TRIBUNAL D’ARBITRAGE
Sous l’égide de
CENTRE CANADIEN D’ARBITRAGE COMMERCIAL (CCAC)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
CCAC : S17-070601-NP
ENTRE :
MAGALIE THIBODEAU ET
SYLVAIN GAGNON
« Bénéficiaires »
c.
GEMCO CONSTRUCTION INC.
« Entrepreneur »
Et
GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC
« Administrateur »
ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE
GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
DÉCISION ARBITRALE RENDUE LE 24 NOVEMBRE 2017
YVES FOURNIER ARBITRE
IDENTIFICATION DES PARTIES
BÉNÉFICIAIRES : MAGALIE THIBODEAU ET
SYLVAIN GAGNON
[...]
STE-CATHERINE DE-LA-JACQUES
CARTIER, (QUÉBEC)
[…]
REPRÉSENTÉS PAR
ME FÉLIX GUÉRIN
ENTREPRENEUR : GEMCO CONTRUSCTION INC.
5075, BOULEVARD HAMEL, # 215
QUÉBEC, (QUÉBEC)
G2E 5G3
(ABSENT)
ADMINISTRATEUR : GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC
Personne moralement constituée dont le siège social est situé au :
9200, BOUL. MÉTROPOLITAIN EST,
MONTRÉAL, (QUÉBEC)
H1K 4L2
REPRÉSENTÉE PAR
Me FRANÇOIS-OLIVIER GODIN
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DÉCISION
MANDAT ET COMPÉTENCE RATIO MATERIALE
[1] Le Tribunal fut saisi du présent dossier suite à une demande d’arbitrage formulée par les bénéficiaires le 6 juillet 2017. Le Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC) nomma le soussigné à titre d’arbitre le 7 juillet 2017 afin de disposer du litige.
[2] Les parties n’ont formulé aucune objection préliminaire et/ou touchant la compétence du Tribunal.
HISTORIQUE DES PRINCIPAUX FAITS ET PROCÉDURES
[3] Le 17 novembre 2011, les bénéficiaires signaient avec l’entrepreneur Gemco Construction Inc. un contrat d’entreprise et de garantie obligatoire de maison neuve pour la construction d’une résidence située au [...], à Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier au coût de $ 370,000.00 dollars.
[4] L’entrepreneur n’a remis à la bénéficiaire, suite à la signature du contrat, que la page frontispice et la dernière page du contrat, les bénéficiaires ne sachant pas que d’autres pages s’ajoutaient à celles-ci.
[5] Le début de la construction était prévu pour mars 2012 et la livraison pour le 15 juin 2012. La réception de l’immeuble prit place le 7 juillet 2012, malgré que plusieurs travaux restaient à compléter.
[6] Pendant la construction, l’entrepreneur et ses représentants firent preuve d’incompétence, de mauvaise foi et présentaient faussement l’état des choses ou de la situation aux bénéficiaires.
[7] Les 9 et 23 octobre 2012, les bénéficiaires dénonçaient 42 points à l’administrateur tout en produisant au conciliateur un rapport d’inspection daté du 23 octobre 2012 signé par Luc Thériault. Trente-six (36) points furent retenus par le conciliateur Martin Gignac, tel qu’en fait foi le rapport de conciliation du 16 novembre 2012 (A-8).
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[8] Une autre réclamation complémentaire émana des bénéficiaires le 10 avril 2013. Les deux (2) points en litige reçurent l’aval du conciliateur par son second rapport daté du 23 avril 2013 (A-9).
[9] Une nouvelle dénonciation fut formulée par les bénéficiaires en trois temps, soit le 27 novembre 2012 et les 8 et 11 mars 2013. Neuf (9) points litigieux étaient soumis au conciliateur qui, le 5 juin 2013, reconnaissait le bien fondé de ceux-ci (A-10).
[10] Un rapport complémentaire daté du 26 août 2014 (A-11) modifia les points 1,2,4,5,7,8,10, 11,12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 25, 30, 31, 34 et 35 du rapport de conciliation daté du 16 novembre 2012 à la suite d’une visite subsidiaire en date du 25 avril 2014. Le conciliateur ajoutait :
Considérant que « Gemco Construction Inc. » ne possède plus la licence appropriée, la Garantie Qualité Habitation Inc. devra procéder par voie de soumission pour l’exécution des travaux prévus aux points 1, 2, 4, 5, 7, 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 20, 21, 22, 23, 25, 28, 30, 31, 34 et 35 reconnus ci-après, le tout conformément au texte de garantie.
[11] Le 27 août 2014, monsieur Martin Gignac signait un autre rapport de conciliation complémentaire suite à une visite des lieux en date du 30 avril 2013 et modifiait certains points du rapport A-10.
[12] Le 28 avril 2015, une autre décision complémentaire (A-13) était livrée par le conciliateur suite à une visite des lieux en date du 30 octobre 2014. Ce dernier rapport modifiait le point 17 du rapport A-11.
[13] Le 4 mars 2015, Louis Renaud, directeur de l’Est du Québec pour la Garantie Qualité Habitation, écrivait (A-5) aux bénéficiaires leur réclamant la somme de $ 63,225.11 dollars pour être placée en fidéicommis, au plus tard le 31 mars 2015, afin de pouvoir autoriser le début des travaux et à défaut de ce faire les conclusions des rapports du conciliateur ne seraient pas exécutées par l’administrateur.
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[14] Le 20 juin 2017, monsieur Sylvain Beausoleil, directeur principal pour Qualité Habitation, écrivait (A-3) aux bénéficiaires pour les informer que l’administrateur n’entendait plus réaliser les travaux correctifs selon les différents rapports de conciliation rendus et non plus exiger le paiement des sommes dues par ces derniers à l’administrateur compte tenu que le délai de prescription était expiré.
[15] Monsieur Beausoleil s’explique ainsi. Dans l’éventualité où l’administrateur les indemniserait et qu’il intenterait un recours subrogatoire contre la caution, celui-ci se verrait opposer la prescription. Le défaut de paiement des sommes dues à l’administrateur au moment de cette lettre (A-3) prenait assise sur l’article 11 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments neufs.
[16] Cette lettre du 27 juin 2017 (A-3) de Sylvain Beausoleil constituait en soi une décision de l’administrateur.
[17] Le 6 juillet 2017, la bénéficiaire, Magalie Thibodeau, en appelait de cette décision du directeur principal de la garantie.
[18] Il va sans dire que ce condensé de l’historique des évènements recevra d’autres éléments, particulièrement de la bénéficiaire, qui permettront d’y voir un portrait plus complet du dossier.
PREUVE DE LA BÉNÉFICIAIRE
MAGALIE THIBODEAU
[19] D’entrée de jeu, madame Thibodeau insiste sur le fait que la Garantie de cinq (5) ans consentie à une maison neuve était une condition sine qua non à l’achat d’une nouvelle résidence. Son institution financière secondait fortement cette approche.
[20] L’individu, Sylvain Dufort, qui faisait office de promoteur fut remplacé par la suite par la compagnie Gemco, laquelle avait comme actionnaires principaux messieurs Gino Morin et Bruno Sanfaçon. Cette compagnie forte d’un certificat d’accréditation de la Garantie émis sa faveur, leur permettant de développer et de vendre des maisons neuves s’engageait auprès des bénéficiaires (A-14) à leur construire une résidence.
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[21] La bénéficiaire se qualifia d’une femme à son affaire dans la vie, d’autant plus que son conjoint était et est toujours dans les forces armées canadiennes et qu’il devait et doit partir souvent pour de longues missions à l’étranger.
[22] Presque quotidiennement, elle se rendait sur le chantier de construction. Elle a dû magasiner notamment pour la céramique et le bois franc cherchant toujours à obtenir le meilleur prix. Elle s’impliqua dans ce dossier du jour 1 jusqu’à ce jour.
