des parties:

 

 

 

Arbitre :

 

Me Albert Zoltowski

1010, de la Gauchetière Ouest

Bureau 950

Montréal (Québec) H3B 2N2

 

 

 

Bénéficiaire :

 

Monsieur Chakib Taous

4545, avenue Girouard # 405

Montréal (Québec) H4A 0A1

 

 

 

 

Entrepreneur :

 

Pro-Urbain inc.

5500, Chemin Côte Saint-Luc

Montréal (Québec)  H3X 2C7

 

À l’attention de monsieur Yves Langevin

 

 

 

 

Administrateur :

 

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.

5930, boul. Louis-H.-Lafontaine

Anjou (Québec) H1M 1S7

 

À l’attention de Me Élie Sawaya

 

 

Mandat :

 

L’arbitre a reçu son mandat du Centre Canadien d’Arbitrage Commercial le 29 mai 2009.

 

Historique du dossier :

 

20 février 2007 :

Signature du contrat préliminaire;

 

 

20 février 2007  :

Contrat de garantie;

 

 

20 mars 2007  :

Déclaration de réception de la partie privative du Bénéficiaire;

 

 

23 mars 2007 :

Contrat de vente notarié;

 

 

5 septembre 2007 :

Lettre de mise en demeure du Bénéficiaire à l’Entrepreneur;

 

 

24 avril 2008 :

Lettre du Bénéficiaire à l’Administrateur;

 

 

12 mai 2008 :

Nouvelle lettre de mise en demeure du Bénéficiaire à l’Entrepreneur;

 

 

19 juin 2008 :

Avis de15 jours de l’Administrateur à l’Entrepreneur;

 

 

5 septembre 2008 :

Première inspection de l’Administrateur;

 

 

30 septembre 2008 :

Première décision de l’Administrateur;

 

 

2 avril 2009 :

Deuxième inspection de l’Administrateur;

 

 

24 avril 2009 :

Deuxième décision de l’Administrateur;

 

 

19 mai 2009 :

Réception par le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial de la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur datée du 19 mai 2009;

 

 

29 mai 2009 :

Nomination de l’arbitre;

 

 

3 juillet 2009 :

Avis d’audience préliminaire transmis aux parties;

 

 

7 juillet 2009 :

Audience préliminaire par conférence téléphonique;

 

 

10 juillet 2009 :

Avis d’audience transmis aux parties

 

 

20 octobre 2009 :

Audience;

 

 

4 décembre 2009:

Décision arbitrale

 

 

DÉCISION

 

Introduction

 

[1]        Il s’agit de problèmes d’interstices trop larges entre les lattes d’un plancher en bois franc dans l’unité de condominium du Bénéficiaire. Cette unité se trouve dans un bâtiment comprenant 26 unités situé au 4545 avenue Girouard à Montréal, province de Québec.

 

[2]        Le Bénéficiaire a dénoncé ses problèmes de plancher lors de la réception des parties privatives de son unité de condominium le 20 mars 2007.

 

[3]        Après avoir écrit deux (2) lettres de mise en demeure à l’Entrepreneur les 5 septembre 2007 et 12 mai 2008, avec copie à l’Administrateur, ce dernier effectua une première inspection le 5 septembre 2008 et rendit sa première décision le 30 septembre 2008. L’auteur de cette décision était madame Joanne Tremblay, T.P. inspecteur - conciliateur au Service de l’inspection de l’Administrateur.

 

[4]        Dans cette première décision de l’Administrateur, madame Tremblay a écrit ce qui suit :

 

            « L’inspection a permis d’observer qu’il s’agit de lattes d’érable massif de 3,5 po. de largeur, d’une épaisseur de ¾ po.

 

            L’entrepreneur nous a informé que lesdites lattes sont installées sur des lattes flottantes de 4 po. de large, aux 12 po. c/c, qui elles-mêmes reposent sur une membrane.

 

            Lors de l’inspection du 5 septembre, nous avons pu relever une douzaines d’interstices dont la largeur varie entre 1,5 mm à 1,8 mm.

