ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL

 

 

ENTRE :                                                         9159-9431 QUÉBEC INC. (COLISIUM CONSTRUCTION)

 

(ci-après « l’Entrepreneur »)

 

ET :                                                                GABRIEL CALVÉ

 

(ci-après « le Bénéficiaire »)

 

ET :                                                                 LA GARANTIE DES MAÎTRES BÂTISSEURS INC. / LA GARANTIE ABRITAT INC.

 

(ci-après « l’Administrateur »)

 

No dossier CCAC:              S10-160901-NP

No plan de garantie:            20394 / 504088

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

Arbitre :                                                                     Me Philippe Patry

 

Pour l’Entrepreneur :                                               Monsieur Martin Maheux

         

Pour le Bénéficiaire :                                              Madame Audrey Calvé

                                                                                  Monsieur Gabriel Calvé

                                                                                             

Pour l’Administrateur :                                            Me François Laplante

                                                                                  Me Marc Baillargeon

Monsieur Marco Caron,

inspecteur-conciliateur

 

Date de la sentence :                                              7 juin 2011

 

 

Identification complète des parties

 

Arbitre :                                                          Me Philippe Patry

5530, chemin de la Côte-St-Luc

Bureau 24

Montréal (Québec) H3X 2C8

 

Entrepreneur :                                                9159-9431 Québec Inc. (Colisium Construction)

                                                                        Monsieur Martin Maheux

3, rue Georges Hériot

Blainville (Québec) J7C 0G9

 

Bénéficiaire:                                                  Monsieur Gabriel Calvé

108, rue Goodz

Sainte-Sophie (Québec) J5J 0A4

 

Administrateur :                                             La Garantie Abritat inc.

5930,  boulevard Louis-H. Lafontaine

Anjou (Québec)  H1M 1S7

et son procureur :

Me François Laplante

Monsieur Marco Caron,

conseiller technique


Décision

 

Mandat :

 

L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le 13 octobre 2010.

 

Historique du dossier :

 

11 février 2006:                     Contrat préliminaire;

 

20 mars 2006 :                      Réception de l’addenda pour l’installation sanitaire;

 

26 avril 2006 :                        Réception du bâtiment;

 

27 avril 2006 :                        Acte d’acquisition;

 

9 juin 2008 :                           Acte de vente au Bénéficiaire actuel;

 

15 juillet 2009:                       Lettre de mise en demeure du Bénéficiaire à l’Entrepreneur;

 

1 septembre 2009 :              Premier avis de 15 jours à l’Entrepreneur;

 

5 octobre 2009:                     Demande de réclamation du Bénéficiaire;

 

5 octobre 2009 :                    Deuxième avis de 15 jours à l’Entrepreneur;

 

11 juin 2010 :                         Inspection de l’Administrateur;

 

10 août 2010 :                       Décision de l’Administrateur;

 

16 septembre 2010:             Réception par le CCAC de la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur datée du 16 septembre 2010;

 

20 octobre 2010 :                 Audience préliminaire par conférence téléphonique;

 

4 janvier 2011 :                      Audience préliminaire par conférence téléphonique;

 

21 janvier 2011 :                   Réception du cahier de pièces de la part de l’Administrateur;

 

16-17 février 2011 :              Audience;

 

24 février 2011 :                    Réception du plaidoyer écrit du Bénéficiaire;

 

7 mars 2011 :                        Réception des plaidoyers écrits de l’Administrateur et de l’Entrepreneur;

 

17 mars 2011 :                      Réouverture d’audience : audience préliminaire par conférence téléphonique;

 

17 mars 2011 :                      Me Rémi Bastarache représente dorénavant l’Entrepreneur;

 

11 avril 2011 :                        Me François Laplante devient le nouvel avocat responsable de représenter l’Administrateur qui s’appelle maintenant La Garantie Abritat inc.;

 

20 avril 2011 :                        Réouverture d’audience : audience préliminaire par conférence téléphonique;

 

10 mai 2011 :                        Me Bastarache ne représente plus l’Entrepreneur;

 

27 mai 2011 :                        Seconde audience.

