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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Les Placements Serbeau ltée

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

Aida Atallah Saliba

(ci-après la « bénéficiaire »)

 

ET :

La garantie Qualité-Habitation

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier de La garantie Qualité-Habitation : 13394

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour l'entrepreneur :

Me Benoit Fortier

 

Pour la bénéficiaire :

Me Nabih F. Srougi

 

Pour l'administrateur :

Me Avelino De Andrade

 

Date d’audience :

7 février 2005

 

Lieu d'audience :

Laval

 

Date de la sentence :

22 mars 2005

 

I : INTRODUCTION

[1]                À la demande de l’arbitre, l’audience s’est tenue à la résidence de la bénéficiaire.

[2]                À la suite d’une demande de réclamation de la bénéficiaire, l’administrateur, en date du 1er avril 2004, a déposé un rapport d’inspection supplémentaire comportant huit points; insatisfait de la décision de l’administrateur relativement au point 30, soit panneaux de distribution téléphone et câble, l'entrepreneur a demandé que le différend soit soumis à l’arbitrage.

[3]                Le 12 novembre 2003, l'administrateur avait émis son rapport d'inspection initial dans le même dossier; ce dernier rapport traitait également le sujet des panneaux.

[4]                Il s’agit ici d’une habitation à trois étages ayant chacun une entrée privée (2271 - 2273 - 2275, Albert-Murphy, à Laval). Le sous-sol de l’immeuble est occupé par la propriétaire, tandis que les deux autres étages sont occupés par ses deux fils. Dans le présent dossier, nous ferons référence au sous-sol, au rez-de-chaussée et au 1er étage.

[5]                En cours d’enquête, les personnes suivantes ont témoigné :

§         M. Sylvain Beausoleil, conciliateur

§         M. André Saliba, fils de la bénéficiaire, entrepreneur

§         M. Serge Beaupré, entrepreneur en construction

[6]                Avant l'ouverture de l'enquête, le procureur de la bénéficiaire avait informé le tribunal ainsi que les autres parties qu'il soulèverait lors de l'audience une objection préliminaire au motif que la demande d'arbitrage de l'entrepreneur a manifestement été formulée hors délai.

II : DÉCISION SUR L'OBJECTION PRÉLIMINAIRE

Position de la bénéficiaire

[7]                La décision de l'administrateur est datée du 12 novembre 2003, alors que la demande d'arbitrage de l'entrepreneur est datée du 3 mai 2004. Le délai de 173 jours dépasse amplement celui de 15 jours imposé par la loi. Il s'agit d'une demande tardive, et elle doit être rejetée.

[8]                Lorsqu'une loi est édictée pour la protection du consommateur, elle doit être interprétée en faveur de ce dernier.

[9]                Selon le procureur, le délai doit être calculé à partir du 12 novembre 2003 et non à partir du 1er avril 2004, car l'entrepreneur n'a rien effectué au cours de la période séparant le dépôt des deux rapports d'inspection.

[10]            À l'appui de son argumentation, le procureur a déposé ce qui suit :

§         Gibbs v. Great Western Railway Co., [1884] 12 QBD 208.

§         Takhmizdjian et Barkakjian c. Soreconi (Société pour la résolution des conflits inc.) et Betaplex inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'A.P.C.H.Q. inc., C.S. Laval 540-05-007000-023, Mme la juge Ginette Piché, 2003-07-09.

Position de l'administrateur

[11]            Le procureur est d'avis que le délai de demande d'arbitrage au plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs n'en est pas un de rigueur; s'il n'est pas de rigueur pour la bénéficiaire, il ne l'est pas non plus pour l'entrepreneur; le texte est identique pour les deux parties.

[12]            L'arbitre possède un pouvoir discrétionnaire qu'il doit exercer de la même façon pour toutes les parties.

Position de l'entrepreneur

[13]            Le procureur rappelle que dès novembre 2003, il y avait un litige entre les parties; toutefois, entre novembre 2003 et avril 2004, l'entrepreneur a effectué certains travaux.

[14]            Il est d'avis que la demande d'arbitrage de l'entrepreneur procède du rapport d'inspection de l'administrateur d'avril 2004 et non de celui de novembre 2003; le délai n'est donc plus de 173 jours. De la même façon, la bénéficiaire, dans sa demande d'arbitrage, n'était pas satisfaite des conclusions de l'administrateur dans son rapport d'avril 2004.

