ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Chapitre B-1.1, r. 8)
SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DES CONFLITS (SORECONI)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE MONTRÉAL
No dossier : 1717110001
ENTRE :
Monsieur Richard Tremblay
Monsieur René Néron
Bénéficiaires
c.
7663609 Canada Inc.
L’Entrepreneur
Et :
Raymond Chabot Administrateur Provisoire es qualités La Garantie Abritat Inc.
L’Administrateur
DÉCISION
Arbitre : Roland-Yves Gagné
Pour les Bénéficiaires : Monsieur Richard Tremblay
Pour l’Administrateur : Me Nancy Nantel
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Yvan Lebel
Monsieur Dhang Zing
Monsieur Danny Émond
Monsieur Sylvain Roy
Date de l’audition : 28 mai 2018
Date de la décision : 5 juin 2018
Description des parties
BÉNÉFICIAIRES
Monsieur Richard Tremblay
Monsieur René Néron
[...]
Montréal, Qc.
[...]
ENTREPRENEUR
7663609 Canada Inc.
Monsieur Yvan Lebel
102-100 boulevard Alexis-Nihon
Montréal, Qc.
H4M 2N6
ADMINISTRATEUR
Me Nancy Nantel
Contentieux des Garanties Abritat/GMN
7333 Place des Roseraies, 3e étage
Anjou, Qc.
H1M 2X6
PIÈCES
A l’audience l’Administrateur a produit les pièces suivantes :
A-1 : Contrat préliminaire en date du 5 août 2015;
A-2 : Formulaire d’inspection préréception en date du 4 mars 2016;
A-3 : Courriel du Bénéficiaire en date du 1er mai 2017 et photos jointes;
A-4 : (en liasse) Mise en demeure du Bénéficiaire à l’Entrepreneur en date du 10 mai 2017 et lettre à l’Administrateur;
A-5 : Avis de 15 jours à l’Entrepreneur en date du 26 mai 2017;
A-6 : Courriel du Bénéficiaire à l’Administrateur en date du 14 juin 2017;
A-7 : (en liasse) Décision de l’Administrateur en date du 6 novembre 2017 et lettres de transmission;
A-8 : (en liasse) Lettre du centre d’arbitrage (SORECONI) en date du 24 novembre 2017 et la demande d’arbitrage.
A l’audience le Bénéficiaire a produit;
B-1 : Photos en liasse.
[1] Le Tribunal d’arbitrage est initialement saisi du dossier suite à une demande d’arbitrage par les Bénéficiaires, reçue par le Société pour la résolution des conflits (SORECONI) le 17 novembre 2017, et par la nomination le 24 novembre 2017 du soussigné comme arbitre.
[2] Aucune objection quant à la compétence du Tribunal d’arbitrage n’a été soulevée par les parties et la juridiction du Tribunal est alors confirmée.
[3] L’audition a été précédée de quatre conférences téléphoniques de gestion et s’est déroulée sur les lieux.
[4] Les Bénéficiaires ont produit une demande d’arbitrage en vertu de l’Article 35 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après nommé le Règlement) :
Le bénéficiaire ou l'entrepreneur, insatisfait d'une décision de l'administrateur, doit, pour que la garantie s'applique, soumettre le différend à l'arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l'administrateur à moins que le bénéficiaire et l'entrepreneur ne s'entendent pour soumettre, dans ce même délai, le différend à un médiateur choisi sur une liste dressée par le ministre du Travail afin de tenter d'en arriver à une entente. Dans ce cas, le délai pour soumettre le différend à l'arbitrage est de 30 jours à compter de la réception par poste recommandée de l'avis du médiateur constatant l'échec total ou partiel de la médiation.
[5] La Cour d’appel du Québec, dans trois arrêts, a jugé que ce Règlement était d’ordre public:
[5.1] en 2013 dans Consortium M.R. Canada Ltée c. Office municipal d’habitation de Montréal[1]:
[17] La juge avait raison de souligner les différences de vocation entre les recours arbitral et de droit commun.