 

            Un interstice de 3 mm entre deux bouts de lattes est également présent au passage donnant accès aux chambres.

 

            …

           

            Il est bien connu que les lattes de bois franc réagissent en fonction des saisons. En été, alors que le taux d’humidité relative est généralement plus élevé, les lattes de bois prennent de l’expansion, d’où la diminution, voire la disparition des interstices entre les planches.

 

            En hiver, lorsque le taux d’humidité relative est généralement moins élevé, les lattes de bois de rétractent, d’où l’apparition d’interstices entre les planches.

 

            Voilà pourquoi les constatations faites sur place ne permettent pas à l’administrateur de rendre une décision immédiate pour le point 5. Afin de rendre une décision juste et éclairée, il sera nécessaire d’effectuer  au moins une autre inspection à une autre période de l’année. »

 

[5]        Le 2 avril 2009, madame Tremblay procède à une deuxième inspection du même plancher. Elle constate alors les faits suivants qu’elle décrit dans sa deuxième décision du 24 avril 2009 :

 

            « L’inspection supplémentaire du 2 avril 2009 a permis d’observer que malgré un taux d’humidité relative intérieur mesuré à 59 % au salon et à 42 % à la chambre, les interstices n’ont pas diminué, ces derniers s’étant au contraire élargis.

 

            Le plancher ayant été vu en saison de chauffe et en période estivale et le bénéficiaire ne faisant usage d’aucun climatiseur à l’intérieur de son unité, l’administrateur est d’avis que la structure ne reviendra pas à la normale.

 

            Les inspections ont permis de constater que les interstices entre les lattes de bois franc ne se referment pas en saison chaude et humide, et ce, malgré le maintien par le bénéficiaire d’un taux d’humidité relative adéquat à l’intérieur du bâtiment. L’administrateur est donc d’avis que le problème n’est pas attribuable à une faute du bénéficiaire.

 

            Le problème observé relève plutôt de la responsabilité du sous-traitant qui, avant la pose du revêtement de sol, devait procéder aux vérifications qui suivent :

 

·        s’assurer que le taux d’humidité dans les lattes de bois était adéquat;

·        s’assurer que le taux d’humidité était adéquat à l’intérieur du bâtiment;

·        s’assurer que le support de revêtement de sol était sec.

 

            Dans le cas présent force est de constater que le sous-traitant de l’entrepreneur n’a pas pris toutes les précautions nécessaires pour prévenir le séchage et le retrait excessif des lattes de bois franc.

 

            Par conséquent, l’entrepreneur devra apporter les travaux correctifs requis à tous les interstices égaux ou supérieurs à 1,5 mm. »

 

[6]        L’Entrepreneur porte la deuxième décision de l’Administrateur en arbitrage au motif que les installateurs de son sous-traitant ont exécuté leur travail selon les règles de l’art et qu’aucune norme n’existe quant à la largeur des interstices entre les planches.

 

[7]        Le 20 octobre 2009, une audience a lieu au 1010 de la Gauchetière Ouest, bureau 950 à Montréal. Elle est précédée d’une visite des lieux par le tribunal d’arbitrage en compagnie des parties et de leurs témoins.

 

[8]        Les personnes présentes lors de l’audience sont :

 

-         Monsieur Yves Langevin (représentant de l’Entrepreneur),

-         Monsieur Yves Huberdeault (témoin de l’Entrepreneur),

-         Monsieur Marc-André Tremblay (témoin de l’Entrepreneur),

-         Madame Joanne Tremblay (représentante de l’Administrateur),

-         Me Élie Sawaya (procureur de l’Administrateur),

-         Monsieur Chakib Taous (le Bénéficiaire).

 

Juridiction

 

[9]        Aucune objection préliminaire à la constitution du tribunal d’arbitrage ou à la tenue de l’audition n’ayant été soulevée, le tribunal déclare que juridiction lui est acquise.

 

Questions en litige précisées

 

[10]      Les questions en litige sont les suivantes :

 

1.      Est-ce que le problème d’interstices entre les lattes du plancher de bois franc du Bénéficiaire est exclu du plan de garantie selon le paragraphe 29(2) du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (le « Règlement ») qui exclut les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements?

