TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : SORECONI

 

 

ENTRE :                                                        QI QIN ET HUAN LING

                                                                       

(ci-après les « Bénéficiaire »)

 

ET :                                                                CONSTRUCTION JOMA INC.

 

(ci-après l’ « Entrepreneur »)

 

ET :                                                                LA GARANTIE QUALITÉ HABITATION INC.

 

(ci-après l’« Administrateur »)

 

No dossier SORECONI:                  080206001

 

 

 

DÉCISION

 

 

Arbitre :                                                          Me Michel A. Jeanniot

 

Pour le Bénéficiaire :                                    Me Henry Altschuler

                                                                       

 

Pour l’Entrepreneur :                                     Me Daniel Lévesque

                                                                       

 

Pour l’Administrateur :                                  Me Avelino De Andrade

                                                                       

 

 

Date de la sentence :                                   17 avril 2012

 

 

 

 

 

 

 

Identification complètes des parties

 

 

 

 

Bénéficiaire :                                                 Qi Qin et Huan Ling

                                                                        7528, rue Lugano

                                                                        Brossard (Québec)  J4Y 3G2

                                                                        Et leur procureur :

                                                                        Me Henry Altschuler

 

 

Entrepreneur:                                                Construction Joma Inc.

                                                                       1155, boul. Rome

                                                                       Brossard (Québec)  J4W 3K9

 

 

 

Administrateur :                                             La Garantie Qualité Habitation Inc.

                                                                        9200, boul. Métropolitain Est

                                                                        Montréal (Québec)  H1K 4L2

Et son Procureur :

Me Avelino De Andrade

 

 

 

 


DÉCISION

 

Historique

 

La présente s’inscrit et fait suite à mes sentences interlocutoires des 25 août 2008, 3 novembre 2011, 12 décembre 2011 et des échanges de correspondance des 29 février 2012, 1er et 9 mars 2012 dans et pour le présent dossier.

 

Moyen(s) préliminaire(s)

 

1.     Tel que préalablement annoncé depuis le 29 février 2012 et dès l’ouverture de l’enquête le 2 avril 2012 en salle 1.03 du Palais de justice de Saint-Jean-sur-Richelieu, s’ouvre le débat par le biais de représentation sur un moyen préliminaire; pour ce faire, les procureurs de l’Administrateur par le biais de la Demanderesse, Madame Huan Ling, déposent un document proprement titré «Quittance mutuelle finale et transaction»;

 

2.     Il s’agit d’un document à deux (2) volets, une première phase manuscrite et signée / exécutée le 2 mars 2011 et une deuxième signée le 20 septembre 2011. Ce document (en sa version finale) fut versé aux dossiers de Cour Supérieure 505-17-003833-086, 505-11-010966-112 et 505-11-010965-114. Sont présents à cette transaction, les Bénéficiaires Qi Qin & Huan Ling, l’Entrepreneur, Construction Joma Inc. (et d’autres parties non-convoquées au présent arbitrage à savoir les Excavations G.S.R.P. & Frères Inc., le Groupe Frank Catania & Associés et Samson Bélair/Deloitte & Touche Inc. ainsi que leurs procureurs respectifs);

 

3.     Ce document fut l’objet d’un dépôt sous la pièce A-6  et sera ci-après identifié soit par sa cote et/ou par «la Quittance»;

 

4.     Sans entrer avec force de détail(s), la Quittance fait état d’une contribution monétaire en faveur des Bénéficiaires au montant de 47 000 $, de travaux de creusage, de connexion et d’installation «d’un regard d’égout dans l’entrée de la maison» [sic] (des Bénéficiaires);

 

5.     Cette même Quittance (mutuelle, finale et transaction) prévoit inter alia que les Bénéficiaires :

 

«… renoncent irrévocablement à exercer quelques recours que ce soit contre Michel Charron, Construction Joma Inc., les Excavations G.S.R.P. & Frères Inc., Groupe Frank Catania & Associés Inc., leurs successeurs et héritiers légaux ayant droit, associés, employés, préposés, mandataires, procureurs, administrateurs, actionnaires, représentants légaux, assureurs et syndic et leurs accordent une quittance complète et finale de tout recours, réclamation, droit ou droit d’action quel qu’en soit la nature, passé, présent ou futur relié directement et/ou indirectement aux procédures dans la présente cause… »;