[18] La procédure d'arbitrage expéditive prévue au Règlement pour réparer rapidement les malfaçons est, comme le note la juge, un complément aux garanties contre les vices cachés du Code civil. Régime d’ordre public [5], le Règlement vise notamment à obliger que les réparations des bâtiments résidentiels neufs soient effectuées rapidement par l'entrepreneur ou prises en charge par l'administrateur de la garantie.
[5.2] en 2011 dans Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. MYL[2]:
[13] Le Règlement est d'ordre public. Il détermine notamment les dispositions essentielles du contrat de garantie en faveur des tiers. Le contrat doit de plus être approuvé par la Régie du bâtiment (art. 76);
[5.3] en 2004 dans La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle, et René Blanchet mise en cause[3]:
[11] Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.
[12] L’appelante est autorisée par la Régie du bâtiment du Québec (la Régie) à agir comme administrateur d’un plan de garantie approuvé. Elle s’oblige, dès lors, à cautionner les obligations légales et contractuelles des entrepreneurs généraux qui adhèrent à son plan de garantie.
[13] Toutefois, cette obligation de caution n’est ni illimitée ni inconditionnelle. Elle variera selon les circonstances factuelles […];
[15] La réclamation d’un bénéficiaire est soumise à une procédure impérative.
[6] La Cour supérieure affirme dans Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis[4]:
[75] Il est acquis au débat que l'arbitre doit trancher le litige suivant les règles de droit et qu'il doit tenir compte de la preuve déposée devant lui. Il doit interpréter les dispositions du Règlement et les appliquer au cas qui lui est soumis. Il peut cependant faire appel aux règles de l'équité lorsque les circonstances le justifient. Cela signifie qu'il peut suppléer au silence du règlement ou l'interpréter de manière plus favorable à une partie.
FAITS AU DOSSIER
[7] Le 4 août 2015 (pièce A-1), les Bénéficiaires signent un contrat préliminaire accepté par l’Entrepreneur le 5 août 2015.
[8] Le 4 mars 2016 (pièce A-2), les Bénéficiaires signent le formulaire préréception des travaux.
[9] Il n’y a alors aucune manifestation de ce qui est l’objet du litige, avant avril 2017.
[10] Le 24 avril 2017 le Bénéficiaire prend une photo de ce qu’il constate pour la première fois.
[11] Le 1er mai 2017 (pièce A-3), les Bénéficiaires écrivent à l’Entrepreneur et l’Administrateur:
[…] nous désirons dénoncer un défaut du plancher de notre unité privative. Nous constatons que plusieurs planches montrent ce qui nous semble de la décoloration. Nous vous envoyons quelques photos pour illustrer notre constat […]
[12] Par lettre datée du 10 mai 2017 (pièce A-4), les Bénéficiaires écrivent à l’Entrepreneur et l’Administrateur:
[…] Nous avons récemment constaté que la décoloration de plusieurs planches du plancher sont en partie décolorées et il nous semble que ça s’aggrave. […]
[13] Par courriel du 14 juin 2017 (pièce A-6), le Bénéficiaire écrit à l’Administrateur:
[…] j’ajoute que mon plancher se décolore de plus en plus à vue d’œil et ce sur les deux étages […]
[14] Le 6 novembre 2017 (pièce A-7), l’Administrateur rejette la réclamation des Bénéficiaires sur la base que la couverture du Plan de garantie dans les premiers trois ans de la réception des travaux ne couvre que le vice caché et « l’administrateur n’est pas en mesure d’établir que cette situation cause un déficit d’usage ou rend le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ».
[15] L’Administrateur cite dans sa décision la version de l’article 10 4e du Règlement d’avant le 1er janvier 2015 (c’est l’article 27 4e qui s’applique aux copropriétés mais le contenu est le même).
