ARBITRAGE

ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(Décret 841-98 du 17 juin 1998)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Centre canadien d’arbitrage commercial (CCAC)

 


No dossier CCAC :                  S13-041002-NP

No dossier Garantie :              40632-2561

Date:                                       27 septembre 2013

 

ENTRE:          Michel Morin

   (ci-après « les Bénéficiaires »)

   ET      

   Construction B. Gauley  Inc. (Inactif)

   (ci-après « l’Entrepreneur »)

   ET :                 

   La Garantie Habitation du Québec Inc.

(ci-après « l’Administrateur »)

 

SENTENCE ARBITRALE

 


L'Arbitre :                                 Me France Desjardins

Pour le Bénéficiaire :               Monsieur Michel Morin

Pour l’Entrepreneur :               Monsieur Toby Gauley

Pour l’Administrateur :            Me François-Olivier Godin

Monsieur Michel Labelle

Mandat 

            Le Tribunal est saisi d’une demande d’arbitrage par nomination du CCAC  en date du 9 mai 2013 en conformité du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ci-après le Règlement)[1]

 

Historique et pièces 

24 août 2006

Contrat d’entreprise et de garantie

6 février 2007

Formulaire d'inspection pré-réception du bâtiment

  l’El’Entrepreneur à l’Administra

accompagné accompagn

6 février 2007

Lettre de l'Entrepreneur  à l'Administrateur

 

 

26 mars 2009

Première réclamation du Bénéficiaire à l'Administrateur

17 avril 2009

Inspection de l’Administrateur

Automne 2009

Travaux correctifs à la toiture

3 mars 2013

Nouvelle réclamation à l’Administrateur

Demande d'arbitrage des Bénéficiaires

13 mars 2013

Deuxième décision de l’Administrateur

20 juin 2013

Conférence préparatoire téléphonique

9 août  2013

Dépôt  de documents par le Bénéficiaire

28 août 2013

Dépôt d’un plaidoyer par le Bénéficiaire

3 septembre 2013             Visite des lieux et audition

 

LES FAITS

[1]           Le 24 août 2006, le Bénéficiaire signe avec l’Entrepreneur, un contrat décrivant les travaux à effectuer par l’Entrepreneur ou le Bénéficiaire, pour la construction d’une résidence en bois rond sur le terrain appartenant au Bénéficiaire. La réception du bâtiment est alors fixée au 15 novembre 2006.

[2]           Le 26 mars 2009,  le Bénéficiaire dénonce des infiltrations d’eau à la base du toit sur les versants est et ouest de la maison. L’Administrateur rend la décision suivante le 28 avril 2009 :

« Lors de notre inspection, bien que les conditions climatiques prévalant ne nous aient pas permis de constater les infiltrations dénoncées, nous avons tout de même constaté ce qui suit :

-       Manque de ventilation aux soffites; à moins que celle-ci ne soit pas requise;

-       Fuite d’eau au bas du versant Nord-Ouest (au-dessus de l’entrée du garage) malgré l’absence de pluie depuis plusieurs jours;

-       Cernes sur la surface de finition intérieure (bois et placoplâtre) aux endroits ci-haut décrits sur les photos;

Par conséquent, l’entrepreneur devra faire les vérifications nécessaires et les correctifs requis, selon les règles de l’art et l’usage courant du marché. »

[3]           Malgré une grave maladie du seul actionnaire de la compagnie, monsieur Brian Gauley, celui-ci accepte de prendre en charge les travaux correctifs, qui seront effectués en septembre sur le versant ouest de la maison et en octobre 2009 sur le versant est.

[4]           Le 3 mars 2013, le Bénéficiaire adresse une nouvelle réclamation à l’Administrateur concernant une infiltration d’eau du côté sud-ouest de la maison. L’Administrateur rejette la réclamation aux motifs que la garantie reconduite pour la couverture est échue depuis le 14 octobre 2012, soit 3 ans de la fin des travaux de réfection et que la garantie globale est échue depuis le 30 janvier 2012, soit 5 ans depuis la réception du bâtiment.

