ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Chapitre B-1.1, r. 02)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : Centre Canadien d'Arbitrage Commercial (CCAC)
ENTRE : 9215-3667 QUÉBEC INC. Requérante (ci-après l’« Entrepreneur ») c. LA GARANTIE DE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE GCR Intimée (ci-après l’« Administrateur ») ET : SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES DE VICTORIA 14 296 À 14316 Mise en cause (ci-après le « Bénéficiaire » ou le « Syndicat ») Dossier CCAC : S22-122202-NP (récl. 7955) No dossier Garantie : 107371-7955 |
DÉCISION
ARBITRALE |
Arbitre : Me Philip Hershman
Pour le Bénéficiaire : Alexandra Nault et Phan Bao Trinh
Pour l’Entrepreneur : Me Marie-Christine Sicard et Me David Banon
Pour l’Administrateur Me Nancy Nantel
Date de l’audition : 7 novembre 2023
Date de la Décision : 12 février 2024
Identification complète des parties
Bénéficiaire : Syndicat des copropriétaires de Victoria 14 296 à 14 316
14316, rue Victoria
Montréal (Québec) H1A 0C5
Entrepreneur : 9215-3667 Québec inc.
304-5967, rue Jean-Talon Est Montréal (Québec) H1S 1M5
Administrateur : Garantie de Construction Résidentielle (GCR) 4101, rue Molson, 3e étage
Montréal (Québec) H1Y 3L1
INTRODUCTION
- Le bâtiment visé par ce litige fait partie d’un complexe comprenant six maisons de ville portant les adresses civiques 14 296 à 14316 rue Victoria à Pointe-aux- Trembles (Québec), H1A 0C5 (ci-après l’« Immeuble »).
- Selon l’Avis pour soumettre un différend à l’arbitrage de l’Entrepreneur daté du 21 décembre 2022 (ci-après l’Avis), ce dernier demande que la décision de l’Administrateur datée du 30 novembre 2022 (N/D : 107371-7955) (pièce A-13) relativement au point 1 soit annulée car la dénonciation des vices aurait été effectué après le délai de trois ans stipulé paragraphe 4 de l'article 27 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q. c. B- 1.1, r.08) (« Règlement »). Cette décision concerne la présence d’infiltrations d’eau au garage entre les unités 14 312 et 14 316.
- L’Entrepreneur argumente essentiellement que :
3.1. La présence d’infiltrations d’eau au garage entre les unités 14 312 et 14 316 a été dénoncée plus de trois ans après la réception des parties communes (paragraphes 1 à 17 de l’Avis) (l'article 27(4) du Règlement) qui aurait été erronément fixée au 29 mars 2019 par la conciliatrice Marylène Rousseau;
3.2. Subsidiairement, ce vice allégué aurait été causé par des travaux effectués par un autre entrepreneur (paragraphes 17 à 29 de l’Avis);
- Les parties ont convenu de faire trancher seulement le premier argument dans le cadre de l’audience du 7 novembre 2023.
MANDAT ET JURIDICTION
- Le Tribunal est saisi du dossier en conformité du Règlement par nomination du soussigné en date du 21 décembre 2022. Aucune objection quant à la compétence du Tribunal n’a été soulevée par les parties et juridiction du Tribunal a donc été confirmée.
LISTE DES ADMISSIONS
- L’origine et l’intégrité des éléments de preuve de toutes les pièces qui ont été déposées par l’une ou l’autre des parties est admise.
- Les parties font les admissions suivantes :
7.1. L’origine et l’intégrité des éléments de toutes les pièces qui ont été déposées par les parties est admise.
7.2. Le vice allégué affecte un espace commun.
LITIGE
- L’Avis conteste la Décision de l’Administrateur datée du 30 novembre 2022 et portant le numéro de dossier 107371-7955 pièce A-13 (ci-après la
« Décision 7955 »), uniquement quant au point 1 de la réclamation.
- Au point 1 de la Décision 7955, l’Administrateur retient la réclamation du Bénéficiaire et confirme la présence d’infiltrations d’eau au garage entre les unités 14312 et 14316 de l’Immeuble (ci-après les « Vices »).
