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ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE
DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment du Québec :
LA SOCIÉTÉ POUR LA RÉSOLUTION DE CONFLITS INC. (SORECONI)
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ENTRE : CONSTRUCTION XP INC.
(ci-après désignée « l’Entrepreneur »)
RICHARD PARADIS
-et-
LUCIE GODIN
(ci-après désignés « les Bénéficiaires »)
LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)
(ci-après désignée « l'Administrateur »)
No dossier SORECONI : 160208001
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DÉCISION ARBITRALE
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Arbitre : Me Luc Chamberland
Pour l’Entrepreneur : Absent
Pour les Bénéficiaires : Me Pierre Godin
Pour l'Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Date de l'audition : Le 18 janvier 2018
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Date de la décision : Le 14 février 2018
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Identification complète des parties
Arbitre : Me Luc Chamberland 79, boul. René-Lévesque Est, bureau 200 Québec (Québec) G1R 5N5
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Entrepreneur : Construction XP inc. 1771, av. Industrielle Québec (Québec) G3K 1L8
Absent
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Bénéficiaires : M. Richard Paradis Mme Lucie Godin [...] Québec (Québec) [...] Et son avocat : Me Pierre Godin
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Administrateur : Garantie de construction résidentielle (GCR) 7171, rue Jean-Talon Est, bureau 200 Anjou (Québec) H1M 3N2 Et son avocat : Me Pierre-Marc Boyer
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DÉCISION ARBITRALE
[1] Le 1er novembre 2015, les Bénéficiaires, M. Richard Paradis et Mme Lucie Godin signaient avec l’Entrepreneur, Construction XP inc., un contrat de garantie des bâtiments non détenus en copropriété divise (A-1). La Garantie de construction résidentielle (GCR) était identifiée au contrat (A-1), à titre d’Administrateur du plan de garantie.
[2] Le 29 mars 2016, les Bénéficiaires déposaient une dénonciation concernant différentes déficiences affectant l’immeuble, dont un problème d’insonorisation du plancher du logement au no [...] (A-3).
[3] Le 5 juillet 2016, suite à une visite des lieux, l’Administrateur rendait une décision (A-18) concernant le seul point encore en litige, soit l’insonorisation du plancher. Il a accueilli la réclamation des Bénéficiaires et a ordonné à l’Entrepreneur de régler le vice caché, soit en apportant tous les correctifs nécessaires pour que l’insonorisation du plancher respecte les recommandations de la SCHL concernant les bruits d’impact, 55 IIC.
[4] Le 2 août 2016, l’Entrepreneur faisait une demande d’arbitrage contestant la décision de l’Administrateur.
[5] Le 18 novembre 2016, l’arbitre rendait une première décision interlocutoire portant sur la communication de la preuve entre les parties.
[6] Le 17 mai 2017, l’arbitre rendait une seconde décision rejetant une demande en suspension des procédures fondée sur la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c. B-3.
[7] Le 26 octobre 2017, l’arbitre rendait une troisième décision par laquelle il rejetait la demande d’intervention des cautions, suite à la faillite de l’Entrepreneur.
[8] La présente décision porte uniquement sur le quantum des frais d’expertise des Bénéficiaires, suite à sa contestation par l’Administrateur.
Les faits
[9] Le 9 mars 2016, à la demande des parties, M. Christian Martel, d’Octave Acoustique inc., procède à des tests d’insonorisation aux bruits d’impact et produit son rapport (A-20) portant la même date.
[10] Le 16 juin 2016, à la demande de l’Entrepreneur, M. Pierre-Marc Larochelle procède à des tests portant sur la réduction du bruit arien non normalisé et produit son rapport le 21 juin 2016 (A-14).
[11] Le 16 décembre 2016, l’Entrepreneur produisait un rapport d’expertise intitulé « Rapport de contre-expertise » rédigé par M. Pierre-Marc Larochelle, du Service technique de l’Association professionnelle de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ).