 

LA PREUVE ET L'ARGUMENTATION

 

[5]           Une visite des lieux a précédé l’audition, qui s’est tenue à la maison qui fait l’objet de la réclamation.  En début d’audition, le dossier est constitué des pièces A-1 à A-6 déposées par l’Administrateur et de la pièce B-1 et ses annexes A à E transmise par le Bénéficiaire à toutes les parties et à l’arbitre.

[6]           À l’audition, le Bénéficiaire, monsieur Morin, après avoir décrit son expertise d’architecte spécialisé en acoustique de bâtiments commerciaux en hauteur, témoigne à l’effet que les plans de la maison ont été réalisés par un architecte et que le contrat signé avec l’entrepreneur concernait la construction du « rough» selon les plans - révision 7. Il indique que les plans ne prévoyaient pas l’installation de panneaux SIP sur la toit mais qu’il y avait entente au contrat à l’effet que la toiture serait faite différemment des plans. 

[7]           Monsieur Morin fait état de test qui ont été effectués par l’Administrateur en 2009 afin d’examiner la thèse de l’Entrepreneur à l’effet que le manque d'étanchéité de la toiture pourrait résulter de la condensation. La production de ces test sera  refusée en raison de la nature de la décision à rendre relative à l’échéance de la garantie. I

[8]           Informé par l'Administrateur des travaux correctifs qui seront entrepris, le Bénéficiaire indique avoir demandé à ce qu’un représentant de Qualité-Habitation soit présent lors des travaux mais qu’on lui a répondu que l’entrepreneur a une obligation de résultat et que les travaux seraient couverts par une garantie reconduite automatiquement à partir de la fin des travaux.

[9]           Monsieur Labelle explique qu’à l’origine, l’Administrateur devait prendre en charge les travaux mais monsieur Gauley a décidé d’intervenir. Il rappelle que le Règlement ne prévoit pas que l’Administrateur inspecte les travaux correctifs mais il avait demandé aux parties de l’appeler si nécessaire et de prendre des photos.

 

[10]         Le Bénéficiaire montre des photos qu’il a prises lors des travaux de réfection de la portion du toit qui fait l’objet de l’arbitrage. Il y note que « la membrane comporte des plis, qu’elle n’est pas bien collée et qu’elle n’est pas posée sur toute la surface de l’avant-toit sur une distance d’au moins 6 pi à partir du débord de toit et sur une distance de 6 pi de chaque côté des noues». Il en conclut que la pose inadéquate de la membrane est responsable du manque d’étanchéité de la toiture.

[11]         Monsieur Labelle opine que ce n’est « pas parce qu’il y a des plis que ça coule ». Selon lui, les travaux correctifs effectués en 2009 sont bien faits, malgré le plissement.

[12]         Le Bénéficiaire réfère au formulaire pré-réception et à la lettre de transmission de ce document par l'Entrepreneur à Qualité Habitation en février 2007. Il nie avoir vu ce document et en rejette le contenu. Il réfère à l’échange de courriels entre les parties pour expliquer le retard de livraison du bâtiment et autres irritants en cours de construction.

[13]         Monsieur Labelle déclare avoir validé la date de réception du bâtiment avec monsieur Morin lors de l’inspection effectuée le 17 avril 2009. Il lui semble alors avoir montré le formulaire pré-réception. Contre-interrogé sur la date de fin des travaux qui apparaît au formulaire pré-réception du bâtiment, monsieur Morin répond qu’elle correspondrait davantage au mois de février 2007.

[14]         Monsieur Morin, qui attribue l’infiltration d’eau à un barrage de glace, représente que certaines conditions doivent être réunies pour que cette situation se produise: « notamment une accumulation substantielle de neige sur la toiture, des conditions d’ensoleillement et des variations importantes de la température entre le jour et la nuit qui causent la fonte de la neige durant le jour et la formation de glace à la fin de la journée sur les avant toits, et finalement, une membrane d’avant-toit déficiente ». Selon le Bénéficiaire, ces conditions sont survenues à l’hiver 2008-2009 alors que la toiture a coulé pour la première fois et ne se sont reproduites qu’à l’hiver 2012-2013.

