ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

 

 

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

(Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)

 

 

ENTRE :                                                    Samia Ouzegdough et Youcef Tiab

 

(ci-après « Les Bénéficiaires »)

 

ET :                                                             9095-9032 Québec inc. (Excellence Construcion)

 

(ci-après « L’Entrepreneur »)

 

 

ET :                                                             La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ INC.

 

(ci-après « l’Administrateur »)

 

No dossier CCAC : S14-091901-NP

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

 

Me Albert Zoltowski

 

 

 

Pour les Bénéficiaires :

 

Monsieur Youcef Tiab

 

 

 

Pour l’Entrepreneur :

 

Monsieur Sylvain Savoie

 

 

 

Pour l’Administrateur :

 

Me Julie Parenteau

 

 

 

Date de la décision :

 

Le 3 février 2015


 

 

Identification complète des parties

 

 

Arbitre :

 

Me Albert Zoltowski

1010, de la Gauchetière Ouest

Bureau 950

Montréal (Québec) H3B 2N2

 

 

 

Bénéficiaires :

 

Madame Samia Ouzegdough et

monsieur Youcef Tiab

[…] Laval (Québec) […]

 

 

 

 

Entrepreneur :

 

9095-9032 Québec inc.

1170, Montée du Moulin

Laval (Québec) H7A 3K8

 

 

 

 

Administrateur :

 

La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.

5930, boul. Louis-H.-Lafontaine

Montréal (Québec) H1M 1S7

 

À l’attention de Me Julie Parenteau

 

 

 

Sentence arbitrale

 

 

Mandat :

 

L’arbitre a reçu son mandat du Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) le 24 septembre 2014.

 

Historique du dossier :

 

 

25 juin 2014:

Inspection du bâtiment par l’Administrateur;

 

 

18 août 2014:

Décision de l’Administrateur;

 

 

19 septembre 2014:

Réception par le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial de la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;

 

 

24 septembre 2014:

Nomination de l’arbitre;

 

 

5 novembre 2014:

Avis aux parties pour la tenue d’une conférence préparatoire;

 

 

2 décembre 2014:

Avis aux parties pour la tenue d’une conférence préparatoire;

 

 

9 décembre 2014:

Conférence préparatoire;

 

 

13 janvier 2015:

Visite des lieux et audience;

 

 

3 février 2015

Sentence arbitrale.

 

 

SENTENCE

Introduction

 

[1]       Cette sentence traite du délai de dénonciation d’un défaut de construction allégué dont les modalités sont régies par le plan statutaire de la garantie des résidences neuves. Ce plan est régi par le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.[1] (ci-après le « Règlement »).

[2]       Les Bénéficiaires ont déposé leur réclamation auprès de l’Administrateur alléguant un défaut à leurs armoires de cuisine.

[3]       Après une visite au bâtiment des Bénéficiaires et une inspection de ces armoires, l’inspecteur-conciliateur, monsieur Marc-André Savage du Service de conciliation de l’Administrateur, a rendu une décision dans laquelle il a constaté un gonflement de la partie inférieure de tous les panneaux de porte de la cuisine et de la salle de bain.

[4]       Néanmoins, il a rejeté la réclamation au motif que le délai de dénonciation écrite qui doit être reçue par l’Entrepreneur et l’Administrateur en vertu du plan de garantie n’a pas été respecté. Ce délai de dénonciation devait être raisonnable et ne pouvait  excéder six (6) mois depuis la découverte du défaut allégué et sa dénonciation écrite à l’Entrepreneur et à l’Administrateur.

[5]       Insatisfaits de cette décision, les Bénéficiaires l’ont porté à l’arbitrage auprès du Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) (ci-après le « CCAC »). Cet organisme a désigné l’arbitre soussigné (parfois aussi appelé le « tribunal arbitral » ou « le tribunal ») pour disposer de la demande des Bénéficiaires.

[6]       Après une conférence préparatoire avec toutes les parties au cours de laquelle le tribunal arbitral a révisé avec elles, entre autres, les points en litige, les règles de preuve et de procédure, y compris celle de leur fardeau de la preuve, une audition a eu lieu.

[7]       À la demande des Bénéficiaires l’audition fut précédée par une visite des lieux de l’arbitre soussigné et du représentant de l’Entrepreneur. L’Administrateur n’y était pas présent malgré qu’il en avait été avisé préalablement.