[12] Le 12 juin 2017, M. Christian Martel d’Octave Acoustique inc. produisait un document de 15 pages adressé au Bénéficiaire, M. Richard Paradis, ainsi qu’à son avocat Me Pierre Godin (B-1). C’est ce document, qualifié de « simple lettre » par l’avocat de l’Administrateur, qui est fondamentalement contesté.
[13] Les Bénéficiaires ont produit, en liasse, sous la cote B-6, trois notes d’honoraires professionnels de M. Christian Martel.
[14] La première facture du 11 mars 2016 portant sur les tests aux bruits d’impact (A-20) au montant de 1 839,60 $ n’est pas contestée.
[15] La seconde facture du 1er mars 2017 au montant de 7 847,04 $ se détaille comme suit :
23 mai 2016 - préparation de concept 4,0 h
8 janvier 2017 - préparation du dossier 0,5 h
9 janvier 2017 - analyse des documents 4,5 h
10 janvier 2017 - rédaction 10,0 h
11 janvier 2017 - rédaction 2,5 h
12 janvier 2017 - rédaction et envoi OCTAVE 170112.pdf 2,0 h
23 janvier 2017 - réunion chez l’avocat 2,5 h
23 février 2017 - recherche et rédaction 8,0 h
25 février 2017 - rédaction 5,0 h
26 février 2017 - rédaction et envoi OCTAVE 170226.pdf 6,5 h
Tel que convenu, 45,5 heures x 150.00 $/hre
[16] La troisième facture du 1er juillet 2017 au montant de 603,22 $ se détaille comme suit :
1 juin 2017 - conférence téléphonique et corrections 1,5 h
4 juin 2017 - corrections 2,0 h
Tel que convenu, 3,5 heures x 150.00 $/hre
[17] La dernière facture du 18 janvier 2018 concerne la préparation et la présence de l’expert, M. Christian Martel, à la suite de la présente contestation, laquelle s’élève au montant de 1 034,78 $ se détaillant comme suit :
15 janvier 2018 - réunion chez l’avocat 2,5 h
18 janvier 2018 - arbitrage chez Beauvais Truchon 3,5 h
Tel que convenu, 6,0 heures x 150.00 $/hre
Analyse et motifs
[18] L’article 124 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, RLRQ c. B-1.1, r. 8 énonce :
124. L’arbitre doit statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel.
Il doit aussi statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur et l’entrepreneur solidairement doivent rembourser au bénéficiaire même lorsque ce dernier n’est pas le demandeur.
Le présent article ne s’applique pas à un différend portant sur l’adhésion d’un entrepreneur.
[19] Les Bénéficiaires ayant eu gain de cause tant devant l’Administrateur que devant l’arbitre, ils ont droit au remboursement de leurs frais raisonnables d’expertise.
[20] Plusieurs arguments ont été soulevés par l’avocat de l’Administrateur, Me Pierre-Marc Boyer, à l’appui de sa contestation concernant le remboursement des honoraires d’expert des Bénéficiaires.
[21] En premier lieu, malgré le fait que le rapport de M. Christian Martel (B-2) soit rédigé sous la forme d’une lettre adressée à M. Richard Paradis et à Me Pierre Godin, il s’agit bien d’un rapport d’expert. Il ressort clairement du contenu de ce rapport une analyse technique et scientifique concernant les questions qui étaient alors en litige.
[22] On prétend que le rapport (B-1) est inutile et hors sujet parce que les Bénéficiaires pouvaient se contenter du rapport concernant les tests aux bruits d’impact complété le 9 mars 2016 (A-20) par M. Martel.
[23] L’arbitre ne peut partager cette prétention. La lecture du « Rapport de contre-expertise » (R-5) de l’Entrepreneur démontre bien la nécessité pour les Bénéficiaires de produire un rapport écrit pour répondre à cette expertise.