 

6.     Il ne va sans dire que le présent arbitrage est soit directement ou indirectement relié aux faits reprochés dans les procédures en Cour Supérieure, un constat d’ailleurs repris à notre sentence interlocutoire du 2 septembre 2008 et plus tard confirmé par l’Honorable Johanne Mainville J.c.s. le 6 mars 2009 (CSM 500-17-045306-084);

 

7.     Fait à noter, l’Administrateur est absent des dossiers de Cour Supérieure objet de la pièce A-6 et il (l’Administrateur) ne participe pas à la Quittance (mutuelle finale et transaction, pièce A-6);

 

Les représentations

 

8.     L’Administrateur et l’Entrepreneur plaident l’extinction de l’obligation par convention intervenue entre les parties puisque selon eux il s’agit d’une convention qui (i) résulte d’un consentement libre et éclairé (puisque tous étaient présents et tous étaient représentés par procureurs), (ii) qui n’était pas contraire à l’ordre public et (iii) que les parties avaient la capacité requise; donc que la Quittance constitue un acte synallagmatique parfait et que de façon plus précise :

 

8.1.   l’Entrepreneur à droit d’opposer aux Bénéficiaires la quittance et l’abnégation au droit à tout recours, réclamation, droit ou droit d’action (présent, passé ou futur relié directement ou indirectement au bâtiment résidentiel des Bénéficiaires);

 

8.2.   l’Administrateur plaide qu’à titre de caution de l’Entrepreneur, la remise accordée au débiteur principal libère naturellement la caution puisque pour que le cautionnement subsiste, il faut évidemment que la dette pour laquelle il porte, continue à exister;

 

9.     L’Administrateur nous suggère de plus qu’il peut s’exonérer invoquant «les faits d’un tiers» depuis sa décision du 24 janvier 2008 et la «participation volontaire à ces faits d’un tiers par les Bénéficiaires» (i.e. la considération monétaire [la somme de 47 000 $] versée aux Bénéficiaires ainsi que des travaux de creusage, de connexion et d’installation d’un regard d’égout [dans l’entrée de la résidence des Bénéficiaires]);

 

10.  Les Bénéficiaires quant à eux se limitent à nous représenter que le Règlement est d’ordre public, que nul ne peut y déroger même par convention et que conséquemment, la quittance mutuelle finale et transaction (pièce A-6) ne peut leurs être opposable par l’Administrateur qui n’est d’ailleurs pas partie à la Quittance;

 

 

 

Discussion(s)

 

11.  Il est pertinent à ce stade précis de rappeler les questions auxquelles le décideur sur le fond doit répondre et elles sont :

 

11.1.      les Bénéficiaires ont-ils dénoncés la problématique par écrit à l’Entrepreneur et à l’Administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six (6) mois de la découverte des malfaçons, telle que cette exigence est requise à l’article 6.4.2.3 du plan de garantie;

 

11.2.      l’Administrateur avait-il raison de se prononcer dans le cadre d’un vice de construction au sens de l’article 2118 du Code civil du Québec (infine 6.4.2.5 du plan de garantie);

 

11.3.      la problématique est-elle une exclusion prévue à l’article 6.7.9 du plan de garantie (espace de stationnement et locaux d’entreposage situés à l’extérieur du bâtiment);

 

12.  La Cour Supérieure a, à plusieurs reprises précisé et ceci fut confirmé par la Cour d’appel, que le Règlement est d’ordre public;

 

13.  Nous savons que le contrat est, en principe, la loi des parties. Il existe néanmoins certains cas où l’on peut dire que le législateur désire écarter la liberté contractuelle; pour ce faire, la volonté du législateur se doit d’être manifeste et formellement imbriquée;

 

14.  L’article 140 du Règlement prévoit qu’un Bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer au droit que lui confère le Règlement (ce principe se retrouve de plus à l’article 105 du Règlement lequel aussi prévoit que dans le cadre de la médiation, [qui se distingue de l’arbitrage], une entente ne peut déroger aux prescriptions du Règlement);

 

15.  De toute évidence, il s’agit de dispositions impératives qui s’imisent dans les rapports entre les parties et qui démontrent une volonté évidente du législateur de, tel que le suggère l’auteur Pierre-André Côté dans son ouvrage sur l’interprétation des Lois «suspendre la liberté contractuelle dans une situation donnée[1]»;

