ARBITRAGE EN VERTU DE LA LOI SUR LE RÉGIME DE RETRAITE DES

ARBITRAGE EN VERTU DU 

RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE 

DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS (Décret 841-98)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

Groupe d’arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

Dossier no : GAMM :   2013-04-003

                       APCHQ : 09-356.82PM   

 

ENTRE :

MICHEL FILOSA et JACQUELINE FILOSA

 

(ci-après les «Bénéficiaire»)

 

ET :

 

CONSTRUCTION PAUL DARGIS INC.

 

(ci-après l’«Entrepreneur»)

 

ET :

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC.

 

  (ci-après l’«Administrateur»)

 

DEVANT L’ARBITRE :                            Me Karine Poulin

 

Pour l’entrepreneur :                        Monsieur Paul Dargis

Pour les bénéficiaires :                   Monsieur Michel Filosa et Madame Jacqueline Filosa

Pour l’administrateur :                     Me Manon Cloutier

Date d’audience :                            30 avril 2014

Date de la sentence:                       15 juillet 2014  

 

Dossier G1115-33                                                                                                                                                    GAMM

15 juillet 2014                                                                                                                                       Poulin avocats inc.

S/A 115                                                                                                                                                   Me Karine Poulin

 

SENTENCE ARBITRALE

 

I

LE RECOURS

[1]           Les Bénéficiaires contestent en vertu des articles 106 et suivants du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le «Règlement») la décision de l’Administrateur rendue le 18 novembre 2013 rejetant leur recours au motif que la dénonciation a été faite après l’échéance de la garantie d’une durée maximale de cinq (5) années.

II

LES FAITS

[2]           En 2005, alors que les Bénéficiaires habitent Sept-Îles, ils décident de se faire construire une maison dans la région de Trois-Rivières. Ils achètent alors un terrain, propriété de Paul Dargis.

[3]           À la suite d’un long processus au cours duquel ils ont rencontré de nombreux entrepreneurs de la région, ils choisissent de faire affaires avec l’Entrepreneur Construction Paul Dargis inc. pour la construction de leur maison puisque celui-ci semble jouir d’une excellente réputation, étant ingénieur et président de l’APCHQ, ce qui, aux yeux des Bénéficiaires, leur assure une construction de qualité. Sur la foi de ces représentations, les Bénéficiaires signent donc, le 11 septembre 2006, un contrat d’entreprise et contrat de garantie.  

[4]           Pour différents motifs discutés plus bas, l’Entrepreneur rachètera des Bénéficiaires le terrain acheté en 2005 pour leur vendre, ultimement, la maison et le terrain faisant ainsi l’objet du présent litige, dont réception a lieu le 17 août 2007.

[5]              Le 13 juin 2011, les Bénéficiaires écrivent à Paul Dargis pour lui dénoncer la présence de fentes dans la fondation du garage et celle de la maison. Ils demandent à Paul Dargis de venir voir la propriété afin de confirmer, ou infirmer, la présence de pyrrhotite et, le cas échéant, de connaître les modalités des réparations. Les Bénéficiaires savent que Paul Dargis a construit plusieurs maisons dans leur secteur qui sont affectées par un problème de pyrrhotite. Compte tenu qu’il est ingénieur et président de l’APCHQ, les Bénéficiaires ont confiance que Paul Dargis, en sa qualité d’ingénieur, entrepreneur et surtout, président de l’APCHQ, leur donnera l’heure juste et, le cas échéant, les guidera dans les prochaines étapes.

[6]           Lors de sa visite le 22 juin 2011, Paul Dargis les informe qu’il ne s’agit pas de fissures s’apparentant à de la pyrrhotite mais plutôt à des fissures de retrait. À la suite de  ses recommandations, les  Bénéficiaires calfeutrent donc eux-mêmes les fentes à la fondation.

[7]           Par la suite, la situation s’aggrave et, à l’été 2013, les Bénéficiaires concluent que la réparation qu’ils ont effectuée eux-mêmes en 2011 n’a pas été faite correctement et ils mandatent Fissurex, une firme spécialisée en calfeutrage, afin de leur confier un mandat à cet effet.  