[15]            Ce délai n'est pas un délai de rigueur et il ne cause aucun préjudice à qui que ce soit.

Décision et motifs

[16]            L'article 19 du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs se présente comme suit :

19.               Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 15 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 15 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.

[17]            Dans un jugement[1] de révision d'une sentence arbitrale relative au sujet qui nous préoccupe, la juge Ginette Piché a fait un inventaire de la doctrine et de la jurisprudence relativement au délai; je reproduis ci-après certains résultats de ses recherches :

[18]            Page 6 :

"[...] La présence du mot "doit" ne devrait jamais permettre, à elle seule, de décider si une prescription a été imposée à peine de nullité. [...]

[19]            Page 7 :

[...] "la procédure ne sert qu'à faire apparaître le droit et non à l'occulter".

[...] "la déchéance n'est pas la règle et ne se présume pas.  Hormis les cas où le législateur s'est exprimé de façon claire, précise et non ambiguë, il n'existe aucun délai de déchéance véritable".

[...] "... lorsque la partie poursuivie pouvait ne subir aucun préjudice réel autre que la perte du droit de se prévaloir de la prescription, la prorogation paraît être dans le meilleur intérêt de la justice". (…)

[...]

[...] si le délai est un délai de procédure, il peut être prorogé.  S'il s'agit d'un délai de déchéance, la prorogation est impossible. [...]

[20]            Page 8 (extrait de l'article 2878 du Code civil du Québec) :

"[...] Cette déchéance ne se présume pas; elle résulte d'un texte exprès."

[21]            À l'article 19 du plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs ci - devant cité, aucune déchéance n'est prévue.

[22]            Dans le présent dossier, aucun préjudice n'a été causé à la bénéficiaire en raison du délai de présentation de la demande d'arbitrage de l'entrepreneur; en effet, à compter du 12 novembre 2003, la bénéficiaire avait en mains une décision de l'administrateur qui lui était favorable et qui se maintenait; cette décision a d'ailleurs été répétée dans le rapport d'inspection de l'administrateur du 1er avril 2004.

[23]            Quoiqu'il n'y avait pas lieu de le faire, l'administrateur a répété dans son rapport d'inspection du 1er avril 2004 la décision relative aux panneaux contenue dans son rapport d'inspection initial du 12 novembre 2003, ce qui, à mon avis, autorise l'entrepreneur à calculer son délai à compter de la date du dernier rapport.

[24]            Même si le jugement de la juge Piché conduisant à la prorogation du délai a été rendu dans un contexte de demande d'arbitrage de la part d'un bénéficiaire (consommateur), il n'en demeure pas moins que les textes sont identiques, quelle que soit la partie requérante, et que la doctrine et la jurisprudence ci-devant citées n'imposent aucune restriction en ce sens.

[25]            En cours d'enquête, le tribunal n'a pu déceler aucune négligence à cet égard de la part de l'entrepreneur, le tout s'étant déroulé dans un contexte de reprise des travaux chez la bénéficiaire durant cette même période.

[26]            Pour ces motifs, l'objection préliminaire est rejetée.

III : DÉCISION SUR LE FOND

[27]            La visite des lieux a permis de constater qu'il y a dans le bâtiment quatre panneaux de distribution téléphonique et câble fixés aux murs (deux au sous-sol, un au rez‑de‑chaussée et un autre à l'étage), dont les fils sont pendants et non munis de bornes de raccordement. Cet ouvrage n'est donc pas complété, et il en coûterait environ 3 000 $ en matériel seulement pour terminer les travaux.

[28]            Selon la preuve recueillie, le sous-traitant de l'entrepreneur qui a procédé à l'installation de ces équipements l'a fait sous la direction de M. Saliba; ce dernier est même allé chez Home Dépôt pour acheter des panneaux de taille différente de ceux fournis par le sous‑traitant, pour lesquels il a déboursé un coût supplémentaire de 204 $; ce sous‑traitant a donc exécuté l'ouvrage pour 88 sorties de prise dans le triplex, alors que la norme pour un quadruplex, selon l'entrepreneur, est de 18 sorties de prise.

