[1] LA COUR; - Statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 30 avril 2009 par la Cour supérieure, district de Longueuil (l’honorable Kirkland Casgrain), qui a fait droit à la requête en révision judiciaire des intimés Rae et Nutter et annulé une sentence arbitrale de Me Johanne Despatis rendue le 10 juin 2008;
[2] Pour les motifs du juge Morissette auxquels souscrivent les juges Giroux et Gagnon, la Cour :
[3] ACCUEILLE l’appel, avec dépens, et
[4] REJETTE la requête en révision judiciaire des intimés Rae et Nutter, avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE MORISSETTE |
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[5] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure qui a fait droit à la requête en révision judiciaire des intimés Rae et Nutter (les « intimés »), et qui a cassé une sentence arbitrale prononcée en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[1] (le « Règlement »). Cette sentence donnait raison à l’appelante et à la Garantie des bâtiments résidentiels neufs (la « Garantie ») de l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec inc. (« l’APCHQ »).
[6] Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis qu’il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris et de rétablir la sentence annulée en première instance.
I. CIRCONSTANCES À L’ORIGINE DU DOSSIER
[7] Les faits pertinents sont relativement simples. L’appelante est l’entrepreneur avec lequel les intimés ont contracté pour la construction de leur résidence. L’appelante a coulé les fondations du bâtiment au niveau de la nappe phréatique, et non au-dessus, comme cela aurait dû être fait. Il en est résulté un problème tenace d’infiltration d’eau dans le sous-sol, devenu insalubre pour cette raison.
[8] L’appelante et les intimés étaient liés par un contrat-type en deux volets conçu par l’APCHQ, le « Contrat d’entreprise et contrat de garantie » [le « Contrat »]. Le volet garantie du Contrat, qui est conforme au Règlement, a reçu l’approbation de la Régie du bâtiment du Québec [la « Régie »] par une décision du 5 octobre 1998. Ce faisant, la Régie donnait effet aux articles 77 à 83.1 de la Loi sur le bâtiment[2] [la « Loi »] et exerçait les pouvoirs qui lui sont conférés par ces dispositions.
[9] Le Contrat précise la procédure que doit suivre le « bénéficiaire » (en l’occurrence, les intimés) pour que l’ « administrateur » (en l’occurrence, la Garantie) prenne une décision sur les travaux à effectuer pour remédier à des malfaçons. Cette procédure a été suivie ici.
[10] L'expert de la Garantie a envisagé deux mesures possibles pour résoudre le problème d'infiltration d'eau dans le sous-sol des intimés :
― évacuer l'eau sans toucher aux fondations, en installant un système de drainage et de pompes qui fonctionnerait de manière continue;
― imperméabiliser la dalle du sous-sol.
Il a cependant écarté la première mesure au profit de la seconde. Sur ses conseils, la Garantie a considéré que la seconde solution était appropriée et elle a rendu sa décision en conséquence.
[11] Mécontents de ce résultat, les intimés se sont prévalus de la procédure d’arbitrage prévue dans le Contrat, en des termes presque identiques à ceux de l’article 19 du Règlement :
19. Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.
L’objet de l’arbitrage était de déterminer laquelle des diverses solutions proposées par les experts des parties serait appliquée pour corriger les malfaçons constatées dans le bâtiment. En effet, après la décision de la Garantie, les intimés avaient mandaté leur propre expert aux fins de l’arbitrage et celui-ci avait recommandé le soulèvement du bâtiment afin qu’il soit rehaussé de manière permanente au-dessus de la nappe phréatique.
[12] Dans sa sentence, l'arbitre confirme la décision de la Garantie et statue que la seconde solution était appropriée. Plus loin dans ces motifs, je reviendrai sur la motivation de cette sentence.
II. JUGEMENT ENTREPRIS
[13] Le juge de première instance cite en premier lieu l’arrêt Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc. c. Desindes[3] et mentionne que, sur une question comme celle que soulève le dossier, la norme d’intervention à laquelle est astreinte la révision judiciaire est « celle de la décision raisonnable » — en d’autres termes, seule une décision déraisonnable de l’arbitre peut être annulée par la Cour supérieure dans l’exercice de son pouvoir de contrôle.