2.      Est-ce que ce problème d’interstices entre les lattes est exclu du plan de garantie de l’Administrateur selon le paragraphe 29(3) du Règlement qui prévoit une exclusion pour les réparations rendues nécessaires par une faute du Bénéficiaire tels l’entretien inadéquat et la mauvaise utilisation du bâtiment?

3.      Est-ce que ce problème d’interstices entre les lattes constitue une malfaçon apparente couverte par le plan de garantie particulièrement le paragraphe 27(2) du Règlement?

 

Preuve

 

Preuve de l’Entrepreneur

 

Témoignage de monsieur Yves Langevin

 

[11]      Monsieur Yves Langevin, architecte et également le représentant de l’Entrepreneur témoigne en premier. Il n’est pas un témoin expert.

 

[12]      Lors de la visite des lieux avant l’audience, monsieur Langevin a constaté que certaines lattes du plancher près de la porte donnant accès au balcon démontrent qu’elles ont déjà été exposées à l’eau. Le témoin opine que dans le passé, l’eau a dû entrer par la porte du balcon et pénétrer sous les lattes du plancher. Selon lui, ceci explique la variation d’humidité dans les lattes à différents endroits du plancher.

 

[13]      Pour expliquer la rétention d’eau sous les lattes de bois franc, il décrit la composition du sous-plancher : La dalle de béton est recouverte d’une membrane de polyéthylène de 6 mm sur laquelle repose une couche de mousse ayant des qualités d’isolation acoustique. Sur cette mousse, sont posées (et non collées ou clouées) à tous les 12 pouces, des lattes de 4 pouces de largeur en contreplaqué.

 

[14]      Il témoigne que l’Entrepreneur n’avait pas eu de problème avec des lattes de plancher provenant de la même cargaison et qui sont installées dans d’autres unités de condominium dans le même bâtiment, quoiqu’il admet qu’il y a eu d’autres problèmes affectant les planchers de certaines unités dans le même bâtiment.

 

Témoignage de monsieur Yves Huberdeault

 

[15]      Le deuxième témoin de l’Entrepreneur est monsieur Yves Huberdeault, président de Les Planchers Renaissance inc. (les « Planchers Renaissance »).

 

[16]      Le tribunal d’arbitrage accueille l’objection de l’Administrateur à la demande de l’Entrepreneur que monsieur Huberdeault soit qualifié comme un expert car il n’a pas fourni de rapport écrit ni de curriculum vitae, tel que demandé par le tribunal lors de l’audition préliminaire. Cette demande s’appliquait à tous les témoins experts.

 

[17]      Les Planchers Renaissance est un sous-traitant de l’Entrepreneur.

 

[18]      Monsieur Huberdeault dépose en preuve (comme pièce E-4) une attestation de sa participation à un atelier de perfectionnement intitulé « Les planchers de bois franc de A à Z » datée du 31 janvier 2001 émise par le directeur du Service de formation et de perfectionnement de l’APCHQ.

 

[19]      Le témoin a 27 années d’expérience dans le métier et il est dans les affaires depuis 12 ans.

 

[20]      Les Planchers Renaissance installe différentes sortes de planchers, y compris des planchers flottants et non flottants.

 

[21]      Le témoin précise que le plancher du Bénéficiaire est agrafé plutôt que cloué aux lattes du sous-plancher en contreplaqué.

 

[22]      Il déclare qu’un plancher en bois franc varie et travaille selon le taux d’humidité dans la résidence où il est installé.

 

[23]      Il affirme qu’il arrive régulièrement que « le polyéthylène absorbe l’humidité » qui rentre ensuite dans les lattes du plancher. Selon lui, ceci explique les variations du taux d’humidité à différents endroits du même plancher.

 

[24]      En contre-interrogatoire, il explique que malgré le fait que la porte du patio se trouve au salon, l’eau qui s’infiltre par cette porte peut circuler sur la dalle en béton vers d’autres pièces. C’est ce qui, selon lui, explique la présence d’interstices dans d’autres pièces du logement du Bénéficiaire.