 

 

Introduction:

 

[1]        L’Entrepreneur a interjeté appel de la décision de l’Administrateur du 10 août 2010 l’enjoignant d’exécuter les travaux en regard du colmatage prématuré du champ d’épuration.

 

[2]        L’Administrateur a conclu qu’il s’agissait d’un vice caché :

« Le colmatage prématuré du champ d’épuration est directement lié à la mauvaise réalisation du champ d’épuration et du branchement du système de collection des eaux pluviales au puisard du réseau sanitaire »[1].

 

[3]        Le tribunal a d’abord entendu les témoignages de Monsieur Marc-André Legault, ing., de Monsieur Thierry Paquette de Plomberie Nord Sud et de Monsieur Éric Riopel de Excavation Michel Rochon pour l’Entrepreneur, de Monsieur Marco Caron pour l’Administrateur, et de Monsieur Éric Stuyck de Consultant EDS pour le Bénéficiaire, lors de l’audience des 16 et 17 février 2011.

 

[4]        Il est à noter que le tribunal a alors déclaré Messieurs Legault et Stuyck comme témoins experts après de courts voir-dire.

 

[5]        Au début de son délibéré suivant l’audience des 16 et 17 février 2011, le tribunal a décelé l’erreur suivante dans la décision de l’Administrateur : au moment de la découverte du vice allégué le 2 mai 2009, soit plus de trois ans suivant la réception du bâtiment le 26 avril 2006, la couverture de garantie offerte par l’article 10 du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[2] (le Plan) contre les vices cachés était déjà expirée. Ainsi, la seule garantie susceptible de s’appliquer en l’espèce visait les vices majeurs. Après que le tribunal ait soulevé ce point proprio motu à toutes les parties lors d’appels préliminaires par conférence téléphonique, Me Laplante a indiqué le 9 mai 2011 par correspondance aux mêmes parties que la décision rendue par l’Administrateur aurait été la même que celle rendue le 10 août 2010, c’est-à-dire que la situation dénoncée par le Bénéficiaire constituait un vice majeur au sens du contrat de garantie. Me Laplante a ainsi fait témoigner Madame Audrey Calvé et Monsieur Gabriel Calvé lors de la seconde audience du 27 mai 2011.

 

 

Faits:

 

[6]        Le 2 mai 2009, Beauregard Fosses Septiques Ltée a procédé à la vidange de la fosse septique[3] après que le Bénéficiaire, propriétaire du 108, rue Goodz à Sainte-Sophie, eut observé que le liquide était plus haut que les tuyaux. Le spécialiste du nettoyage aurait alors indiqué au Bénéficiaire qu’il y avait un problème avec la fosse septique d’où la demande de réclamation du Bénéficiaire du 5 octobre 2009 (dans les 6 mois de la découverte du problème). Le 6 avril 2010, Beauregard Fosses Septiques Ltée a effectué une nouvelle vidange de la fosse septique car elle était pleine, les eaux dépassant les tuyaux[4].

 

 

Question en litige:

 

[7]        La question en litige devient donc la suivante : le colmatage prématuré du champ d’épuration a-t-il été causé par un vice de conception, de construction ou de réalisation ou des vices de sol ayant causé la perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec?

 

 

Analyse et décision:

 

Dans un premier temps, il importe de déterminer les causes probables du colmatage prématuré du champ d’épuration.

 

Matériau anticontaminant

 

[8]        Le paragraphe 21(g) et l’article 27 du Règlement sur l’évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées[5] (le Règlement) indiquent que la couche de gravier ou de pierre concassée doit être recouverte d’un matériau anticontaminant constitué d’un matériel perméable à l’eau et à l’air qui permet la rétention des particules du sol, qui peut être un papier fort non traité, au moins 5 cm de paille ou un matériel synthétique (géotextile).