 

16.  Les Bénéficiaires nous suggèrent donc que les dispositions règlementaires ont la conséquence d’interdire toute circonstance, entente ou convention qui aurait pour effet de diminuer ou d’enlever un droit quelconque reconnu aux Bénéficiaires par le Règlement;

 

17.  Quoiqu’en soit correct, cet énoncé s’avère ici problématique puisque les Bénéficiaires nous suggèrent que du simple fait que le Règlement interdit aux Bénéficiaires de renoncer aux bénéfices accordés par le Règlement, la Quittance ne peut leur être imposable par l’Administrateur (du plan de garantie);

 

18.  J’accepte d’emblée que le législateur ait voulu interdire aux Bénéficiaires d’un plan de garantie de renoncer à un droit et/ou un bénéfice qui leur est accordé par Règlement voir même qu’il est possible qu’ils ne peuvent, par convention,  accepter un atermoiement de ce qui leur a déjà été reconnu par l’Administrateur (d’un plan de garantie) ou accepter des travaux moindres ou inférieurs et/ou possiblement accepter un règlement forfaitaire en argent alors qu’ils ont droit à l’exécution réelle et concrète des travaux qui leurs auraient été reconnu. J’accepte que ce qui constitue un atermoiement, serait donc contraire à l’ordre public;

 

19.  Les dispositions légales du Règlement qui nous concerne, nous le savons, constituent le strict minimum imposé et il est donc impossible d’y déroger;

 

20.  Tout contrat, tout plan de garantie, toute clause de limitation ou d’exclusion de la garantie sera donc réputée ne jamais avoir été écrite;

 

21.  Si les clauses ou conventions pouvant limiter ou exclure la garantie prévue par le Règlement sont de nul effet, ceci cependant n’interdit pas aux parties de s’entendre sur des clauses, termes et conditions équivalentes voir même possiblement plus avantageuses;

 

22.  Chose certaine, les garanties offertes par le Règlement ne sont pas offertes par l’Entrepreneur, la relation entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur est régie par le Code civil du Québec et la quittance mutuelle finale et transaction me semble réglée définitivement toute(s) question(s) entre les Bénéficiaires et l’Entrepreneur;

 

23.  Que reste-il donc de la responsabilité de l’Administrateur ?;

 

24.  Revenant donc aux critères universellement reconnus pour qu’il y ait transaction au sens des articles 2631 et suivants au Code civil du Québec :

 

24.1.   le consentement doit être libre et éclairé des parties;

 

24.2.   l’opération ne doit pas être contraire à l’ordre public;

 

24.3.   les parties doivent avoir la capacité requise;

 

25.  Aucune représentation directe ou indirecte n’a été faite voir même suggérée à l’effet qu’il ne s’agissait pas d’un consentement libre et éclairé des parties, du moins quant aux parties essentielles à l’opération (24.1) [pièce A-6] non plus qu’il ne fut insinué que quiconque n’avait la capacité requise (24.3);

 

26. En matière de fardeau de preuve, nous savons, que c’est celui qui réclame ou qui conteste est celui qui doit, en principe, établir ses droits. Même si l’on énonce fréquemment que le fardeau de la preuve appartient au Demandeur, cette règle est loin d’avoir un caractère rigide et universel. Tel que préalablement repris, il fut mis en preuve l’existence d’une transaction (pièce A-6) et si les Bénéficiaires requièrent au Tribunal de la déclarer contraire à l’ordre public, opérant ainsi un renversement de la charge de la preuve, c’est à ces derniers de prouver l’atermoiement d’un droit. Il n’y existe nulle part au Règlement une présomption (légale) attachée à l’encontre de toute transaction présumant que s’il y a transaction, il est à présumer qu’elle est en fraude des dispositions du Règlement. En l’absence de présomption(s) légale(s) qui autrement constituerait une dispense ou un déplacement de la preuve, il appartiendrait aux Bénéficiaires, de, à tout le moins, suggérer par tout moyen de preuve où, quand et comment tout ou partie de la Quittance représente un atermoiement de droit reconnu par le Règlement;

 

27. La Quittance est un acte sous seing privé qui constate un acte juridique, qui porte la signature des parties et qui fait preuve à l’égard de ceux qui y ont participé, de l’acte juridique qu’il renferme et des déclarations des parties qui s’y rapportent directement[2];