Discussion sur la question en litige

[8]       Lors de notre conférence préparatoire, l’avocate de l’Administrateur a déclaré que les modalités prévues par le Règlement relatives au délai de dénonciation qui s’appliquaient dans ce dossier, sont celles prévues pour la dénonciation des vices cachés. Pourquoi ? Parce que la première fois que le problème fut dénoncé par écrit à l’Administrateur (13 janvier 2014) se situait à l’intérieur de la troisième année suivant la réception du bâtiment (18 juin 2011). À cette époque, pour que le défaut allégué puisse être couvert par le plan de garantie prévu par le Règlement, il devait nécessairement répondre aux exigences du Règlement qui s’appliquaient aux vices cachés.

[9]       L’exigence préliminaire pour que la garantie couvre un tel vice est que ce vice (qui, même à la date de cette sentence demeure hypothétique car il n’a pas encore été prouvé) soit dénoncé par écrit à l’Entrepreneur et à l’Administrateur à l’intérieur d’un délai raisonnable qui ne peut excéder six mois de sa découverte.

[10]    Lors de cette conférence préparatoire, le tribunal arbitral a référé les parties  expressément à l’article 1739 du Code civil du Québec. Cet article est spécifié à l’article 10, paragraphe 4 du Règlement qui traite des vices cachés.

[11]       Le premier alinéa de l’article 1739 CcQ prévoit que « Lorsque le vice apparaît graduellement » le délai, entre sa découverte et sa dénonciation écrite commence à courir du jour où les Bénéficiaires ont « pu en soupçonner la gravité et l’étendue. »

[12]    Dans sa décision, l’Administrateur écrit;

              « Les Bénéficiaires ont déclaré avoir découvert la situation décrite au point 1 au cours du mois de mars 2012. Quant à l’Administrateur, il fut informé par écrit de l’existence de cette situation pour la première fois le 13 janvier 2014.  »

Question en litige précisée

[13]    Dans l’hypothèse où le problème dénoncé par les Bénéficiaires est un vice caché, la principale mais pas nécessairement l’unique question en litige peut être précisée et formulée comme suit : À quelle date les Bénéficiaires ont pu soupçonner la gravité et l’étendue du vice allégué?

Preuve des Bénéficiaires

[14]    L’unique témoin des Bénéficiaires, et co-Bénéficiaire lui-même, Monsieur Youcef Tiab déclare qu’en mars 2012, il a remarqué que le bas des panneaux des deux portes de chaque côté de la hotte de cuisine n’était pas uniforme. Il a pu faire ce constat lorsque la lumière tombait en angles sur ces panneaux. Il a donc écrit un courriel à l’Entrepreneur le 21 mars 2012 l’informant de cette situation. Ce courriel est déposé en preuve comme la pièce A-4.

[15]    Un représentant de service de l’Entrepreneur, un certain «  monsieur Michel » est venu voir les armoires sur place. Ce dernier a ensuite téléphoné à « Meubles Design ». Selon le témoin, il s’agit du fabricant de ses armoires de cuisine.

[16]    Après cet appel, monsieur Michel a informé le témoin que le problème « n’est pas couvert par la garantie ».

[17]    Monsieur Michel a aussi déclaré au témoin que la cause du problème est un excès d’humidité.

[18]    Le bâtiment des Bénéficiaires est doté d’un échangeur d’air. C’est un système central qui contrôle, entre autres, l’humidité dans toute leur maison et qui possède plusieurs sorties d’air dispersées à travers la maison.

[19]    À la suite de cette réponse négative de monsieur Michel, les Bénéficiaires ne se sont plus occupés de ce problème jusqu’en novembre 2013.

[20]    En novembre 2013, le bord inférieur de toutes les portes et tiroirs de leurs armoires de cuisine a subi un gonflement et à certains endroits il a commencé à « s’écailler ».

[21]    Le témoin ignore quelle a pu être la cause de cette manifestation rapide et généralisée de ce problème qui s’est propagé quasi instantanément en novembre 2013.

[22]    En novembre 2013, le témoin a donc déposé une réclamation auprès de son assureur La Capitale pour être indemnisé pour les dommages subis à cause de ces problèmes d’armoires de cuisine.

[23]    Un expert en sinistre de la Capitale est venu et il a inspecté ces armoires. Il a promis de téléphoner à un autre entrepreneur que le témoin identifie comme étant « Les Armoires Saint-Constant », apparemment un fabricant d’armoires de cuisine.