[23] Elle commença à entretenir des doutes quant à l’entrepreneur dès la seconde semaine de la construction. Elle reçut des dénonciations de contrats des sous-contractants via les hypothèques légales. La compagnie Excavations Raymond Robitaille n’a pas reçu paiement pour les travaux de fondation, le chèque ayant passé directement entre les mains de l’entrepreneur malgré les instructions précises de la bénéficiaire.
[24] Gino Morin qui devait superviser les travaux était rarement sur place. Qui plus est, il n’avait aucune connaissance des matériaux. Elle devait se rendre dans les quincailleries pour faire le choix des pièces nécessaires. Idem pour le choix des revêtements extérieurs, pour lesquels elle a dû recourir aux services d’un certain Éric Desbiens.
[25] Elle apprit par la suite, via l’internet, que Gino Morin avait fraudé la Banque Nationale et avait déjà un lourd passé criminel, tels que séquestration et enlèvement.
[26] La pièce B-11 montre que plusieurs hypothèques légales furent enregistrées sur l’immeuble. Elle dira à la blague : « pendant deux ans j’ai déjeuné avec le huissier ». Plusieurs d’entre elles le furent sans droit.
[27] La bénéficiaire a dû entreprendre des recours judiciaires afin de faire radier plusieurs hypothèques légales enregistrées par des sous-contractants. L’exercice a nécessité du temps ce qui entraîna du délai pour avoir un titre clair. Évidemment, la Caisse Populaire Desjardins, la créancière hypothécaire, exigea leurs radiations et dès lors il y avait décaissement (Index aux immeubles B-11).
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[28] En plusieurs temps, tel que relaté dans la section « historique », elle a formulé des dénonciations à l’administrateur pour lesquelles, le conciliateur lui donna raison pour la grande majorité d’entre elles.
[29] Elle était souvent dans le néant face aux procédures à entreprendre ou face à ses droits et obligations puisqu’à la signature du contrat (A-14) les bénéficiaires n’ont reçu que les premières et dernières pages du contrat ignorant totalement qu’il en contenait d’autres.
[30] Elle n’a pris connaissance du document dans son entièreté qu’en juin 2017 suite à la décision de Sylvain Beausoleil (A-3) alors qu’elle a dû se rendre au siège social de la Garantie pour obtenir un formulaire.
[31] Dans la lettre du 31 janvier 2013 de Louis Renaud du bureau du Québec, ce dernier lui exigea d’autoriser son institution financière à transférer les sommes retenues pour l’immeuble afin que l’administrateur puisse parachever les travaux dans le cadre de la garantie.
[32] D’autres résidences dans le quartier où les bénéficiaires habitaient subissaient le même traitement de l’entrepreneur et les mêmes conséquences.
[33] Pour le témoin, les hypothèques légales enregistrées en cours de route proviennent de la malhonnête et de l’incompétence de l’entrepreneur. La somme due à la Garantie demeurait toutefois toujours entre les mains de la Caisse Populaire tant et aussi longtemps que les hypothèques n’étaient pas radiées.
[34] Le 18 décembre 2013, madame Thibodeau écrit à la Caisse (B-2) demandant un engagement de cette dernière à verser toutes sommes restantes suite aux paiements des hypothèques légales reconnues à Qualité Habitation, en vue du parachèvement des travaux. Madame Brigitte Blier lui répond (B-2) « qu’il est possible d’avoir une lettre pour Qualité Habitation sans problème ».
[35] En deux (2) occasions le notaire (Me Garant) a remis directement aux sous-contractants ou à l’entrepreneur des sommes que ne devaient pas être encaissées par eux initialement. Elle dénonça au syndic des notaires cette situation.
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[36] En date du 4 mars 2015, Louis Renaud écrivait une lettre (A-5) aux bénéficiaires qui dit essentiellement :
Bonjour,
Après étude de votre dossier et après avoir terminé le processus de soumission pour les travaux restants à faire sur votre propriété, nous sommes prêts à octroyer les travaux au plus bas soumissionnaire retenu soit la firme CPR Construction.
Toutefois avant de pouvoir autoriser à ce dernier à débuter les travaux vous devez nous transmettre en fidéicommis la somme de 63 125.15$. Le calcul de cette somme a été préparé par monsieur Beausoleil selon les détails suivants :
…
Sur réception en fidéicommis de la somme de 63 225.11$ d’ici le 31 mars 2015 nous pourrons autoriser le début des travaux, dans le cas contraire votre dossier de réclamation sera fermé en cette même date.
(Je souligne)
[37] Le bénéficiaire explique que le long délai à pouvoir finaliser le décaissement découlait du long processus judiciaire visant la radiation des hypothèques légales pour lesquelles les bénéficiaires n’étaient d’aucune façon responsables.
[38] Suite à la missive du 4 mars 2015 (A-5), madame Thibodeau écrit à Sylvain Beausoleil (B-4). Je reprends leurs échanges par courriel :
Je vous fais parvenir des documents expliquant les sommes déboursées ainsi que leurs destinataires. Vous en recevrez aussi dans un deuxième courriel.
Nous ne serons pas en mesure de verser le solde contractuel dans votre compte en fidéicommis avant le 31 mars 2015, puisque la caisse détient toujours les montants restants en attente de la décision de la cour concernant GLP Paysagistes.
Est-ce qu’une entente écrite avec la caisse pourrait fonctionner ?
Merci et j’attends de vos nouvelles!
Magalie Thibodeau,
(Je souligne)
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[39] Le 25 mars 2015, Sylvain Beausoleil lui répond :
Afin de nous permettre de reconnaître les paiements, nous vous demandons de bien vouloir nous faire parvenir les dénonciations de contrats de Gaubeau Construction Inc. avant ses travaux et de 9253-5384 Québec Inc..
De plus, est-ce possible de nous transmettre copie de la requête dans le dossier de GLP paysagiste.
(Je souligne)
[40] Le même jour madame Thibodeau lui indiqua qu’elle avait transmis sa demande à son avocat et qu’elle attendait un retour des documents.
[41] Par la suite, d’autres échanges de courriels prirent place avec Julie Rochette de la Garantie, lesquels traitaient notamment de problèmes à l’immeuble, de confirmation d’envois, de rencontres avec le conciliateur (B-5, B-6, B-7 et B-8). Elle argumente : pourquoi le conciliateur s’est-il rendu à son domicile après le 31 mars 2015 si le dossier était fermé selon la lettre du 4 mars 2015 (A-5) et pourquoi la Garantie donnait toujours suite à ses courriels?
[42] Ayant appris que toutes les hypothèques étaient levées, le 5 juin 2017, elle téléphone à monsieur Beausoleil qui lui mentionne être surpris de son appel croyant qu’elle avait abandonné les procédures. Il lui fait part qu’un délai de prescription de trois (3) ans lui a fait perdre ses droits et que la Garantie ne pourra s’exécuter suite aux décisions arbitrales rendues.
[43] Le 12 juin 2017, elle lui répond et argumente par courriel (A-7) sur l’historique du dossier et de ses démarches antérieures et lui demande à l’ordre de qui le chèque final doit être fait. Elle ajoute que l’argent exigible par la Garantie fut toujours là, mais qu’il était entre les mains de la Caisse Populaire. Aussi, elle s’est toujours exécutée dans les meilleurs délais.
[44] Elle fait état que Qualité Habitation l’a convoquée en avril 2016 à titre de témoin dans un recours contre l’entrepreneur et les cautions. Elle est partie de Québec pour aller témoigner à Montréal et elle corrobora en tout point l’argumentation de la Garantie. Elle fut une bonne collaboratrice et elle s’est toujours comportée de façon courtoise.
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[45] En bout de piste madame Thibodeau fait part qu’elle n’est pas celle qui a accordé le certificat d’accréditation de la Garantie en faveur de l’entrepreneur, qu’elle s’est toujours exécutée dans les meilleurs délais en tenant compte dans les circonstances de l’incompétence et la malhonnêteté de Gemco et qu’elle a dû payer des sommes astronomiques d’avocats pour obtenir un titre clair.
