ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL
ENTRE : RENELLE PERREAULT
-et-
MICHEL CLOUTIER
(ci-après «les Bénéficiaires»)
c.
LA GARANTIE PROLONGÉE 10 ANS DE L’APCHQ
(ci-après «l’Administrateur»)
No dossier CCAC: S15-020501-NP
No dossier APCHQ: 0005-7
Arbitre : Me Philippe Patry
Pour les Bénéficiaires : Me Richard M. LeBlanc
Madame Renelle Perreault
Monsieur Michel Cloutier
Pour l’Administrateur : Me Jacinthe Savoie
Monsieur Marco Lasalle,
inspecteur-conciliateur
Date de la sentence : 18 mars 2016
Identification complète des parties
Place du Canada
1010, rue de la Gauchetière ouest
Bureau 950
Montréal (Québec) H3B 2N2
Bénéficiaires : Madame Renelle Perreault
Monsieur Michel Cloutier
[…] Cantley (Québec) […]
et leur procureur :
Me Richard M. LeBlanc
Administrateur : La Garantie prolongée 10 ans de l’APCHQ
5930, boulevard Louis-H. Lafontaine
Anjou (Québec) H1M 1S7
et sa procureure :
Me Jacinthe Savoie
Monsieur Marco Lasalle,
inspecteur-conciliateur
Décision
L’arbitre a reçu son mandat du CCAC le 18 mars 2015.
3 avril 2004 : Contrat préliminaire de vente et contrat de garantie;
25 août 2004 : Acte de vente;
30 août 2004 : Réception du bâtiment;
4 août 2014 : Lettre des Bénéficiaires;
30 août 2014 : Fin du Contrat de la Garantie prolongée 10 ans de L’APCHQ;
19 novembre 2014 : Inspection de l'Administrateur;
3 décembre 2014 : Décision de l'Administrateur;
5 février 2015 : Réception par le CCAC de la demande d’arbitrage du procureur des Bénéficiaires datée du 5 février 2015;
22 juillet 2015 : Réception du cahier de pièces de l’Administrateur;
23 septembre 2015 : Audience préliminaire par conférence téléphonique;
6 octobre 2015 : Réception du plan de fondation et des photos du procureur des Bénéficiaires;
8 janvier 2016 : Visite des lieux et audience au Palais de justice de Gatineau;
29 janvier 2016 : Réception de la version électronique de la plaidoirie écrite du procureur des Bénéficiaires;
19 février 2016 : Réception de la version électronique de la plaidoirie écrite de la procureure de l’Administrateur;
25 février 2016 : Réception de la version papier de la plaidoirie écrite de la procureure de l’Administrateur;
1 mars 2016 : Réception de la version électronique de la réponse du procureur des Bénéficiaires.
Introduction :
[1] Les Bénéficiaires ont interjeté appel le 5 février 2015 du point numéro 1 de la décision de l'Administrateur du 3 décembre 2014, soit la présence de fissures au solage de la maison.
[2] Le tribunal a entendu les témoignages de Monsieur Michel Cloutier pour les Bénéficiaires, et de Monsieur Marco Lasalle pour l’Administrateur.
Juridiction :
[3] Compte tenu que les parties n'ont soulevé aucune objection préliminaire à la constitution du tribunal ou à la tenue de l'audience ni avant et ni pendant l'audience, le tribunal déclare que juridiction lui est acquise.
Faits :
[4] Dans sa décision du 3 décembre 2014[1], l’Administrateur résume les faits comme suit :
« Dans la première année de réception du bâtiment, le client a dénoncé
la présence de fissure [s] à l’arrière du garage à l’entrepreneur d’origine
du bâtiment.
Celui-ci est intervenu en injectant les fissures.
Par la suite, cinq ou six ans plus tard, de nouvelles manifestations de
ces fissures, plus majeures cette fois-ci, sont apparues.
Le client ayant avisé l’entrepreneur, [ce dernier] est de nouveau intervenu
en injectant de nouveau les fissures en procédant à l’ajout d’une cornière
d’acier. »
(mes soulignés)
[5] Puis, l’Administrateur analyse les faits de la façon suivante :
« Les bénéficiaires ont déclaré avoir découvert dans un premier temps
vers 2004-2005 ainsi que la récurrence du problème vers 2010-2011.