- Dans sa Décision 7955, madame Marylène Rousseau, technologue professionnelle agissant à titre de conciliatrice pour la GCR, identifie que :
10.1. La fin des travaux a eu lieu le 3 juillet 2017 (page 2);
10.2. La réception des parties communes a eu lieu le 29 mars 2019 (page 2);
10.3. Le Bénéficiaire a soumis une dénonciation pour les Vices le 12 mars 2022 (page 2);
10.4. Selon cette dénonciation, le Bénéficiaire a observé les Vices pour la première fois le 15 septembre 2021 (page 5);
10.5. « qu'au moment de la découverte seules des garanties relatives aux vices cachés et aux vices majeurs demeurent, alors que les garanties relatives au parachèvement et aux malfaçons sont échues » (page 14) ;
10.6. Les Vices rencontrent les critères du vice caché (page 14);
- La présente décision tranchera les questions suivantes :
11.1. Quelle est la date de réception des parties communes applicable à la dénonciation des Vices?
11.2. Est-ce que la dénonciation des Vices a été tardive?
- L’Entrepreneur argumente que la « réception des parties communes » au sens de l’article 25 du Règlement doit être fixée au plus tard au 11 janvier 2018 (6 mois après le 11 juillet 2017 mentionné à la dernière page de l’Annexe D) (para 50 du plan d’argumentation de l’Entrepreneur). Si cette date est retenue, le délai de trois ans stipulé paragraphe 4 de l'article 27 du Règlement serait expiré au moment de la dénonciation des Vices.
- Le Syndicat argument que la « réception des parties communes » au sens de l’article 25.1 du Règlement doit être le 29 mars 2019 car cela est la date identifiée dans la décision de l’Administrateur pièce A-12 datée du 18 juillet 2019, soit une décision qui n’a pas été portée en appel. Si cette date est retenue, le délai de trois ans stipulé paragraphe 4 de l'article 27 du Règlement ne serait pas expiré au moment de la dénonciation des Vices.
PIÈCES
- Les pièces contenues au Cahier de l’Entrepreneur sont identifiées comme Annexe A à Annexe I. Les Pièces déposées par l’Administrateur sont identifiées comme A- 1 à A-25.
LE RÈGLEMENT
- La Loi sur le bâtiment (ci-après la « Loi ») et le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le « Règlement ») ont prévu un ensemble de mécanismes qui sont censés favoriser, à peu de frais, et de manière expéditive, la résolution des différends découlant d’un plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.
- Je rappelle que le Tribunal d’arbitrage établi par le Règlement a le pouvoir d’apporter à chacun une aide équitable et impartiale de façon à faire apparaître le droit et d’en assurer la sanction, mais que chaque cas est un cas d’espèce et, avant de citer les motifs d’une décision rendue par nos prédécesseurs, il faut regarder quels ont été les faits qui ont amené à cette décision.
- Le Règlement est d’ordre public et, tel que confirmé à diverses reprises, prévoit que toute disposition d’un plan de garantie qui est incompatible avec le Règlement est nulle et conséquemment, le Tribunal se réfère aux articles du Règlement lorsque requis, sans rechercher la clause correspondante au contrat de garantie, s’il en est.
- À titre d’arbitre désigné, le soussigné est donc autorisé par la Régie du bâtiment du Québec à trancher tout différend découlant du plan de garantie, bien que ceci inclut toute question de faits, de droit et de procédures, les éléments de la présente
décision doivent prendre source dans le texte du Règlement (ou du plan de garantie).
- La Loi et le Règlement ne contiennent pas de clause privative complète, l’arbitre à compétence exclusive. Sa décision lie les parties; elle est finale et sans appel.
La preuve et le procès de novo :
- L’arbitre est investi d’une fonction juridictionnelle. Il a comme tâche de trancher en analysant à la lumière de ses compétences les arguments et les informations qui lui sont présentés.
- Toute partie qui soumet un litige à l’arbitrage doit bénéficier du respect des principes suivant : le droit de faire part de sa position et de soumettre son litige à un décideur impartial et indépendant.