[16] Depuis le 1er janvier 2015, les passages pertinents de l’Article 27 du Règlement se lisent comme suit :
3° la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l’année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil et dénoncées, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des malfaçons;
4° la réparation des vices cachés au sens de l’article 1726 ou de l’article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception et dénoncés, par écrit, à l’entrepreneur et à l’administrateur dans un délai raisonnable de la découverte des vices cachés au sens de l’article 1739 du Code civil;
[17] La raison de la citation de la version du Règlement d’avant le 1er janvier 2015 n’a pas été explicitée par l’Administrateur lors de l’audience, pour une unité de copropriété dont le contrat préliminaire a été signé en août 2015, la réception des travaux en mars 2016, et la réclamation en mai 2017.
[18] La version applicable ne change rien à la nature du différend que le soussigné doit trancher dans le présent dossier d’arbitrage puisque la période de couverture pour malfaçon et pour vice caché est la même dans les deux versions, ce sont les termes quant au délai de dénonciation qui ont changé et il n’y a aucun litige dans le présent dossier d’arbitrage quant au moment de la découverte de la problématique alléguée.
TÉMOIGNAGES À L’AUDIENCE
[19] Aucun témoin expert n’a témoigné à l’audience, aucun rapport d’expert n’a été produit.
[20] Le Bénéficiaire conteste l’affirmation de l’Inspecteur-conciliateur dans sa décision du 6 novembre 2017 à l’effet que sa réclamation porte sur une « légère décoloration à l’endroit de quelques lamelles ».
[21] À l’audience, le Bénéficiaire montre à tous les gens cités à la première page de la présente décision les problématiques alléguées sur son plancher sur les deux étages et les planches de son escalier entre les deux étages, qui font l’objet de sa réclamation:
[21.1] d’abord des taches pâles en forme de grosses gouttes;
[21.2] puis des taches (mot utilisé par le Bénéficiaire) ou décoloration (mot utilisé par le représentant du fabricant de plancher) de couleurs déférentes de toutes les formes, que le Bénéficiaire appelle « délavement », « ça foncit trop vite et de façon pas uniforme »; le Bénéficiaire affirme que le plancher est « délavée » à 70% près des fenêtres.
[22] À l’audience, Danny Émond, représentant des ventes du fabricant du plancher, affirme que les taches pâles en forme de grosses gouttes sont causées par des gouttes qui tombent sur les planches lors du séchage dans « notre séchoir », que même en sablant ces taches seront visibles.
[23] Il propose une méthode corrective qui est rejetée par le Bénéficiaire.
[24] Quant à la deuxième problématique, le représentant des ventes du fabricant du plancher affirme:
[24.1] que les « taches ou décoloration » (selon qui du Bénéficiaire ou du représentant, emploie le terme) de couleurs différentes de toutes les formes sont causées par le mûrissement naturel du bois d’érable de Grade Distinction;
[24.2] que la différence de Grade est seulement esthétique;
[24.3] que chaque planche est unique car elle a un grain différent des autres;
[24.4] que le changement de coloration n’est pas causé par le vernis;
[24.5] « je ne crois pas que ça empire » puisque le phénomène de mûrissement se manifeste principalement dans les vingt-quatre mois de l’installation (qui a eu lieu en mars 2016).
[25] Yvan Lebel, représentant l’Entrepreneur, affirme:
[25.1] ne poser que du plancher venant de ce fabriquant de plancher,
[25.2] que des planches sont changées régulièrement, que ce n’est pas sorcier et cela se fait sans laisser de trace,
[25.3] quant au bois d’érable, ça travaille, c’est la nature, et
[25.4] que la réclamation ne vise que moins de 3% (il cite 2,7% puis 2,3%) du total du plancher.
[26] Les parties ne s’entendent pas sur la surface en pi2 qu’occupe le plancher sur les deux étages et les planches dans l’escalier.
[27] Quant au nombre des planches affectées par les taches (et décoloration) citées aux paragraphes [21.1] et [21.2], leur nombre a varié au cours de l’audience et le Bénéficiaire a affirmé ne pas avoir fait de décompte avant l’audience et ce décompte n’a pas eu lieu pendant l’audience.