[14] Je note en passant que c’est à la demande du juge que les parties ont versé au dossier de la Cour supérieure la transcription de la preuve testimoniale entendue par l’arbitre. L’arbitre elle-même n’avait pas cette transcription en main et, comme elle le remarque au paragraphe [7] de sa sentence, c’est à partir de ses notes personnelles qu’elle a rédigé sa sentence.
[15] Après avoir passé en revue les parties de la preuve testimoniale et documentaire qui lui semblent pertinentes, le juge explique en trois paragraphes lapidaires pourquoi, selon lui, la sentence arbitrale est déraisonnable : la solution proposée par l’expert des intimés est celle que l’arbitre devait préférer parce que (1) elle permettra à ces derniers d’utiliser leur sous-sol, (2) elle est permanente, et (3) elle ne comporte pas comme inconvénient le bruit dégagé par une pompe de vidange. Le dispositif du jugement est formulé en ces termes :
ACCUEILLE la requête comme suit :
ANNULE la partie suivante du dispositif de la sentence arbitrale rendue le 10 juin 2008, à savoir, en page 37 de cette décision,
"(…) la seconde solution proposée par l'expert Bilodeau dans son rapport à la page 7 (…)";
ET lui substitue le texte suivant, à savoir :
"(…) au rapport de l'expert Rodrigue comme étant "la troisième alternative" en dernière page de son rapport (…)";
AVEC DÉPENS en faveur des requérants contre la mise en cause La Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ INC.
III. FOND DU POURVOI
A. Cadre d’intervention
[16] Ni la Loi ni par conséquent le Règlement ne contiennent de clause privative applicable aux décisions arbitrales. Néanmoins, il est clair que le processus de résolution des différends mis en place par le Règlement en est un à l’égard duquel les tribunaux de droit commun doivent observer une mesure de déférence. Dans l’arrêt Desindes, la juge Rayle, auteure des motifs unanimes de la Cour, notait ce qui suit :
[43] … L’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel (articles 19, 20, 106 et 120 du Règlement). Enfin, il doit statuer « conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient » (article 116 du Règlement).
En outre, le Règlement prévoit explicitement que seules des personnes versées en semblables matières peuvent assumer la fonction d’arbitre :
111. Seules les personnes physiques ayant de l'expérience dans les plans de garantie ou la formation professionnelle dans les matières se rapportant aux questions soulevées par l'arbitrage notamment en finance, en comptabilité, en technique de la construction ou en droit peuvent être accréditées comme arbitres auprès de l'organisme d'arbitrage.
Enfin, l’assujettissement de la décision arbitrale au processus d’homologation des articles 946 à 946.6 C.p.c. par l’article 121 du Règlement est une autre indication de la volonté de préserver une marge suffisante d’autonomie décisionnelle pour l’arbitre.
[17] Le juge de première instance a estimé avec raison qu’il était lié par l’arrêt Desindes[4]. Selon cet arrêt, c’est la raisonnabilité de la décision arbitrale qui fait l’objet du débat en révision judiciaire. Sur cette notion, je rappelle deux brefs passages de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[5] :
[46] En quoi consiste cette nouvelle norme de la raisonnabilité? Bien que la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes. La question de ce qui est raisonnable, de la raisonnabilité ou de la rationalité nous interpelle dans tous les domaines du droit. Mais qu’est-ce qu’une décision raisonnable? Comment la cour de révision reconnaît-elle une décision déraisonnable dans le contexte du droit administratif et, plus particulièrement, dans celui du contrôle judiciaire?
[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
L’arrêt Desindes, bien qu’il soit antérieur à l’arrêt Dunsmuir, conserve toute sa pertinence ici[6] et il met bien en lumière le caractère particulier mais obligatoire[7] de l’arbitrage prévu par le Règlement.
B. Motivation de la sentence arbitrale
[18] À ce stade, il convient d’examiner de près les motifs pour lesquels l’arbitre s’est prononcée comme elle l’a fait. Je me propose de procéder à cet examen en citant assez longuement les passages qui paraissent les plus importants dans le cheminement du raisonnement de l’arbitre, car le caractère raisonnable ou non de sa décision est la seule question que nous sommes appelés à résoudre dans ce pourvoi.