 

[9]        La preuve révèle, notamment par le témoignage non contredit de l’opérateur de la pelle mécanique Éric Riopel, que le matériau anticontaminant de type carton fort non traité fut utilisé lors de la réalisation du champ d’épuration et ce, après l’inspection effectuée le 7 mars 2006 par la ville de Sainte-Sophie.

           

[10]     Les experts Legault et Stuyck s’entendent à savoir que même si la membrane géotextile constitue le type idéal de matériau anticontaminant, la décomposition du carton fort non traité laisse une fine couche de matériaux résiduels qui agit comme une couche anticontaminant et empêche ainsi les particules fines du matériau de remblayage de pénétrer dans les conduits du réseau du champ d’épuration. L’utilisation de carton fort répond donc aux normes alors applicables et ne constitue pas un vice.

 

[11]     Le tribunal rejette donc la conclusion non substantiellement étayée de l’Administrateur à l’effet qu’une mauvaise réalisation du champ d’épuration, en l’occurrence l’absence de matériau anticontaminant, ait contribué au colmatage prématuré du champ d’épuration.

 

Branchement du système de collecte des eaux pluviales

 

[12]     Dans sa décision, l’Administrateur a indiqué que :

« Le branchement du système de drainage de la fondation permettant le déversement des eaux pluviales dans le puisard du réseau sanitaire fait en sorte de surcharger la fosse septique lors de fortes pluies, lors de la fonte des neiges ou la hausse sporadique de la nappe phréatique. La turbulence causée par cet apport d’eau supplémentaire, projeté par une pompe dans la fosse septique, a perturbé la décantation normale, favorisé le maintien en suspension des matières solides […] qui […] ont colmaté prématurément le champ d’épuration »[6].

 

[13]     Or il ressort de la preuve, plus précisément du témoignage de Monsieur Thierry Paquette, plombier comptant 16 ans d’expérience, que d’une part, le système de drainage ou de collection des eaux pluviales n’est pas branché au puisard du réseau sanitaire et que d’autre part, les eaux pluviales sont plutôt dirigées dans le réseau pluvial de la ville de Sainte-Sophie situé dans la rue en face de la façade avant du domicile du Bénéficiaire[7].

 

[14]     Pour appuyer ses dires, le témoin Paquette a expliqué avoir fait plusieurs tests d’eau le 10 novembre 2010, c’est-à-dire avoir rempli plusieurs fois le bassin d’eaux pluviales à l’aide d’un boyau d’arrosage ouvert au maximum pendant environ 15 minutes, sans que la pompe du puisard sanitaire ne parte. Il a ajouté que si le système de drainage des eaux pluviales était raccordé au puisard du réseau sanitaire, la pompe du réseau sanitaire aurait dû démarrer à plusieurs reprises, ce qui ne fut pas le cas.

 

[15]     De plus, le tribunal a appris que l’affirmation quant au raccordement des deux puisards du témoin Marco Caron, conseiller technique pour l’Administrateur, se basait plutôt sur ses observations illustrées de photographies[8] et interprétations de généraliste d’expérience de même que sur les documents dont il disposait lors de l’inspection du 11 juin 2010, et non sur aucun test d’eau, ni sur aucune étude de drainage à titre d’exemples.

 

[16]     Pour toutes ces raisons, le tribunal écarte la conclusion de l’Administrateur que le colmatage prématuré du champ d’épuration soit directement lié au branchement du système de collection des eaux pluviales au puisard du réseau sanitaire.

 

Causes du colmatage prématuré du champ d’épuration

 

[17]     Les deux experts Legault et Stuyck s’entendent sur bon nombre de points dont le fait que le champ d’épuration conçu aurait dû avoir une existence de vie variant entre 20 et 25 ans et non de 3 ans. Toutefois, ils ont soutenu des thèses différentes pour tenter d’expliquer le colmatage prématuré de cette fosse septique.