[28] La position de l’Entrepreneur et du représentant des ventes du fabricant, est rejetée par le Bénéficiaire.
[29] Le Bénéficiaire répond:
[29.1] qu’il est le seul dans le bâtiment à avoir ces problématiques;
[29.2] qu’il n’a pas payé $350,000 pour obtenir un plancher rapiécé avec son unité;
[29.3] que s’il avait su, il n’aurait pas acheté ce plancher.
DÉCISION
[30] Vu la preuve, vu le Règlement, le Tribunal d’arbitrage se doit de rejeter la demande d’arbitrage des Bénéficiaires, pour les motifs qui suivent.
[31] Rappelons d’abord que ce n’est pas contre l’Entrepreneur et en vertu du droit commun, qu’est exercé le présent recours mais contre l’Administrateur du Plan de garantie en vertu du Règlement.
[32] Le Plan de garantie géré par l’Administrateur prévoit que la garantie couvre pendant 1 an la malfaçon non apparente qui se manifeste dans l’année de la réception et 3 ans en cas de vice caché.
[33] La réception de l’unité de copropriété a eu lieu le 4 mars 2016.
[34] Le 1er mai 2017, peu de temps après la première manifestation de la problématique alléguée qui a eu lieu en avril 2017, la couverture du plan de garantie pour la malfaçon, à supposer que nous soyons en présence de malfaçon car le soussigné n’est pas saisi de cette question, est clairement échue.
[35] En présence d’un Règlement d’ordre public, si le problème est découvert après la durée de la couverture, le Tribunal d’arbitrage n’a pas la compétence juridictionnelle d’augmenter la durée de la couverture du plan de garantie, sur la base de l’équité puisqu’il ne s’agit nullement de « suppléer au silence du règlement ou l'interpréter de manière plus favorable à une partie[5] ».
[36] Le Bénéficiaire a témoigné à l’audience que s’il a porté plainte le 1er mai 2017, c’est qu’il venait de voir ce dont il se plaint, donc hors la période de couverture pour malfaçon.
[37] Il plaide l’impossibilité d’agir, c’est-à-dire que comme la malfaçon qu’il allègue, ne s’est pas manifestée dans l’année de la couverture prévue à l’article 27 3e du Règlement, il a été dans l’impossibilité d’agir pendant cette période.
[38] Il affirme qu’« on ne pouvait pas constater le problème car on ne le voyait pas ».
[39] Le Bénéficiaire ne plaide pas l’impossibilité d’agir pour exercer un droit ou un recours qu’il a en vertu du Règlement, mais impossibilité d’agir parce que le Règlement ne lui donne pas de droit ou de recours.
[40] C’est le Règlement qui ne lui donne aucun droit puisque la malfaçon alléguée s’est manifestée après le délai de couverture d’une année.
[41] C’est le Règlement, décrété par le Gouvernement du Québec, Règlement que trois arrêts de la Cour d’appel du Québec ont déclaré être d’ordre public, qui détermine sa période de couverture et le soussigné n’a pas le pouvoir de mettre ce Règlement de côté.
[42] Le Tribunal d’arbitrage rejette cette plaidoirie.
[43] Le Règlement à l’article 27 4e spécifie que ce qui couvert par la garantie administrée par l’Administrateur dans les trois ans de la réception de l’unité, ne sont pas n’importe quel vice mais bien, les « vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil » (et les vices majeurs sous le paragraphe 5e de l’article 27).
[44] Le Bénéficiaire a reconnu à l’audience que le plancher n’était pas atteint d’un vice caché.
[45] Malgré cette affirmation, la Cour d’appel a reconnu dans l’arrêt Rousseau c.2732-1678 Québec Inc.[6] que le vice caché n’était pas une simple question de faits mais aussi de droit:
La qualification de vices cachés est une qualification juridique à l'égard de laquelle la Cour d'appel est aussi compétente que le premier juge pour se prononcer.(4) Pour déterminer l'existence de vices cachés, la jurisprudence:
impose l'examen de l'ensemble des circonstances de chaque cas. Elle prend en considération des facteurs tels que le statut du vendeur, s'il est professionnel ou non, celui de l'acquéreur, la nature, l'âge et le prix du bâtiment, le type de vice et, parfois, le comportement même des parties. […]
[46] Il revient donc au Tribunal d’arbitrage de déterminer si en droit, vu la preuve, le plancher est atteint d’un vice caché au sens du Règlement et du Code civil malgré la reconnaissance du Bénéficiaire.