 

[25]      Ensuite, le témoin explique comment Planchers Renaissance a effectué l’installation du plancher du Bénéficiaire :

 

-         les lattes du plancher ainsi que les lattes du sous-plancher en contreplaqué ont été livrées le 8 septembre 2006, soit cinq jours avant la date de leur installation, tel que le démontre le rapport de livraison des Planchers Renaissance signé par un dénommé « Alain » (pièce E-1);

-         sur cette pièce E-1 sous la rubrique « Vérification du taux d’humidité » sont notés également les taux d’humidité pertinents tels que celui de la dalle de béton : (3,2%), des lattes du contreplaqué (10 %), des lattes de bois franc (9 %);

-         selon la pièce E-1, à cette date, le gypse et les joints étaient complétés et le chauffage existait.

 

[26]      Le témoin explique qu’un taux d’humidité de 9 % des lattes en bois franc est acceptable pour leur installation. Ce taux peut varier entre 6 % et 9 % et même aller exceptionnellement jusqu’à 9,5 % pour certaines sortes de bois. Le contreplaqué pour le sous-plancher a été acheté le 28 août 2006 (pièce E-2) et entreposé dans un entrepôt qui est tempéré au moyen d’un humidificateur - avant d’être installé.

 

[27]      L’installation du plancher par Planchers Renaissance dans le condo du Bénéficiaire fut effectuée le 13 septembre 2006.

 

Témoignage de monsieur Marc-André Tremblay

 

[28]      Monsieur Tremblay est un employé de l’Entrepreneur. Il a signé la déclaration de réception des parties privatives de l’unité de condominium du Bénéficiaire au nom de l’Entrepreneur. C’est lui qui a écrit « planches écartées à quelques endroits » sur le formulaire de réception (pièce A-4) à la demande du Bénéficiaire.

 

[29]      Il explique qu’entre la date de l’installation du plancher du 13 septembre 2006 et la signature de la déclaration de réception le 20 mars 2007, l’unité de condominium en question était vacante.

 

[30]      Pendant trois jours après la signature de la déclaration de réception, l’Entrepreneur a fourni un humidificateur au Bénéficiaire afin d’augmenter le taux d’humidité ambiante dans le logement en espérant que ceci gonflerait les lattes du plancher et ferait disparaître les interstices.

 

[31]      Par la suite, l’Entrepreneur n’a pris aucune autre mesure corrective malgré les lettres de mise en demeure du Bénéficiaire du 5 septembre 2007 (pièce A-6) et celle du 12 mai 2008 (pièce A-7).

 

 

Preuve de l’Administrateur

 

Témoignage de madame Joanne Tremblay

 

[32]      Madame Tremblay est le seul témoin de l’Administrateur. Elle est l’auteur des deux décisions de ce dernier et le tribunal d’arbitrage la reconnaît comme un témoin expert dans cette affaire.

 

[33]      Elle déclare que lors de sa première visite du 5 septembre 2008, elle a mesuré et noté les paramètres suivants :

 

·        Largeur des interstices : 1,5 mm à 1,75 mm,

·        Taux d’humidité à l’intérieur : 32,5 %,

·        Taux d’humidité à l’extérieur : 62 %.

 

[34]      Elle est retournée pour la deuxième inspection le 2 avril 2009 au cours de laquelle elle a encore pris des mesures et des notes, comme suit :

 

·        Largeur des interstices : Les interstices qui avaient 1,75 mm ont augmenté à 2,4 mm et celles de 1,6 mm ont augmenté à 2,9 mm,

·        Taux d’humidité à l’intérieur : salon - 59 %; la chambre - 42 %.

·        Taux d’humidité à l’extérieur : 81 %

 

[35]      Elle opine qu’il est normal que la largeur des interstices augmente en hiver à cause du chauffage à l’intérieur du logement et la baisse de l’humidité ambiante et qu’elle baisse en été lorsque l’humidité ambiante de l’appartement augmente.

 

[36]      Selon elle, en été, aucun interstice ne devrait apparaître.