[8]           Selon les dires des Bénéficiaires, le représentant de Fissurex les aurait informés, lors de sa visite, qu’il ne pouvait réparer les fissures tant et aussi longtemps qu’un test n’est pas effectué confirmant qu’il ne s’agit pas de pyrrhotite. Suivant les recommandations du représentant, les Bénéficiaires ont fait procéder à un test qui aurait apparemment révélé la présence de pyrrhotite. C’est à la suite de la réception des résultats de ce test confirmant la présence de pyrrhotite que les Bénéficiaires ont consulté un avocat, Me Pierre Soucy de Lambert Therrien, lequel a fait parvenir à l’Administrateur une dénonciation formelle le 18 septembre 2013.

[9]           Par la suite, le 18 novembre 2013, Jacques Fortin, inspecteur pour l’Administrateur a rendu la décision contestée, sans avoir contacté les Bénéficiaires et sans avoir procédé à une visite des lieux, rejetant le recours au motif de déchéance de la garantie. C’est de cette décision dont le Tribunal est saisi.

III

LA PREUVE

[10]        Les Bénéficiaires sont tous deux présents lors de l’audition. Ils témoignent chacun à leur tour. Ils expliquent avoir acquis le terrain de Paul Dargis en 2005 suite à leur décision de déménager à Trois-Rivières. Ils expliquent avoir magasiné plusieurs entrepreneurs avant d’arrêter leur choix sur Construction Paul Dargis inc. Leur choix s’explique en raison des représentations de Paul Dargis à l’effet qu’il est ingénieur et président de l’APCHQ. D’emblée, les Bénéficiaires précisent qu’il s’agit-là d’un élément important dans leur décision. Les Bénéficiaires sont convaincus qu’en traitant avec Paul Dargis, ils traitent à la fois et en même temps avec l’Entrepreneur et avec l’APCHQ.  Pour les Bénéficiaires, qui ont un certain âge, cela représente un net avantage sur les compétiteurs. À de nombreuses reprises, Paul Dargis leur répète être le président de l’APCHQ ce qui leur garantit une construction de qualité.

[11]        Par ailleurs, ils expliquent avoir reçu, juste avant le début de la construction, un appel d’une voisine les informant des problèmes de pyrrhotite à Trois-Rivières et plus particulièrement dans leur secteur. Elle les aurait apparemment informés qu’il fallait faire creuser et enlever le remblai pour le remplacer par du nouveau.

[12]        Suivant cet appel, les Bénéficiaires, inquiets, contactent Paul Dargis pour discuter de la situation. Suivant des échanges entre eux et sur lesquels ni les Bénéficiaires ni l’Entrepreneur n’ont élaboré en cours d’audience,  il est convenu que Paul Dargis leur rachète le terrain afin de pouvoir faire la construction en paix, à l’abri de la surveillance continuelle d’un tiers. Dans un courriel daté du 11 mars 2007, Paul Dargis écrit :

Bonjour à vous deux,

Pour faire suite à notre conversation téléphonique, veuillez prendre note de ce qui suit. Afin de vous permettre d’investir plusieurs milliers de dollars pour la construction de votre propriété, nous désirons se porter acquéreur de votre terrain pour la somme de $20,000. Les ordres seront transmis à notre notaire dès que possible et ce dernier se chargera de les faire parvenir à un notaire de votre localité pour que vous puissiez les signer. (…)

Toutes ces démarches sont maintenant nécessaires afin de permettre un climat de confiance entre les parties et une sécurité pour l’entrepreneur, qui, somme toutes, bénéficie d’une excellente réputation. Veuillez prendre note d’ailleurs que fidèle à sa réputation, M. Paul Dargis, président de l’APCHQ, région de la Mauricie, s’engage à vous construire une demeure selon les règles de l’art et les normes prescrites. Tous les travaux exécutés sur votre future propriété seront exécutés selon les attentions nécessaires afin que vous puissiez en bénéficiez sans tracas.

Garantie de l’APCHQ de 5 ans incluses, extensible jusqu’à 10 ans. (sic)

 

[13]        Le 17 août 2007, les Bénéficiaires signent la Déclaration de réception du bâtiment.

[14]        En 2011, les Bénéficiaires constatent que plusieurs maisons du voisinage sont atteintes d’un problème de pyrrhotite. C’est ainsi qu’ils écrivent, le 13 juin 2011, à Paul Dargis afin de l’informer de la présence de fentes dans la fondation du garage et de la maison. Ils lui demandent de venir constater la situation et de les rassurer sur l’état de leur fondation et sur la cause des fentes. Plus précisément, ils lui demandent de leur indiquer si la pyrrhotite peut être à l’origine des fentes et, le cas échéant, leur indiquer quoi faire.