[24]    Un représentant de cet entrepreneur est venu sur place. Cette visite a eu lieu à une date que le témoin situe entre le 10 novembre 2013 et le 24 décembre 2013. Ce représentant a informé le témoin qu’il avait déjà vu un problème semblable affectant des armoires comme celles des Bénéficiaires. Selon ce représentant, il s’agit d’un défaut de fabrication.

[25]    Au cours de la même période, soit entre le 10 novembre et le 24 décembre 2013, le témoin a aussi montré ses armoires de cuisine à son voisin et à un contracteur qui refaisait le sous-sol du bâtiment des Bénéficiaires.

[26]    Le 13 janvier 2014, les Bénéficiaires ont transmis à l’Entrepreneur, avec copie à l’Administrateur, une lettre de mise en demeure (pièce A-5) dont l’extrait pertinent se lit comme suit :

              « Nous avons approché certains entrepreneurs en armoires de cuisine pour effectuer des réparations sur nos armoires de cuisine par rapport à des dégâts qui seront expliqués ici-bas. Les entrepreneurs nous ont affirmé que les dégâts en question était (sic) clairement dus à un défaut de matériaux et en aucun cas à de l’usure normale ou encore à une mauvaise utilisation. Le défaut se trouve être un décollement du placage sur tout le bas de portes et les tiroirs de la cuisine. On vous signale que le problème avait été déjà soulevé le 21 Mars (sic) 2012 dans un email envoyé à vos services et qu’aucune réponse officielle ne nous avait été rendu (sic) sauf en nous disant que ce n’était pas garanti. De ce fait, nous estimons que la dénonciation avait été faite dans les délais raisonnables si on considère la garanties (sic) sur les finitions, si non, si on considère le vrai défaut qui est un défaut de matériaux alors la garantie s’applique toujours. »

[27]    Par une lettre datée du 5 février 2014, l’assureur des Bénéficiaires, la compagnie La Capitale, rejetait leur réclamation d’indemnisation « pour les raisons mentionnées antérieurement ». Un extrait de la police d’assurance était annexé à cette lettre. Le paragraphe 14 de cet extrait qui référait à l’exclusion de couverture d’assurance pour « le coût des travaux de réfection ou de correction rendus nécessaires par la malfaçon ou des défauts dans les matériaux » était souligné. Les Bénéficiaires ont transmis copie de cette correspondance à l’Administrateur le 11 février 2014 (pièce B-1 en liasse).

[28]    En contre-interrogatoire, l’avocate de l’Administrateur cite le texte du courriel que le témoin a transmis à l’Entrepreneur et qui est daté du 21 mars 2012 (pièce A-4). (Ce courriel est mentionné au paragraphe 14 ci-haut.)

[29]    Le deuxième paragraphe de ce courriel se lit comme suit :

              « De plus, lors de la dernière visite de Mr. Michel concernant la condensation d’eau il a attiré mon attention sur un défaut de fabrication des armoires de cuisine qu’il croyait dues (sic) à de la vapeur d’eau. En réalité cela n’a absolument rien avoir (sic) car je le trouve dans toutes les portes des armoires de cuisines (sic) : c’est un défaut de collage du placage des portes, donc j’aimerais aussi que vous fassiez quelque chose pour réparer ceci. »

[30]    L’avocate de l’Administrateur souligne que dans l’extrait précité, le témoin réfère à un défaut « dans toutes les portes des armoires de cuisine » et pas seulement dans les deux portes à côté de la hotte.

[31]    Le témoin explique qu’il a peut-être exagéré un peu en référant à toutes les portes dans son courriel.

[32]    De plus, il explique que ce qui l’a motivé à écrire la lettre de mise en demeure en janvier 2014 (pièce A-5) était en partie le refus de son assureur La Capitale de sa réclamation d’indemnisation pour dommages causés par les armoires défectueuses et en partie par l’avis qu’il a reçu des Armoires Saint-Constant. C’est à ce moment là qu’il a réalisé qu’il s’agissait d’un vice caché. Selon lui ce nétait pas normal, qu’après trois ou quatre ans, les armoires de cuisine aient une apparence si détériorée.

[33]    Ce qui l’a motivé à envoyer la mise en demeure (pièce A-5) était aussi son « sentiment de se faire avoir ».