[24] L’analyse des 24 pages de ce rapport démontre que l’expert, Pierre-Marc Larochelle, s’emploie à soulever toutes les avenues possibles afin que l’Entrepreneur puisse avoir gain de cause. À titre d’exemple, le rapport mentionne :
- À la page 9, il énumère une longue série d’éléments qui peuvent influencer les voies de transmission indirectes du son;
- À la page 10, il soutient que la composition du plancher/plafond spécifiée au plan d’architecte ne visait pas une réduction des bruits d’impacts supérieure à 55 points en IIC, et donc que la cause ne relevait pas de la mauvaise exécution des travaux par l’Entrepreneur;
- À la page 11, il affirme que la membrane « Dura-Son » n’offrirait pas des performances supérieures au produit « SonoDeck »;
- À la page 15, l’expert est en désaccord avec l’espacement des barres résilientes proposé et prétend que cela serait contraire à des résultats publiés;
- Aux pages 15 et s., il tente de démontrer que les recommandations de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) n’ont pratiquement aucune valeur;
- Aux pages 20 et s., il conteste la décision rendue par l’Administrateur (A-18).
[25] À la lecture de ce rapport, le tribunal est convaincu que le rapport contesté était nécessaire afin de bien comprendre les véritables questions en litige. Pour bien saisir la situation, il faut se placer au moment où la décision de produire une expertise a été prise par les Bénéficiaires. Il serait inapproprié et injuste de conclure, aujourd’hui, que le rapport d’expert était inutile alors que l’Entrepreneur, maintenant en faillite, ne conteste plus la décision de l’Administrateur.
[26] Dans l’affaire Michaud c. Équipements ESF inc., la Cour d’appel écrivait :
[98] À mon avis, lorsque le juge d’instance examine la question de l’utilité d’une expertise, il doit faire preuve d’une certaine souplesse et éviter de juger cette question a posteriori alors qu’il a en main toutes les réponses fournies par les parties. Il me semble, en effet, qu’il est plus logique et plus conforme à la réalité des litiges de juger de l’utilité d’une expertise en se plaçant du point de vue de la partie qui prend la décision, et cela, au moment de la prise de la décision.
[…]
[102] À mon avis, le juge de première instance a adopté une vision trop théorique de la notion d’utilité des expertises en ne tenant pas suffisamment compte du travail pratique de l’avocat chargé de la mise en œuvre des droits de son client, que ce soit en demande ou en défense. Il me semble que l’erreur du juge d’instance, et je le dis avec les plus grands égards, résulte du fait qu’il s’est placé dans une perspective inadéquate, c’est-à-dire en ayant à l’esprit le résultat de son analyse de la preuve alors qu’il aurait dû se placer dans celle de l’appelant qui doit prouver son droit ou celles des intimés ou de la mise en cause qui doivent établir leurs moyens de défense en ayant à l’esprit les moyens pris par l’appelant pour établir son droit, y compris ses expertises.[1]
[27] Il est également erroné de prétendre que, les Bénéficiaires ayant déjà le bénéfice d’une décision favorable de l’Administrateur, il n’était pas nécessaire de produire le rapport d’expert (B-1). D’abord, le tribunal d’arbitrage n’est pas lié par la décision de l’Administrateur. En deuxième lieu, le rapport d’expert de l’Entrepreneur (R-5) change le contexte du litige et complexifie de beaucoup les questions techniques que l’arbitre devait trancher. En toute honnêteté, l’arbitre n’aurait pu facilement et rapidement donner gain de cause aux Bénéficiaires sur la seule base des premiers tests effectués par les Bénéficiaires (A-20).
[28] L’arbitre ne partage pas non plus l’avis que le simple témoignage de l’expert, Christian Martel, à l’audition aurait été suffisant pour me convaincre que le rapport de l’Entrepreneur était mal fondé. Il était très difficile de départager le vrai du faux dans le rapport de l’Entrepreneur. Le tribunal est d’opinion qu’un rapport écrit était nécessaire en l’espèce.
[29] De plus, la pratique consistant à produire des rapports d’expert écrits avant l’audition facilite le travail du tribunal, diminue les probabilités qu’une partie soit prise par surprise et permet une meilleure communication dans le but de favoriser des règlements.