- Afin que le droit d’être entendu soit effectif, il faut reconnaître le droit de soumettre toute preuve pertinente, le droit d’appeler des témoins, de les contre- interroger et le droit de réplique dans certaines circonstances
- Le Règlement n’emploie pas le mot appel mais présente le vocable « demande d’arbitrage ». L’article 106 du Règlement se lit ainsi :
106. Tout différend portant sur une décision de l’administrateur concernant une réclamation ou le refus ou l’annulation de l’adhésion d’un entrepreneur relève de la compétence exclusive de l’arbitre désigné en vertu de la présente section.
Peut demander l’arbitrage, toute partie intéressée :
1o pour une réclamation, le bénéficiaire ou l’entrepreneur ; 2o pour une adhésion, l’entrepreneur.
La demande d’arbitrage concernant l’annulation d’une adhésion d’un entrepreneur ne suspend pas l’exécution de la décision de l’administrateur sauf si l’arbitre en décide autrement.
(Je souligne)
- L’article 116 édicte :
116. L’arbitre statuera en fonction des règles de droit, mais fera aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.
- Encore faut-il relire l’article 19 où le législateur utilise les mots « soumettre le différend » :
19. Le bénéficiaire ou l’entrepreneur, insatisfait d’une décision de l’administrateur, doit, pour que la garantie s’applique, soumettre le différend à l’arbitrage dans les 30 jours de la réception par poste recommandée de la décision de l’administrateur…
(Je souligne)
- L’une des parties n’étant pas satisfaite de la décision du conciliateur peut soumettre et présenter le différend à l’arbitrage et ce différend reste tout entier. Le législateur n’a jamais restreint la preuve pouvant être présentée.
- Notre ancien collègue Jeffrey Edwards, aujourd’hui juge à la Cour supérieure, écrivait en 2006 dans Gauthier et Gagnon c. Goyette Duchesne Lemieux inc. et La Garantie des Bâtiment Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc.1:
Même s’il n’y a pas d’erreur grave dans la décision de l’inspectrice-conciliatrice, il n’en demeure pas moins que la demande d’arbitrage donne droit à un procès de novo et le Tribunal d’arbitrage est requis de faire sa propre évaluation de la preuve administrée contradictoirement et d’en tirer ses propres conclusions. Il a également bénéficié d’une preuve plus complète que ce qui a été disponible à l’inspectrice- conciliatrice
(Je souligne)
- L’arbitre Marcel Chartier, dans l’affaire Latreille c. Léonard Caron et Fils Ltée et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc.2, écrivait :
L’arbitrage est un peu comme un procès « de novo ». Aussi le procureur de l’administrateur a-t-il passé en revue tous les délais du Règlement, et il a fait la preuve écrite et testimoniale qu’aucun n’a été respecté, en y incluant bien sûr, celui mentionné dans la décision de l’administrateur en date du 16 janvier 2008.
- L’arbitre peut trancher toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence. Il est possible que les parties procèdent uniquement sur la foi du dossier de l’Administrateur sans présenter de nouvelle preuve. Il est possible aussi de présenter une nouvelle preuve tant pour le Bénéficiaire que l’Entrepreneur.
1 Gauthier et Gagnon c. Goyette Duchesne Lemieux inc. et La Garantie des Bâtiment Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc., SORECONI 050629001, 3 novembre 2006, Jeffrey Edwards, arbitre, paragraphe [130].
2 Latreille c. Léonard Caron et Fils Ltée et La Garantie des Bâtiments Résidentiels Neufs de l’APCHQ inc., SORECONI 080227001, 29 septembre 2008, Marcel Chartier, arbitre.
TÉMOIGNAGES
Témoignage de Madame Phan Bao Trinh
- Madame Phan Bao Trinh est représentante et administratrice du Syndicat et elle a connaissance personnelle des faits faisant l’objet du présent litige. Son témoignage est crédible.
- Elle témoigne qu’elle était présente le 4 avril 2017 lors d’une inspection des parties communes de l’Immeuble réalisée par Monsieur Frédéric Klein, un architecte mandaté par l’Entrepreneur. Malgré que l’architecte ait été mandaté par l’Entrepreneur, elle ne conteste pas, ni ne soumet être en désaccord avec, le contenu du rapport de l’architecte pièce A-3. Ce rapport contient des photos de l’Immeuble et explique, de manière générale, que les travaux aux parties communes sont conformes sauf pour des menus travaux relativement mineurs restants.