Quant à l’administrateur, il fut informé par écrit de l’existence de ces
situations pour la première fois, le 4 août 2014.
En ce qui a trait au délai de dénonciation, le contrat de garantie stipule
que, les vices de construction doivent être dénoncés par écrit à
l’administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six
(6) mois de leur découverte ou survenance ou, en cas de vices ou de
pertes graduelles, de leur première manifestation.
Dans le cas présent, il appert que le délai de dénonciation excède le
délai et par conséquent, l’administrateur ne peut donner suite à la
demande de réclamation des bénéficiaires à l’égard de ce point. »
(mes soulignés)
[6] Dans sa dénonciation du 4 août 2014[2], M. Cloutier indique que :
« Suite à une inspection visuelle récente, nous avons remarqué la
présence de deux ou trois fissures dans le solage en ciment de notre
maison, soit une du côté sud, et du côté ouest sous le garage. Il n’y a
pas d’infiltration d’eau apparente ni moisissures visibles. Notre
inquiétude se situe au niveau des problèmes structurels que ces
fissures représentent et qui devront être corrigées. »
[7] Dans la demande d’arbitrage au dossier datée du 5 février 2015, le procureur des Bénéficiaires invoque les motifs ci-après :
« Compte tenu du caractère évolutif, il a été clairement établi devant
l’administrateur que l’apparition de nature capillaire fait en sorte que les
clients n’ont réellement constaté une problématique qu’au printemps
2014. Il a été élaboré que les fissures existantes sont circonscrites en ce
que des fissures du côté garage ont été réparé [es] et que la réparation
semble stable mais que les nouvelles fissures au niveau de la fondation
du garage et du plancher du garage ont été notées seulement depuis la
fin du printemps ou le début de l’été 2014. De fait, la seule fissure notée
avant 2014 est une fissure du côté maison, qui a été réparé [e] vers 2008
ou 2009 et qui est réapparut [ue] en 2013 mais qui à l’époque, n’indiquait
aucune aggravation. La situation cependant est devenue plus
symptomatique à partir du printemps/été 2014, d’où le fait que la
réclamation acheminée le 4 août 2014 au Service de conciliation a été
effectuée dans un délai raisonnable. »
(mes soulignés)
[8] Dans sa plaidoirie écrite[3], le procureur des Bénéficiaires invoque que l’apparition des fissures s’est déroulée en trois temps, soit les fissures nos 3 et 4 en 2004, la fissure no 5 en 2010, et les fissures nos 1, 2, 6 et 7 en 2014.
[9] Il souligne que la manifestation des fissures nos 1, 2, 6 et 7 constituent un évènement distinct et non une récurrence de l’apparition des fissures nos 3, 4 et 5. Il ajoute que la dénonciation écrite du 4 août 2014 à l’Administrateur a été effectuée en deçà des six mois de l’avènement des fissures nos 1, 2, 6 et 7.
[10] Dans son argumentation écrite[4], la procureure de l’Administrateur rétorque que :
« Lors des trois premières apparitions de fissures, les Bénéficiaires ont
avisé l’Entrepreneur et ce dernier a procédé à des correctifs.