[47] L’article 1726 du Code civil, auquel l’article 27 4e renvoie, commence ainsi :
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus […]
[48] Dans ABB Inc. c. Domtar Inc.[7], la Cour suprême du Canada définit ainsi le vice caché :
50 Les différentes qualifications du vice peuvent parfois se chevaucher. […] Cependant, quelle que soit la qualification du vice, il doit présenter quatre caractères, tous essentiels à la garantie : il doit être caché, suffisamment grave, existant au moment de la vente et inconnu de l’acheteur. […]
52 La simple présence d’un déficit d’usage ne suffit pas en elle-même pour justifier la qualification de vice caché. Encore faut-il que ce déficit d’usage soit grave, c’est-à-dire qu’il rende le bien impropre à l’usage auquel il est destiné ou en diminue tellement l’utilité que son acheteur ne l’aurait pas acheté à ce prix. Ce deuxième critère, celui de la gravité du vice, découle du texte de l’art. 1522 C.c.B.C. Cela dit, il n’est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien, mais simplement qu’il en réduise l’utilité de façon importante, en regard des attentes légitimes d’un acheteur prudent et diligent. […]
[49] Dans la décision Pleau c. Figueira-Andorinha[8], la Cour supérieure résume ainsi le droit applicable (le soussigné a ajouté dans le texte les références qui étaient en bas de page) :
[184] L’utilité ou la perte d’usage du bien le rendant impropre à son utilisation prévue s’évalue par ailleurs selon le critère objectif de l’acheteur raisonnable et non selon un critère subjectif [4 Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Wilson et Lafleur, (2e éd.), 2008, p. 137 à 139.], et ce, vraisemblablement pour éviter les prétentions alarmistes, opportunistes ou exagérées.
[185] Le « vice » dont il est question dans le régime légal de garantie n’est pas défini dans les dispositions relatives à la garantie, mais il ne peut s’agir d’une imperfection ou d’une anomalie sans conséquence.
[186] L’imperfection ou l’anomalie en question doit être telle qu’elle entraîne un déficit d’usage. C’est le déficit d’usage prouvé qui qualifie juridiquement l’imperfection ou l’anomalie dont doit répondre le vendeur [5 Jeffrey EDWARDS, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, Wilson et Lafleur, (2e éd.), 2008, p. 137 à 139.]. Ainsi, une dérogation aux normes établies ou une anomalie de construction ne peut constituer un « vice » que si elle rend l’immeuble impropre à l’usage auquel il est destiné [6 Id., p. 139, par. 135 et Désilets c. Proulx, 2001 CanLII 21116 (QCCS), par. 31.]. Une déficience de construction sans conséquence, ou dont l’impact est mineur ou anodin, n’est pas un « vice » au sens donné à ce terme par le régime légal de la garantie de qualité [7 Id., p. 141, par. 306.].
[50] Comme le soulignait notre consœur Me France Desjardins, arbitre, dans l’affaire Beatrice Castiglione et Le Groupe Platinum Construction 2001 et la Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ[9] :
[69] […] il ne suffit pas de démontrer l’existence d’un problème pour assurer l’application de la garantie. Pour se décharger de leur fardeau de preuve, les Bénéficiaires devaient établir […] le caractère déraisonnable de la décision de l’Administrateur.
[51] Le Tribunal d’arbitrage rend sa décision en fonction de la preuve et du droit applicable.
[52] Le Bénéficiaire affirme que le plancher n’a pas de déficit d’usage.