CONTRE-INTERROTATOIRE
[46] La bénéficiaire reconnaît qu’elle ne savait ce que signifiait les numéros # 92883 C 4924 et # 92883 C 5325 apposés comme numéro de dossier et de conciliation aux décisions rendues par le conciliateur tout comme en B-6 où le numéro 92883-8720 est montré en objet.
[47] Madame Thibodeau a souvenir que de la marchandise fut livrée sur son terrain permettant de lui donner accès à son garage puisque monsieur Renaud trouvait inacceptable qu’elle doive monter dans une échelle pour atteindre le plancher de sa résidence alors qu’elle avait deux (2) enfants de 2 et 3 ans et que son mari était alors dans une mission en Afghanistan pour l’armée canadienne.
[48] Gino Morin, l’homme derrière Gemco, l’a rencontrée à deux reprises après sa disparition du chantier alors qu’elle était accompagnée de ses enfants. Il s’est permis de l’intimider et de frapper son véhicule.
[49] Alors que ce même individu n’avait pas payé ses employés ou sous-traitants avant les vacances de la construction en 2012, ces derniers se présentaient à son domicile et la menaçaient ainsi :
« Tu vas payer parce que tu sais ce qui va t’arriver. On sait que ton chum n’est pas là. On va rentrer et on va te faire payer. »
[50] La police a dû alors intervenir. Elle ajoute : « j’en ai vu de toutes les couleurs, c’étaient pas des enfants de cœur ».
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[51] Suite à la lettre du 31 janvier 2013 (A-4) de Louis Renaud, elle s’adressa à lui pour lui confirmer que les sommes redevables à la Garantie se trouvaient à la Caisse et d’ajouter « les sommes ont toujours été retenues ».
[52] Relativement au courriel du 20 décembre 2013 de Brigitte Blier, elle n’est pas en mesure d’affirmer si celle-ci a donné suite. Elle poursuit en faisant la remarque que personne ne lui a dit ou écrit : si tu nous remets une lettre de la Caisse nous allons entreprendre les travaux.
PREUVE DE L’ADMINISTRATEUR
SYLVAIN BEAUSOLEIL
[53] Monsieur Sylvain Beausoleil est le directeur principal de la conciliation et fait la gestion de Garantie Habitation. Il s’occupe notamment du service de réclamation.
[54] Il fut mis au fait de la problématique avec Construction Gemco en 2012. Il voulait s’assurer que les sommes qui étaient dues seraient protégées et non remises à l’entrepreneur. Il s’assurait de recevoir les preuves de paiements qui étaient faits et quelles sommes demeuraient dues.
[55] Il a souvenir d’avoir rencontré Me Félix Guérin, procureur des bénéficiaires, pour discuter de la problématique avec Gemco.
[56] Pour l’appel de juin 2017 de la bénéficiaire il en fait le même compte-rendu.
[57] Il fut mis en copie conforme quant à la lettre de Louis Renaud, du 31 janvier 2013 (A-4), pour la raison suivante :
« On avait des discussions avec Renaud pour s’assurer que les sommes soient déposées. »
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[58] Il discuta avec la bénéficiaire en 2015 afin de démêler les sommes qui avaient été versées. Déjà en 2013 (B-1) il avait entrepris des discussions avec madame Thibodeau au même effet. Relativement aux hypothèques légales il existe une exclusion dans la garantie, indique-t-il. Par contre, si un bénéficiaire pouvait lui démontrer de façon claire que le processus avait été respecté ça ne voulait pas dire que nécessairement que cette exclusion serait appliquée.
[59] Monsieur Beausoleil signale qu’il savait que les bénéficiaires étaient des victimes de l’entrepreneur.
[60] Il n’a jamais communiqué avec la Caisse Populaire. Il a reçu la confirmation que l’institution financière avait les sommes lors d’une conversation avec le bénéficiaire le 5 juin 2017.
[61] Le témoin explique qu’il a rendu sa décision le 20 juin 2017 (A-3) parce qu’il y avait la notion de la prescription de trois (3) ans qui existe au niveau du Code civil du Québec. Il devait obtenir des preuves de déboursés pour exercer les recours contre les cautions.
«Si je ne sais pas combien ça va coûter je ne peux entreprendre des poursuites contre personne. Nous on perd tous nos recours. Les coûts de réparation sont plus élevés. Le délai s’applique contre nous et par conséquent contre madame Thibodeau. »
CONTRE-INTERROTATOIRE
[62] Me Guérin entreprend le contre-interrogatoire en demandant à monsieur Beausoleil à quel moment Bruno Sanfaçon, la caution de Gemco, a refusé de poursuivre les travaux.
[63] Il situe la renonciation à poursuivre les travaux vers la fin de 2013, et ajoute : « ça peut sembler logique, à la fin 2013 ». La Garantie avait avisé Sanfaçon qu’elle n’allait pas le payer pour les travaux puisqu’il était caution de Gemco.
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[64] Ceci explique pourquoi la Garantie a donné ouverture à une autre réclamation en 2015, laquelle est totalement distincte des deux autres dossiers. La lettre du 20 juin 2017 (A-3) faisait état des réclamations entre le 9 octobre 2012 et le 11 mars 2013 excluant ainsi celle de 2015.
[65] Quant à l’obligation d’exiger le montant avant qu’il y ait des travaux autorisés, le représentant de l’administrateur s’exprime ainsi :
«Il faut qu’on ait une confirmation que les sommes ont été déposées en fidéicommis auprès d’un notaire, d’un avocat. Dès que l’on reçoit une lettre d’un notaire qui dit qu’on détient la somme en fidéicommis laquelle vous sera remise lorsqu’il y aura exécution des travaux. C’est pas obligé que ce soit en fidéicommis chez nous. »
[66] Il précise du pourquoi la Caisse fut mise en copie conforme dans la lettre du 31 janvier 2013 (A-4) signée par Louis Renaud :
« Pour s’assurer que la Caisse ne distribue pas les sommes qui nous sont dues ».
[67] Le procureur des bénéficiaires confronte monsieur Beausoleil au fait qu’en toutes occasions la Garantie à requis le versement de la somme due. Il lui souligne les passages de sa lettre du 20 juin 2017 (A-3) où il est écrivait :
…
· Le ou vers le 31 janvier 2013, une correspondance de l’administrateur1 vous était adressée quant au versement requis afin que l’administrateur procède à la réalisation des travaux correctifs;
· Le ou vers le 4 mars 2015, une deuxième correspondance de ‘administrateur2 vous était adressée quant au versement requis afin que l’administrateur procède à la réalisation des travaux correctifs. À cet effet, l’administrateur requérait de votre part le versement de la somme de 63,325.11$ d’ici le 31 mars 2015 sous peine de fermeture de votre dossier.
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…
Conséquemment, puisque tout recours subrogatoire est maintenant prescrit avant même que vous ayez été indemnisés par l’administrateur, cette prescription du 4 mars 2015 vous enjoignant de verser toutes sommes dues, l’administrateur n’entend pas réaliser les travaux correctifs requis selon les différents rapports de conciliation rendus, non plus exiger le paiement des sommes dues.
(Je souligne)
[68] Le témoin ne pouvant nier l’assertion indique « on veut une confirmation ». Monsieur Beausoleil reconnaît qu’il était au fait des procédures judiciaires en regard des hypothèques légales.
[69] Malgré le fait que la prescription se terminait, selon lui à l’automne 2016, il considère que le dossier devait se fermer le 31 mars 2015, tel que mentionné dans la lettre du 4 mai 2015 (A-4). Curieusement et heureusement le procureur de l’administrateur n’a jamais argumenté que le recours s’était éteint en mars 2015.
[70] Quant au recours en subrogation, il s’exprime ainsi :
Je ne peux pas réclamer à un entrepreneur des sommes que je n’ai pas déboursées, sans savoir si les sommes qui sont dues ne sont pas sécurisées. Je ne peux faire ça.