[15]        Ainsi, le 22 juin 2011, M. Paul Dargis se présente chez les Bénéficiaires et constate les fentes. Il leur dit, ce qui n’est pas contesté, que les fentes ont toute apparence de fissures de retrait, phénomène normal qui se produit lors du séchage des matériaux. Il leur aurait indiqué de simplement boucher les fissures et de refaire le crépit. Encore une fois, Paul Dargis précise qu’il est ingénieur et président de l’APCHQ. Rassurés, les Bénéficiaires procèdent eux-mêmes au calfeutrage des fentes.  

[16]        Or, à l’été 2013, la situation s’aggrave et c’est alors qu’ils mandatent Fissurex pour réparer les fissures. Selon eux, le représentant de Fissurex aurait refusé de réparer les fissures avant qu’un test ne soit effectué confirmant qu’il ne s’agit pas d’un problème de pyrrhotite. C’est dans ces circonstances que les Bénéficiaires mandatent GéoSol pour une expertise, laquelle aurait révélé la présence de pyrrhotite. C’est à la suite de ce résultat qu’ils ont mandaté leur avocat pour les conseiller. Ce dernier a écrit à l’Administrateur le 18 septembre 2013.

[17]        Lors de leur témoignage, les Bénéficiaires ont indiqué qu’en aucun temps Paul Dargis ne leur aurait parlé de la garantie. Il ne leur a jamais indiqué, au cours de ses représentations à l’effet qu’il est le président de l’APCHQ, que l’association régionale et l’Administrateur du plan de garantie étaient deux entités différentes. En aucun temps, Paul Dargis ne les a informés qu’ils pouvaient perdre leur garantie s’ils n’entreprenaient pas des démarches directement auprès de l’Administrateur du plan.  Ces faits sont confirmés par l’Entrepreneur.

[18]        En somme, les Bénéficiaires prétendent avoir été floués par Paul Dargis qui les a laissé croire qu’en sa qualité de président de l’APCHQ, il assurait un lien entre eux et l’APCHQ, soit le plan de garantie. Pour eux, lorsqu’ils écrivent à Paul Dargis, ils écrivent non seulement à l’Entrepreneur, mais également à l’APCHQ, administrateur du plan de garantie. C’est pour cela d’ailleurs qu’ils ont choisi cet Entrepreneur. Pour la facilité que cela leur procurait et la confiance qu’il avait envers Paul Dargis  

[19]        En contre-interrogatoire, les Bénéficiaires confirment n’avoir jamais écrit directement à l’Administrateur autrement qu’à Paul Dargis. Ils disent ignorer que l’APCHQ et l’Administrateur du plan de garantie sont 2 entités différentes. Ils réitèrent qu’à de nombreuses reprises Paul Dargis a affirmé être le président de l’APCHQ et ne jamais les avoir détrompés jusqu’à ce jour.  

[20]        L’Entrepreneur, pour sa part, fait entendre son seul témoin, M. Paul Dargis. D’emblée, M. Dargis se dit en accord avec les Bénéficiaires en ce qui a trait à la trame factuelle. Il ne dément pas non plus les propos tenus par les Bénéficiaires relativement au fait qu’il leur aurait répété à de nombreuses reprises qu’il était ingénieur et président de l’APCHQ et même il confirme ces faits. Il admet également que dans son courriel du 11 mars 2007, la référence au fait qu’il est président de l’APCHQ région de la Mauricie avait clairement pour but de mettre les Bénéficiaires en confiance.  

[21]        Contre-interrogé par les Bénéficiaires, il confirme ne jamais les avoir référés à l’Administrateur. Ce n’est pas son rôle. Il explique son silence par l’absence de questions de la part des Bénéficiaires à ce sujet. De plus, il ajoute que son assureur n’aimerait pas qu’il suggère aux bénéficiaires de faire une réclamation au plan de garantie. Il admet ne jamais leur avoir indiqué qu’il existait une distinction entre l’APCHQ régionale et l’Administrateur du plan de garantie au sens du Règlement. En somme, il ne ment pas si on lui pose la question directement, mais il ne prend aucunement les devants. Ce qui a pour conséquence que les Bénéficiaires restent avec la certitude qu’ils traitent effectivement avec le plan de garantie.