Les Bénéficiaires avaient l’obligation de dénoncer à l’Administrateur
toute problématique, et ce lors de sa première manifestation. À défaut, ils
perdraient le bénéfice de la garantie relativement à ladite problématique. »
[11] Lors de son témoignage, M. Cloutier a relaté les évènements suivants touchant l’apparition des fissures, lesdites fissures étant numérotées conformément au plan du bâtiment et aux photos soumis en preuve[5] :
1. Août 2004
· Fissure no 3 (extérieure - derrière garage)
· Réparation par injection par l’Entrepreneur avant la réception du bâtiment le 30 août 2004
· Aucune dénonciation auprès de la Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ (GMN)
2. Été 2006
· Fissure no 8 (extérieure - côté sud du bâtiment)
· Réparation par l’Entrepreneur
· Aucune précision quant à la méthode corrective utilisée
· Aucune dénonciation auprès de la GMN
3. 2008
· Fissures nos 4 et 5 (extérieures - derrière garage et coin arrière derrière le treillis)
· Grosses réparations, soit la pose d’équerres de métal
· Observation de cette cornière d’acier lors de la visite des lieux
· Aucune dénonciation auprès de GMN, car les correctifs effectués à sa satisfaction
4. 2011
· Fissures nos 7 et 8 (plancher du garage et extérieur côté sud)
· Rien d’alarmant, car il s’agissait de petites fissures capillaires
· Aucun avis à l’Entrepreneur
· Aucune dénonciation auprès de l’Administrateur
5. Printemps 2014
· Fissure no 6 (extérieure - coin arrière) d’une assez bonne longueur qu’il n’avait jamais vue auparavant
· Fissures nos 7 et 8 - aggravation
· Aucun avis à l’Entrepreneur
· Dénonciation le 4 août 2014 auprès de l’Administrateur
6. 19 novembre 2014
· Fissures nos 1 et 2 (extérieures - garage côté nord)
· Observations lors de l’inspection de M. Lasalle
[12] Par ailleurs, M. Lasalle a témoigné que lors de son inspection, il avait constaté visuellement les fissures capillaires nos 1 et 2 qu’il avait montrées à M. Cloutier, de même que les fissures nos 6 et 8.
Questions en litige :
[13] Est-ce que les vices de construction sont apparus graduellement tel que le stipule l’article 7 du Contrat de la Garantie prolongée 10 ans de l’APCHQ[6] (Certificat de garantie)? Si oui, quand a eu lieu la première manifestation de ces vices de construction ? Qui plus est, est-ce que les Bénéficiaires ont dénoncé les vices de construction par écrit à l’Administrateur dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six mois de la manifestation ou de la découverte de ces vices de construction ?
Analyse et décision :
A. Apparition graduelle des vices de construction
[14] L’article 7 du Certificat de garantie se lit comme suit :
« Sous réserve des dispositions des articles 4 et 5 du présent contrat de
garantie, dans l’éventualité de la manifestation d’un vice de construction
sur le bâtiment au cours de la période de garantie, le bénéficiaire doit,
sous peine de nullité du présent contrat, le dénoncer par écrit à l’APCHQ
dans un délai raisonnable, lequel ne peut excéder six mois de la
manifestation ou de la découverte du vice de construction. Lorsque le
vice de construction apparaît graduellement, le délai commence à
courir à compter du jour de la première manifestation. »
(mes soulignés)
[15] La première thèse avancée par les Bénéficiaires, celle du « caractère évolutif » jusqu’à ce que la situation observée devienne « problématique » ou « symptomatique », évoquée au paragraphe 7, ne peut être retenue pour deux raisons principales.
[16] D’une part, il s’agit d’une interprétation juridique, voire un courant jurisprudentiel, du paragraphe 10(5) du Règlement sur le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs[7] et non de l’article 7 du Certificat de garantie qui, de l’avis de toutes les parties impliquées, s’applique en l’espèce.
[17] D’autre part, la preuve révèle qu’avant le printemps 2014, soit le moment allégué où la situation dénoncée était devenue plus sérieuse, d’importantes réparations, soit la pose d’une cornière d’acier, avaient été effectuées dès 2008.
[18] Quant à la thèse des évènements distincts mise de l’avant par les Bénéficiaires, soit l’apparition des fissures en 2004 (fissures nos 3 et 4), en 2010 (fissure no 5), et en 2014 (fissures nos 1, 2, 6 et 7), elle ne peut trouver application dans le cas présent.
[19] D'abord, la preuve démontre que les apparitions de fissures survenues en août 2004, à l’été 2006, en 2008, en 2011 et au printemps 2014 constituent plusieurs et différentes manifestations dans le temps d’un même problème touchant le solage du bâtiment. En d’autres mots, il s’agit d’une série d’évènements rattachés à l’émergence d’un même phénomène, soit la présence de fissures à la fondation du bâtiment, sur une période de près de dix ans entre le mois d’août 2004 et le printemps 2014.
[20] Ainsi, après l’entrée en vigueur du Certificat de garantie le 30 août 2004, les apparitions de fissures à divers endroits au solage du bâtiment, ou la manifestation d’un vice de construction selon les termes de l’article 7 du Certificat de garantie, ont débuté à l’été 2006 et sont apparues graduellement à trois reprises jusqu’au printemps 2014.