 

[37]      Elle opine que les interstices dans le plancher du Bénéficiaire ne se refermeront jamais.

 

[38]      Elle dépose en preuve comme pièces A-14 et A-15 des extraits tirés d’un manuel de formation et de référence publié par l’APCHQ (Association provinciale des constructeurs d’habitation du Québec inc.) intitulé « L’abc…des planchers de bois franc et des vernis dans le secteur résidentiel », 2e édition, février 2003 à l’appui de certaines parties de son témoignage qu’on peut qualifier de témoignage d’opinion.

 

[39]      À la page 125 de la pièce A-14, on peut lire ce qui suit :

 

            « Généralement, pour les planchers de 2 ¼ pouces de largeur, ces fissures sont considérées comme normales si elles ne dépassent l’épaisseur d’un 10 cents et qu’elles se referment durant la période estivale, soit mi-juin/fin-août ».

 

[40]      Madame Tremblay précise que l’épaisseur d’une pièce de 10 cents est de 1,1 mm.

 

[41]      Lors de ces deux visites d’inspection, elle a pris les mesures des interstices au moyen d’un vernier.

 

Les prétentions des parties

 

Quant à la première question en litige

 

[42]      Quant à la première question en litige, selon l’Entrepreneur, les variations de largeur entre les interstices constatées par l’Administrateur lors de ses deux visites d’inspection révèlent un comportement normal des matériaux au sens de l’article 29(2) du Règlement.

 

[43]      Selon l’Administrateur, les interstices tels que ceux démontrant une largeur de 1,75 mm lors de la deuxième inspection du 1er avril 2009 devraient être complètement fermés en avril. Plutôt que d’être fermés, lors de cette deuxième inspection, ils étaient plus larges que lors de la première inspection en septembre 2008. Ceci n’est pas un comportement normal des matériaux.

 

Quant à la deuxième question en litige

 

[44]      En ce qui concerne la deuxième question en litige, l’Entrepreneur reconnaît que sa tentative d’expliquer la cause de la présence d’interstices dont la largeur varie à différents endroits du plancher du Bénéficiaire, par les infiltrations d’eau par la porte du balcon, est hypothétique et que « le doute est là ».

           

[45]      L’Administrateur s’en remet au jugement du tribunal d’arbitrage pour décider de la validité de cette hypothèse, particulièrement eu égard au fait que les interstices sont présents non seulement au salon où se trouve la porte donnant accès au balcon mais aussi à d’autres endroits localisés dans d’autres pièces du logement du Bénéficiaire.

 

Quant à la troisième question en litige

 

[46]      L’Entrepreneur prétend qu’il n’existe aucune norme ou règle de l’art quant à la largeur des interstices entre les lattes d’un plancher en bois franc qui prévaut au Québec. Il conteste la validité de la norme ou de la règle d’art de la largeur égale à une pièce de 10 cents ou 1.1 mm mentionnée dans la publication de l’APHQ (pièce A-14). Il conteste la portée légale de ce document A-14.

 

[47]      Il dit qu’au Québec, certaines normes comme celles prévues dans le Code national du bâtiment s’appliquent. Cependant, il n’y a pas de normes semblables en ce qui concerne les interstices dans les planchers en bois franc.

 

[48]      Selon l’Entrepreneur, son sous-traitant Planchers Renaissance, a pris toutes les précautions et a fait les vérifications nécessaires dont l’absence lui est reprochée dans la décision de l’Administrateur. 

 

[49]      De façon subsidiaire, il prétend que la réparation du plancher serait difficile compte tenu du fait que l’Entrepreneur aurait un accès difficile pour se procurer des lattes de bois semblables à celles installées en septembre 2006. Nécessairement, les nouvelles lattes auraient un lustrage différant. Selon lui, « il faut tout ‘scrapper’ et on recommence à nouveau ».

 

[50]      L’Administrateur plaide que les interstices entre les lattes du plancher constituent une malfaçon apparente qui a été dénoncée lors de la réception de la partie privative du condominium du Bénéficiaire (pièce A-4).