Preuve de l’Entrepreneur

[34]    L’unique témoin et le représentant de l’Entrepreneur à l’audition est monsieur Sylvain Savoie. Ce que le tribunal arbitral retient de son témoignage se résume à ce qui suit.

[35]    La première fois qu’il a vu les armoires de cuisine des Bénéficiaires était lors de sa visite, et celle de l’arbitre soussigné, immédiatement avant l’audience.

[36]    Il a consulté avant l’audience le dossier de « monsieur Michel » qui est un responsable de service au sein de l’équipe de l’Entrepreneur.

[37]    Il n’a pas apporté ce dossier à l’audience car il jugeait « que ce n’était pas pertinent ».

[38]    Il déclare que les panneaux des portes et des tiroirs des armoires des Bénéficiaires sont faits de panneaux de particules en MDF qui sont recouverts de feuilles de mélamine.

[39]    Selon lui, la partie inférieure du placage des portes des armoires et des tiroirs est gonflée. Il n’a pas constaté de décollage du placage en mélamine des panneaux en MDF.

Preuve de l’Administrateur

[40]    Ce que le tribunal arbitral retient du témoignage de monsieur Marc-André Savage, l’auteur de la décision de l’Administrateur peut être résumé ainsi :

[41]    Lors de son inspection des armoires de cuisine des Bénéficiaires en date du 25 juin 2014, il a rencontré seulement madame Samia Ouzegdough, co-Bénéficiaire.

[42]    Lors de cette visite, madame Ouzegdough lui a remis le courriel du 21 mars 2012 (pièce A-4) adressé par son conjoint monsieur Youcef Tiab (co-Bénéficiaire) à l’Entrepreneur (pièce A-4). Avant la date de sa visite, il n’a pas vu ce courriel qui ne faisait pas partie du dossier de l’Administrateur relatif à la réclamation des Bénéficiaires.

[43]    Lors de cette visite, il a constaté que le placage en mélamine de couleur foncée qui recouvre tous les panneaux verticaux des armoires de cuisine était gonflé. Certains de ces panneaux l’étaient plus que d’autres. Il n’a pas inspecté les panneaux à l’intérieur des caissons des armoires qui sont d’une couleur claire.

[44]    Ce qu’il a entendu à l’audience correspond à ce qu’il a constaté lors de son inspection, sauf quant à l’aspect évolutif de l’état des panneaux.

Prétentions des parties

[45]    Selon les Bénéficiaires, lorsqu’ils ont envoyé leur courriel à l’Entrepreneur en mars 2012 (pièce A-4), le problème des armoires était de nature esthétique. En janvier 2014, lorsqu’ils ont transmis la lettre de mise en demeure (pièce A-5) à l’Entrepreneur avec copie à l’Administrateur, le problème était  devenu un vice.

[46]    En tant que consommateurs et bénéficiaires du plan de garantie, ils considèrent que le rejet par l’Administrateur de leur réclamation uniquement sur la base du dépassement du délai de dénonciation est injuste.

[47]    Ils trouvent que l’Administrateur dans sa décision a appliqué le Règlement de façon « carrée ».

[48]    Selon eux, tous les cabinets de leurs armoires de cuisine devront être refaits.

Prétentions de l’Entrepreneur

[49]    Selon l’Entrepreneur, le but visé par le Règlement est de protéger non seulement les bénéficiaires du plan de garantie mais aussi les entrepreneurs.

[50]    Il demande que la décision de l’Administrateur soit maintenue.

Prétentions de l’Administrateur

[51]    Selon l’Administrateur, la découverte des problèmes des armoires a été faite par les Bénéficiaires en mars 2012 lorsque monsieur Tiab a transmis son courriel du 21 mars 2012 (pièce A-4) à l’Entrepreneur.

[52]    Selon l’Administrateur, la première dénonciation écrite qui lui a été transmise était la lettre de mise en demeure à l’Entrepreneur, avec copie à l’Administrateur, datée du 13 janvier 2014 (pièce A-5).

[53]    L’Administrateur indique plusieurs similitudes entre ces deux lettres, y compris la référence « à toutes les portes » des armoires qui apparaît déjà à la première dénonciation écrite à l’Entrepreneur (pièce A-4).

[54]    L’Administrateur souligne que le délai de dénonciation prévu au Règlement qui ne peu dépasser six mois entre la découverte et la dénonciation écrite à l’Administrateur et à l’Entrepreneur, est un délai de rigueur et d’échéance.