 

28.  Une fois que preuve fut close de part et d’autre et bien qu’on m’ait plaidé à satiété que le Règlement est d’ordre public, je n’ai bénéficié d’aucune représentation quel qu’elle soit à l’effet que la considération de 47 000 $ ainsi que subsidiairement les travaux de creusage, de connexion et d’installation d’un regard d’égout dans l’entrée de la résidence des Bénéficiaires constitue (directement et/ou indirectement), une enveloppe compensatoire qui constitue des conditions moins avantageuses (moindres ou inférieures) que ce qui est prévu au Règlement et/ou que A-6 a eu comme résultante de diminuer, atténuer, soustraire ou d’enlever un quelconque droit reconnu aux Bénéficiaires par le Règlement;

 

29.  Necessitas probandi incumbit ei qui agit, «la nécessité de la preuve incombe à celui qui se plaint», il est impossible, pour le soussigné, de s’interroger sur l’opportunité et/ou la légitimité voir même sur la «légalité» de la Quittance (pièce A-6) devant un tel vide;

 

30.  Subsidiairement, de toute évidence, des travaux ont eu lieu, ces travaux adressés avec l’assentiment des Bénéficiaires ont changé la donne et la situation telle que constaté par l’Administrateur lors de sa dernière inspection du 14 janvier 2008 (source de sa décision du 28 janvier 2008) n’existe plus. Subsidiairement, si le bâtiment alors n’était pas conforme, ce qui n’est pas admis voir même inféré par l’Administrateur, ces travaux l’ont-ils rendu et si non, la compensation financière de 47 000 $ était-elle une bonne et valable considération ?;

 

31.  Considérant que le Règlement est attributif de juridiction exclusive et que l’esprit de ce régime de garantie ne prétend pas ajouter ou retrancher aux obligations dictées par le Code civil du Québec si les Bénéficiaires entendaient soulever que la Quittance (A-6) était contraire à l’ordre public. Ils auraient dû, à tout le moindre, suggérer en quoi la somme de 47 000 $ et les travaux fait auraient diminués quelque droit reconnu aux Bénéficiaires (en vertu du Règlement);

 

32.  L’arbitre désigné est autorisé par la Régie à trancher tout différend découlant des plans de garantie[3], ceci inclut toute question de droit et de procédure(s);

 

33.  Nous savons de plus que la Loi et le Règlement ne contiennent pas des clauses privatives complètes; l’arbitre a compétence exclusive, sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel[4];

 

34.  Enfin, l’arbitre doit statuer «conformément aux règles de droit» et fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient[5];

 

35.  Suivant mon appréciation de la preuve, des témoignages et des pièces qui ont été exhibées, je suis d’opinion que l’ensemble de la preuve ne peut permettre que l’acte juridique qui porte la signature des parties et qui fait preuve à l’égard de ceux qui ont participé (pièce A-6) a eu comme résultante de diminuer, atténuer, soustraire ou d’enlever un quelconque droit reconnu aux Bénéficiaires par le Règlement;

 

36.  Pour l’ensemble des motifs ci-haut repris, je me dois donc d’accepter et faire droit l’objection préliminaire;

 

37.  Considérant que les Bénéficiaires ont eu gain de cause et bien que le constat fut officialisé à l’extérieur du présent forum (comprendre pièce A-6), en vertu de l’article 123 du Règlement, les coûts de l’arbitrage sont à la charge de l’Administrateur.

 

EN CONCLUSION, POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

ACCUEILLE le(s) moyen(s) préliminaire(s) en faveur de l’Entrepreneur et de l’Administrateur;

 

REJETTE la demande d’arbitrage;

 

CONDAMNE l’Administrateur aux entiers frais et dépens.

 

 

 

Montréal, le 17 avril 2012

 

 

 

(s) Michel A. Jeanniot

_______________________

Me Michel A. Jeanniot

Arbitre / SORECONI



[1] Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des Lois, 2e édition, Cowansville, Les éditions Yvon Blais, 1990, p. 218

[2] Article 2829 du Code civil du Québec

[3] Article 83.1 de la Loi

[4] Articles 19, 20, 106 et 120 du Règlement

[5] Article 112 du Règlement