[19] La sentence de l’arbitre - sa deuxième au dossier puisqu’elle s’était déjà prononcée sur l’irrecevabilité pour cause de tardiveté d’une demande de l’appelante - comporte 165 paragraphes, répartis sur 37 pages.
[96] La preuve révèle que la hauteur du radier des fondations est inférieure à la norme d’élévation de 18,3 m prescrite par la Ville de Carignan. Fait à souligner, la non-conformité à cette norme municipale de construction, révélée apparemment par l’expertise de monsieur Rodrigue, n’a fait l’objet d’aucune réclamation auprès de l’administrateur, ni donc d’une décision de sa part. Selon ma compréhension des choses, cette absence de conformité n’est causale ni dans les infiltrations ni dans l’humidité dont sont victimes les bénéficiaires. Selon la preuve, même si elle y avait été conforme, la construction telle qu’elle se trouve n’aurait quand même pas été à l’abri des problèmes dont il s’agit ici.
Plus loin, elle précise à quel genre de démonstration doivent s’astreindre les intimés s’ils comptent avoir gain de cause devant elle :
[130] Concrètement ici, les bénéficiaires pour réussir devaient démontrer par une preuve prépondérante que les solutions préconisées par l’administrateur ne sont pas conformes au Plan et n’auront pas vraisemblablement l’effet correctif recherché d’assurer selon l’article 10 du Plan la réparation des malfaçons ou vices, soit en l’occurrence d’éliminer les infiltrations d’eau, la condensation occasionnée par le taux d’humidité excessif affectant la dalle et le fini la recouvrant de la résidence des bénéficiaires.
[Caractères gras et italiques tirés de l’original]
Enfin, elle rappelle quel est son rôle dans le cadre d’un arbitrage comme celui-ci, régi par le Règlement :
[135] La question, selon le Plan, à l’examen, n’est pas pour l’administrateur de retenir la solution qui serait idéale, qu’on l’appelle permanente ou autrement, mais bien de s’assurer de la conformité au Plan de la solution retenue, i.e. celle qui réparera la malfaçon ou le vice. Concrètement, il ne s’agit donc pas de rechercher et de choisir la solution parfaite ni celle qui paraîtrait parfaitement satisfaisante mais plutôt celle qui assurera la réparation de la malfaçon ou du vice décelé. C’est là le sens et la portée de la garantie offerte par le Plan contre les malfaçons et les vices.
[136] Ainsi, ce que les bénéficiaires devaient démontrer est que les solutions retenues par l’administrateur ne rencontrent pas ces attentes du Plan.
[137] J’ai indiqué déjà que le rôle de l’arbitre est d’assurer la conformité des décisions de l’administrateur, non de s’y substituer. Pour intervenir, l’arbitre doit dans un premier temps avoir été convaincue de l’à-propos en vertu du Plan d’écarter comme mal fondée la décision de l’administrateur.
[138] Concrètement ici, cela signifie que l’arbitre doit être convaincu au moyen d’une preuve prépondérante que les solutions retenues par l’administrateur, ne sont pas conformes au Plan en ce qu’elles ne débarrasseront pas l’immeuble du vice ou de la malfaçon l’affligeant.
Rien dans ce qui précède ne peut être qualifié d’interprétation déraisonnable du Contrat ou du Règlement; au contraire, ces propos s’inscrivent dans le courant de la jurisprudence arbitrale rendue en application du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.
[21] L’arbitre se tourne ensuite vers la question de fond. Le débat devant elle devait l’amener à choisir l’une des trois solutions envisagées par les experts, les deux premières décrites par l’expert qu’avait consulté la Garantie et la troisième par l’expert cité devant l’arbitre par les intimés. Elle écrit à leur sujet : « Les deux premières solutions sont jugées conformes au Plan et retenues par l’administrateur. La troisième, que n’a jamais considérée l’administrateur, écarte les précédentes en faveur d’une autre. » Les éléments décisifs de son analyse sont les suivants, pour chaque solution.