 

[51]      En ce qui concerne les mesures correctives, l’Administrateur précise que dans sa décision du 24 avril 2009, il n’a pas spécifié la nature exacte des travaux correctifs qu’il a ordonné à l’Entrepreneur d’effectuer.

 

Analyse et décision

 

L’exclusion fondée sur le paragraphe 29(2) du Règlement

 

[52]      Le paragraphe 2 de l’article 29 du Règlement se lit comme suit :

 

            « 29.   Sont exclues de la garantie :

 

            1)         …

 

            2)         Les réparations rendues nécessaires par un comportement normal des matériaux tels les fissures et les rétrécissements; »

 

[53]      La preuve révèle la présence d’interstices entre les lattes du plancher au salon et dans les autres pièces de l’unité de condo du Bénéficiaire lors de la réception des parties privatives, le 20 mars 2007, à la date de la première plainte du Bénéficiaire du 5 septembre 2007 (première mise en demeure), à la date de la deuxième plainte le 12 mai 2008 (deuxième mise en demeure), et lors des deux inspections de l’Administrateur le 5 septembre 2008 (première inspection) et le 2 avril 2009 (deuxième inspection). Lors des première et deuxième inspections de l’Administrateur, plusieurs interstices étaient d’une largeur supérieure à 1,5 mm. La preuve ne révèle pas la largeur de ces interstices avant la première inspection du 5 septembre 2008. Toutefois, la preuve démontre que certains interstices qui étaient présents lors de la première inspection de l’Administrateur du 5 septembre 2008, étaient même plus larges lors de sa deuxième inspection du 2 avril 2009.

 

[54]      La preuve unanime est à l’effet que les lattes en bois gonflent ou rétrécissent selon le taux d’humidité ambiante.

 

[55]      Malgré le fait que le taux d’humidité à l’intérieur du logement du Bénéficiaire était plus élevé lors de la deuxième visite d’inspection que pendant sa première visite, (voir les paragraphes 33 et 34 ci-haut) la largeur des interstices a accru. Selon le tribunal d’arbitrage, ceci démontre un comportement anormal du plancher en bois franc.

 

[56]      Le fardeau de prouver que l’élargissement et le rétrécissement des lattes de bois lors des deux inspections de l’Administrateur, constituaient leur comportement normal reposait sur l’Entrepreneur. Selon le tribunal, il ne s’est pas déchargé de ce fardeau et par conséquent, le tribunal d’arbitrage ne peut pas accueillir son argument basé sur le paragraphe 29(2) du Règlement.

 

L’exclusion fondée sur le paragraphe 29(3) du Règlement

 

[57]      La deuxième exclusion du plan de garantie est fondée sur la paragraphe 29(3) du Règlement qui se lit comme suit :

 

            « 29.   Sont exclu(e)s de la garantie :

           

            …

 

            3.         Les réparations rendues nécessaires par une faute du bénéficiaire tels l’entretien inadéquat, la mauvaise utilisation du bâtiment ainsi que celles qui résultent de suppressions, modifications ou ajouts réalisés par le bénéficiaire; »

 

[58]      Le tribunal réitère que le fardeau de la preuve afin d’exclure le plancher du Bénéficiaire du plan de garantie à cause d’un entretien inadéquat ou d’une mauvaise utilisation du bâtiment reposait sur l’Entrepreneur. Ce dernier a tenté de démontrer que le Bénéficiaire avait commis une faute en laissant pénétrer l’eau de l’extérieur vers l’intérieur par la porte du salon donnant accès au balcon. Selon l’explication de monsieur Langevin, l’eau pénétrait dans le sous-plancher où elle se logeait dans la mousse de polyéthylène. Quant à monsieur Huberdeault, il disait que cette eau pouvait migrer sur la dalle de béton dans d’autres pièces de l’appartement.

 

[59]      La version de monsieur Langevin et celle de monsieur Huberdeault diffèrent quelque peu. Monsieur Langevin opine que la mousse absorbe l’eau tandis que l’autre témoin de l’Entrepreneur, monsieur Huberdeault déclare que l’eau circule sur la dalle de béton sans expliquer comment elle peut passer par la mousse sans y être absorbée et comment elle peut traverser la membrane en polyéthylène pour ensuite circuler sur la dalle de béton.