 

- Thèse de l’expert de l’Entrepreneur : sur-utilisation du système

      

[18]     Dans son témoignage, l’expert Legault, concepteur du système septique, a affirmé que le champ d’épuration n’est pas fonctionnel dû à la trop grande charge organique, ce qui sous-entend la sur-utilisation par les occupants du bâtiment et/ou dû à la charge hydraulique trop élevée (plomberie, toilette, douche, laveuse, sécheuse)[9].

 

[19]     Pour en arriver à cette conclusion, l’expert Legault a d’abord avancé trois hypothèses qu’il a rejetées par la suite. En premier lieu, ll a indiqué que les branchements sont bien faits dans le sens que les eaux pluviales ne se rendent pas à la fosse septique, car le système de drainage ou de collection des eaux pluviales n’est pas raccordé au puisard du réseau sanitaire. Quant aux eaux parasites en provenance des gouttières, il a constaté que l’eau se rendait à l’extérieur du bâtiment et non dans l’environnement de la fosse septique. Enfin en ce qui concerne l’infiltration des eaux parasites, soit l’eau de pluie ou de la fonte des neiges, il est d’avis que ces eaux n’ont eu aucune incidence puisqu’il n’y a pas de dépression locale, la fosse septique n’étant pas située dans un trou.

 

[20]     En contre-interrogatoire, il a aussi ajouté que le manque de 20 centimètres de remblai au-dessus de la pierre nette n’était pas un facteur important pouvant expliquer le colmatage prématuré du champ d’épuration (le paragraphe 21(g) du Règlement prescrit que la couche de gravier doit être recouverte de 60 centimètres de terre de remblai perméable à l’air).

 

[21]     Il est à souligner qu’aucune preuve de sur-utilisation n’a été faite. Il s’agit en quelque sorte d’une conclusion par défaut de l’expert Legault.

 

- Thèse de l’expert du Bénéficiaire : vice de conception

 

[22]     Dans son témoignage, l’expert Stuyck a soulevé plusieurs points qui relèvent du vice de conception.

 

[23]     D’abord en ce qui a trait à l’addenda du 9 mars 2006[10] qui modifiait l’endroit de l’installation sanitaire (cour arrière au lieu de l’avant du bâtiment) et le nombre de chambres à coucher (quatre au lieu de trois), il a noté que l’expert Legault avait transféré à l’Entrepreneur sa responsabilité de vérifier l’état du sol et de la nappe phréatique à l’endroit projeté pour l’élément épurateur avant le début des travaux[11] contrairement à ce que stipule le paragraphe 4.1(4) du Règlement. Il a ajouté qu’aucune rencontre n’a eu lieu entre l’expert Legault et les futurs occupants comme le suggère l’Annexe B-2 : Évaluation du site et du terrain naturel[12] pour obtenir toutes les informations pertinentes pouvant influencer le choix du type d’élément épurateur pour l’installation sanitaire.

 

[24]     De plus, l’expert Stuyck a indiqué qu’aucun nouvel échantillon n’avait été prélevé, le dernier sondage datant du 16 novembre 2005 ayant été effectué à l’avant de la résidence à une distance d’environ 27m du terrain récepteur situé dans la cour arrière[13].

 

[25]     Concernant l’application de l’article 3.1 du Règlement sur la capacité hydraulique du système d’épuration, il a statué qu’ « il faut se servir de son jugement ». L’installation septique a été conçue de façon à prévoir un volume d’eaux usées de 1440 litres par jour pour une résidence isolée de quatre chambres à coucher[14] et non pour un volume d’eaux usées de 1800 litres par jour pour une habitation multifamiliale de trois chambres à coucher (1260 litres par jour) et une garçonnière comptant une chambre à coucher (540 litres par jour).

 

[26]     Enfin, selon les analyses du sondage effectué par excavation à 3m du champ d’épuration le 25 novembre 2009[15], l’expert Stuyck a souligné la présence d’un sable gris fin et compact de nature argileuse à 762mm[16], ce qui n’était pas propice à l’épuration des eaux usées. Il a fait valoir que ce sable gris devrait se trouver à une profondeur minimum de 1200mm, condition sine qua non pour l’installation d'un élément épurateur de type modifié tel que celui conçu pour le Bénéficiaire par l’expert Legault (paragraphe 17.1(b) du Règlement).