[22] Sur la première solution, qui consistait à abaisser le niveau de l’eau ceinturant le bâtiment en ajoutant un système de drain français sous l’immeuble et pompant l’eau accumulée dans l’égout pluvial de la municipalité, l’arbitre conclut qu’il faut la rejeter comme insatisfaisante, ce qu’elle fait en ces termes :
[142] Commentant la première solution, l’expert Rodrigue opine que même si en théorie l’installation d’un drain muni d’une pompe pourrait empêcher l’eau de pénétrer par capillarité dans la dalle, le risque demeurerait grand en raison de l’élévation de la résidence par rapport à la conduite d’évacuation du bassin de rétention de la ville. Selon lui, pour être efficace, le procédé exigerait pratiquement que la pompe fonctionne de manière quasi permanente. Autrement dit, l’eau continuerait de risquer de s’infiltrer dès lors que le système de pompage ferait défaut, une possibilité que l’on ne peut complètement écarter. Cette affirmation n’est pas vraiment contredite.
[143] Cette solution, me semble-t-il, n’exclut pas la vraisemblance d’éventuelles infiltrations dans la mesure où elle n’assure pas une meilleure étanchéité, nécessite une surveillance accrue et dont le succès relatif dépendrait de la fiabilité de l’approvisionnement en électricité. En somme, selon ma compréhension, la première solution diminuerait les risques sans pour autant assurer une plus grande étanchéité de l’immeuble lui-même.
[144] En outre, les deux experts entendus conviennent que cette solution, même si elle est théoriquement valable, n’est pas généralement utilisée dans le domaine résidentiel. Selon l’expert Rodrigue, en cela non contredit, de la choisir serait dans les circonstances de jouer avec le feu.
[23] La deuxième solution suppose que l’on procède à un cuvelage de la dalle de béton à l’aide de membranes d’étanchéité et que l’on coule une dalle renforcée d’acier d’armature afin de construire un radier étanche en béton armé. L’arbitre commente :
[146] Qu’en est-il de la seconde solution ?
[147] Tout en préconisant l’écarter comme n’étant pas permanente, l’expert Rodrigue reconnaît dans son rapport que cette solution est techniquement réalisable et susceptible de produire l’effet escompté. Certes, ce correctif requiert la présence d’une pompe, de l’entretien et aussi une diminution de l’espace habitable du sous-sol mais l’ensemble rendrait vraisemblablement la résidence étanche. La preuve prépondérante à mes yeux est en effet que, certes plus coûteuse que la précédente, ce correctif assurerait l’étanchéité effective de l’ouvrage, étanchéité qui est ce qui fait présentement défaut et qui le rend non conforme.
[24] L’arbitre se tourne ensuite vers la troisième solution et explique pourquoi elle estime devoir l’écarter au profit de la deuxième :
[148] Les bénéficiaires préconisent une autre solution qu’ils jugent meilleure que celles retenues par l’administrateur. Leur solution, selon la preuve, n’est elle-même pas sans présenter de risques. Elle rendrait l’immeuble non seulement étanche mais elle le retirerait pratiquement complètement de la nappe phréatique.
[149] Peut-être s’agit-il là d’une approche que l’administrateur aurait théoriquement pu lui-même choisir en vertu du Plan, mais sauf erreur, elle ne lui a jamais été suggérée.
[150] En l’espèce, j’ai jugé que la première solution de l’administrateur n’est pas conforme. En revanche, la preuve ne permet pas de nier la conformité au Plan de la seconde solution retenue par l’administrateur.
[151] Un recours en vertu du Plan est limité. Il n’est pas une action en annulation de vente ni une action en diminution de prix. En cela les autorités invoquées par la procureure des bénéficiaires […]ne sont pas pertinentes ici puisque le recours en vertu du Plan est d’une autre nature.
[152] Il est bien sûr que la correction ou la réparation d’un vice ou d’une malfaçon, tout comme au départ leur seule présence, peuvent causer aux bénéficiaires des inconvénients et des ennuis que tout acheteur d’une maison neuve voudrait évidemment éviter.
[153] Toutefois, la réparation d’éventuels dommages liés à la correction des problèmes visés au Plan n’est pas une question qui soit du ressort de l’arbitre du Plan. Il aurait certes pu en être autrement mais tel ne l’a pas voulu le législateur.