[55]    Il demande que la décision de l’Administrateur soit maintenue.

Analyse et décision

[56]    La preuve des parties concernant les modalités de la dénonciation vise les exigences prévues à l’article 10 paragraphe 4 du Règlement qui traite des vices cachés. Voici le texte de ce paragraphe :

              « 10.          La garantie d’un plan dans le cas de manquements de l’entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir :

 

              4)      la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six mois de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;»

[57]    La référence à l’article 1739 du Code civil sert à établir le point de départ du délai de dénonciation lorsque le vice se manifeste de façon graduelle. En d’autres mots, dans le cas d’un vice graduel, cet article détermine la date de sa découverte. L’extrait pertinent de l’alinéa 1 de l’article 1739 CcQ se lit comme suit :

              « Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l’acheteur a pu en soupçonner la gravité et l’étendue. »

[58]    Selon la décision de l’Administrateur, cette découverte a eu lieu en mars 2012.

[59]    À l’audience, la position du Bénéficiaire était à l’effet que cette découverte a eu lieu seulement au cours des mois de novembre et décembre 2013 et elle est décrite dans la première dénonciation écrite à l’Administrateur qui est la lettre de mise en demeure de monsieur Tiab du 13 janvier 2014.

[60]    Selon le témoignage de monsieur Tiab, il a exagéré l’ampleur des dommages aux armoires de cuisine qu’il a décrit dans son courriel du 21 mars 2012 à l’Entrepreneur. À l’étape de l’argumentation, il plaide qu’en mars 2012, le problème était de nature esthétique et qu’’il a pris tout son ampleur seulement en novembre 2013.

[61]    Le fait que la première dénonciation écrite à l’Administrateur a eu lieu par la voie de la lettre de mise en demeure du 13 janvier 2014 est reconnu par toutes les parties.

[62]    Pour se décharger de leur fardeau de la preuve, les Bénéficiaires, en tant que demandeurs de l’arbitrage, doivent convaincre le tribunal arbitral par une preuve prépondérante (selon l’article 2804 du Code civil du Québec) que c’est seulement au cours des six mois précédant la mise en demeure du 13 janvier 2014 qu’ils ont pu soupçonner la gravité et l’étendue du vice, et pas avant.

[63]    Selon la preuve soumise, déjà en mars 2012, les Bénéficiaires ont pu soupçonner que toutes les portes de leur cuisine, et pas seulement les deux portes de chaque côté de la hotte, étaient affectées d’un problème. De plus, ils ont pu soupçonner qu’il s’agissait d’un problème d’une certaine gravité. Ceci ressort du courriel de monsieur Tiab à l’Entrepreneur daté du 21 mars 2012 (pièce A-4) dont l’extrait pertinent se lit comme suit :

              « En réalité cela n’a absolument rien avoir (sic) car je le trouve dans toutes les portes des armoires de cuisine : c’est un défaut de collage du placage des portes, donc j’aimerais aussi que vous fassiez quelques chose pour réparer ceci. »

[64]    Il est exact que la preuve révèle également qu’au cours du mois de novembre 2013, soit à l’intérieur des six mois précédant la mise en demeure du 13 janvier 2014, l’étendue du problème a augmenté car il touchait également le placage de la partie inférieure des tiroirs. De plus, selon le témoignage Tiab, en novembre 2013, certains rebords inférieurs des portes et des tiroirs des armoires ont commencé à s’écailler.

[65]    La preuve révèle également que le degré de certitude des Bénéficiaires quant à la cause de ces problèmes a augmenté en novembre et décembre 2013 lorsque le représentant du fabricant d’armoires de la compagnie identifiée par M. Tiab comme étant Les Armoires Saint-Constant leur a déclaré qu’il s’agissait d’un problème qu’il a déjà rencontré et qu’il a qualifié de défaut de fabrication selon l’extrait suivant de la mise en demeure du 13 janvier 2014 :

              « Les entrepreneurs nous ont affirmé que les dégâts en question étaient clairement dus à un défaut de matériau et en aucun cas à de l’usure normale ou encore à une mauvaise utilisation. Le défaut se trouve être un décollement du placage sur tout le bas des portes et les tiroirs de la cuisine. On vous signale que le problème avait été déjà soulevé le 21 mars 2012 dans mon e-mail envoyé à vos services et qu’aucune réponse officielle ne nous avait été rendue sauf en nous disant que ce n’était pas garanti. »

[66]    Cependant, le tribunal arbitral note que déjà en mars 2012, selon le courriel de M. Tiab à l’Entrepreneur du 21 mars 2012, les Bénéficiaires invoquaient :

            - « un défaut de fabrication des armoires de cuisine, »

            - spécifiquement, ils invoquaient « un défaut de collage du placage des portes »,

                        - ils identifiaient « toutes les portes des armoires de cuisine » comme étant ainsi affectées.

