Ethan Frome

Centre Canadien d’Arbitrage Commercial (CCAC)

Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du Bâtiment du Québec conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (c. B-1.1, r. 8)

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

DOSSIER N°:           S11-111401-NP

 

DATE                         :           23 septembre 2013

 

 


ARBITRE       :           Me PIERRE BOULANGER

 

 

 


SYNDICAT DE COPROPRIÉTÉ JARDINS DES VOSGES,

 

Bénéficiaire

 

c.

 

LES JARDINS DES VOSGES INC.,

 

Entrepreneur

 

et

 

LA GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS DE L’APCHQ INC.,

 

Administrateur de la garantie

 

 

 


DÉCISION ARBITRALE

 

 

 


[1]        La présente décision concerne uniquement le dossier n° 53441-2 de l’administrateur, suite à sa décision datée du 3 octobre 2011.

 

[2]        Plus particulièrement, le seul point en litige est le point # 2 de cette décision (fissure au parement de briques), les autres points, soit des infiltrations d’eau dans diverses unités de condominium, ayant fait l’objet d’un règlement.

 

[3]        L’audition s’est tenue le 10 juillet 2013 à la place d’affaires de l’entrepreneur après une visite des lieux concernés à l’Ile-des-Sœurs.

 

[4]        Il s’agit d’un bâtiment de briques de quatre étages comptant plusieurs unités de condominiums. Les parties reconnaissent que la réception des parties communes s’est faite le 3 avril 2006.


 

 

[5]        Le premier avis du bénéficiaire concernant la fissuration de la brique donné à l’administrateur l’a été le 25 juin 2010. Les parties s’entendent à l’effet que l’avis a été donné dans la cinquième année de garantie de sorte que, suivant l’article 27(5) du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, il faut décider de la recevabilité de la réclamation sous l’angle de la garantie contre les « vices de conception, de construction ou réalisation et des vices du sol, au sens de l’article 2118 du Code Civil… ».

 

[6]        Bien que l’article 2118 CCQ mentionne expressément « la perte de l’ouvrage», la jurisprudence a tempéré la notion de perte totale ou partielle de l’édifice. Il suffit de démontrer la présence d’inconvénients ou d’un danger sérieux qui pourrait entraîner une perte de l’ouvrage, c’est-à-dire une perte potentielle[1].

 

[7]        Les parties sont d’accord sur ce point de droit. Mais elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si les fissures ici concernées sont susceptibles d’entrainer  « la perte de l’ouvrage ».

 

[8]        Ont été produits devant le soussigné l’expert du bénéficiaire et celui de l’entrepreneur qui ont été interrogés et contre-interrogés.

 

[9]        L’expert du syndicat de copropriété est le technologue professionnel Denis Chevalier, t.p., diplômé en technologie de génie civil en 1982. Il a à son actif plusieurs expertises en maçonnerie, encore qu’il ait surtout été actif dans le domaine des toitures. Il a d’abord été impliqué au dossier vers le début novembre 2009, pour un problème d’infiltration d’eau dans l’unité 302, tel qu’il appert de sa lettre du 5 novembre 2009, pièce A-8. Il sera aussi consulté pour des infiltrations d’eau dans d’autres unités. Il rédigera ensuite un rapport d’expertise daté du 11 juin 2012, pièce B-2, où il est question à la fois d’infiltrations dans certaines unités et de diverses fissures de la maçonnerie.

 

[10]     L’expert de l’entrepreneur est l’ingénieur Domenic Chiovitti, diplômé en 1986, spécialisé en enveloppe du bâtiment. Il a d’abord été impliqué au dossier en octobre 2011 alors qu’il a participé à des tests pour trouver l’origine d’infiltrations d’eau dans certaines unités. Puis, suite à la communication du rapport B-2, il a examiné les lieux à nouveau le 7 novembre 2012 et le 10 janvier 2013 pour porter une attention particulière à la fissuration dans la maçonnerie.

 

 


 

[11]     Tel que mentionné plus haut, la question des infiltrations d’eau a fait l’objet d’un règlement. La question sous étude est de savoir si les fissures dont il sera question plus loin, lesquelles ne causent pas d’infiltrations d’eau présentement, sont susceptibles d’entraîner la perte de l’ouvrage au sens de l’article 2118 CCQ.

 

[12]     Une fissure est beaucoup plus importante que les autres. Il s’agit de la fissure verticale sur le mur ouest de la garderie Da Do au rez-de-chaussée et qui se rend jusqu’au 4e étage. Elle est située près d’un coin du bâtiment. En plus de la brique de maçonnerie, cette fissure traverse plusieurs blocs de béton superposés en alternance au coin du mur. C’est d’ailleurs la seule fissure dont il est question dans l’avis donné à l’administrateur le 25 juin 2010.

 

[13]     Selon l’expert du syndicat, cette fissure serait due à l’absence d’un joint vertical de dilatation.

 

[14]     L’administrateur de la garantie a reconnu l’existence de cette fissure verticale de sept (7) mètres de longueur mais il a rejeté ce chef de réclamation au seul motif que cette fissure « ne saurait revêtir le niveau de gravité d’un vice majeur ».

 

[15]     Dès le début de son témoignage, l’expert de l’entrepreneur a recommandé d’utiliser cette fissure pour créer un joint de dilatation, encore qu’il a contesté l’absence d’un joint de dilatation à proximité de cet endroit.