[154] Cela m’amène à traiter du fait qu’ici une pompe prévue au départ soit appelée à fonctionner plus fréquemment qu’anticipé ou que l’espace habitable soit diminué. À mon avis, si des dommages d’origine contractuelle ou quasi-contractuelle et non visés par le Plan naissent de situations par ailleurs conformes au Plan c’est devant un autre forum que l’arbitre qu’il y a lieu d’en décider. L’adhésion au Plan ne prive personne de ces éventuels recours pas plus que leur éventualité n’invalide en soi une solution par ailleurs conforme au Plan.
[155] Dans les circonstances, j’estime donc, vu le rôle de l’arbitre et la preuve entendue, qu’il n’y a pas lieu d’écarter la deuxième solution retenue par l’administrateur en faveur de celle préconisée par les bénéficiaires.
Ces paragraphes expriment l’essentiel des raisons pour lesquelles, arbitrant le différend, leur auteure a conclu comme elle l’a fait. Il s’agit de savoir si cette décision, basée sur cette interprétation de la preuve et du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, est déraisonnable.
C. Opportunité de la révision judiciaire en l’espèce
[25] Pour trancher cette question, il faut tenir compte des termes de la garantie en cause ici. L’arbitre elle-même le souligne au paragraphe [122] de ses motifs. Cette garantie, obligatoirement conforme à l’article 10 du Règlement, « doit couvrir … 3º la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception… 4º la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil… 5º la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation… ». Quelle que soit la façon dont on caractérise la situation en cause ici, il ne peut donc faire de doute qu’elle était couverte par la garantie, jusqu’à un montant maximum précisé par le paragraphe 3º de l’article 13 du Règlement (que reprend le Contrat lui-même à la clause 5.4, soit 200 000 $).
[26] Je note en premier lieu que les observations de l’arbitre, citées ci-dessus au paragraphe [20] et qui concernent la norme d’élévation géodésique de 18,3 m prescrite par la Ville de Carignan, trouvent amplement appui dans la preuve. Il est vrai que l’appelante n’a pas respecté la norme du règlement municipal, mais la raison d’être de cette règle n’a rien à voir avec la constructibilité, elle concerne le risque des refoulements d’égouts, comme l’a expliqué l’inspecteur en bâtiment Bergeron et comme le démontre une note imprimée accompagnant le permis de construire. Comme la profondeur du bâtiment ne porte pas atteinte à sa sécurité, sa qualité ou son utilisation, cette irrégularité est distincte de la malfaçon elle-même. C’est plutôt le problème d’étanchéité qui constitue la malfaçon originale.
[27] Peut-on dire que, du point de vue d’une personne raisonnable, la solution adoptée par la Garantie et contestée par les intimés devant l’arbitre ne suffit pas à garantir « la réparation des malfaçons, etc. » dont est affligée la résidence des intimés - soit le manque d’étanchéité du radier? Je ne vois pas comment on pourrait tirer cette conclusion du dossier tel qu’il est constitué. Bien que la solution qu’ils critiquent ne soit pas celle que préfèrent les intimés, il s’agit de mesures correctives importantes et coûteuses; l’expert des intimés le reconnaît lui-même dans son expertise écrite, où il signale qu’il faudra travailler en sous-œuvre pour les mettre à exécution. L’arbitre motive explicitement sa conclusion sur ce point, les raisons qu’elle livre sont non seulement intelligibles mais cohérentes, et elles sont à vrai dire considérablement plus substantielles que les motifs contenus dans le jugement de la Cour supérieure.