 

- Analyse

 

[27]     À titre de remarque préliminaire, le témoignage de l’expert Legault a souffert d’un manque d’impartialité dans ce sens qu’il s’est trouvé dans la situation particulière de devoir donner une opinion sur le colmatage prématuré d’un champ d’épuration dont il a été le seul concepteur. Ainsi, il ressort de la preuve qu’il ait plusieurs fois ajusté son opinion et ce, sans fournir d’explications, ni de données scientifiques à l’appui. Par exemple, dans la version 2009 du Devis de conception et descriptif[17], l’expert Legault a écrit que :

 

« Dans le cas présent, suivant nos observations sur le terrain ainsi que nos observations générales des 3 dernières années et des témoignages recueillis des voisins, il semble très probable que le système septique […] a été utilisé de façon abusive suivant un débit de 2 à 3 fois le débit de conception […] »

 

[Caractères gras ajoutés]

 

Or, dans la version 2010[18], il s’est plutôt exprimé comme suit :

 

« Dans le cas présent, suivant nos observations sur le terrain ainsi que les conversations et renseignements obtenus auprès des occupants, il semble très probable que le système septique […] a subi des pointes de débit horaire ainsi que des débits journaliers qui ne cadraient pas avec les paramètres de conception […] »

 

[Caractères gras ajoutés]

Cette façon de procéder a donc eu pour effet d’affecter la crédibilité de l’expert Legault, d’autant plus que les deux opinions ci-haut citées de ce dernier ne se base sur aucune donnée empirique sur la sur-utilisation alléguée du système d’épuration.

 

[28]     Considérant la diligence du Bénéficiaire de demander à l’Entrepreneur de modifier le champ d’épuration pour desservir une résidence isolée multifamiliale de trois chambres à coucher et d’une garçonnière (3 + 1) plutôt que de deux chambres à coucher et d’une garçonnière (2 + 1) assortie selon les plans initiaux.

 

[29]     Considérant que l’expert Legault se soit déchargé de sa responsabilité de vérifier l’état du sol et de la nappe phréatique à l’endroit projeté pour l’élément épurateur avant le début des travaux, ne respectant pas ainsi le paragraphe 4.1(4) du Règlement.

 

[30]     Considérant donc qu’aucun sondage n’ait été effectué à proximité de l’emplacement projeté avant le début de ces travaux.

 

[31]     Considérant que l’expert Legault n’ait pas rencontré préalablement les futurs occupants (tel que l’explicite l’Annexe B-2 : Évaluation du site et du terrain naturel[19]) pour recueillir toute information utile touchant les caractéristiques du bâtiment et du site pouvant guider le choix approprié du type d’élément épurateur pour l’installation sanitaire.

 

[32]     Considérant l’aveu de l’expert Legault en audience qu’une fosse septique d’une capacité hydraulique de 1800 litres par jour au lieu de 1400 litres par jour aurait pu être installée s’il avait su l’existence d’une pompe déchiqueteuse qui, selon ses propos, « projette entre 75 et 100 litres d’eau sous pression en moins d’une minute. »

 

[33]     Considérant que l’argument de l’expert Legault qu’il n’y ait aucune disposition dans le Règlement qui spécifie que « le débit de conception doit être une addition des débits individuels » ne fait aucun sens, car il savait comme ingénieur engagé par l’Entrepreneur pour l’ensemble du projet que les plans d’origine des onze résidences de ce projet consistaient de deux chambres à coucher et d’un logement de type « bachelor » au sous-sol (2 + 1).