[15]         Monsieur Labelle représente pour sa part que l’hiver 2007-2008 a été un très gros hiver mais pas l’hiver 2008-2009 comme le prétend le Bénéficiaire. Selon le témoin, il y a réunion de conditions difficiles à chaque hiver dans la région et il y a eu des barrages de glace à chaque hiver depuis la construction de la maison. Le témoin est d'avis que l’ouest est le côté le plus névralgique vu que le soleil se lève de l’autre côté. Il croit possible que la glace ait monté plus haut que la protection et qu’un déneigement soit nécessaire même si le Code du bâtiment ne l'exige pas, d’autant que la maison n’est pas habitée à l’année.  Il ajoute que, s’il était propriétaire de la maison, il aurait installé une toiture métallique, un matériau qu’il juge plus performant.

[16]         Invité à faire état des exigences du Code du bâtiment, l'inspecteur-conciliateur rappelle que la toiture doit être étanche même en présence d’un barrage de glace. Dans le cas d’une pente de 8/12 et moins, le Code exige l’installation d’une membrane d’avant-toit pour assurer une protection d’un pied à l’intérieur du bâtiment. Ici,  la pente est de 12/12 mais une membrane a quand-même été installée.

[17]         Invité à expliquer ses décisions, monsieur Labelle dit avoir considéré la garantie eu égard à un vice caché parce qu’il s’agit d’une infiltration. Selon lui, ce n’est pas un vice majeur, la garantie est échue et les délais sont de rigueur. Monsieur Morin plaide pour sa part, que l’intention du législateur, en adoptant le Règlement était de «protéger l’acheteur contre les malfaçons de construction et l’insolvabilité ou le décès du constructeur». Il ajoute qu’au Québec, la garantie attribuée à un bien doit être établie en fonction de sa durée de vie utile, soit environ 20 ans, selon le témoin,  pour une couverture de bardeau de qualité. De plus, ajoute-t-il, plusieurs couvreurs donnent une garantie de 10 ans sur leurs travaux. Par conséquent, selon le Bénéficiaire, la durée de garantie qui couvre des travaux correctifs doit être suffisante pour qu’ils soient mis à l’épreuve au moins une fois.

[18]         Contre-interrogé sur la réception d’un avis de fin des travaux correctifs, monsieur Morin indique ne pas en avoir reçu, que l’inspecteur-conciliateur, monsieur Labelle, était au courant et qu’il a transmis un compte-rendu des travaux effectués en octobre 2009 à sa demande  mais qu’il n’en a pas transmis pour les travaux de septembre 2009 parce que monsieur Labelle ne lui a  pas demandé. Il explique ne pas avoir non plus transmis à l'Administrateur les photos prises lors des travaux parce qu’on lui aurait dit que « je n’avais pas d’affaire à m’occuper de cela ». Il réfère à la note qu’il a transmise à monsieur Labelle le 14 septembre 2009 dans laquelle il fait part de ses inquiétudes à l’égard du choix du couvreur et des travaux qu’il effectuera.

[19]         Interrogé par Me Godin, Monsieur Labelle indique qu’entre le compte-rendu reçu de monsieur Morin en octobre 2009 et la nouvelle réclamation en 2013, il a parlé à monsieur Morin une fois pour convenir de la date de fin des travaux, le 14 octobre 2009, d’où l’absence de transmission d’avis de fin des travaux.

[20]         Enfin, monsieur Labelle réfère à la réglementation sur l'économie d'énergie qui exige que tout espace chauffé soit contrôlé par un isolant. Les murs n'étant pas ici isolés, cela favorise la formation de  barrages de glace

[21]         Monsieur Toby Gauley est ensuite invité à témoigner. Il indique avoir participé aux travaux correctifs effectués en 2009. Les bardeaux auraient été enlevés dans le bas du toit et dans les noues, la membrane a été retirée, remplacée par une autre et couverte de bardeau.

[22]         Interrogé par Me Godin à savoir si ces travaux devaient régler le problème, monsieur Gauley opine que le problème serait plutôt la structure de la maison en raison de la qualité du « kit » de bois rond fourni par le Bénéficiaire. Selon le témoin, depuis 7 ans, il y aurait eu des mouvements structuraux qui auraient créé des sorties d’air chaud, accélérant ainsi la formation de barrages.