 

[60]      Ces explications, ne peuvent pas être acceptées par le tribunal d’arbitrage. Comme il s’agit d’opinions, il serait plus approprié qu’elles fassent l’objet du témoignage d’un expert et que ce témoignage soit précédé d’un rapport écrit et remis aux autres parties avant l’audition pour qu’elles puissent le réviser. De plus, monsieur Langevin a bien décrit ces explications en les qualifiant d’hypothèses et en reconnaissant qu’un doute existe quant à leur validité. En conclusion, le tribunal d’arbitrage déclare que l’Entrepreneur n’a pas réussi à prouver l’exclusion du plan de garantie fondée sur le paragraphe 29(3) du Règlement.

 

Absence de malfaçon

 

[61]      Vu la décision de l’Administrateur qui a accueilli la réclamation du Bénéficiaire, le fardeau de démontrer selon la prépondérance des probabilités que les interstices du plancher ne constituent pas des malfaçons au sens de l’article 27, paragraphe 2) du Règlement, repose sur l’Entrepreneur.

 

[62]      Ce paragraphe se lit comme suit :

 

            « 27.   La garantie d’un plan dans le cas de manquement de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception de la partie privative ou des parties communes doit couvrir :

 

                        …

 

            2)         La réparation des vices et malfaçons apparents visés par l’article 2111 du Code civil et dénoncés, par écrit, au moment de la réception ou, tant que le bénéficiaire n’a pas emménagé, dans les 3 jours qui suivent la réception. »

 

[63]      L’Entrepreneur a voulu prouver, principalement au moyen du témoignage de monsieur Huberdeault, dont la compagnie Planchers Renaissance a installé les planchers en bois franc dans le condo du Bénéficiaire, que les travaux d’installation ont été faits selon les règles de l’art.

 

[64]      Le tribunal d’arbitrage n’a pas besoin de déterminer si l’Entrepreneur a réussi ou pas à démontrer que l’installation du plancher a été faite selon les règles de l’art. La raison est qu’il ne suffit pas pour un entrepreneur, qui conteste l’existence d’une malfaçon, de démontrer que l’exécution de son travail a été faite selon les règles de l’art.

 

[65]      En matière de droit de la construction, un entrepreneur a une obligation de résultat. Pour se dégager de cette responsabilité, s’il veut prouver l’absence d’une malfaçon - il doit prouver que le résultat de son travail, c’est-à-dire le plancher dont l’installation est complétée, rencontre la ou les norme(s) ou règle(s) de l’art en vigueur lors de cette installation, ou que ce résultat est conforme au contrat avec le client.

 

[66]      Dans cette cause, même si l’Entrepreneur avait réussi à démontrer (ce que le tribunal d’arbitrage ne  détermine pas) que l’exécution du travail d’installation était conforme aux règles de l’art, cette preuve serait insuffisante pour démontrer l’absence de malfaçon dans le plancher.

 

[67]      L’Entrepreneur plaide qu’il n’y a aucune norme ou règle de l’art juridiquement contraignable au Québec qui se rapportent aux planchers en bois franc et spécifiquement quant à la largeur des interstices entre les lattes de bois.

 

[68]      En ce qui concerne l’obligation d’un entrepreneur en construction d’agir conformément « aux usages et règles de leur art » - elle est prévue à l’article 2100 du Code civil du Québec.

 

[69]      Comment devait-il faire sa preuve de l’absence d’une norme ou d’une règle de l’art applicables au plancher de bois franc? Dans une autre cause, le juge Guy Ringuet, J.C.Q.[2] a écrit ceci « Le moyen de preuve relié aux règles de l’art doit en principe revêtir la forme d’une expertise car elle est de la nature d’une opinion. » Dans certains cas, selon le tribunal d’arbitrage, cette preuve des règles de l’art pourrait être fondée, par exemple, sur des présomptions de faits ou sur une preuve documentaire précise.