 

[34]     Considérant l’ajustement suivant sous forme d’admission de l’expert Legault sur le type d’établissement dans Expertise du système septique existant, devis de conception, descriptif & plans pour nouveau système[20] :

 

« À l’origine, en décembre 2005, la conception du système septique était pour une résidence unifamiliale de 3 chambres à coucher. Par la suite, en mars 2006, un addenda a été émis pour transformer cette résidence en unifamiliale de 4 chambres à coucher. L’établissement actuel est une résidence isolée existante de type multifamiliale qui compte un logement principal ayant trois (3) chambres à coucher et un logement accessoire de type garçonnière comptant une (1) chambre à coucher. »

 

[Caractères gras ajoutés]

 

[35]     Considérant ainsi la reconnaissance de l’expert Legault qu’il faut prévoir:

 

« […] un volume d’eaux usées de 1260 litres / jour, pour une résidence isolée de trois (3) chambres à coucher et un volume de 540 litres / jour, pour une résidence isolée de une (1) chambres à coucher. En additionnant ces 2 volumes nous obtenons un total de 1800 litres / jour, soit l’équivalent en terme de débit d’une résidence isolée de cinq (5) chambres à coucher »[21].

 

[Caractères gras ajoutés]

 

[36]     Considérant que l’Entrepreneur n’a déposé aucune preuve sur les débits quotidiens des occupants du bâtiment.

 

 

[37]     Considérant que le tribunal souscrit aux conclusions de l’expert Stuyck que :

 

« […] les conditions géotechniques rencontrées sur le site n’étaient pas favorables à un système de type « élément épurateur modifié » mais plutôt favorables à l’implantation d’un élément épurateur de type secondaire ou secondaire avancé à l’infiltration dans le sol »[22].

 

            [Caractères gras ajoutés]

 

[38]     Pour toutes ces raisons, le tribunal conclut que le colmatage prématuré du champ d’épuration a été causé par un vice de conception qui relève de la responsabilité de l’Entrepreneur.

 

Qualification du vice de conception

 

[39]     Ayant déterminé que le colmatage prématuré du champ d’épuration a résulté d’un vice de conception dont l’Entrepreneur est ultimement responsable, il reste à décider si ce vice a causé la perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec.

 

[40]     Il ressort des témoignages non contredits de Mme Audrey Calvé, occupante avec son conjoint de la garçonnière au sous-sol d’avril 2006 jusqu’au 1er décembre 2010, et de M. Gabriel Calvé (propriétaire actuel depuis le 9 juin 2008), qu’il n’y a jamais eu plus de cinq occupants dans la résidence, soit trois membres de la famille dans le bungalow au rez-de-chaussée (un occupant par chambre à coucher, une des trois chambres à coucher étant située au sous-sol et munie d’une salle de bain) et deux membres de la famille dans le « bachelor » en bas. Actuellement, M. Gabriel Calvé (qui vit la moitié du temps avec sa copine à Montréal depuis le printemps 2010), habite avec ses sœurs Tabitha (célibataire) et Chade (dont le conjoint demeure à Québec) alors que sa mère a emménagé dans la garçonnière le 1er décembre 2010. De plus, ils ont indiqué au tribunal de façon directe et sincère que tous les membres de la famille sont végétariens et qu’ils avaient toujours fait attention à leur préparation de nourriture et à leur utilisation de l’eau.

 

[41]     Suivant le rapport de l’expert Stuyck daté du 25 novembre 2009, Mme Calvé a expliqué en détails comment, suivant les conseils de l’expert Stuyck, les occupants ont dû restreindre de manière importante leurs habitudes de vie : douches d’un maximum de 5 minutes, pas de bains, tirer la chaîne des toilettes seulement si nécessaire, pancartes adressées aux visiteurs concernant l’utilisation des toilettes, tableau pour établir le calendrier d’utilisation et de non-utilisation pour chaque jour de la semaine des appareils ménagers (laveuses et sécheuses en haut et en bas, lave-vaisselle en bas). Elle a aussi raconté que pour une fête d’environ une trentaine de personnes l’été dernier, les Calvé avaient pris la précaution de louer une toilette chimique pour éviter l’utilisation des toilettes de la maison.