[29]            Ses coûts ayant dépassé la normale d'environ 2 500 $, l'entrepreneur a donc arrêté les travaux sur ces panneaux.

[30]            Dans sa réclamation à l'administrateur, la bénéficiaire demandait de compléter l'installation des quatre panneaux, ce qui lui a été accordé, d'où découle la présente demande d'arbitrage de l'entrepreneur.

[31]            M. Beaupré témoigne à l'effet que sous la rubrique « Caractéristiques architecturales » du devis descriptif, il est indiqué « Panneau pour téléphone et câble à être déterminé - patch panel ».

[32]            Il souligne que le terme panneau est au singulier et qu'il savait qu'il avait un panneau à installer et non pas quatre; il ajoute que M. Saliba lui avait exprimé le désir d'avoir un panneau afin que tout le filage soit concentré pour en faire ensuite lui‑même la distribution.

[33]            Le prix final de la maison a été établi en fonction du devis descriptif, soit pour 18 à 20 sorties de prise.

[34]            M. Saliba parle plutôt d'un arrangement verbal avec l'entrepreneur dès le début pour l'obtention de quatre panneaux.

[35]            Il prétend avoir discuté de l'item 2.7 du devis avec le sous-traitant.

[36]            Le tribunal se trouve face à une contradiction de témoignages; en effet, M. Saliba et l'entrepreneur ont des opinions divergentes en ce qui concerne le nombre de panneaux pour téléphone et câble devant être installés dans la propriété.

[37]            M. Saliba invoque l'existence, avant la signature et tout au long de l'exécution, d'un arrangement verbal prévoyant l'installation de quatre panneaux, soit un panneau principal (ou de distribution) et trois autres panneaux (un par étage).

[38]            M. Beaupré, représentant de l'entrepreneur, nie cette entente verbale et affirme qu'il a soumissionné pour une installation de distribution normale, soit 18 sorties de prise et un panneau, et non pas 88 sorties de prise et quatre panneaux.

[39]            Le tribunal, se référant aux caractéristiques architecturales du devis descriptif, est d'avis que les arguments de l'entrepreneur sont davantage probants.

[40]            Sur ce devis, lorsqu'un élément doit être fourni à plus d'un exemplaire, la quantité est toujours précisée. Exemple : « 3 préparations de lave-vaisselle », « 3 échangeurs d'air... », etc.

[41]            À l'item 2.7, le terme panneau est au singulier, et en comparant au reste du texte, il ne m'apparaît pas évident qu'il s'agisse là d'une erreur de français.

[42]            La preuve, non contredite, est à l'effet que pour une telle habitation, le nombre de sorties de prise est de 18 et non de 88.

[43]            La preuve est évidente aussi à l'effet que l'entrepreneur s'est fait avoir par son sous‑traitant, lequel aurait dû consulter son donneur d'ordres avant de procéder à une installation hors du commun. Ce dernier état de choses n'autorise cependant pas l'entrepreneur à ne point compléter ses travaux ou à se faire justice lui‑même.

[44]            En effet, son devis spécifiait d'installer un panneau, et ce travail devra être achevé.

[45]            Le tribunal ordonne donc à l'entrepreneur de compléter, dans les quarante‑cinq (45) jours de la présente, l'installation du panneau principal de distribution téléphone et câble selon les règles de l'art, soit de procéder à la fourniture et à la pose des bornes de raccordement.

IV : RÉSUMÉ

[46]            Pour les motifs ci-devant énoncés, le tribunal

REJETTE                   l'objection préliminaire soulevée par la bénéficiaire relativement au délai de présentation de la demande d'arbitrage de l'entrepreneur; et

ORDONNE                à l'entrepreneur de compléter l'installation du panneau principal de distribution téléphone et câble.

[47]            Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 21 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur.

 

BELOEIL, le 22 mars 2005.

 

 

 

 

 

 

__________________________________

Claude Dupuis, ing., arbitre [CaQ]

 



[1]     Takhmizdjian et Barkakjian c. Soreconi (Société pour la résolution des conflits inc.) et Betaplex inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'A.P.C.H.Q. inc., C.S. Laval 540-05-007000-023, Mme la juge Ginette Piché, 2003-07-09.