[23]          Monsieur Gauley explique ensuite que les réparations effectuées du côté est du bâtiment n'étaient pas nécessaires mais son père voulait régler le problème.

[24]         Contre-interrogé par le Bénéficiaire, monsieur Gauley confirme ne pas être un expert en bois rond, qu'il en a construit 3 dont celle du Bénéficiaire, qu'il était présent lors de l'érection de la maison mais il ne se souvient pas de la date. Contre-interrogé sur ce qui lui laisse croire que l'infiltration ne se fait pas à travers la couverture, le témoin répond  que la chaleur s'exfiltre à cause de la structure. Interrogé sur ce qu'il connaît des panneaux SIP, le témoin répond que la seule maison où l'Entrepreneur a utilisé des panneaux SIP, soit celle du Bénéficiaire, il y a  infiltration. Il rappelle enfin  que les plans 'exigeaient pas de tels panneaux.

[25]         En argumentation finale, le Bénéficiaire rappelle que les travaux effectués dans le coin sud du versant ouest ont été, selon son évaluation, mal faits, qu'il n'a pas eu l'occasion de le faire valoir en temps utile, que la garantie devrait s'appliquer parce que les conditions favorables à la formation de barrages de glace ne se sont pas présentées.

[26]         Me Godin dépose la sentence rendue par l'arbitre Guy Pelletier[2], lequel rappelle que l'article 2099 du Code civil donne à l'entrepreneur le choix des moyens pour exécuter les travaux et que plusieurs décisions arbitrales vont en ce sens.

[27]         Me Godin rappelle que l'hiver au Québec favorise la formation de barrages de glace, d'autant que le Règlement prévoit une exclusion en cas de conditions climatiques exceptionnelles

[28]         Le procureur argue que le Bénéficiaire n'a pas démontré que les travaux avaient été mal faits. Ainsi, il n'a présenté aucune photo entre l'installation de la membrane plissée  et la pose des bardeaux sur la toiture. De plus, ajoute-t-il, le Bénéficiaire n'a jamais parlé du problème lors de la réalisation des travaux.

[29]         Me Godin plaide que la garantie contractuelle est limitée en vertu du Règlement, lequel est d'ordre public. Suivant le raisonnement du Bénéficiaire, si les conditions propices s'étaient présentées dans 10 ans, il aurait fallu prolonger la garantie.

 

L'ANALYSE ET LES MOTIFS

 

[30]             Dans le présent dossier, le Bénéficiaire a porté en arbitrage une décision rendue par l’Administrateur le 13 mars 2013. Essentiellement, le point en litige concerne le rejet par l'Administrateur d'une réclamation au motif de l'expiration  tant de  la garantie globale que de la garantie reconduite à la suite de travaux correctifs effectués à la couverture en 2009.

[31]         Il importe de rappeler que le présent arbitrage se tient en vertu du Règlement. C’est donc sur les dispositions du Règlement que l’arbitre doit fonder sa décision.

[32]         Pour une meilleure compréhension, il y a lieu de répertorier d’abord les dispositions légales et réglementaires qui encadrent les obligations des parties.

[33]         En vertu de l’article 79.1 de la Loi sur le bâtiment[3] (ci-après la Loi), «l'entrepreneur est tenu de réparer tous les défauts de construction résultant de l'inexécution ou de l'exécution de travaux de construction couverts par le plan» de garantie auquel il a adhéré.

[34]         De plus, pour adhérer à un plan de garantie et obtenir un certificat d’accréditation, l’entrepreneur doit, conformément à l’article 78 du Règlement, signer la convention d’adhésion fournie par l’administrateur, comportant les engagements énumérés  à l’annexe II du Règlement. L’entrepreneur accrédité s’y engage, entre autres :

                          3e à respecter les règles de l’art et les normes en vigueur                                                            applicables au bâtiment

[35]         Au surplus, les tribunaux ont établi le caractère d’ordre public (les parties ne peuvent y déroger, même par convention) du Règlement.. À cet effet, le Tribunal réfère notamment aux propos de l’Honorable Pierrette Rayle qui s’exprimait pour la Cour d’appel du Québec sur cette question:

                     Le Règlement est d’ordre public. Il pose les conditions applicables aux personnes            morales qui aspirent à administrer un plan de garantie. Il fixe les modalités et les limites du plan de garantie ainsi que, pour ses dispositions essentielles, le contenu du contrat de garantie souscrit par les bénéficiaires de la garantie, en l’occurrence, les intimés.[4]

 

[36]         Les dispositions pertinentes du Règlement en regard des travaux couverts par le plan de garantie sont les suivantes:

7.  Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévues par la présente section.