- Elle explique avoir signé la dernière page de la pièce Annexe D (signé et daté le 4 avril 2017) sans l’avoir lu en entier. Or, cette page contient des informations et des avertissements qui sont d’une importance capitale. En effet, cette page contient :
32.1. Une « déclaration » de l’entrepreneur qui annonce avoir déclaré la fin des travaux aux parties communes;
32.2. Une mention en caractère gras que la fin des travaux est annoncée au 11 juillet 2017;
32.3. Une déclaration signée par l’architecte Frédéric Klein en date du 4 avril 2017 que les travaux relatifs aux parties communes sont terminés, sous réserve de travaux à corriger ou de menus travaux (lesquels sont détaillés dans le rapport A- 3);
32.4. Des notes en bas de pages qui soulignent, entre autres, un mécanisme selon lequel la réception des parties communes pourrait être présumé 6 mois après la réception de « cet avis »;
- Elle témoigne ne pas avoir reçu copie de l’Annexe D après l’avoir signé et ne pas se souvenir d’en avoir demandé une.
- Elle témoigne que le représentant de l’Entrepreneur ne lui a pas expliqué le contenu de l’Avis.
- Lorsque questionnée à propos du délai qui s’est écoulé entre la découverte des Vices en septembre 2021 et la Dénonciation de 2022 à l’Administrateur, elle témoigne qu’elle n’a pas eu le temps de procéder avant ce moment, sans fournir d’explication additionnelle.
Madame Trinh explique que, pour le syndicat, la « réception des parties communes » au sens de l’article 25.1 du Règlement doit être le 29 mars 2019 car cela est la date identifiée dans la décision de l’Administrateur pièce A-12 datée du
18 juillet 2019, soit une décision qui n’a pas été portée en appel. Aucun autre argument n’est fourni pour soutenir cette position.
- Or, madame Trinh témoigne que, même avant avril 2017, l’Immeuble était occupé par les résidents. Cela concorde avec le contenu de la pièce A-3.
- Madame Trinh témoigne ne pas se souvenir d’aucune discussion, ni d’aucun débat lors de la visite des lieux le 6 juin 2019 (qui a mené à la décision de l’Administrateur pièce A-12 datée du 18 juillet 2019) à propos de la détermination de la date de réception des parties communes.
- Elle témoigne avoir reçu une enveloppe de l’Administrateur et les manuels de garanties des sous-traitants, mais ne pas avoir lu le guide de l’Administrateur. Nonobstant ce qui précède, elle indique ne pas savoir qu’il fallait faire inspecter l’Immeuble par un architecte du Syndicat.
- Elle témoigne que le rapport pièce A-3 dénonçait quelques problèmes et corrections à apporter aux travaux des parties communes, mais ne précise pas de quoi il s’agissait.
- Elle admet ne pas avoir lu l’enveloppe fournie par l’Administrateur, ni avoir appelé l’Administrateur lorsque le rapport pièce A-3 a été produit.
- Madame Trinh témoigne que, selon sa compréhension, l’Entrepreneur n’avait plus aucun administrateur au Syndicat à partir de janvier 2017.
- Madame Trinh confirme avoir signé un formulaire de réclamation en avril 2019 dans lequel elle certifie déjà avoir reçu copie de l’avis de fin des travaux des parties communes et copie du formulaire pré-réception des parties commune (pièce A- 25).
- Au moment de la Décision de 2019, toutes les parties avaient pris connaissance des documents joints aux échanges courriels contenus dans la pièce P-25, incluant le Rapport, qui démontre que la construction des parties communes de l’Immeuble était complétée en mai 2017.
- Madame Trinh a par la suite témoigné à propos des vices allégués dans la dénonciation de 2019 (pièce A-12) et les Vices allégués dans la dénonciation en 2022 (pièce A-4).
Témoignage de Madame Marylène Rousseau
- Madame Rousseau agit à titre de conciliatrice pour l’Administrateur. Elle a rendu la décision de l’Administrateur pièce A-12 datée du 18 juillet 2019 ainsi que la décision de l’Administrateur datée du 30 novembre 2022 (N/D : 107371-7955) (pièce A-13).