[67]    Dans leur lettre de mise en demeure du 13 janvier 2014, les Bénéficiaires décrivent la situation en termes qui ne sont pas très différents de ceux dans le courriel précité de mars 2012. Ils réfèrent à un « défaut de matériau » et ils identifient ce défaut comme provenant d’un « décollement du placage sur tout le bas des portes et les (sic) tiroirs ».

[68]    De plus, ils signalent dans cette lettre de mise en demeure de janvier 2014, que ce « problème avait déjà été soulevé le  21 Mars (sic) 2012 dans un email envoyé à vos services et qu’aucune réponse officielle ne nous avait été rendu (sic) sauf en nous disant que ce n’était pas garanti. » Ils ne réfèrent pas à d’autres éléments significatifs qui auraient pu modifier leur perception initiale de mars 2012 quant à la « gravité et l’étendue » du vice qu’ils ont décrit en mars 2012.

[69]    Le fait que le degré de certitude des Bénéficiaires a augmenté à cause du diagnostic d’un représentant d’Armoires Saint-Constant en novembre ou décembre 2013 qu’il s’agissait d’un défaut de fabrication - n’est pas, selon ce tribunal, essentiel pour déterminer le point de départ, ou la date de la découverte, qui marque le départ du délai de dénonciation prescrit à l’article 1739 CcQ al. 1.

[70]    Cet article détermine ce point de départ, soit la découverte, au jour où les Bénéficiaires « ont pu soupçonner » seulement la gravité et l’étendue du vice. Selon l’évaluation de la preuve qui lui a été soumise, le tribunal est d’avis que les Bénéficiaires ont pu soupçonner la gravité et l’étendue du vice en mars 2012. Déjà en mars 2012, ils identifiaient la nature de ce vice comme un « défaut de collage du placage des portes ». De plus, ce vice affectait « toutes les portes des armoires de cuisine ».

[71]    Pour ces raisons, le tribunal arbitral vient à la conclusion que les Bénéficiaires ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve qui aurait pu permettre à ce tribunal de modifier la décision de l’Administrateur.

Commentaires supplémentaires

[72]    Lors de leur argumentation, les Bénéficiaires ont déclaré qu’ils considéraient que le rejet par l’Administrateur de leur réclamation uniquement sur la base du dépassement du délai de dénonciation est injustifié. De plus, ils trouvaient que l’Administrateur avait appliqué le Règlement de façon « carrée » (leur mot), ou stricte.

[73]    Malgré le fait que la conclusion à laquelle le tribunal arbitral est arrivé telle que décrite ci-haut est suffisante pour rejeter la demande d’arbitrage des Bénéficiaires, le tribunal désire ajouter quelques commentaires afin de répondre à la prétention des Bénéficiaires.

[74]    Il est exact que dans sa décision, l’Administrateur a rejeté la réclamation des Bénéficiaires uniquement sur la base du dépassement du délai de dénonciation maxi-mal de six mois. Toutefois, et comme l’a souligné l’Administrateur lors de sa plaidoirie, il n’a fait qu’appliquer l’interprétation de ce délai établie par la jurisprudence arbitrale.

[75]    Selon cette jurisprudence arbitrale, ce délai qui ne peut excéder six mois est de rigueur et de déchéance. Il y a plusieurs sentences arbitrales qui ont réitéré cette interprétation.

[76]    Une des premières de ces sentences a été rendue par Me Jean-Philippe Ewart dans la cause Niki Appolonatos[2]. Dans cette sentence l’arbitre Jean-Philippe Ewart s’exprime ainsi :

                «[48]    Le Tribunal est d’avis, tel que le soussigné l’a exprimé récemment dans une autre affaire, que le délai maximum de six (6) mois prévu aux alinéas 3e , 4e et 5e respectivement de l’article 10 du Règlement est de rigueur et de déchéance et ne peux conséquemment être sujet à extension. »

[77]    Au paragraphe 54 de la même sentence, l’arbitre Jean-Philippe Ewart écrit :

                « [54]   En résumé, la dénonciation prévue à l'article 10 du Règlement se doit d'être par écrit, est impérative et essentielle, le délai de six mois prévu au même article emporte et est un délai de déchéance, et si ce délai n'est pas respecté, le droit des Bénéficiaires à la couverture du plan de garantie visé et au droit à l'arbitrage qui peut en découler sont respectivement éteints, forclos et ne peuvent être exercés.»