10.   La garantie d'un plan dans le cas de manquement de l'entrepreneur à ses obligations légales ou contractuelles après la réception du bâtiment doit couvrir:

 

  1°    le parachèvement des travaux relatifs au bâtiment ...

  2°    la réparation des vices et malfaçons apparents visés à l'article 2111 du Code civil...

  3°    la réparation des malfaçons existantes et non apparentes au moment de la réception et découvertes dans l'année qui suit la réception, visées aux articles 2113 et 2120 du Code civil...

  4°    la réparation des vices cachés au sens de l'article 1726 ou de l'article 2103 du Code civil qui sont découverts dans les 3 ans suivant la réception du bâtiment ...

  5°    la réparation des vices de conception, de construction ou de réalisation et des vices du sol, au sens de l'article 2118 du Code civil, qui apparaissent dans les 5 ans suivant la fin des travaux ...

 

[37]         Tel qu’établi dès les premières lignes de l’article 10 du Règlement,  tout vice ou malfaçon découvert après la réception du bâtiment donnera ouverture à l'application de  la garantie. Toutefois, le Règlement impose d'autres conditions préalables à l'application de la garantie à savoir: un délai de découverte du vice ou de la malfaçon et un délai de dénonciation de cette découverte.

[38]         C’est donc dans un contexte législatif et réglementaire bien encadré et d’ordre public, visant à assurer l’exécution de ses obligations par l’Entrepreneur, que le Tribunal doit analyser la demande d’arbitrage.

[39]         L’Administrateur ayant rejeté la réclamation au motif de l'échéance expirée de la garantie au moment de la réclamation, la question à laquelle le Tribunal doit d'abord répondre est la suivante: les travaux  sont-ils couverts par la garantie?

[40]         La date de réception du bâtiment marquant le point de départ des garanties prescrites par le Règlement, il y a lieu, dans un premier temps, d'établir cette date, d'autant que le Bénéficiaire déclare n'avoir jamais signé ni reçu le formulaire pré-réception du bâtiment.

[41]         Il est en effet en preuve que l'Entrepreneur a complété unilatéralement ledit formulaire et l'a transmis à l'Administrateur, accompagné d'une lettre qui se lit comme suit:

                            'Chère madame Granger

                            Veuillez trouver ci-joint le 'Formulaire d'inspection préréception'. Ce projet a été complété en Décembre 2006, cependant comme 2 portes   étaient en retard dues à la production, elles ont finalement été installées le 1er février 2007. Le client a été extrêmement difficile. J'ai été payé mais pas au complet car mon client veut que je termine d'autres travaux sans frais, et il refuse de signer ce formulaire'

                            La balance des travaux seront contractés et fait directement par M. Morin et son employé.' (Sic)

                            Vous remerciant de votre attention

                            Brian Gauley

[42]         L'Administrateur, caution de l'Entrepreneur, n'a pas non plus transmis ce document au Bénéficiaire par la suite, ce que déplore ce dernier.

[43]         Or, Selon l'article 17 du Règlement:

17.   Chaque bâtiment visé par la garantie doit être inspecté avant la réception. Cette inspection doit être effectuée conjointement par l'entrepreneur et le bénéficiaire à partir d'une liste préétablie d'éléments à vérifier fournie par l'administrateur et adaptée à chaque catégorie de bâtiments. Le bénéficiaire peut être assisté par une personne de son choix.

 

L'inspection doit être différée lorsque la réception du bâtiment intervient après la fin des travaux.

[44]         Et l'article 8 du Règlement définit comme suit la réception du bâtiment:

8.   Pour l'application de la présente sous-section, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

..........