- La défense du Syndicat dans le présent dossier est entièrement basée sur la page 5 de la décision du 18 juillet 2019 (pièce A-12) où madame Rousseau écrit :
Considérant que les parties concernées confirment l’absence d’un avis de fin de travaux des parties communes;
Considérant qu’aucune réception des parties communes n’a été effectuée par un professionnel du bâtiment mandaté par le syndicat de copropriété tel que le stipule l’article 33 du Règlement, seule une inspection ayant eu lieu le 4 mai 2017 sous l’octroi d’un mandat par l’entrepreneur;
Considérant qu’il est dans l’intérêt du syndicat de copropriété, de l’entrepreneur et de l’administrateur de déterminer une date de réception des parties communes du bâtiment;
En conséquence, l’administrateur fixe la date de réception des parties communes du bâtiment au 29 mars 2019, soit la date à laquelle le syndicat a dénoncé à l’entrepreneur et à l’administrateur les situations qui font l’objet de la présente.
- Elle témoigne que, avant de rendre cette décision pièce A-12 datée du 18 juillet 2019, elle avait reçu les documents joints au courriel pièce A-25 et elle avait demandé à l’Entrepreneur de fournir « tous les documents pertinents ». Or, madame Rousseau témoigne que l’Entrepreneur ne lui a pas fourni l’Annexe D. Son témoignage est crédible et non-contredit.
- Tel que mentionné dans sa décision en 2019, madame Rousseau explique qu’elle a fixé la date de réception des parties commune au 29 mars 2019 car c’est la date des premières dénonciations de vices en 2019.
DROIT APPLICABLE
- Plusieurs décisions arbitrales ont adressé la question de la réception des parties communes, et, plus précisément, dans des situations où un avis de fin des travaux est déficient ou absent (par exemple les affaires Jardins St-Hyppolite 3, 241 Deslières4 et Les Villas du Golf5). Ainsi, dans une telle situation, faisant appel à l’équité et s’appuyant sur certains éléments de chronologie – le Tribunal pourra fixer une date de réception des parties communes.
- Notre collègue Me Karine Poulin écrivait en 2016 dans Syndicat des copropriétaires Tremblant-Les-Eaux (Phase 2B) et Station Mont-Tremblant, 2016 CanLII 155758 (QC OAGBRN):
[259] Conformément à la jurisprudence arbitrale, en l’absence de preuve de réception des parties communes, il
3 Le Syndicat de copropriété Les Jardins St-Hyppolyte c. 9129-2516 Québec Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ, Me Johanne Despatis, Arbitre, Décision arbitrale en date du 20 novembre 2008 au dossier GAMM 2008-09-002.
4 Syndicat 241 rue Deslières c. Société en commandite Clairevue, CCAC S08-090601-NP, 5 décembre 2008, Me Albert Zoltowski, Arbitre.
5 Syndicat des copropriétaires Les Villas du Golf et al c. Les Maisons Zibeline, Me Michel A. Jeanniot, Arbitre, Décision arbitrale en date du 15 mars 2010 au dossier CCAC S09-180801-NP.
appartient au Tribunal de déterminer cette date afin de prévenir toute iniquité pour l’une ou l’autre des parties[55]. À ce titre, le Tribunal est habilité à décider de cette question en équité conformément à l’article 116 du Règlement[56]. Par ailleurs, quoique la détermination d’une telle date soit nécessairement de nature arbitraire, elle est cependant toujours basée sur des principes d’équité[57] et sur la foi de la preuve soumise.
[76] L'équité est un concept qui fait référence aux notions d'égalité, de justice et d'impartialité qui sont les fondements de la justice naturelle. Dans certains cas, l'application littérale des règles de droit peut entraîner une injustice. Le recours à l'équité permet, dans certains cas, de remédier à cette situation[58].