[78]    De plus, à la lumière de cette jurisprudence arbitrale, le tribunal arbitral ne peut exercer sa juridiction (selon l’article 116 du Règlement) afin de suspendre, interrompre ou prolonger ce délai au-delà de sa limite maximale de six mois.

[79]    Ces commentaires du tribunal arbitral se limitent à la durée du délai de dénonciation prescrit par l’article 10 du Règlement. Il faut se rappeler aussi que la décision de l’Administrateur est silencieuse quant à l’existence ou l’inexistence d’un vice caché. Si les Bénéficiaires décident de prendre un recours contre l’Entrepreneur devant un tribunal civil sur la base du contrat d’achat de leur bâtiment plutôt que sur celle fondée sur le plan de garantie régi par le Règlement, ni cette sentence ni la décision de l’Administrateur ne devraient les empêcher de le faire.

Vices majeurs

[80]    Pour compléter ses commentaires, le tribunal arbitral note que les dispositions de l’article 10 paragraphe 5 du Règlement qui traitent de vices qui apparaissent dans les 5 années suivant la fin des travaux ne s’appliquent pas en cette instance. Ce paragraphe 10(5) réfère aux vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code civil. De plus, ce paragraphe prévoit qu’en cas de vice ou de perte graduelle, le délai de dénonciation maximal de six mois débute de la première manifestation des vices. Non seulement, ce paragraphe 5 de l’article 10 du Règlement réfère à l’article 2118 C.c.Q. qui traite des vices qui entraînent « une perte de l’ouvrage », mais leur délai de dénonciation commence à courir dès leur première manifestation. Selon la preuve qui a été soumise lors de l’audience, il est clair que la première manifestation du vice est apparue en mars 2012 (pièce A-4). Conséquemment, le délai de dénonciation prévu à ce paragraphe a été dépassé et les Bénéficiaires ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve même si on appliquait  ce paragraphe 10(5) du Règlement.

Modification du Règlement

[81]    Au tout début de l’audience, l’arbitre soussigné a rappelé aux parties que certaines dispositions du Règlement ont été modifiées par un nouveau règlement qui est entré en vigueur le 1er janvier 2015.[3]

[82]    Une de ces modifications vise les paragraphes 10(4) et 10(5) du Règlement. Dans ces paragraphes, l’expression « lequel ne peut excéder six mois » est supprimée et dans le paragraphe 10(5), à la fin, le mot « manifestation » est remplacé par « manifestation significative ».

[83]    À la même occasion, le tribunal arbitral a demandé aux parties de lui exposer leurs positions respectives quant à l’application à la preuve exposée devant ce tribunal de « l’ancien » paragraphe 4 du Règlement, tel qu’il se lisait avant le 1er janvier 2015, ou du « nouveau » paragraphe 10(4) tel qu’il se lit depuis le 1er janvier 2015.

[84]    La position de l’Administrateur, qu’il a exprimée succinctement et sans référer à aucune autorité doctrinale ou jurisprudentielle, est que c’est l’ancien paragraphe 10(4) qui contient la référence à un délai maximal de 6 mois qui devait être appliqué par ce tribunal. Il a motivé sa position en invoquant le fait que la même version de l’article 10 du Règlement qui a été appliquée par l’Administrateur dans sa décision devrait l’être également par ce tribunal.

[85]    Les autres parties ont gardé un silence complet sur cette question.

[86]    Malgré le fait que cette question est intéressante et engendrera sûrement des débats, des sentences arbitrales et possiblement des jugements de nos tribunaux civils après le 1er janvier 2015 dans des causes d’arbitrage dont certains éléments sont survenus avant le 1er janvier 2015, ce tribunal arbitral n’a pas besoin de statuer sur cette question.