 

[70]      Parmi les sources qu’un expert pourrait considérer pour faire la démonstration de l’existence et du contenu d’une ou de plusieurs règles de l’art, M Bernard P. Quinn, dans son article intitulé « Les règles de l’art »[3] cite :

 

               1.      Les instructions ou guides fournis par les fabricants d’équipements ou matériaux entrant dans la construction des immeubles;

               2.      Les normes ou standards publiés par les organismes de normalisation;

               3.      Les lois ou règlements contenant des prescriptions obligatoires eu égard à l’ouvrage à construire;

               4.      Les publications scientifiques ou techniques utilisées à des fins d’enseignement des professions ou métiers ou servant à la dissémination du savoir le plus récent;

               5.      Le Code national du bâtiment du Canada.

 

[71]      Dans son article, Me Quinn écrit que cette liste n’est pas exhaustive. Il mentionne également que dans certaines situations, plusieurs de ces sources pourront s’avérer utiles alors que dans d’autres, plus rares toutetois, elles s’avéreront de peu d’utilité. De plus, il rappelle que les règles de l’art sont entièrement indépendantes quant à leur existence de ces différentes sources et qu’elles peuvent, du point de vue de leur formation, devancer le contenu de ces documents.

 

[72]      Dans la présente cause, l’Entrepreneur s’est limité à nier la norme de « 10 cents » ou de 1,1 mm publiée par l’APCHQ dans son fascicule et déposée en preuve par le témoin expert de l’Administrateur, madame Tremblay comme la pièce A-14, sans toutefois offrir sa propre preuve à l’effet que cette norme était désuète au Québec en septembre 2006 (lors de l’installation du plancher dans l’appartement du Bénéficiaire), ou que d’autres normes différentes pouvaient y être applicables. Le fardeau de preuve de discréditer cette norme de « 10 cents » incombait à l’Entrepreneur. L’Entrepreneur ne s’est pas déchargé de son fardeau. Par conséquent, le tribunal d’arbitrage ne peut accepter ses prétentions quant à la troisième question en litige.

 

[73]      Compte tenu de cette conclusion, le tribunal n’a pas besoin d’analyser les autres prétentions des parties.

 

Conclusions supplémentaires

 

[74]      La Loi sur le bâtiment[4] ainsi que le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète. L’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.

 

[75]      Selon l’article 37 du Règlement, les coûts de l’arbitrage sont partagés à parts égales entre l’administrateur et l’entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

 

[76]      Selon le paragraphe 39 du Règlement, les dépenses effectués par le Bénéficiaire, l’Entrepreneur et l’Administrateur pour la tenue de l’arbitrage sont supportées par chacun d’eux.

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

 

REJETTE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur relative aux interstices entre les lattes du plancher en bois franc du Bénéficiaire;

 

 

MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 24 avril 2009 et plus spécifiquement l’ordonnance de l’Administrateur à l’Entrepreneur d’effectuer les travaux correctifs requis à tous les interstices égaux ou supérieurs à 1,5 mm;

 

 

DÉCLARE que l’Entrepreneur devra effectuer ces travaux correctifs dans un délai de 60 jours de sa réception de la présente décision à moins que l’Entrepreneur et le Bénéficiaire conviennent par écrit que ces travaux pourront être effectués plus tard, à l’extérieur de ce délai de soixante (60) jours, afin de bénéficier d’un taux d’humidité à l’intérieur de l’unité de condominium du Bénéficiaire qui serait plus propice à ces travaux;


 

DÉCLARE que les frais de cet arbitrage sont partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur.

 

 

 

 

 

Montréal, le 4 décembre 2009

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Me ALBERT ZOLTOWSKI

Arbitre  / CCAC

 



[1]               R.Q.c. B-1.1, r.0.2

[2]               Centre de construction Marcel Pelletier inc. c. Nellis, Lemieux et Jeanne-Mance Perron; décision du 6 décembre 2007, no 130-22000510-064, p. 19

[3]               Développements récents en droit de la construction, 2002, vol. 170, p.23

[4]               Loi sur le bâtiment, L.R.Q. c. B-1.1