(…)
DÉTERMINATION DE LA DATE DE RÉCEPTION DES PARTIES COMMUNES
Réception des parties communes - critères
[261] Les tribunaux d’arbitrage ont considéré que plusieurs facteurs pouvaient être pris en compte au moment de fixer la date de réception des parties communes et notamment a) la date de fin des travaux[59]; b) la date à laquelle le syndicat est devenu indépendant[60]; c) la date de la première assemblée du conseil d’administration[61]; d) la date d’immatriculation du syndicat[62]; e) la date à laquelle la majorité des unités étaient vendues[63]; f) la date à laquelle l’immeuble était en état de servir aux fins auxquelles il est destiné[64]; ou encore
g) le concept d’habitabilité[65]. Évidemment, chaque cas étant un cas d’espèce, des principes d’équité doivent guider le Tribunal dans la détermination de la date de réception des parties communes.
ANALYSE ET MOTIF
Réception des parties communes
- Le témoignage de Mme Trinh confirme que :
52.1. Le bâtiment était habitable même avant avril 2017.
52.2. En avril 2017, le bâtiment était en état de servir aux fins auxquelles on le destine.
52.3.
Elle ne conteste pas le contenu du rapport de l’architecte Frederic Klein pièce A-3.
52.4. Le syndicat de copropriété est devenu indépendant à partir de janvier 2017.
52.5. Elle était présente durant la visite de l’architecte Frederic Klein et ne conteste pas ses constatations.
- Les photos dans le rapport de l’architecte Frederic Klein pièce A-3 confirment que le bâtiment était substantiellement terminé et qu’il était en état de servir aux fins auxquelles on le destine en avril 2017.
- L’Administrateur identifie la fin des travaux au 3 juillet 2017 (pièce A-13).
- En revanche, il n’y a aucun élément de preuve permettant de justifier une date de réception des parties communes au 18 juillet 2019. Compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 261 de la décision Syndicat des copropriétaires Tremblant-Les-Eaux (Phase 2B) et Station Mont-Tremblant, 2016 CanLII 155758 (QC OAGBRN) qui doivent guider le Tribunal d’arbitrage, une date de réception des parties communes au 18 juillet 2019 n’est pas justifiée en fait, ni en droit.
- Cela étant dit, l’Entrepreneur aurait dû fournir l’Annexe D à madame Rousseau dans le cadre de la visite du 6 juin 2019 (pièce A-12). L’on peut raisonnablement croire que l’Administrateur aurait, à tout le moins, considéré cet élément de preuve.
- La difficulté en l’instance est que l’Entrepreneur n’a pas envoyé un « avis de fin des travaux » formel. Par contre, le Bénéficiaire (1) a été informé que l’Entrepreneur déclarait une fin des travaux dans l’annexe D et (2) a reçu les manuels de garantie de l’Administrateur (témoignage de Mme Trinh et Annexe I).
- Le présent dossier se distingue des autorités soumises par le Bénéficiaire dans lesquels il y a absence d’avis de fin des travaux des parties communes, une absence de déclaration de réception des parties communes et une certaine présence de l’entrepreneur au sein du syndicat de copropriété (facteur de l’indépendance du syndicat). La nuance est importante compte tenu que la décision à rendre dans le présent cas est en équité.
- Relativement à l’absence d’un avis de fin des travaux « formel », il est pertinent de comparer le contenu du formulaire « avis de fin des travaux » de l’Administrateur au contenu de l’Annexe D signé par le Bénéficiaire :
59.1. L’annexe D contient la mention :
59.2. L’avis de fin des travaux « formel » contient une case similaire annonçant une « date de fin des travaux »;
59.3. Autant la dernière page de l’Annexe D signée par le Bénéficiaire que l’avis de fin des travaux « formel » souligne que le départ des garanties découle dudit document et de la date de fin des travaux;
- La signature de la dernière page de l’Annexe D par le Bénéficiaire est un fait important dans le cas présent qui fait en sorte que le présent dossier se distingue de d’autres décisions dans lesquelles le bénéficiaire n’est pas, dans les faits, informé des avertissements contenus à la dernière page de l’Annexe D.