«réception du bâtiment»: l'acte par lequel le bénéficiaire déclare accepter le bâtiment qui est en état de servir à l'usage auquel on le destine et qui indique, le cas échéant, les travaux à parachever ou à corriger.

[45]         De plus, en vertu de l'article 19.1 du Règlement, le 'non-respect d'un délai de recours ou de mise en oeuvre de la garantie par le bénéficiaire ne peut lui être opposé lorsque l'entrepreneur ou l'administrateur manque à ses obligations' prévues au Règlement, dont celle de l'article 17.

[46]         En application de ces dispositions, le Tribunal n'a d'autre choix que conclure à la non-conformité de la procédure et à l'inopposabilité au Bénéficiaire du formulaire  de pré-réception du bâtiment complété unilatéralement par l'Entrepreneur.

[47]         Cela dit, quelles sont les conséquences de ce constat? Prenant appui sur la jurisprudence majoritaire en semblable matière,[5]  il appartient au Tribunal, en toute équité, de déterminer la date de réception du bâtiment en fonction de la preuve soumise par les parties.

[48]         Le Bénéficiaire, architecte, a bien signé et reçu le contrat de garantie le 24 août 2006.

[49]         Celui-ci a déclaré à l'audition avoir, en cours de construction,  demandé à l'Entrepreneur à quel moment ils signeraient le formulaire pré-réception, ce à quoi celui-ci aurait répondu qu'il ne complétait pas ce document. De l'avis du Tribunal, le Bénéficiaire  était informé de la procédure de mise en oeuvre de la garantie. Or, il ne s'est jamais adressé à l'Administrateur à ce sujet et n'a pas dénoncé l'absence de ce formulaire et ce, ni avant ni après la première décision rendue par l'Administrateur en 2009, fixant la date de réception au 30 janvier 2007.

[50]         En regard de la décision rendue en 2013 et faisant l'objet du présent litige,  au-delà de nier avoir vu le formulaire, le Bénéficiaire n'a pas non plus formellement contesté la date de réception  du bâtiment, ni dans son plaidoyer transmis avant l'audition, ni lors de l'audition même. Au contraire, son témoignage à l'audience confirme plutôt la réception au mois de janvier 2007 sous réserve de portes qui restaient à installer.

[51]         La preuve prépondérante est à l'effet que les  relations entre le Bénéficiaire et l'Entrepreneur étaient tendues pendant la construction et se sont  envenimées davantage dans les dernières semaines, les parties s'octroyant mutuellement la responsabilité du retard de livraison du bâtiment, comme en fait foi la correspondance produite par le Bénéficiaire. Le Tribunal note particulièrement l'échange de courriels datés des 14 et 17 décembre 2006, dont les propos tendent à valider la date de réception du bâtiment fixée par l'Administrateur.

[52]         Bref, malgré que le formulaire de réception n'ait pas été signé, le Tribunal constate qu'il y a eu entre les parties reconnaissance et accceptation  mutuelle de cet événement qu'ils situent fin janvier, début février de l'année 2007.

[53]          En conséquence de tout ce qui précède et considérant le concept de réception du bâtiment posé à l'article 8 du Règlement, à savoir un 'bâtiment qui est en état de servir à l'usage auquel on le destine' , le Tribunal confirme au 30 janvier 2007, la date de réception du bâtiment pour les  fins d'application de la garantie.

[54]         Cela étant, le Tribunal doit se prononcer sur la recevabilité de la dénonciation adressée par le Bénéficiaire en mars 2013 eu égard à la couverture de la garantie. Le litige à ce sujet porte principalement sur la garantie pour vice caché reconduite pour une période de 3 ans à la suite des travaux de réfection  à la toiture, effectués en 2009 à la suite d'infiltration d'eau.