 

[42]     Propriétaire de la résidence, M. Calvé a mentionné que la fosse septique a atteint son plus haut niveau ce printemps. Ainsi, suite à une vidange effectuée en avril 2011, il a acheté une pompe d’assèchement pour envoyer régulièrement les eaux usées dans le champ et ainsi éviter le refoulement de ces eaux à l’intérieur de la maison. Il a ensuite dévoilé la récente entente avec l’Administrateur, soit que Beauregard Fosses Septiques Ltée vide la fosse septique tous les mardis, les deux premières vidanges ayant eu lieu les 17 et 24 mai 2011.

 

[43]     Considérant l’ensemble de la preuve, le tribunal est d’opinion que le vice de conception rencontre les quatre caractères énoncés par la Cour Suprême du Canada au sujet du vice caché, soit qu’ «il doit être caché, suffisamment grave, existant au moment de la vente et inconnu de l’acheteur»[23]. Notamment, le raccourcissement drastique de l’existence de vie du champ d’épuration a eu pour conséquence de réduire de façon importante l’utilisation du bâtiment. Pour employer les termes de la Cour Suprême du Canada, il s’agit d’un « déficit d’usage […] grave, c’est-à-dire qu’il rende le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou en diminue tellement l’utilité que son acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix »[24].

 

[44]     Enfin, la doctrine indique que la notion de perte de l’ouvrage qui survient dans les cinq ans qui suivent la fin des travaux au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec « […] doit recevoir une interprétation large, et s’étendre notamment à tout dommage sérieux subi par l’ouvrage immobilier »[25].

 

[45]     Ainsi, la jurisprudence a même reconnu les vices qui :

 

 « […] empêchaient l’ouvrage de servir à sa destination normale ou limitaient, de manière importante, l’usage normal de l’ouvrage »[26]

 

[46]     En l’espèce, la jurisprudence rendue en vertu de l’article 2118 du Code civil du Québec assimile à une perte de l’ouvrage la réduction de façon importante de l’utilité du bâtiment, réduction qui peut être associée à une perte de l’usage normal des lieux[27].  Le tribunal est d’avis que celle-ci trouve application dans les circonstances entourant le colmatage prématuré du champ d’épuration.

 

Remplacement du champ d’épuration de type modifé existant

 

[47]     En vertu de l’article 2099 du Code civil du Québec, l’Entrepreneur a le libre choix des moyens d’exécutions. Les propos de l’arbitre Michel A. Jeanniot dans Michaud et Les Pros du Marteau Enr. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., 15 octobre 2007, peuvent servir de balises :

 

« Le choix des correctifs et/ou la méthode de correction appartient donc à l’Entrepreneur, sujet à son obligation de résultats et à l’Article 1563 du Code civil du Québec […] L’Article 1563 C.c.Q., précise que le débiteur d’un bien (qui n’est déterminé que son espèce) n’est pas tenu de donner la meilleure qualité mais il ne peut offrir la plus mauvaise. »

 

[48]     Toutefois dans le cas présent, les experts Legault et Stuyck non seulement s’accordent sur l’évidence et l’importance de rectifier la situation dans les meilleurs délais, mais également sur le choix d’un système de type secondaire avancé[28] (coût d’environ 14,000$ selon les deux experts) qui « serait plus adéquat et même souhaitable » selon les termes de l’expert Legault. Il semble cependant que ce dernier se soucie de la question des coûts à un point tel qu’il favorise la construction à un autre endroit d’un nouvel élément épurateur de type modifié (coût de plus de 7,000$ selon les deux experts), soit le même type que celui du système actuel qu’il a conçu.

 

[49]     En tenant compte de l’ensemble de la preuve au dossier, le tribunal suggère fortement que le choix du nouveau type de système d’épuration se fasse sur des bases scientifiques et non pas seulement sur des considérations purement économiques pour que la situation soit corrigée de manière efficace et permanente en tenant compte de tous les éléments pertinents.