- L’article 116 du Règlement se lit comme suit:
« 116. Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient. »
- Le Tribunal d’arbitrage est d’avis que pour éviter une situation inéquitable à l’égard de l’Administrateur et de l’Entrepreneur, il est en l’espèce justifié de faire appel à l’article 116 et de juger en équité pour toutes les parties et déterminer une date de réception des parties communes.6
- Le Tribunal ne peut pas ignorer les documents signés par Mme Trinh et l’admission qu’elle a reçu le manuel de garanties de l’Administrateur qui informe le syndicat de ses obligations relativement à la réception du bâtiment. Au surplus, dans le présent cas, il n’y a avait aucune présence de l’Entrepreneur au sein du syndicat à partir de janvier 2017 (annexe I).
- Au surplus, dans le procès-verbal de l’assemblée des copropriétaires du 31 janvier 2017, les « manuels de garanties » ont été discuté (Annexe I).
- Le Tribunal, dans l’exercice de ses pouvoirs et de la discrétion dont il jouit, détermine que la réception des parties communes a eu lieu le 11 janvier 2018, soit six mois après la date inscrite dans l’Annexe D. À l’audience, personne n’a prétendu que les travaux de construction n’étaient pas encore terminés à cette date ou que les unités privatives n’étaient pas toutes vendues à pareille date. Pareillement, personne n’a soulevé que le Syndicat n’était pas encore autonome et indépendant de l’Entrepreneur à cette date. Au contraire, cela a été confirmé par Mme Trinh.
- De l’avis du Tribunal, cette date n’est ni injuste ni inéquitable à l’endroit du Bénéficiaire. Vu la preuve faite, nul ne peut contester qu’à cette date le Syndicat
6 Syndicat des copropriétaires les Villas du Golf et al. C. Les maisons Zibeline, Me Michel A. Jeanniot, Arbitre, Décision arbitrale en date du 15 mars 2010, CCAC # S09-180801-NP.
n'était plus sous la possession et/ou contrôle de l'Entrepreneur et que les travaux étaient substantiellement complétés.
- Le Bénéficiaire a malgré tout jouit de certaines périodes de garantie.
- Par ailleurs, le Tribunal estime que de fixer la date de réception des parties communes au 29 mars 2019 comme le demande le Bénéficiaire serait incompatible avec l’esprit du Règlement et serait inéquitable à l’endroit de l’Entrepreneur et de l’Administrateur qui ont aussi le droit de voir leurs obligations circonscrites dans le temps.
- La date choisie par le Tribunal est celle qui se rapproche le plus de l’intention du législateur en matière de réception des parties communes et l’arbitre soussignée est d’avis qu’il est juste et équitable que cette date soit retenue comme date de réception des parties communes.
- Conclure que la réception des parties communes a eu lieu le 29 mars 2019 simplement parce qu’il s’agit de la date de réception de la dénonciation écrite du Bénéficiaire aurait pour effet de déclarer que la garantie pour la réparation des malfaçons, des vices cachés et des vices majeurs n’aurait pas encore débutée malgré que le bâtiment soit habité et utilisé depuis au moins avril 2017. Inévitablement, de cette conclusion découlerait également une garantie nettement supérieure dans le temps à celle prévue par le législateur, ce qui, même en équité, ne peut être accordée par l’arbitre.7
- La conclusion voulant que la réception des parties communes n’ait pas eu lieu avant mars 2019 est illogique en l’espèce et constituerait une application littérale du Règlement qui défierait la finalité de celui-ci, soit la protection des bénéficiaires mais pour une durée limitée dans le temps.
- Cela étant dit, le Tribunal réitère que l’imbroglio à propos de la date de la réception des parties communes aurait fort probablement été entièrement évité si l’Entrepreneur avait fourni l’Annexe D à l’Administrateur en temps opportun.
FRAIS
- Le Tribunal d’arbitrage, contraint par les exigences du Règlement, doit ordonner que les coûts de l’arbitrage soient partagés à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
ACCUEILLE la demande d’arbitrage de l’Entrepreneur;
7 Francine Bélanger et al et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc. et Réseau Viva International inc., GAMM, 23 décembre 2009, Johanne Despatis, arbitre;
ANNULE la décision de la GCR datée du 30 novembre 2022 et portant le numéro de dossier 107371-7955 quant au point #1;
ORDONNE que les coûts d’arbitrage soient payés à parts égales par l’Entrepreneur et l’Administrateur, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage CCAC, après un délai de grâce de 30 jours.
Montréal, le 12 février 2024
Me Philip Hershman