[71] Le directeur de Garantie n’a pas de souvenir quant à une décision avec la bénéficiaire au cours de laquelle il aurait exigé un engagement de la Caisse.
[72] Questionné par le Tribunal, il mentionnera que malgré qu’il fût assisté d’un avocat pour la rédaction de sa lettre du 20 juin 2017 (A-3), il avait déjà la connaissance à l’époque (2012) que le délai de prescription était de trois ans tout en ciblant l’automne 2016 comme la fin de celle-ci. Il doit concéder que cette situation ou cette prescription n’apparaît pas dans le contrat de garantie.
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QUESTION EN LITIGE
[73] La question en litige peut ainsi être formulée : la prescription énoncée et appliquée par l’administrateur pour décliner son obligation de s’exécuter quant aux points pour lesquels le conciliateur a donné raison aux bénéficiaires est-elle applicable en l’espèce compte tenu des faits et du droit ?
ARGUMENTATION
BÉNÉFICIAIRE
[74] À l’ouverture, Me Félix Guérin cible l’art. 11 du Règlement(1) qui stipule :
11. Dans le cas d’intervention de l’administrateur pour parachever des travaux relatifs à un bâtiment, le bénéficiaire doit faire retenir par son institution financière ou verser dans un compte en fidéicommis auprès d’un avocat, d’un notaire ou de l’administrateur du plan toute somme encore due en vue du paiement final des travaux qui seront exécutés par l’administrateur pour compléter ou corriger les travaux prévus au contrat original ou les travaux supplémentaires prévus à toute entente écrite convenue avec l’entrepreneur.
[75] L’administrateur a faussement requis des versements dans chacune des lettres adressées aux bénéficiaires, ce qui va à l’encontre de ce que l’article 11 du Règlement requiert, à savoir « de faire retenir par son institution financière ou verser dans un compte en fidéicommis auprès d’un avocat, d’un notaire ou de l’administrateur du plan toute somme encore due en vue du paiement final des travaux … »
[76] Il existe pour la Caisse un processus rigoureux de décaissement qui se veut incontournable et nécessaire.
[77] En aucun temps les bénéficiaires furent avisés, soit qu’il existait contre eux une prescription découlant de l’exécution de l’entrepreneur, ni quand viendrait à échéance ladite prescription et ses conséquences.
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(1) Règlement sur le plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs R.R.Q. c. B-1-1,02
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[78] Le procureur fait un parallèle avec le sinistré en matière d’assurance. Dans le cas où ce dernier se conforme à ses obligations pour dénoncer un refoulement d’égouts ou autre et que l’assureur tarde à payer et n’aurait pas exécuté les travaux et à l’expiration d’un certain délai, et qu’il n’a plus de recours contre le responsable du dommage, l’assuré n’aurait alors plus de recours contre l’assureur lequel aurait négligé de prendre les recours utiles en temps opportun.
[79] De toute évidence, soutient-il, toutes les sommes restantes entre les mains de la Caisse iront à la Garantie une fois les sous-traitants payés puisque l’entrepreneur est déjà en faillite.
[80] Le procureur des appelants soumet l’arrêt de la Cour d’appel dans Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Toitures Trois Etoiles (2). Le Tribunal écrit :
…
[8] Le juge décide que, dès avant le début des travaux correctifs, le patrimoine de l’appelante était grevé de l’obligation envers le syndicat des copropriétaires de les faire effectuer. Une fois l’obligation établie par le rapport d’inspection, le patrimoine de l’appelante était exposé à une poursuite potentielle de la part du syndicat. Ce potentiel s’est réalisé lorsque l’entrepreneur général n’a pas effectué les travaux correctifs. L’appelante constatait dès lors sans équivoque son obligation et sa perte et la prescription commençait alors à courir vu que tous les éléments du recours contre l’intimée étaient réunis.
…
[10] Même si le montant précis des dommages n’était pas connu à ce moment, l’appelante savait qu’elle avait subi un préjudice puisqu’elle devait payer le coût de ces travaux vu que l’entrepreneur général faisait défaut d’y pourvoir. Elle était en mesure d’agir pour interrompre la prescription extinctive et pouvait ensuite procéder par amendement au fur et à mesure que l’étendue précise de ses dommages était connue par la réception des factures.
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(2) 2010 QCCA 397
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[81] Dès lors, l’administrateur se devait d’intenter un recours contre les cautions même si le montant précis des travaux n’était pas encore connu.
[82] L’avocat souligne que malgré une recherche pointue il n’a pas trouvé de jurisprudence sous l’article 11 du Règlement.
[83] Rien n’empêchait l’administrateur de mettre un terme à l’écoulement de la prescription en l’interrompant par le biais d’un recours contre les cautions d’autant qu’il y avait déjà un recours d’entrepris par la Garantie contre celle-ci. Le montant présenté par le soumissionnaire à l’administrateur pour l’exécution des conclusions des décisions du conciliateur cadrait suffisamment et adéquatement.
[84] Les bénéficiaires ont toujours voulu respecter l’article 11 du Règlement. Madame Thibodeau a tout fait en son pouvoir et à ses frais pour que les sommes d’argent qui étaient redevables aux sous-traitants le soient en conformité avec la loi et avec la preuve que les travaux avaient été exécutés.
[85] Elle a soumis à la Garantie la possibilité d’obtenir une lettre de la Caisse. Cette proposition est restée lettre morte.
[86] La pièce B-10 démontre que le décaissement fut vérifié.
[87] Dans le cadre du dossier actuel et avec toutes ses particularités, l’arbitre peut trancher en équité comme cela lui est permis en vertu du Règlement d’autant que les sommes étaient sécurisées.
[88] Quant à la jurisprudence soumise par l’administrateur, mise à part la première décision (3), les autres montrent que les délais sont attribuables à la garantie et leur trame factuelle est fort différente.
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(3) Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Myl Développement Inc. et Mario Lévesque, 2011 QCCA 56
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[89] En conclusion, le Tribunal devrait déclarer les réclamations des bénéficiaires totalement applicables et ordonner le parachèvement des travaux tel que mentionné dans les rapports du conciliateur.
ADMINISTRATEUR
[90] Il n’y a aucune prétention en l’espèce que les bénéficiaires sont de mauvaise foi indique en ouverture Me François-Olivier Godin. Il ajoute que la bénéficiaire a fait du mieux qu’elle pouvait.
[91] Répondant à l’argument que l’administrateur aurait toujours demandé dans ses écrits le versement des sommes, le procureur rétorque par l’envoi d’un courriel (B-2) par Magalie Thibodeau à Brigitte Blier de la Caisse en date du 18 décembre 2013…
Bonjour Brigitte,
J’espère que tu vas bien!
Le directeur de Qualité Habitation, M. Beausoleil, me demandait un engagement de la Caisse à verser toutes sommes restantes, suite aux paiements des hypothèques légales valables, à Qualité Habitation, en vue du parachèvement des travaux.
Est-il possible d’obtenir une lettre de ce genre de votre part? De toute façon, Gemco étant sans licence, les sommes dues doivent être versées directement à Qualité Habitation.
(Je souligne)
…
[92] Aussi, par la réponse de madame Blier le 20 décembre 2013 (B-2), tout en insistant sur le mot « possible ». Le Tribunal reproduit la phrase en cause :
Je pense qu’il sera possible d’avoir une lettre pour Qualité Habitation sans problème.
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[93] Cette correspondance de la représentante de la Caisse n’a jamais eu de suite. Faut-il aussi y greffer qu’une confirmation nécessite que les sommes soient retenues et versées une fois les travaux réalisés par la Garantie.
[94] Pour l’administrateur, amender son recours et suspendre jusqu’à ce que les sommes soient payées relèvent d’un non-sens. Il l’exprime également dans ces termes : « L’entrepreneur ou la caution, je les poursuis pour suspendre la prescription, mais je ne sais pas si le bénéficiaire nous versera les sommes dues …». Il manque minimalement un ingrédient essentiel au recours.