 

[50]     Après analyse de la preuve soumise, le tribunal est d’opinion que le système d’épuration approprié au terrain et à la maison du Bénéficiaire est le système de type secondaire avancé. Cependant, le tribunal n’a pas la juridiction nécessaire pour imposer une telle solution à l’Entrepreneur.

 

 

Les frais d’expertise:

 

[51]     Considérant la pertinence du témoignage de Monsieur Éric Stuyck à titre d’expert, considérant son apport important pour soutenir la position du Bénéficiaire, l’Entrepreneur devra assumer les frais raisonnables d’expertise encourus par le Bénéficiaire de l’ordre de 729.12$, soit 16 heures pour les 2 jours d’arbitrage des 16 et 17 février 2011 à 40.00$/h pour un total de 640.00$ et les taxes afférentes qui s’élèvent à 89.12$.

 

[52]     Le tribunal note que malgré une demande spécifique du soussigné à ce sujet, l’Entrepreneur n’a soumis aucun relevé d’honoraires pour le témoignage de l’expert Marc-André Legault, ing.. Le tribunal ne peut interpréter cette omission que comme une renonciation de la part de l’Entrepreneur à toute indemnisation à ce sujet.

 

 

Les frais d’arbitrage:

 

[53]     Compte tenu que l’Entrepreneur est le demandeur, l’Administrateur et l’Entrepreneur assumeront à parts égales les frais du présent arbitrage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

 

            DÉCLARE que le colmatage prématuré du champ d’épuration résulte

d’un vice de conception ayant causé la perte de l’ouvrage au sens de

l’article 2118 du Code civil du Québec;

 

REJETTE l’appel de l’Entrepreneur;

 

ORDONNE à l’Entrepreneur d’exécuter les travaux nécessaires dans les 45 jours suivant la réception de la présente décision;

 

ORDONNE à l’Entrepreneur le remboursement des frais d’expertise au Bénéficiaire pour un montant de 729.12$;

 

            CONDAMNE l’Administrateur et l’Entrepreneur à parts égales aux frais

d’arbitrage.

 

 

 

 

Montréal, le 7 juin 2011

 

 

 

_________________________

ME PHILIPPE PATRY

Arbitre / CCAC



[1]              Cahier de pièces, A-17, page 6.

[2]              Décret 841-98.

[3]              Cahier de pièces, A-6, page 1.

[4]              Idem, page 2.

[5]              Q-2, r.22.

[6]              Supra, note 1.

[7]              Cahier de pièces, A-19, page 24.

[8]              Idem.

[9]              Idem, A-14, page 22.

[10]             Lettre de l’expert Legault à M. Alexandre Larouche de la municipalité de Sainte-Sophie du 9 mars 2006,

cahier de pièces, A-3.

[11]             Idem.

[12]             Le Règlement pas à pas, guide préparé pour faciliter l’interprétation et l’application du Règlement.

[13]             Cahier de pièces, A-12, page 7.

[14]             Idem, A-8, page 3.

[15]             Idem, A-10, page 4.

[16]             Idem, pages 9, 10 et 11.

[17]             Supra, note 14, page 14.

[18]             Supra, note 9.

[19]             Supra, note 12.

[20]             Supra, note 9, page 4.

[21]             Supra, note 9, page 5.

[22]             Supra, note 15, page 6.

[23]             ABB Inc. c. Domtar Inc., [2007] 3 R.C.S. 461 , page 32.

[24]             Idem.

[25]             S. RODRIGUE et J. EDWARDS, La responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale

entre les malfaçons dans Ogilvy, Renault. La Construction au Québec : perspectives juridiques, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 1998, p. 409-458, 434.

[26]             Idem.

[27]             Résidences-hôtellerie Harmonie inc. c. Résidences-hôtellerie RGL, s.e.c., 2008 QCCS 5504 , page 6.

[28]             Supra, note 15, page 6; Supra, note 9, page 10.