[28] La diminution prévisible de l'espace habitable (c’est-à-dire la hauteur de plafond) dans le sous-sol des intimés n'est pas une malfaçon. Lors de l'audience en appel, et dans un envoi postérieur à l'audience, l'avocate des intimés a soutenu que cette diminution de l'espace habitable violait le Code national du bâtiment et un règlement de zonage de la Ville de Carignan. Cet argument, dont on ne trouve aucune trace dans la sentence arbitrale ou dans le jugement, ne convainc pas. Le Code national du bâtiment ne s'applique pas en l'espèce puisque l'article 3.3 paragraphe 3 a) i) du Règlement d'application de la Loi sur le bâtiment[8] prévoit que les bâtiments à usage d'habitation ayant au plus deux étages en hauteur de bâtiment[9] sont « exempté[s] de l'application du chapitre 1 du Code de construction (D. 953-2000) ». Or, la résidence des intimés comporte un sous-sol et deux étages. La diminution de l'espace habitable du sous-sol ne viole aucune de ces normes et il n'a pas été démontré qu’elle contreviendrait aux règles de l'art. Cet effet secondaire de la solution retenue par l’arbitre ne serait donc pas une malfaçon au sens de l'article 10 du Règlement d'application de la Loi sur le bâtiment. En outre, les intimés pourront exercer tout droit résiduaire devant une cour de justice s'ils considèrent que la valeur de leur maison, ou la jouissance qu'ils peuvent en tirer, se trouvent diminuées par cette situation.
[29] En ce qui concerne le règlement de zonage de la Ville de Carignan, son article 57, communiqué à la formation de la Cour par les intimés après l’audience, porte sur l'« [a]ménagement d'un espace habitable complémentaire ou maison de deux générations ». Dans le pourvoi en cours, il s'agit de la construction d'une maison neuve, et non pas de la transformation d’une habitation existante. Il est impossible, à partir d’éléments d’information aussi épars et probablement incomplets comme ceux-ci, éléments dont ni le juge de première instance ni l’arbitre ne soufflent mot, de donner une nouvelle assise au dispositif du jugement, distincte de la seule assise que le juge a cru utile de mentionner.
[30] Certes, la solution recommandée par l'expert des intimés serait plus durable que celle favorisée par la Garantie et par l'arbitre. Toutefois, le rôle de l'arbitre, rappelons-le encore une fois, n'était pas de vérifier si l'administrateur avait choisi « la meilleure solution possible», mais seulement de s'assurer que la solution retenue était conforme au plan. En outre, la preuve est lacunaire sur la durée de vie de la membrane d’étanchéité.
[31] En somme, rien dans la position des intimés ne justifie de conclure que la sentence arbitrale rendue serait affectée d’une grave erreur de droit ou de fait justifiant qu’on la qualifie de déraisonnable.
[32] Le juge de première instance, on l’a vu, exprime en trois paragraphes les raisons pour lesquelles il en vient à la conclusion inverse. Les raisons qu’il invoque concernent uniquement le fond de la question débattue devant l’arbitre. Il appert de son jugement qu’il s’est limité à substituer son appréciation de la preuve (dont il a demandé et obtenu la transcription) à celle de l’arbitre, et qu’il a préféré à la solution que l’administrateur et l’arbitre jugeaient appropriée celle proposée par l’expert Rodrigue. Tel n’est pas le rôle de la Cour supérieure en révision judiciaire lorsqu’elle doit se prononcer sur le caractère raisonnable d’une sentence rendue en vertu du Règlement.
[33] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens et je rétablirais la sentence arbitrale prononcée le 10 juin 2008.
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
[1] R.R.Q., c. B-1.1, r. 0.2.
[2] L.R.Q., c. B-1.1.
[3] J.E. 2005-132 (C.A.).
[4] Ibid.
[5] [2008] 1 R.C.S. 190 , 2008 CSC 9 .
[6] À cette nuance près que les adverbes « manifestement » apparaissant aux paragraphes [44] et [47] de l’arrêt sont désormais superflus.
[7] En ce sens, la structure mise en place par le Règlement diffère, par exemple, de celle étudiée par notre collègue le juge Dalphond dans le dossier Conseil d'arbitrage des comptes des avocats du Barreau du Québec c. Marquis, 2011 QCCA 133 .
[8] R.R.Q., c. B-1.1, r. 0.01.
[9] Ce règlement d'application réfère à la définition de l'expression « hauteur de bâtiment » qui se trouve à la section 1.1.3.2 du Code du bâtiment : « nombre d'étages compris entre le plancher du premier étage et le toit ». Définition de premier étage : « étage le plus élevé dont le plancher se trouve à au plus 2 m au-dessus du niveau moyen du sol ».