[95] Parlant de la prescription, le procureur rapporte la décision Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. Myl Développement Inc. (4) de la Cour d’appel du Québec, où le juge André Rochon, au nom de la Cour, écrivait :
[37] À titre de subrogée, l’appelante n’est pas dans une position juridique différente de tous autres créanciers subrogés aux termes de l’article 1656 C.c.Q. Dans bien des cas, ces créanciers acquièrent le droit à la subrogation après avoir satisfait à certaines conditions ou après avoir subi certains délais. À titre d’exemple, l’assureur est subrogé dans les droits de l’assuré jusqu’à concurrence des indemnités qu’il a payées (2474 C.c.Q.). Notre Cour a spécifiquement rejeté l’argument de l’assureur sur la date de départ de la prescription comme le notent les auteurs Lluelles et Moore :
« La subrogation ne peut pas nuire au débiteur, puisque celui-ci n’a, bien souvent, pas consenti à celle-ci. Ainsi, le payeur-subrogé n’obtient pas plus de droits que n’en avait le créancier-subrogeant (art. 1651, al.2). De plus, le débiteur, de même que ses garants, peuvent opposer au subrogé « […] les moyens qu’ils avaient conte le créancier originaire » (art. 1657), qu’ils soient liés à la validité du contrat, à son exécution ou encore à tous motifs concernant l’acte subrogatoire. Il en va également de même pour la prescription qui n’est pas modifiée par le paiement subrogatoire; le payeur-subrogé doit donc agir dans le délai qui s’imposait au créancier-subrogeant. C’est pourquoi la Cour
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(4) OPUS CITÉ
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d’appel a rejeté le recours subrogatoire d’une compagnie d’assurance pris à l’encontre de la Ville de Baie-Comeau, au motif que ce recours était prescrit selon la Loi sur les cités et villes. La Cour a rejeté l’argument de la compagnie d’assurances selon lequel son délai d’action commençait à courir au jour du paiement fait à son assuré ».
[96] Dans une autre décision soumise, à savoir, Jean-Marcel Louis et Garantie des Bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ et 9141-1074 Québec Inc. (5), Me Johanne Despatis s’exprimait ainsi :
« (99) La procureur de l’administrateur a plaidé que tel n’est pas le cas et que comme tous les recours civils, la réclamation dont il s’agit est sujette à un délai; en l’occurrence celui du droit commun prévu à l’article 2925 du Code civil du Québec dispose :
L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
(100) Faute d’argument à l’effet contraire, il me parait raisonnable de faire droit à l’argument suggéré et de retenir que la prescription prévue à l’article 2925 du Code civil du Québec s’applique ici.
(101) Selon la preuve, le bénéficiaire a signalé le 21 septembre 206 qu’il y avait un bombement au plancher du sous-sol. L’entrepreneur n’a fait aucune démarche corrective et plutôt suggéré d’attendre et de laisser passer une année. Toujours en présence du problème, un an plus tard, le bénéficiaire tente en vain de joindre l’entrepreneur. Malgré l’échec de ses efforts, les choses en restent là et ce n’est qu’en 2010, selon la preuve donc quatre ans après la réception qu’il saisit l’administrateur du problème et exerce son recours. Hélas rendu en septembre 2010, plus de trois ans s’étaient écoulés depuis la réception en septembre 2016. Cet avis à l’administrateur était tardif et donc, sa réclamation irrecevable.
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(5) (GAMM), 2011-19-003
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[97] Pour Me Godin, il y avait, en l’espèce, une condition suspensive incertaine qui empêchait le recours en subrogation contre l’entrepreneur et/ou les cautions.
[98] La prescription existe pour les bénéficiaires aussi. Leur impossibilité de faire retenir les sommes dues ne peut être imputable à l’administrateur. La décision de l’administrateur du 20 juin 2017 doit, compte tenu de la preuve, être maintenue.
ANALYSE ET DÉCISION
[99] Le Règlement sur le Plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs est d’ordre public(6). Il campe les conditions applicables à ceux qui désirent administrer un plan de garantie. Il enchâsse tant les modalités que les limites du plan de garantie tout comme le contenu du contrat de garantie auquel le bénéficiaire a adhéré. Les difficultés d’interprétation que peut rencontrer l’arbitre ainsi que les questions quant aux droits des bénéficiaires ou de l’entrepreneur doivent trouver normalement réponse dans le Règlement.
FARDEAU DE PREUVE
[100] Puisque les bénéficiaires contestent le bien-fondé de la décision de l’administrateur, le fardeau de preuve repose sur leurs épaules. L’article 2803 du Code civil du Québec énonce :
« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »
[101] L’article 2804 Code civil du Québec mérite également qu’il soit reproduit puisqu’il définit la preuve prépondérante.
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(6) Articles 3, 4, 5, 105, 139 et 140 du Règlement
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« La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »
[102] Pour les bénéficiaires il suffit que leur preuve soit prépondérante. La Cour suprême dans l’arrêt Montréal Tramways Co. C. Léveillé (7), nous enseignait :
« This does not mean that he must demonstrate his case. The more probable conclusion is that for which he contends, and there is anything pointing to it, then is evidence for a court to act upon.”
[103] En 2008, la Cour suprême du Canada traitait ainsi de la norme applicable en matière civile laquelle se veut similaire à celle en matière réglementaire (8) :
«En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de prévue s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la prévue pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu (…) »
[104] Rien ne peut être mathématiquement prouvé (9). La décision doit être rendue judiciairement et par conséquent en conformité aux règles de preuve généralement admises devant les tribunaux. Le Règlement étant d’ordre public, le Tribunal ne peut décider par complaisance ou par le fait que la preuve présentée par l’une des parties se veut sympathique.
[105] Il fait rappeler que finalement l’article 116 du Règlement donne au Tribunal le pouvoir de faire appel à l’équité en certaines circonstances.
[106] Le rôle du Tribunal est d’analyser la preuve soumise quant à un différend découlant d’une décision du conciliateur (administrateur) touchant une ou des dénonciations ou autrement et par conséquent de reconnaître ou pas si ce
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(7) [1993] R.C.S. 456
(8) F.H. c. McDougall, [2008] CSC 53 (Call)
(9) Rousseau c. Bennett, [1956] R.C.S. 89
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dernier a correctement analysé la ou les dénonciations dans le cadre de la Garantie ou les obligations du bénéficiaire, ou si l’entrepreneur a manqué ou pas à ses obligations tant contractuelles que légales qui circonscrivent la couverture de la Garantie.
LE CONTRAT DE GARANTIE
[107] Le contrat de la Garantie se veut un contrat de cautionnement qui garantit l’ouvrage et l’exécution déterminés et convenus avec l’entrepreneur. Ce contrat de cautionnement garantit l’exécution des travaux contre les malfaçons et les vices, notamment.
[108] Mon collègue, Me Robert Masson dans SDC du 8673, 8675 et 8677 Centrale c. Constructions Melval Inc. et Garantie Habitation du Québec Inc. (10) en traitait ainsi :
[28] Ce contrat de cautionnement est un contrat intervenu en marge d’un autre contrat, le contrat d’entreprise (le contrat de construction), et au bénéfice d’une tierce partie, le propriétaire, qui n’y intervient pas.
[29] C’est un contrat conditionnel et limitatif en ce que la caution indique explicitement dans quelles conditions s’ouvriront les garanties qu’elle offre et quelles sont ces garanties. On retrouve ces conditions à l’article 7 du Règlement :
« Un plan de garantie doit garantir l’exécution des obligations légales et contractuelles d’un entrepreneur dans la mesure et de la manière prévue [au Règlement]. » (Le soulignement est du Tribunal d’arbitrage).