[87]    Pourquoi? Parce que dans cette cause, entre la découverte du vice en mars 2012 et la première dénonciation écrite de ce vice à l’Administrateur le 13 janvier 2014, un délai d’une durée de quelque 22 mois s’est écoulé. Selon le tribunal arbitral, à la lumière des circonstances mises en preuve, un délai si long n’est pas raisonnable et ce, même sous l’égide du nouveau paragraphe 4 de l’article 10. Chaque cause doit être évaluée selon les circonstances qui y sont propres.

[88]    Le tribunal arbitral note que s’il appliquait le nouveau paragraphe 5 de l’article 10 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs qui prévoit, dans le cas d’un vice graduel ou d’une perte, que le délai de dénonciation raisonnable commence à courir à partir de la « manifestation significative » de ce vice ou de cette perte - il arriverait à la même conclusion. Le tribunal arbitral estime que le courriel de M. Tiab du 21 mars 2012 démontre l’existence d’une manifestation significative du vice ou de la perte affectant les armoires. Selon le tribunal, ce délai de quelque 22 mois entre cette manifestation significative et la dénonciation écrite à l’Administrateur du 13 janvier 2014 - n’est pas raisonnable.

Conclusions supplémentaires

[89]    Selon les dispositions du Règlement, l’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.

[90]    Selon l’article 116 du Règlement un arbitre statue conformément aux règles de droit.  Il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.

[91]    Lorsque les demandeurs sont des bénéficiaires du plan de garantie, le Règlement prévoit que les coûts de l’arbitrage sont à la charge de l’administrateur à moins que les bénéficiaires n’obtiennent gain de cause sous aucun des aspects de leur réclamation auquel cas, l’arbitre départage ces coûts.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ARBITRAL :

DÉCLARE que les Bénéficiaires n’ont pas réussi à prouver selon la prépondérance des probabilités que la décision de l’Administrateur du 18 août 2014 doit être modifiée;

REJETTE la demande d’arbitrage des Bénéficiaire; et

DÉCLARE que les coûts de cet arbitrage sont à la charge de l’Administrateur.

 

 

Montréal, le 3 février 2015

 

 

 

 

 

 

 

 

Me ALBERT ZOLTOWSKI

Arbitre  / CCAC

 



[1]              R.Q. c. B-1.1, r.0.2, modifié par le Décret 156-214 (voir la note 3)

[2]              Niki Appolonatos et George Karounis c. Habitations Luxim inc. et La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ, CCAC, 4 juin 2008, Me Jean-Philippe Ewart

[3]              Règlement modifiant le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, Décret 156-214 du 19 février 2014; Gazette officielle du Québec, 5 mars 2014, p.869

 

Jurisprudence citée :

 

1.        Roll c. Groupe Maltais (97) inc., Soreconi, 6 juin 2006 , Me Michel A. Jeanniot;

2.        La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. c. Desindes et Blanchet, C.A. Montréal, no 500-09-013349-030, 15 décembre 2004, jj. Rousseau-Houle, Morin, Rayle J.C.;

3.        SDC Les jardins du parc c. La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., GAMM, 28 janvier 2010, Me Johanne Despatis;

4.        Picard  c. Berthiaume constructif inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., CCAC, 30 août 2006, Jean Royer, arbitre;

5.        Hamelin c. Groupe Sylvain Farand inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., CCAC, 26 avril 2014, Me Jean Leblanc;

6.        Domaine & Bellerive c. Construction Robert Garceau inc. et La Garantie Qualité Habitation, CCAC,  18 juillet 2014, Me Michel A. Jeanniot;

7.        Hamelin c. Groupe Sylvain Farand inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., CCAC, 26 avril 2014, Me Jean Leblanc;

8.        Shanmuganathan et al. c. Saint-Luc Habitation inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., CCAC, 18 juin 2010, Me Albert Zoltowski.

9.        Frédéric et al. c. Habitations André Taillon inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., CCAC, 18 juillet 2012, Me France Desjardins.

10.     Drouin c. Construction Nordi inc. et La Garantie Qualité Habitation, GAMM, 2 décembre 2012, Me Johanne Despatis;

11.    Côté et al. c. Les constructions E.D.Y. inc.et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de L’APCHQ inc., CCAC, 12 janvier 2010, Me Pierre Bélanger;

12.    Stante et al. c. Les constructions Oakwood Canada inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., SORECONI, 2 juillet 2009, Me Michel A. Jeanniot;

13.    Plasimé et Les Habitations Sylvain Ménard inc., CCAC, 17 février 2012, Me Albert Zoltowski;