[22]        Il explique toutefois que lors de sa visite du 22 juin 2011, il a effectivement constaté les fissures et qu’il était convaincu qu’il s’agissait de simples fissures de retrait. Il dira se rappeler avoir pensé, en embarquant dans son véhicule, qu’ils étaient peutêtre pour la réchapper celle-là! Il indique avoir toujours été en bons termes avec les Bénéficiaires et se dit convaincu qu’il a construit une bonne maison. Il confirme néanmoins avoir construit plus ou moins 100 maisons affectées du problème de pyrrhotite dans ce même secteur. Par ailleurs, il s’agissait de constructions faites principalement en 2004-2005 et quelques unes en 2006. Comme la maison des Bénéficiaires a été construite en 2007, il avait espoir qu’il ne s’agissait pas de pyrrhotite.

[23]        Il confirme que les Bénéficiaires lui ont demandé, à cette époque, ce qu’ils devaient faire au sujet des fissures et n’avoir rien dit au sujet du plan de garantie, ni du délai de dénonciation, ni de la perte possible de leurs droits. Selon lui, les Bénéficiaires font toujours une réclamation au plan de garantie même s’il ne leur dit rien.

[24]        Il confirme également que la pierre utilisée dans le cadre de la construction de la propriété des Bénéficiaires provient de Béton Boisvert, soit la même carrière qui a fourni la pierre pour la construction des maisons affectées du problème de pyrrhotite. À la question des Bénéficiaires à savoir pourquoi il ne leur a rien dit à ce sujet, il répond que ce n’était pas à lui de leur dire de faire une réclamation au plan de garantie. Il ajoute toutefois que ce n’est pas son but de priver les bénéficiaires de la garantie de l’APCHQ.

[25]        Ensuite, contre-interrogé par Me Cloutier, procureur de l’Administrateur, l’Entrepreneur confirme qu’il n’a pas fait de représentation relative au fait qu’il serait un représentant de l’Administrateur. Il n’a rien écrit d’autre que le courriel du 11 mars 2007. Il réitère n’avoir eu aucune question de la part des Bénéficiaires relativement à l’application du plan de garantie, ni quant au processus de réclamation.

[26]        L’Administrateur ne fait aucune preuve.

IV

PLAIDOIRIES

[27]        En somme, les Bénéficiaires sont convaincus d’avoir été volontairement induit en erreur par Paul Dargis. Pour eux, il ne fait aucun doute que dès 2011, l’Entrepreneur savait que les fissures étaient dues à la présence de pyrrhotite, d’autant plus que la pierre provenait de Béton Boisvert, la même carrière qui avait fourni la pierre dans les propriétés atteintes de pyrrhotite et ce, à la connaissance de l’Entrepreneur.

[28]        Ils estiment que l’Entrepreneur a manqué de loyauté à leur égard. Il aurait dû les informer qu’ils devaient dénoncer la situation par écrit à l’Administrateur, d’autant plus que tout au long du processus, il a utilisé à tout vent son titre de président de l’APCHQ. Il aurait dû les détromper et leur dire que l’APCHQ région de la Mauricie et APCHQ, administrateur du plan de garantie, ce n’était pas la même chose. Pour les Bénéficiaires, ils n’ont fait aucune distinction entre les 2 entités. Ils réfèrent le Tribunal à la décision Mailhot Gauthier[1] dans laquelle affaire il avait été question de représentations fausses de la part de Paul Dargis. Contrairement au présent dossier, Paul Dargis avait indiqué aux bénéficiaires que si, malgré tout, cela vous inquiète, vous avez toujours le loisir de faire appel [sic] à la Garantie de L’APCHQ. Dans un autre dossier, M. Paul Dargis avait également indiqué aux bénéficiaires de transmettre une réclamation à l’Administrateur[2]. Or, dans le présent dossier, il s’en est abstenu.