[53] Le Tribunal d’arbitrage ne peut accueillir la réclamation des Bénéficiaires à l’encontre de l’Administrateur pour vice caché (ou vice majeure), faute de preuve à cet effet.
[54] En résumé:
[54.1] les Bénéficiaires n’exercent pas ici un recours de droit commun contre l’Entrepreneur mais un recours en vertu du Règlement contre l’Administrateur;
[54.2] l’Administrateur ne couvre pour la période de manifestation de la problématique alléguée, que le vice caché;
[54.3] avec égards, le sens de « vice caché » de l’article 1726 du Code Civil, auquel le Règlement renvoie, n’a pas le sens courant donné par la langue de tous les jours, il a été défini de façon juridique par la Cour suprême, la Cour d’appel, en plus des nombreux jugements de nos autres tribunaux;
[54.4] il n’y a pas de preuve d’un vice grave, soit que le plancher est partiellement ou totalement incapable de servir à son usage usuel et normal.
[55] Le Bénéficiaire a manifesté son intention de réclamer des frais d’expertises.
[56] Le Tribunal d’arbitrage n’a pas plus de compétence juridictionnelle que ce que le Règlement lui donne.
[57] Le Règlement stipule:
124. L'arbitre doit statuer, s'il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d'expertises pertinentes que l'administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel. […]
[58] Non seulement les Bénéficiaires n’ont produit aucune expertise, ils n’ont pas eu gain de cause total ou partiel; aucun frais d’expert ne peut donc leur être accordé en vertu du Règlement.
RÉSERVE DES DROITS
[59] L’article 11 de la Loi sur le bâtiment stipule :
11. La présente loi n'a pas pour effet de limiter les obligations autrement imposées à une personne visée par la présente loi.
[60] Malgré tous les pouvoirs qui sont dévolus à l’arbitre en vertu du Règlement et selon la jurisprudence à cet effet[10], le Tribunal d’arbitrage soussigné n’a pas la compétence lui permettant d’interférer dans les questions à trancher au fond dans ce dossier, à part la présence ou non du vice caché qui était à déterminer.
[61] Faute de compétence juridictionnelle, le Tribunal d’arbitrage soussigné n’est pas le for compétent pour traiter des obligations autrement imposées à une personne visée par la présente loi dont il est question à l’article 11 de la Loi sur le Bâtiment, à supposer que des obligations inexécutées existent de part ou d’autres quant au plancher et les planches de l’escalier, ce dont le soussigné n’a pas compétence juridictionnelle de se prononcer, hors la question qu’il devait déterminer dans le présent dossier.
[62] Le Tribunal rappelle la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Garantie d'habitation du Québec c. Jeanniot[11],
[63] Il est clair des dispositions de la Loi et du Règlement que la garantie réglementaire ne remplace pas le régime légal de responsabilité de l'entrepreneur prévu au Code civil du Québec. Il est clair également que la garantie prévue à la Loi et au Règlement ne couvre pas l'ensemble des droits que possède un bénéficiaire, notamment en vertu des dispositions du Code civil du Québec et que les recours civils sont toujours disponibles aux parties au contrat.
[63] Le Tribunal d’arbitrage réservera les droits des Bénéficiaires de porter leurs prétentions devant les tribunaux de droit commun contre toute personne autre que l’Administrateur du Plan de Garantie sur ce point, le tout, sujet aux règles de la prescription civile et de droit commun, sans que cette affirmation puisse être interprétée dans un sens ou dans l’autre.
[64] De plus, le bâtiment résidentiel est toujours couvert par le Plan de Garantie, il va de soi que les Bénéficiaires conservent donc leurs recours en vertu du Règlement pour la durée de sa couverture pour tout ce qui est encore couvert.
FRAIS
[65] L’article 37 du Règlement stipule :
Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.
Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.
[66] Les Bénéficiaires n’ont eu gain de cause sur aucun des aspects de leur réclamation; l’article 116 du Règlement permet à l’arbitre de faire « aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient ».