[30] La règle de la proportionnalité ne justifie pas la réduction des frais d’expertise des Bénéficiaires (art. 18, 632 C.p.c.). Il importe de souligner que ce principe ne se rattache pas seulement aux « coûts », mais aussi à la « complexité de l’affaire ».
[31] Dans l’arrêt Trackcom Systems Inc. c. Trackcom Systems International Inc., la Cour d’appel a infirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait réduit le coût de l’expertise concernant la vérification comptable de 250 000 $ env. à 75 000 $ env. parce que le litige était évalué à 250 000 $ env. La Cour s’exprimait ainsi :
[23] Mais la juste proportion, ou la disproportion, ne peut simplement se calculer par un rapport mathématique entre le coût d’une procédure versus la somme réclamée, bien que ce soit toujours un rapport à prendre en compte, et souvent le plus significatif. Il faut toutefois tenir compte aussi de la complexité de l’affaire.[2]
[32] Dans l’affaire Michaud c. Équipements ESF inc., précitée, cette même Cour affirmait :
[108] Deuxièmement, il me semble que l'exigence de faire reposer sur l'avocat le soin d'évaluer la valeur du litige avant de commander une expertise ne tient pas compte de la réalité et qu'elle lui impose la tâche périlleuse de prévoir le sort du litige, du moins quant à sa valeur, et ce, à une étape souvent très préliminaire du dossier.[3]
[33] L’avocat de l’Administrateur plaide que 40 heures facturées dans la note pour honoraires professionnels du 1er mars 2017, sur les 45,5 heures, sont exagérées. Il souligne également que cette facture de 7 847,04 $ est quatre (4) fois plus dispendieuse que celle portant sur les tests et le rapport qui a été rédigé, soit 1 839,60 $ (A-20).
[34] Or, le rapport du 9 mars 2016 (A-20) ne comporte que deux pages de texte. Le rapport d’expert contesté (B-1) comporte 15 pages de texte très serré et il réplique à l’expertise de l’Entrepreneur, laquelle comporte 24 pages.
[35] L’expert, M. Christian Martel, a témoigné sous serment devant le tribunal. Il a expliqué sa démarche et les modifications qu’il a dû apporter à son rapport. Les principales justifications reposent sur le fait que le rapport d’expert de l’Entrepreneur se fonde sur des affirmations générales, des demi-vérités sans en établir les prémisses, sans exemples précis. Ce rapport confondait également les tests en laboratoire avec ceux qui devaient être faits sur les lieux. Enfin, l’expert des Bénéficiaires a dû répondre aux nombreuses questions soulevées par l’expertise de l’Entrepreneur. L’arbitre, après la lecture et l’analyse du rapport de l’Entrepreneur (R-5), partage l’opinion de l’expert.
[36] Une fois cette preuve établie par les Bénéficiaires, il appartient à l’Administrateur, par le biais du contre-interrogatoire ou autrement, de démontrer le caractère déraisonnable des frais d’expert. Or, il n’a pas réussi à renverser la preuve prépondérante qui a été présentée, ni à mettre en preuve des éléments précis au soutien de sa contestation. Le tribunal d’arbitrage ne peut se satisfaire d’une preuve de nature trop générale.
[37] Le tribunal rejette la contestation des honoraires d’expert des Bénéficiaires par l’Administrateur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
[38] REJETTE la contestation des honoraires d’expert des Bénéficiaires par l’Administrateur;
[39] CONDAMNE l’Administrateur à payer aux Bénéficiaires les frais raisonnables d’expertise s’élevant à la somme totale de 11 325,04 $ (les taxes sont comprises);
[40] CONDAMNE l’Administrateur à payer les coûts du présent arbitrage conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal, majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours;
[41] RÉSERVE à la Garantie de construction résidentielle (GCR) ses droits à être indemnisée par l’Entrepreneur, pour tous les travaux, toute(s) action(s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieu et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement.
Québec, le 14 février 2018
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Luc Chamberland, avocat
Arbitre / Société pour la résolution des conflits inc. (SORECONI)