[29]        Les Bénéficiaires plaident la négligence de l’APCHQ. Ils soutiennent que l’APCHQ aurait dû aviser M. Dargis (et d’ailleurs, tous les membres du conseil d’administration de l’APCHQ) de ne pas utiliser son titre de président de l’APCHQ dans le cadre de ses négociations avec des clients ou clients éventuels et ce, afin d’éviter toute confusion. Ils ajoutent que l’APCHQ, face à un problème de l’envergure de ceux vécus à Trois-Rivières, aurait dû informer tous les clients dont la maison est susceptible d’être affectée par le problème de pyrrhotite de faire les vérifications qui s’imposent afin de limiter les dommages, tout comme le font les fabricants qui rappellent leurs produits dès la découverte d’un problème important. Enfin, ils se prétendent victime d’une communauté d’intérêts entre Dargis et l’APCHQ qui refusent de payer pour les dommages liés à un problème connu depuis maintenant suffisamment longtemps. Ils demandent au Tribunal de statuer en équité, le cas échéant, et de retourner le dossier à l’Administrateur pour qu’il soit statué sur le fond du dossier. Ils demandent le remboursement des frais assumés au montant de 1 800 $.

[30]        Sur la notion d’équité, ils citent la décision Construction Quorum inc.[3] rendue par l’arbitre Despatis :

La bénéficiaire a raconté en avoir alors immédiatement avisé verbalement des représentants de l’entrepreneur qui lui auraient dit de laisser passer l’été, ce qu’elle a fait. Son témoignage n’a pas été contredit. C’est donc l’entrepreneur qui a lui-même suggéré à la bénéficiaire d’attendre. Ce serait inéquitable que le temps consenti dans ces circonstances devienne subitement un délai déraisonnable

[31]        L’Administrateur, pour sa part, soutient que la décision rendue est bien fondée. La preuve est à l’effet que la fin des travaux est survenue en août 2007 et que la réception du bâtiment a eu lieu le 17 août de la même année. Conformément au Règlement, la couverture la plus longue est d’une durée de 5 ans, lequel délai s’est écoulé en septembre 2012. Il découle de ce constat que la garantie est échue.

[32]        Le procureur convient que les Bénéficiaires ont confondu le rôle de Dargis et celui de l’Administrateur. Il n’en demeure pas moins qu’en vertu du Règlement, la dénonciation faite par le procureur des Bénéficiaires le 18 septembre 2013 est tardive.

[33]        Elle cite à l’appui de sa position, la décision de la Cour d’appel rendue par l’honorable Pierrette Rayle, j.c.a., dans laquelle la Cour pose clairement que le cautionnement que donne le plan de garantie n’est ni illimité, ni inconditionnel[4]. La Cour confirme que le Règlement est d’ordre public et la procédure applicable aux réclamations impérative[5]. L’Administrateur dépose une série de décision au même effet, indiquant que le délai de dénonciation de six (6) mois prévu au Règlement en est un déchéance auquel cas l’équité ne saurait être d’aucun secours[6].

[34]        Enfin, le procureur dépose la décision Claude Carrier[7]. Dans cette affaire, les Bénéficiaires ont vu leur recours rejeté sur la question du délai. Selon les faits rapportés, les bénéficiaires auraient été notamment rassurés par l’implication de Paul Dargis au sein du conseil d’administration de l’APCHQ, tant régionale que provinciale. Malgré tout, l’arbitre a rejeté le recours puisque la dénonciation écrite à l’Administrateur aurait été faite hors délai.  

[35]        Enfin, sur la question des frais, l’Administrateur demande à ce que ceux-ci soient entièrement à la charge des Bénéficiaires. Le procureur dépose un jugement de la Cour supérieure rendue par l’honorable juge Benoit Emery, j.c.s., dans le dossier 700-17-010128-139 et dans laquelle l’Administrateur demande de sanctionner l’abus de procédure. La Cour, statuant sur la requête de l’Administrateur rejette l’action entreprise à l’égard de l’APCHQ, avec dépens[8].

[36]        Enfin, sur la question de la négligence de l’Administrateur à aviser les propriétai-res de maison potentiellement atteintes d’un problème de pyrrhotite, le procureur plaide que l’Administrateur est un organisme privé qui administre un plan de garantie et non un organisme de régulation qui édicte des normes de cons-truction. Si négligence il y a, ce serait celle de la Régie du bâtiment du Québec qui aurait pu procéder à ce processus d’information et non l’Administrateur.

V

ANALYSE ET DÉCISION

[37]        Le Tribunal doit décider du présent recours à la lumière du Règlement.