[67] Vu les faits particuliers de cette cause, les frais d’arbitrage, aussi bien en droit qu’en équité, selon les Articles 116 et 37 du Règlement, seront partagés entre les Bénéficiaires solidairement pour la somme de cinquante dollars ($50.00) et le solde des frais de l’arbitrage sera assumé par l’Administrateur du Plan de Garantie.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE
REJETTE la demande des Bénéficiaires;
MAINTIENT la décision de l’Administrateur du 6 novembre 2017 à toutes fins que de droit;
RÉSERVE aux Bénéficiaires leurs recours pour la problématique alléguée aux planchers et à l’escalier contre toute personne autre que l’Administrateur, devant les tribunaux de droit commun, sujets aux règles de droit commun et de la prescription civile, à supposer qu’ils aient un recours fondé en faits et en droit;
CONDAMNE les Bénéficiaires solidairement à payer la somme de $50.00 à SORECONI pour leur part des frais d’arbitrage;
LE TOUT, avec les frais de l’arbitrage, moins le montant de $50.00, à la charge de Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de la Garantie Abritat Inc. (l’Administrateur) conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par SORECONI, après un délai de grâce de 30 jours;
RÉSERVE à Raymond Chabot Administrateur Provisoire Inc. ès qualités d’administrateur provisoire du plan de garantie de la Garantie Abritat Inc. (« l’Administrateur ») ses droits à être indemniser par l’Entrepreneur, pour les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Montréal, le 5 juin 2018
__________________________
ROLAND-YVES GAGNÉ
Arbitre / SORECONI
[1] 12 juillet 2013, Cour d’appel, 2013 QCCA 1211 Renvoi [5] : Voir art. 3, 4, 5, 18, 105, 139 et 140 du Règlement.
[2] 2011 QCCA 56.
[3] AZ-50285725, 15 décembre 2004, J.E. 2005-132 (C.A.).
[4] 2007 QCCS 4701 (Michèle Monast, J.C.S.).
[5] Voir ci-haut au paragraphe [6], Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ inc. c. Dupuis.
[6] 27 septembre 1999. 1999 R.D.I 565.
[7] [2007] 3 R.C.S. 461.
[8] 2016 QCCS 1698 (Louis Dionne, J.C.S.).
[9] CCAC S 12-030802-NP, 13 juillet 2012, Me France Desjardins, arbitre.
[10]
Voir, par exemple, Garantie habitation du Québec inc. c. Lebire J.E.
2002-1514 (Hon. juge Jacques Dufresne) : 97. L'article 116
du Règlement est une autre manifestation de la volonté du législateur
d'accorder une grande latitude à l'Arbitre appelé à décider d'un différend :
«Un arbitre statue conformément aux règles de droit ; il fait aussi appel à
l'équité lorsque les circonstances le justifient.»
98. Il n'est pas fréquent de retrouver une disposition expresse autorisant un
décideur à faire appel à l'équité. Cette mention est significative d'une volonté
de mettre en place, au bénéfice des parties visées par le Règlement, un
mécanisme de règlement des différends qui soit efficace. ; Garantie
des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Décarie 2006 QCCS 907
(Hon. juge Gilles Hébert) : [26] En équité et à l'égard de Charles qui
s'est toujours conformé aux directives de l'APCHQ, l'arbitre juge bon de
rappeler à la Garantie que l'entrepreneur a souscrit un engagement qui a causé
problème et qui peut encore causer problème et il rappelle à la Garantie son
devoir moral d'intervenir. [27] Le but de la Loi sur le bâtiment et du
Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs est
d'assurer que l'acquéreur d'une maison neuve auprès d'un entrepreneur faisant
partie de l'APCHQ a une assurance que la maison neuve sera en bon état. Il
serait naïf de croire que le prix de vente établi par un entrepreneur ne tient
pas compte des coûts reliés au contrat de Garantie. [28] Le tribunal conclut
que l'arbitre a exercé une certaine discrétion en faisant appel à l'équité
comme la loi le lui permet et il n'a pas excédé sa juridiction.
[11] 2009 QCCS 909 (Johanne Mainville, J.C.S.).