[30] C’est aussi un contrat de cautionnement règlementé car toutes les clauses du contrat sont la reproduction intégrale, en faisant les adaptations nécessaires, d’extraits du Règlement qui impose cette intégralité.
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(10) SOQUIJ, AZ 50507627
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[31] À cet égard, il est utile de reproduire l’article 27 du Règlement traitant de la garantie relative aux bâtiments détenus en copropriété divise :
…..
[32] Enfin, le Tribunal d’arbitrage est d’opinion que l’économie générale du Règlement et les buts visés par le législateur, tel que l’exprime plus haut le Procureur général du Québec, l’inscrivent au type des lois de la production du consommateur. Il est d’ordre public et on ne peut y déroger. À preuve, les articles suivants du Règlement :
« 3 Tout plan de garantie auquel s’applique le présent règlement doit être conforme aux normes et critères qui sont établis et être approuvé par la Régie (du bâtiment du Québec).
4 Aucune modification ne peut être apportée à un plan approuvé à moins qu’elle ne soit conforme aux normes et critères établis par le présent règlement.
5 Toute disposition d’un plan de garantie qui est incompatible avec le présent règlement est nulle.
….
19.1 Le non-respect d’un délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie par le bénéficiaire ne peut lui être opposé lorsque l’entrepreneur ou l’administrateur manque à ses obligations … à moins que ces derniers ne démontrent que ce manquement n’a eu aucune incidence sur le non-respect du délai ou que le délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie ne soit échu depuis plus d’un an.
105 Une entente [suivant la médiation] ne peut déroger aux prescriptions du présent règlement.
…
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138 Le bénéficiaire n’est tenu à l’exécution de ses obligations
prévues au contrat conclu avec l’entrepreneur qu’à compter
du moment où il est en possession d’un double du contrat
de garantie dûment signé.
139 Toute clause d’un contrat de garantie qui est inconciliable avec le présent règlement est nulle.
140 Un bénéficiaire ne peut, par convention particulière, renoncer aux droits que lui confrère le présent règlement »
[33] L’article 6.1 de la Loi sur la protection du consommateur (L.R.Q., c. P-40.1) confirme aussi cette classification :
« 6.1 Le présent titre, le titre II relatif aux pratiques de commerce, les articles 264 à 267 et 277 à 290 du titre IV, le chapitre I du titre V et les paragraphes c. k et r de l’article 350 s’appliquent également à la vente, à la location ou à la construction d’un immeuble »
….
[35] Pour résumer. La garantie offerte par l’entrepreneur et administrée par la Garantie habitation du Québec Inc. Dans le cadre du Règlement sur le plan de Garantie des bâtiments résidentiels neufs est un contrat de cautionnement réglementé. C’est aussi un contrat s’inscrivant au titre des lois de la protection du consommateur et, à certaines conditions, un contrat de consommation. Enfin, c’est un contrat d’ordre public.
[109] Me Robert Masson n’est pas le seul arbitre à avoir qualifié le Règlement de contrat de consommation, bien d’autres l’ont confirmé.
L’ÉQUITÉ
[110] Les délais auxquels fait face un bénéficiaire sont inscrits tant dans le contrat de garantie que dans le Règlement afin qu’il puisse connaître clairement ses recours pour pouvoir les exercer ultimement.
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[111] Dans le présent cas, l’entrepreneur n’a pas remis le contrat intégral aux bénéficiaires. Ils se sont vus remettre que la première et dernière pages. L’omission de l’entrepreneur lie l’administrateur.
[112] En aucun temps, l’administrateur n’a requis des bénéficiaires de s’exécuter par écrit ou autrement face à la prescription, ni de les renseigner quant à la possibilité d’une exécution de la garantie à défaut de respecter l’article 11 du Règlement avant l’échéance de la prescription triennale. Ce refus ou cet oubli s’inscrit dans un contexte où l’administrateur connaissait les avenants et aboutissements d’un défaut par les bénéficiaires de s’exécuter face à la prescription.
[113] Les articles 137 et 138 du Règlement traitant du double du contrat de garantie mentionnent :
137. L’entrepreneur doit remettre au bénéficiaire un double du contrat garantie dûment signé et en transmettre une copie à l’administrateur.
138. Le bénéficiaire n’est tenu à l’exécution de ses obligations prévue au contrat conclu avec l’entrepreneur qu’à compter du moment où il est en possession d’un double du contrat de garantie dûment signé.
[114] La compréhension des termes de ces articles est sans équivoque. Les bénéficiaires devaient recevoir une copie du contrat. Le témoignage de la bénéficiaire n’a jamais été contredit et j’ajouterai que tout son témoignage doit être reçu par le Tribunal. Elle a présenté les deux pages qu’on leur avait remises. Elle s’est montrée transparente, non hésitante, claire, précise et en possession de l’historique des évènements. Le procureur de l’administrateur a lui-même reconnu sa bonne foi.
[115] L’article 138 du Règlement est opposable à l’administrateur car l’article 136 énonce que la signature opposée par l’entrepreneur lie l’administrateur puisqu’il agit comme son représentant. De plus, le Règlement oblige l’administrateur à prendre fait et cause pour l’entrepreneur advenant son détachement ou s’il ne respecte pas le plan de garantie. C’est la règle de droit qui prend place : « Non addiplendi contractus ».
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[116] Le Tribunal rappelle que les hypothèques légales sont notamment le résultat de l’incompétence, de combinaisons ou de manœuvres dolosives de l’entrepreneur. Les bénéficiaires ne devraient pas assumer les conséquences d’un tel comportement du représentant de l’administrateur.
[117] Dans les circonstances le Tribunal ne peut mettre de côté l’article 116 du Règlement édite :
116. Un arbitre statue conformément aux règles de droit : il fait aussi appel à l’équité lorsque les circonstances le justifient.
[118] La jurisprudence sous l’article 116 du Règlement accorde l’application littérale de cette disposition, laquelle permet de remédier à une situation donnée qui entraîne un déni de justice. De là, la nécessité de recourir à l’équité. Cette induction fut retenue notamment par Me Michel A. Jeannot (11) et Me Jeffrey Edwards. (12)
[119] L’ancien juge en chef de notre plus haut tribunal, le juge Lamer, écrivait dans l’arrêt S. Schachter c. Canada (13), à la page 683 :
Lorsque l’on détermine s’il faut donner une interprétation large à un texte législatif, la question n’est pas de savoir si les tribunaux peuvent prendre des décisions qui entrainent des répercussions de nature financière, mais bien jusqu’à quel point il est de circonstance de le faire.
[120] L’équité introduit l’idée de proportion, d’équilibre entre la finalité d’une loi et les conséquences de l’acte pour la personne qu’il touche. On peut parler d’égalité de traitement. L’équité peut interpréter le droit à la lumière de la finalité d’une loi au lieu d’annihiler un droit pour une condition technique ou de forme.
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(11) SDC Les Villes du Golf, phase II c. Les maisons Zibeline et la Garantie habitation et la Garantie des Maisons Neuves de l’APCHQ, CCAC, S09-180801-NP et S09-100902-NP, 15 mars 2010 et Syndicat des Villas sur le Parc Rembrandt c. Les Villes sur le Parc Rembrandt et la Garantie Qualité Habitation, Soreconi, 060309001, 8 mars 1009
(12) CCAC, S09-070101-NP, 14 décembre 2009, [2009] Can 11, 60440
(13) (1992) 2 R.C.S. p.679.
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[121] Je suis d’avis que le décideur qui joue un rôle d’interprète du droit ne peut créer des normes. Les interventions en équité doivent s’appuyer sur des balises qu’on pourrait regrouper ainsi. D’abord, il faut respecter l’intention du législateur, puis évaluer la gravité du préjudice et finalement déterminer s’il est opportun de déroger.
[122] Je le rappelle, le Règlement fut adopté pour protéger les consommateurs acheteurs de maisons neuves et le Tribunal reconnaît qu’il doit être interprété en sa faveur.