[38]        Le Règlement prévoit que les bénéficiaires doivent dénoncer par écrit, à la fois à l’entrepreneur et à l’administrateur, le défaut de construction constaté, dans un délai raisonnable lequel délai ne peut excéder six (6) mois suivant sa découverte[9]. La jurisprudence majoritaire est à l’effet qu’il s’agit d’un délai de déchéance et qu’il ne peut être remédié au défaut d’avoir dénoncé dans ce délai raisonnable. Autrement dit, le Tribunal ne peut utiliser son pouvoir discrétionnaire édicté à l’article 116 du Règlement pour redonner vie à un recours autrement prescrit.  

[39]        Par ailleurs, le Tribunal doit également tenir compte de l’esprit du Règlement qui en est un d’ordre public de protection. Ce Règlement est en quelque sorte le pendant de la Loi sur la protection du consommateur, en matière de construction de bâtiments résidentiels neufs. Elle met en place certaines garanties de manière à ce qu’en cas de défaut de l’Entrepreneur d’exécuter les obligations qui lui incombent, l’Administrateur du plan soit tenu de les exécuter en ses lieux et place, sous réserves du recours subrogatoire qu’exercera l’Administrateur à l’encontre de l’Entrepreneur ultérieurement.  

[40]        Toutefois, le plan de garantie administré par l’Administrateur est une caution de l’Entrepreneur et non une assurance tout risque, ce qui veut dire, comme l’a rappelé la Cour d’appel, que celle-ci n’est ni illimitée, ni inconditionnelle[10]. Il en va ainsi de l’esprit du Règlement. Les mesures de dénonciation édictées visent la protection du public tout en fournissant un cadre au-delà duquel la caution ne sera pas tenue d’exécuter les obligations de l’entrepreneur. Hors ce cadre, le seul recours disponible aux bénéficiaires sera le recours direct contre l’entrepreneur devant les tribunaux de droit commun.

[41]        Le Tribunal estime que le dossier en l’espèce à ceci de particulier que l’Entrepreneur a, selon la preuve accablante et non contredite, user de son titre de président de l’APCHQ afin d’obtenir et conserver la confiance des Bénéficiaires. Pire : non seulement s’est-il présenté comme tel mais à chaque fois que les Bénéficiaires ont soulevé un doute ou une question en relation avec la pyrrhotite, il leur a répondu de ne pas s’en faire, qu’il était ingénieur et président de l’APCHQ. Lorsque les Bénéficiaires lui ont demandé ce qu’ils devaient faire avec les fissures en juin 2011, en aucun temps il ne leur a indiqué qu’ils devaient faire une déclaration écrite à l’Administrateur. En aucun moment il ne leur a précisé qu’il n’avait aucun lien avec l’Administrateur. Au contraire, il a utilisé son titre de président de l’APCHQ pour les mettre en toute confiance et laisser ainsi expirer le délai. L’Entrepreneur a menti par omission. Il a fait défaut d’informer les Bénéficiaires des démarches à entreprendre et a fait perdurer dans leur esprit l’idée qu’ils transigeaient directement avec l’APCHQ, soit le plan de garantie. Le pendant de l’obligation d’informer est l’obligation de s’informer. Le Tribunal estime que les Bénéficiaires en l’espèce se sont informés suffisamment de ce qu’ils devaient faire auprès de Paul Dargis, président de l’APCHQ et l’Entrepreneur en l’occurrence, lequel les a manifestement et volontairement induit en erreur.

[42]        N’eût été du comportement pour le moins condamnable de Paul Dargis dans cette affaire, le Tribunal aurait déclaré que le recours était prescrit puisque le seul véritable écrit acheminé à l’Administrateur est la lettre du 18 septembre 2013, soit plus d’un an après l’expiration de la garantie. Cependant, dans les circonstances exceptionnelles auxquelles font face les Bénéficiaires, le Tribunal doit décider s’il peut et s’il doit, en équité et conformément aux règles de droit, décider que la déclaration écrite faite à Paul Dargis, président de l’APCHQ et l’Entrepreneur le 13 juin 2011 est opposable à l’Administrateur. Le Tribunal répond affirmativement.