[55]         La preuve a démontré que l'ensemble des travaux correctifs ont été complétés en octobre 2009. Plus spécifiquement, les travaux en litige ont été réalisés les 15 et 16 septembre 2009. Ces dates sont admises par le Bénéficiaire mais ses prétentions sont les suivantes:

§  il n' a eu aucun droit de regard sur les travaux exécutés en 2009

§  les travaux de réfection ont été mal exécutés

§  les conditions météorologiques causant les barrages de glace n'ont pas été réunies avant 2013

§  la durée de la garantie doit être suffisante pour que les travaux soient mis à l'épreuve

§  invoquer l'échéance de la garantie est contraire aux intentions du législateur

 

[56]                      Le Tribunal rappelle d’abord que c’est sur le Bénéficiaire, qui conteste le bien-fondé de la décision de l’Administrateur, que repose le fardeau de la preuve et cette preuve doit être prépondérante, en application des dispositions contenues aux articles 2803 et 2804 du Code Civil du Québec :

 

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

 

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les  faits sur lesquels sa prétention est fondée.

 

2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante.

                                                                                    

[57]                      Le Bénéficiaire invoque l'intention du législateur au soutien de son argumentation visant à faire reconnaître l'application de la garantie malgré l'expiration de sa reconduction d'une durée de 3 ans. Certes, comme l'a exposé à maintes reprises l'arbitre Robert Masson:

«le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, mis en vigueur en vertu de la Loi sur le bâtiment, a été institué par le gouvernement du Québec afin de protéger les acheteurs et d’améliorer la qualité des constructions neuves»

Le Procureur général du Québec s’exprimait ainsi alors qu’il intervenait dans un débat concernant une sentence arbitrale rendue en vertu du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs où il avait été appelé :

«Les dispositions à caractère social de ce règlement visent principalement à remédier au déséquilibre existant entre le consommateur et les entrepreneurs lors de mésententes dans leurs relations contractuelles. En empruntant un fonctionnement moins formaliste, moins onéreux et mieux spécialisé, le système d’arbitrage vient s’insérer dans une politique législative globale visant l’établissement d’un régime complet de protection du public dans le domaine de la construction résidentielle»[6]

[58]                                 Toutefois, ce faisant, le législateur a créé un régime de protection spécifique aux acheteurs d'une maison neuve en ayant pour objectif d'améliorer la qualité de la construction. Ainsi, le plan de garantie ne couvre que l'achèvement ou la réparation des vices et malfaçons. L'acheteur ne pourrait exiger un autre remède tel la diminution du prix d'achat par exemple ou encore, réclamer des dommages, de tels recours devant être dirigés vers les tribunaux de droit commun.

[59]                   Le Bénéficiaire a d'autre part invoqué la durée de vie utile d'une couverture (20 ans) et la durée de garantie que donnent les couvreurs sur leurs travaux (10 ans) pour faire valoir que la durée de garantie(3 ans) qui s'applique aux travaux correctifs effectués en 2009 n' est pas suffisante pour les mettre à l'épreuve. Le Tribunal juge utile de rappeler la procédure de mise en oeuvre de la garantie:

18.   La procédure suivante s'applique à toute réclamation fondée sur la garantie prévue à l'article 10:

 

          1°    dans le délai de garantie d'un, 3 ou 5 ans selon le cas, le bénéficiaire dénonce par écrit à l'entrepreneur le défaut de construction constaté et transmet une copie de cette dénonciation à l'administrateur en vue d'interrompre la prescription

......

(les soulignés sont de l'arbitre)

[60]                      Dans le même sens, l'article 10 du Règlement décrète que le plan de garantie couvre les malfaçons et vices découverts dans l'année, les 3 ans ou les 5 ans de la réception du bâtiment.

[61]                      Le Législateur a clairement déterminé une fin â la couverture du plan garantie  pour chaque catégorie de problème. Le texte est clair et de l'avis du Tribunal, ne laisse aucune ouverture à interprétation.

[62]                      Enfin, le Bénéficiaire plaide que les conditions météorologiques   favorables à la formation d'un barrage de glace n'ont pas été réunies depuis les travaux correctifs jusqu'à l'hiver 2013. L'apparition du problème en 2013 dans des conditions similaires, selon lui, à celles qui prévalaient en 2009, démontre, selon le Bénéficiaire, que les travaux correctifs ont été déficients et qu'il y a lieu de les reprendre. 