[123] Il m’apparaît que de ne pas reconnaître l’esprit du Règlement, le bon sens ou l’équité serait à toute fin pratique fermer les yeux sur le refus de livrer la bonne information de la part de l’administrateur en différentes occasions, du comportement plus que questionnable de l’entrepreneur, du défaut de remettre une copie du contrat aux bénéficiaires, de ne pas considérer le contrat de garantie comme un contrat de consommation et j’en passe. Ces faits ne peuvent être ignorés et ouvrent la porte au Tribunal à pouvoir considérer et retenir l’équité. Je me dois dans les circonstances d’accueillir sous cet angle l’appel des bénéficiaires.
L’ARTICLE 11 DU RÈGLEMENT
[124] Les procureurs des parties, tout comme le directeur, Sylvain Beausoleil, ont établi comme point de départ de la prescription triennale en matière de recours contre l’entrepreneur et/ou les cautions, à l’automne 2013, cette période étant associée au départ de Bruno Sanfaçon. Conséquemment, la prescription prendrait fin à l’automne 2016.
[125] Monsieur Beausoleil a reconnu qu’il était au fait de cette prescription pour avoir traité avec cette notion antérieurement dans d’autres dossiers. J’ajouterai que ce dernier a témoigné que pour la lettre du 4 mars 2015 (A-5) il avait été consulté par Louis Renaud avant que celui-ci transmettre ladite lettre.
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[126] Le Tribunal ne peut s’expliquer pourquoi et comment l’administrateur peut-il « fermer la réclamation » des bénéficiaires le 31 mars 2015 (A-5) et pourquoi ne fait-il pas état dans un esprit de transparence état de la prescription triennale, ce qui se voulait fondée en droit. Aussi, pourquoi prétendre que le dossier était fermé le 31 mars 2015, selon le témoignage du directeur, alors qu’il maitrisait la notion de la prescription.
[127] Ceci dit, pour le soussigné, le dossier ne pouvait être considéré comme fermé au 15 mars 2015. Le procureur de l’administrateur le confirme par son silence de cette approche lors de son argumentation.
[128] Ceci dit, qu’en est-il de l’application de la prescription en l’espèce?
[129] Dans un premier temps, il y a lieu de rappeler l’alinéa de l’article 34 du Règlement qui traite de la première charge des travaux par l’administrateur.
« 34.
…
6o à défaut par l’entrepreneur … de corriger les travaux et en l’absence de recours à la médiation ou de contestation en arbitrage de la décision de l’administrateur par l’une des parties, l’administrateur, dans les 15 jours qui suivent l’expiration du délai convenu avec le bénéficiaire en vertu du paragraphe 5o, effectue le remboursement ou prend en charge le parachèvement ou les corrections, convient pour ce faire d’un délai avec le bénéficiaire et entreprend, le cas échéant, la préparation d’un devis correctif et d’un appel d’offres., choisit des entrepreneurs et surveille les travaux. »
[130] L’administrateur a refusé de s’exécuter en vertu de cet article considérant que l’article 11 du Règlement n’avait pas été suivi et par la suite a informé les bénéficiaires qu’il y avait prescription et par conséquent il déclinait toute exécution en vertu de l’article 34, 6o du Règlement.
[131] Cet article 11 a été invoqué la première fois aux bénéficiaires le 31 janvier 2013 (A-4) lorsque Louis Renaud reprend dans son texte l’article 6.4.3 du contrat
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de garantie obligatoire des maisons neuves qui se veut la copie. Il est ainsi libellé :
6.4.3 Dans le cas d’intervention de Qualité Habitation pour parachever ou corriger des travaux relatifs à un bâtiment, le Bénéficiaire doit faire retenir par son institution financière ou verser dans un compte en fidéicommis auprès d’un avocat, d’un notaire ou de Qualité Habitation toute somme encore due en vue du paiement final des travaux qui seront exécutés par Qualité Habitation pour compléter ou corriger les travaux prévus au contrat original ou les travaux supplémentaires prévus à toute entente écrite convenue avec l’Entrepreneur.
(Je souligne)
[132] Monsieur Renaud a toujours requis des bénéficiaires un transfert des sommes retenues (A-4) :
À la suite de votre réclamation reçue à nos bureaux concernant la résidence ci-haut mentionnée, nous vous demandons de bien vouloir autoriser votre institution financière à transférer les sommes retenues pour l’immeuble sis au [...] à Ste-Catherine-de-la Jacques-Cartier à Qualité habitation, et ce, afin que l’on puisse parachever les travaux dans le cadre de la garantie.
(Je souligne)
[133] Par la suite, le 4 mars 2015 le même Louis Renaud, directeur pour l’Est du Québec de Qualité Habitation, écrit (A-5) à nouveau aux bénéficiaires et conclut ainsi :
Sur réception en fidéicommis de la somme de 63 225.11$ d’ici le 31 mars 2015 nous pourrons autoriser le début des travaux, dans le cas contraire votre dossier de réclamation sera fermé en cette même date.
(Je souligne)
[134] Finalement, le 20 juin 2017, monsieur Sylvain Beausoleil transmettait aux bénéficiaires une dernière lettre (A-3), les avisant que leur recours contre la garantie était prescrit. Il est intéressant de reprendre certains passages :
…
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· Le ou vers le 31 janvier 2013, une correspondance de l’administrateur1 vous était adressée quant au versement requis afin que l’administrateur procède à la réalisation des travaux correctifs;
· Le ou vers le 4 mars 2015, une deuxième correspondance de l’administrateur2 vous était adressée quant au versement requis que l’administrateur procède à la réalisation des travaux correctifs. À cet effet, l’administrateur requérait de votre part le versement de la somme de 63 325.11$ d’ici le 31 mars 2015 sous peine de fermeture de votre dossier;
…...
Conséquemment, puisque tout recours subrogatoire est maintenant prescrit avant même que vous ayez été indemnisés par l’administrateur, cette prescription découlant immanquablement de votre défaut de donner suite à la correspondance du 4 mars 2015 vous enjoignant de verser toutes somme due, l’administrateur n’entend pas réaliser les travaux correctifs requis selon les différents rapports de conciliation rendus, non plus exiger le paiement des sommes dues. (SIC)
(Je souligne)
[135] Pour le soussigné, le texte de l’article 11 du Règlement est clair, précis et s’interprète aisément. Le législateur n’a jamais exigé que le bénéficiaire transfère obligatoirement les sommes à l’administrateur. L’institution financière peut détenir les sommes redevables. L’administrateur ne pouvait d’aucune façon exiger que les sommes dues lui soient versées.
[136] Le législateur avait sûrement en tête certaines situations dont les hypothèques légales possiblement enregistrées sur l’immeuble ou, de là, la volonté ou la nécessité pour l’institution financière de conserver les sommes dues, notamment pour sa propre protection.
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[137] À ce stade il faut se demander si les sommes dues ont toujours été en possession de l’institution financière? Je dois répondre positivement à cette question.
[138] L’article 6.4.3 du contrat de garantie n’exige pas que l’institution confirme une fois ou en tout temps à l’administrateur qu’elle détient les sommes dues. Monsieur Beausoleil a reconnu que les sommes pouvaient varier au fil du temps.
[139] Lors du témoignage de madame Magalie Thibodeau, celle-ci confirma à Louis Renaud, suite à sa lettre du 31 janvier 2013 (A-4), que les sommes redevables à la Garantie se trouvaient toujours entre les mains de la Caisse et d’ajouter : « les sommes ont toujours été retenues ». Ce témoignage n’a jamais été contredit et elle l’a confirmé en trois occasions oralement et aussi par écrit.
[140] Monsieur Beausoleil a expliqué que Louis Renaud, dans la lettre du 31 janvier 2013 (A-4), avait mis en copie la Caisse populaire parce que :
« On n’avait des discussions avec Renaud pour s’assurer que les sommes soient déposées ».