[43]        En effet, la preuve démontre que l’Administrateur ne pouvait ignorer que l’implication de l’Entrepreneur au sein du conseil d’administration de l’APCHQ a été soulevée comme pouvant créer de la confusion dans l’esprit d’au moins un (1) bénéficiaire[11] par le passé. Bien que dans l’affaire Claude Carrier[12] l’arbitre n’ait pas retenu cet argument pour les motifs qu’il expose, l’Administrateur a été informé de cette possibilité et aurait dû agir en conséquence. L’arbitre s’exprime ainsi :

Le procureur du bénéficiaire a plaidé que l’apparente confusion résultant du fait que le représentant de Dargis semblait lié à l’APCHQ (il a siégé tant au niveau régional que provincial à titre d’Administrateur pendant quelques années) et le fait que Dargis était membre de l’APCHQ inc. militeraient en faveur de la prolongation du délai de dénonciation écrite à l’Administrateur. Malgré ce qui précède, force est d’admettre qu’aucun avis écrit n’a été transmis à l’Administrateur avant ceux de mois de mai 2009.

 

Selon le soussigné, au-delà des principes applicables au délai maximal prévu au Règlement et au contrat de garantie, tel qu’explicité ci-avant et sans juger même des conséquences possibles, s’il en est, d’une telle confusion alléguée, il n’y a pas eu de preuve prépondérante à ce sujet. D’ailleurs, en aucun moment dans son témoignage, le Bénéficiaire n’a associé son inaction à une telle confusion de rôle ni non plus soulevé celle-ci dans ses écrits produits au dossier.

 

Après révision de la preuve, cet argument de confusion semble être plutôt la conséquence de la croyance du Bénéficiaire que Dargis «s’occupait» du dossier et que les travaux de celui-ci, de l’aveu même du représentant dudit Entrepreneur, étaient garantis pour cinq (5) ans, Au-delà même des principes applicables au délai maximal de dénonciation, cela ne peut, de l’avis du soussigné, constituer même une preuve de confusion.

 

[44]        Dans cette affaire, l’arbitre ne s’est pas prononcé sur les conséquences qu’auraient eu sur l’issue du litige la confusion eût-elle été prouvée de manière prépondérante. C’est de cette question que le présent Tribunal doit décider. En l’espèce, la preuve de confusion existe et ce,  de manière convaincante.

[45]        La décision que rend le présent Tribunal est difficile et délicate. Le Tribunal doit soupeser les intérêts de toutes les parties, y compris ceux de l’Administrateur. Il serait injuste et inéquitable que l’Administrateur soit tenu responsable de chaque geste fautif des entrepreneurs qu’il accrédite. Toutefois, le Tribunal est confronté à un cas extrême d’abus de la part d’un Entrepreneur dans le cadre de l’application d’un Règlement d’ordre public de protection, alors que la seule personne capable de prévenir et de freiner, le cas échéant, les comportements inadéquats de ce dernier, est l’Administrateur. En somme, le Tribunal doit décider qui, de la caution ou des Bénéficiaires il doit protéger dans un cas comme celui-ci. Le Tribunal choisi de protéger les Bénéficiaires puisqu’il en va de l’esprit du Règlement.

[46]        Informé du fait que par le passé, l’implication de l’Entrepreneur au sein du conseil d’administration de l’APCHQ a pu poser problème et faire perdre des droits à des bénéficiaires que le Règlement est censé protéger, l’Administrateur aurait dû prendre des précautions afin de prévenir la répétition d’une situation malheureuse. Ce que reproche le Tribunal à l’Administrateur ce n’est pas tant le comportement de l’Entrepreneur comme l’absence de toutes mesures préventives. L’Administrateur n’a fait aucune preuve des mesures qu’il aurait prises pour éviter que l’implication de Paul Dargis au sein de l’APCHQ ne fasse perdre des droits aux bénéficiaires du plan de garantie. Par exemple, l’Administrateur aurait pu émettre une directive à l’effet qu’un entrepreneur qui siège au sein du conseil d’administration de l’APCHQ ne peut, en aucun cas, utiliser son titre afin de rassurer un bénéficiaire ou de le convaincre de faire affaires avec lui. Il aurait pu imposer à l’entrepreneur qui siège sur le conseil d’administration de l’APCHQ un devoir d’information accru afin que les bénéficiaires soient informés de la distinction entre l’APCHQ et le plan de garantie. Ceci étant dit, le Tribunal n’entend pas dicter à l’Administrateur ou à l’PACHQ sa conduite relativement à sa gestion interne. Cependant, le Tribunal doit décider du recours des Bénéficiaires et il ne peut faire abstraction de cet élément qui apparaît important.