B. Dénonciation par écrit des vices de construction
[21] En conformité avec l’article 7 du Certificat de garantie, les Bénéficiaires devaient dénoncer par écrit à l’Administrateur les vices de construction sur leur bâtiment dans un délai de six mois de leur apparition ou de leur découverte.
[22] De plus, selon la jurisprudence arbitrale[8], la seule existence de ces vices de construction n’était pas suffisante pour donner ouverture à un recours en leur faveur. Il fallait que ces problèmes soient découverts, puis dénoncés à l’Administrateur dans les délais prescrits.
[23] Qui plus est, compte tenu de la conclusion précédente à l’effet que ces vices de construction étaient apparus graduellement, le délai de six mois, délai de déchéance[9], commençait à courir à compter du jour de leur première manifestation.
[24] Or, en preuve, il n’y qu’une seule dénonciation écrite à l’Administrateur[10], soit la lettre du 4 août 2014, suite à la présence de fissures à la fondation du bâtiment au printemps 2014.
[25] De surcroît, les Bénéficiaires n’ont pas dénoncé par écrit à l’Administrateur la découverte de fissures ou vices de construction sur leur bâtiment dans les six mois de leur première manifestation après l’entrée en vigueur du Certificat de garantie le 30 août 2004, soit à compter de l’été 2006.
[26] Le tribunal note également que les Bénéficiaires n’ont pas informé par écrit l’Administrateur des problèmes plus importants qui ont nécessité la pose d’équerres de métal en 2008 et ce, malgré leur connaissance de l’historique de fissuration de leurs fondations.
[27] Enfin, bon nombre d’arrêts jurisprudentiels auxquels réfère la procureure de l’Administrateur, dont un plus récent[11], indique que la reconnaissance d’un problème et l’apport de correctifs par un Entrepreneur, comme en l’espèce à l’été 2006 et en 2008, ne dispensaient pas les Bénéficiaires de leur obligation de dénoncer par écrit à l’Administrateur l’apparition des vices de construction.
[28] Le tribunal conclut donc selon la prépondérance de la preuve que les Bénéficiaires n’ont pas dénoncé par écrit à l'Administrateur les vices de construction sur leur bâtiment, soit l’apparition de fissures au solage de leur bâtiment, dans un délai raisonnable n’excédant pas six mois de leur découverte à l’été 2006, conformément à l’article 7 du Certificat de garantie.
[29] En bref, considérant l'analyse qui précède, le tribunal maintient la décision de l'Administrateur quant au point 1 et en conséquence, rejette l'appel des Bénéficiaires.
Les frais d’arbitrage :
[30] Considérant que les Bénéficiaires n'ont pas obtenu gain cause, ils devront partager avec l'Administrateur les coûts du présent arbitrage conformément à l'article 11 du Certificat de garantie.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
MAINTIENT la décision de l’Administrateur concernant le point 1 de sa décision du 3 décembre 2014;
REJETTE l'appel des Bénéficiaires;
CONDAMNE les Bénéficiaires au paiement de 500.00$ pour les coûts du présent arbitrage et l’Administrateur au paiement du solde de ces coûts conformément à l'article 11 du Contrat de la Garantie prolongée 10 ans de l’APCHQ.
Montréal, le 18 mars 2016
__________________________
ME PHILIPPE PATRY
Arbitre / CCAC
[1] Pièce A-6.
[2] Pièce A-5.
[3] Pièce B-2.
[4] Pièce A-8.
[5] Pièce B-1 en liasse.
[6] Pièce A-4.
[7] Décret 841-98.
[8] Syndicat de la copropriété Les Jardins du Parc c. la Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ (GAMM 2009-09-003), Despatis, 28 janvier 2010.
[9] Filomena Stante et Antonio Carriero c. les Constructions Oakwood Canada (SORECONI 09010602),
Jeanniot, 2 juillet 2009.
[10] Supra, note 2.
[11] Caroline Giroux et Danny Ouellet c. Construction David Perreault Inc. (SORECONI 131206001),
Robert Leblanc, 21 novembre 2013.