[141] En d’autres mots, il voulait que les sommes retenues par la Caisse soient transférées à l’administrateur. Il reconnaissait du même coup que l’institution financière des bénéficiaires retenait ces mêmes sommes. Rien, mais rien dans le comportement des bénéficiaires me permettait de croire ou de prétendre que les sommes ou une partie de ces sommes pouvaient être soustraites en partie ou en totalité. Pourquoi l’auraient-ils fait? Poser la question c’est y répondre.
[142] Le procureur de l’administrateur a ciblé le courriel de Brigitte Blier du 20 décembre 2013 adressé à la bénéficiaire (B-2). Celui-ci met l’emphase sur les premiers mots de la seconde phrase : « Je pense qu’il sera possible … » Le Tribunal en reprend le texte :
Je pense qu’il sera possible d’avoir une lettre pour Qualité Habitation sans problème.
(Je souligne)
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[143] L’ajout des mots « sans problème » démontre, quant au soussigné, que la conseillère en finance ne voyait aucun problème à faire la lettre et du même coup que les sommes dues étaient toujours entre les mains de la Caisse.
[144] Cette même représentante de la Caisse confirmait le 8 novembre 2017 (B-10) qu’elle était en possession du montant retenu de 20,828.92$ afin de finaliser les travaux, plus la somme de 720.00$ dollars qui n’a pas été prise en compte pour la mise de fond et qui pourrait être utilisable pour finaliser certains travaux.
[145] Elle ajoute :
Vous comprendrez que toutes les sommes ont été déboursées, via votre notaire, tel que demandé par vous, de façon la plus sécuritaire possible. De plus, il est important de préciser que votre dossier étant en litige e entre les mains d’avocats, nous avons dû débourser les derniers montants pour régler ces litiges et les hypothèques légales.
(Je souligne)
[146] Cette information corrobore le témoignage de la bénéficiaire quant au fait que toutes les sommes ont toujours été détenues par la Caisse.
[147] Le Tribunal est d’avis que les bénéficiaires ont prouvé par prépondérance de preuve qu’ils ont fait retenir par leur institution financière toute somme encore due en vue du paiement final des travaux. Je conclus, tel que le stipule l’article 2804 du C. c. Q. :… la preuve qui rend l’existence de la chose plus probable que son inexistence. Les bénéficiaires ont rencontré leur fardeau.
INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION
[148] Malgré cette seconde conclusion donnant raison aux bénéficiaires, le soussigné entend tout de même disposer de l’argument de l’interruption de la prescription.
[149] Le procureur de l’administrateur a fait valoir l’arrêt Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ Inc. c. MYL Développement Inc. (14) pour établir que la prescription se voulait de trois ans pour exercer un recours subrogatoire. La citation pertinente (37) a été rapportée plus haut.
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(14) OPUS CITE
[150] Me Guérin s’est positionné avec la décision La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ c. Toitures Trois Etoiles Inc. (15).
[151] Je me permets d’en rapporter à nouveau certains paragraphes :
[8] Le juge décide que, dès avant le début des travaux correctifs, le patrimoine de l’appelante était grevé de l’obligation envers le syndicat des copropriétaires de les faire effectuer. Une fois l’obligation établie par le rapport d’inspection, le patrimoine de l’appelante était exposé à une poursuite potentielle de la part du syndicat. Ce potentiel s’est réalisé lorsque l’entrepreneur général n’a pas effectué les travaux correctifs. L’appelante constatait dès lors sans équivoque son obligation et sa perte et la prescription commençait alors à courir vu que tous les éléments du recours contre l’intimée étaient réunis. Au surplus, dès avant le 7 novembre 2005, l’appelante avait entrepris les travaux correctifs par l’intermédiaire de Cime Construction même si le paiement des factures de cette dernière n’était pas encore exigible. L’exécution de ces travaux constituait la mise en œuvre de l’obligation de garantie qui grevait déjà le patrimoine de l’appelante. L’action était donc prescrite le 7 novembre 2008.
[9] … Au 15 octobre 2005, au lendemain du dernier jour du délai accordé à l’intimée par la mise en demeure du 11 octobre précédent, l’appelante plaide qu’elle ne pouvait réclamer de l’intimée des factures qu’elle n’avait pas encore reçues et que le juge a erré en ne tenant pas compte du fait que sa réclamation à l’intimée se limitait aux seuls montants de ces deux factures du 18 et du 29 novembre 2005
[10] … Même si le montant précis des dommages n’était pas connu à ce moment, l’appelante savait qu’elle avait subi un préjudice puisqu’elle devait payer le coût de ces travaux vu que l’entrepreneur général faisait défaut d’y pourvoir. Elle était en mesure d’agir pour interrompre la prescription extinctive et pouvait ensuite procéder par amendement au fur et à mesure que l’étendue précise de ses dommages était connue par la réception des factures.
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(Je souligne)
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(15) OPUS CITE
[152] L’administrateur rétorque qu’il s’agit en l’espèce d’une condition suspensive incertaine : le montant exact n’était pas connu, l’obligation par les bénéficiaires de s’exécuter conformément aux requêtes répétées de Louis Renaud, particulièrement, n’aboutissait pas et était incertaine. Cela fait en sorte que ce même administrateur ne pouvait entreprendre un recours subrogatoire.
[153] Je ne peux endosser ce raisonnement.
[154] Dans un premier temps, quant au montant à réclamer, l’administrateur était déjà en possession d’une soumission qui lui permettait d’intenter son recours, suivant l’enseignement de la Cour d’appel dans l’arrêt Toitures Etoiles Inc..
[155] Dans un second temps, comme j’ai déjà décidé et conclu que les bénéficiaires s’étaient exécutés conformément à l’article 11 du Règlement, la condition dite « suspensive Incertaine » n’a plus sa place. Ce faisant je considère que l’argument de l’interruption n’a plus son intérêt.
[156] Même en faisant abstraction de ce dernier raisonnement, je suis d’avis que la décision Toitures Étoiles Inc. obligeait l’administrateur a intenté un recours contre l’entrepreneur et/ou les cautions afin d’interrompre la prescription. Même devant une incertitude il y a lieu de s’exécuter, quitte à s’amender ou à se désister.
[157] Pour ces motifs, le Tribunal accueille la demande d’appel des bénéficiaires et ordonne à l’administrateur de prendre en charge l’exécution des travaux de correction énumérés dans les différentes décisions (A-8, A-9, A-10, A-11, A-12, A-13) conformément aux termes et conditions de l’alinéa 6 de l’article 34 du Règlement dans un délai à convenir avec les bénéficiaires, et de les compléter au plus tard le 24 février 2018, avec les précisions apportées aux conclusions.
[158] Les bénéficiaires ayant obtenu gain de cause, les frais d’arbitrage devront être supportés par l’administrateur.
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[159] Les parties verront à déterminer au plus tard le 8 décembre 2017 le montant payable à l’administrateur par les bénéficiaires.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCEUILLE l’appel des bénéficiaires;
ORDONNE aux parties de déterminer au plus tard le 8 décembre 2017 le montant redevable à l’administrateur;
ORDONNE à l’administrateur de la garantie de prendre charge de l’exécution des travaux de correction énumérés dans les décisions A-8 à A-13, conformément aux termes et conditions de l’alinéa 6 de l’article 34 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs dans un délai à convenir avec les bénéficiaires ou à défaut d’entente quant au délai;
ORDONNE que les travaux soient complétés au plus tard le 24 février 2018;
ORDONNE à l’administrateur de la garantie d’assurer la surveillance des travaux de correction énumérés dans les décisions A-8 à A-13;
RÉSERVE à la Garantie Habitation du Québec Inc. (l’Administrateur) ses droits à être indemnisé par l’entrepreneur et/ou cautions, pour toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par.19 de l’annexe du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement;
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LE TOUT avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’administrateur conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majorés de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facturation émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
LAVAL, CE 24 NOVEMBRE 2017
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YVES FOURNIER
ARBITRE