[63]                      En fait, le Tribunal comprend que le Bénéficiaire réclame à toute fin pratique une extension de la garantie. Considérant la finalité du Règlement et  son caractère d'ordre public qui emporte l'obligation de lui donner une interprétation stricte, le Tribunal ne pourrait retenir les arguments du Bénéficiaire sans excéder la compétence que lui confère leditRèglement.

[64]                      Au surplus, le Bénéficiaire n'a fourni aucune preuve pour étayer ses prétentions, lesquelles sont d'ailleurs contredites par l'inspecteur-conciliateur. Il n'a pas non plus démontré avoir pris les mesures d'entretien adaptées aux conditions météorologiques exceptionnelles qu'il invoque.

[65]                      En l'espèce, l'infiltration s'est manifestée dans la quatrième année suivant les travaux correctifs effectués par l'entrepreneur et dans la sixième année suivant la réception du bâtiment. Par conséquent, le Tribunal conclut le que la garantie reconduite pour  une durée de 3 ans en 2009 était déjà échue lorsque l'infiltration s'est manifestée en mars 2013.  De même en est-il de la garantie de 5 ans suivant réception du bâtiment, le Bénéficiaire n'ayant pas démontré de gravité suffisante pour soupçonner la présence d'un vice majeur.  La réclamation est donc irrecevable.

[66]                  Considérant ces conclusions, il n'y a pas lieu de traiter non plus que de disposer de la  qualité des travaux réalisés par l'Entrepreneur.

 

LA DÉCISION

[67]         Le Tribunal d'arbitrage doit statuer «conformément aux règles de droit;  il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient».[7] Sa décision lie les parties et elle est finale et sans appel.[8]

[68]         En vertu de l’article 123 du Règlement, l’arbitre doit départager les coûts de l’arbitrage.

123.   Les coûts de l'arbitrage sont partagés à parts égales entre l'administrateur et l'entrepreneur lorsque ce dernier est le demandeur.

            Lorsque le demandeur est le bénéficiaire, ces coûts sont à la charge         de l'administrateur à moins que le bénéficiaire n'obtienne gain de cause sur aucun des aspects de sa réclamation, auquel cas l'arbitre départage ces coûts.

[69]         Considérant l’ensemble du dossier, les frais d’arbitrage sont partagés entre le Bénéficiaire pour un montant de 75,00$ et l’Administrateur pour la balance.

 

POUR  LES MOTIFS EXPOSÉS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :

 

REJETTE  la demande d’arbitrage

MAINTIENT la décision de l'Administrateur

CONDAMNE le Bénéficiaire à payer soixante quinze dollars (75$) des frais d’arbitrage et CONDAMNE l’Administrateur à payer la balance des frais.

 

 

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  Me France Desjardins

  Arbitre / CCAC

 



[1] L.R.Q. c. B-1.1, r.02

[2] Karine Fiset et Daniel Paquette c. Groupe Axxco Inc. et La garantie Habitation du Québec Inc., CCAC S-09-010701-NP, le 20 décembre 2011

[3] L.R.Q., c. B.-1.1

[4]               La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCH Inc. c. Maryse Desindes et Yvan Larochelle et René Blanchet, ès qualité d’arbitre au CCAC, Cour d’appel, 15 décembre 2004, motifs de la juge Pierrette Rayle

[5] Syndicat des copropriétaires Les Villas du Golf et al c. Les Maisons Zibeline, CCAC S09-180801-NP, Me Michel A.Jeanniot, Arbitre, 15 mars 2010; Domenica Giove et Domenico Frenza c. Habitations  Germat et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc.,CCAC S11-011003-NP, Me Albert Zoltowski, Arbitre, 22 novembre 2011; Syndicat de la copropriété du 14815 Sherbrooke Est c. 9101-9901 Québec Inc. et La Garantie¸des bâtiments résidentiels neufs de l'APCHQ Inc.,  CCAC S09-230701-NP, Me Jean-Philippe Ewart, Arbitre, 5 août 2011;

 

 

[6] Teymour Sharifi et Froogh Rezanejhad c. Groupe Immobilier Grilli Inc. et La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc., Me Robert Masson, dossier Soreconi 061018003

[7] Article 116 du Règlement

[8] Articles 20 et 120 du Règlement