[47]        Compte tenu de l’esprit du Règlement et du comportement accablant de l’Entrepreneur, le Tribunal estime que la confusion était telle dans l’esprit des Bénéficiaires qu’il leur était impossible de faire autrement que de penser que l’Entrepreneur représentait le plan de garantie. Ainsi, en dénonçant la situation par écrit à Paul Dargis le 13 juin 2011, les Bénéficiaires étaient convaincus de le faire également auprès du plan de garantie. C’est là l’objet de leur témoignage sincère et non contredit.  

[48]        La présente décision s’inscrit dans un cadre tout à fait particulier et peu susceptible, espérons-le, de se reproduire. La présente décision doit décider qui, des Bénéficiaires ou de l’Administrateur, doit voir sa position reconnue en vertu du Règlement, y compris les règles de l’équité. Ainsi, le Tribunal déclare que la dénonciation faite à Paul Dargis, en sa qualité d’Entrepreneur et de représentant de l’APCHQ, administrateur du plan de garantie aux yeux des Bénéficiaires, est opposable à l’Administrateur comme si elle lui avait été signifiée en date du 13 juin 2011, et réserve les droits de l’Administrateur quant à tout recours qu’il pourra intenter contre l’Entrepreneur en raison de son comportement dolosif. Le Tribunal estime que l’Administrateur est mieux à même et plus outillé pour prévenir les comportements inadéquats des entrepreneurs que ne le sont les bénéficiaires.

[49]        Quant aux frais, conformément à l’article 123 du Règlement, ceux-ci sont à la charge de l’Administrateur. Par contre, vu les conclusions du présent arbitrage, il serait prématuré de statuer sur les frais de 1 800 $ réclamés par les Bénéficiaires.

 

LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

ACCUEILLE la demande d’arbitrage des Bénéficiaires;

RETOURNE le dossier à l’Administrateur pour qu’il soit statué sur le fond du dossier;

DÉCLARE que les frais du présent arbitrage sont à la charge de l’Administrateur. Montréal, ce 15 juillet 2014

 

                                                                                 __________________________________

                                                                                 Karine Poulin, arbitre

Poulin avocats Inc.

G1115-33

S/A 115



[1] René Mailhot et Karine Gauthier c.  Construction Paul Dargis inc. et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., GAMM, 30 mars 2011, arbitre Claude Dupuis.

[2] Claude carrier c. Construction Paul Dargis inc. et La garantie des immeubles résidentiels de l’APCHQ inc., CCAC,  9 avril 2014, arbitre Me Reynald Poulin.

[3] Anne Fauchon  c. La garantie des immeubles résidentiels de l’APCHQ inc. et Construction Quorum inc., GAMM, 14 novembre 2005, arbitre Me Johanne Despatis.

[4] La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.  c.  Maryse Desindes et Yvan Larochelle, 500-09013349-030, 15 décembre 2004.

[5] Id.

[6] Jessica Gattas et Viviane Aboud c. Groupe Construction Royal inc et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc, SORECONI, 22 avril 2014, arbitre Me Tibor Hollander; Syndicat de copropriété 7 000 chemin

Chambly et Landry & Pépin construction inc et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., SORECONI, 17 novembre 2008, arbitre Michel A. Jeanniot;  Esmaeilzadeh Danesh c. Solico inc et. La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc, SORECONI, 5 mai 2008, arbitre Me Jean Phillippe Ewart.

[7] Claude carrier c. Construction Paul Dargis inc et La garantie des immeubles résidentiels de l’APCHQ inc., précitée note 2.

[8] Vit Alberto et Habitations Prével de Terrebonne inc et La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc , 700-17-010128-139, Benoit Emery, j.c.s., 16 janvier 2014.

[9] Article 10 (5).

[10] La garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.  c.  Maryse Desindes et Yvan Larochelle, 500-09013349-030, C.A., 15 décembre 2004.

[11] Claude carrier c. Construction Paul Dargis inc et La garantie des immeubles résidentiels de l’APCHQ inc., précitée note 2.

[12] Id.