 

[16]     Je retiens l’extrait suivant de son rapport d’expertise daté du 16 janvier 2013, pièce E-2 :

 

                     « Therefore, given that the crack is not related to a structural defect and no other signs of deterioration or deformation exist, treatment will be preventive in nature only. We recommend that the vertical crack be routed and sealed with a high performance sealant to prevent excess moisture intrusion and prevent any further deterioration. The sealant joint will also act as supplementary movement joint for hygrothermal expansion of the masonry and limit any additional cracking ».

                                                                                               (mon souligné)

 

 

[17]     Dans l’affaire Habitations des Cônes c. Roy, 2013 QCCS 260, la Cour supérieure a conclu qu’un défaut d’isolation et d’étanchéité du vide sanitaire constituait un vice de construction visé par l’article 2118 CCQ, tout comme l’absence d’un pare-vapeur au plancher du vide sanitaire, parce que ce sont des désordres susceptibles de provoquer éventuellement la perte de l’ouvrage.


 

[18]     Pour cette fissure verticale particulière, je partage l’avis de l’expert du syndicat à l’effet qu’il s’agit d’un défaut sérieux. D’ailleurs, même l’expert de l’entrepreneur, dans l’extrait de son rapport cité plus haut, recommande que cette fissure soit colmatée de manière à créer un joint de dilatation additionnel.

 

[19]     Il ne s’agit pas, ici, d’un simple travail d’entretien ou de routine mais bien d’un défaut important à corriger. De plus, au plan visuel, il s’agit d’une fissure importante qui choque l’œil et paraît inquiétante. Dans les circonstances, je ne peux que conclure qu’il s’agit d’un cas d’application de la garantie de cinq ans prévue à l’article 27(5) du Règlement.

 

[20]     Cela dit, la méthode de correction suggérée par l’expert de l’entrepreneur à l’audition, c’est-à-dire d’utiliser cette fissure pour créer un joint de dilatation, m’apparaît adéquate.

 

[21]     L’expert Chevalier a aussi soulevé l’absence de chantepleures dans la maçonnerie au niveau du 4e étage, les chantepleures ne se trouvant qu’au rez-de-chaussée.

 

[22]     Il ne saurait ici s’agir d’un vice majeur car on ne m’a pas démontré de conséquences dommageables.

 

[23]     Enfin, le bénéficiaire et son expert ont attiré diverses autres fissures de maçonnerie à mon attention et ce, à divers endroits sur le bâtiment. Encore-là, ils ne m’ont pas démontré qu’il s’agit de vices majeurs.

 

[24]     Il me reste à traiter de l’argument soulevé par l’administrateur à l’audition concernant le défaut de l’avis de six (6) mois requis par l’article 27(5) du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs. Suivant la plaidoirie de l’avocat de l’administrateur, il s’agirait ici d’un délai d’environ sept mois et demi.

 

[25]     S’il est exact que le défaut de donner avis dans le délai de six mois est une cause de déchéance du recours, il faut ici tenir compte des circonstances en l’espèce.

 

[26]     D’abord, je note que ce prétendu défaut n’est pas invoqué par l’administrateur dans sa décision pour rejeter cet item (n°2) de la réclamation. Toutefois, lors de l’audition, l’avocat de l’administrateur prendra appui sur le témoignage de l’expert Chevalier à l’effet qu’il avait déjà vu la fissure verticale de sept mètres lorsqu’il a rédigé sa lettre du 5 novembre 2009, pièce A-8, et qu’il en aurait alors parlé aux administrateurs du syndicat. Je note toutefois que cette lettre du 5 novembre 2009 est silencieuse quant à la fissure dont il est ici question; elle traite plutôt des problèmes d’infiltrations d’eau dans le bâtiment à d’autres endroits, problèmes pour lesquels des tests d’étanchéité seront effectués au printemps 2010 par monsieur Chevalier.


 

 

[27]     C’est d’ailleurs suite à ces tests du printemps 2010 que monsieur Chevalier rédigera sa lettre du 26 mai 2010, pièce A-10 (où il n’est pas davantage question de la fissure) et que le syndicat expédiera son avis du 25 juin 2010 à l’administrateur, pièce A-1 (où il est question des infiltrations d’eau et de la fissure de sept mètres).

 

[28]     Je note aussi que l’administrateur avait déjà un dossier de réclamation ouvert pour ce bâtiment lorsque l’avis du 25 juin 2010 lui a été transmis (voir le courriel de la conciliatrice Johanne Tremblay daté du 28 juin 2010, pièce A-1).

 

[29]     La date exacte de la survenance de la fissure concernée et de sa découverte par le syndicat n’est pas précisée. À cette époque (automne 2009 et printemps 2010), le syndicat en avait plein les bras avec les problèmes d’infiltrations d’eau à divers endroits dans le bâtiment. Il aurait fallu une preuve plus convaincante pour que je retienne cet argument de l’administrateur, d’autant plus qu’il a été soulevé in extremis lors de l’audition. De plus, compte tenu de toutes les circonstances en cause, il m’apparaîtrait inéquitable de rejeter la réclamation du bénéficiaire pour ce seul motif de délai d’avis.

 

[30]     Pour terminer, je dois me prononcer quant aux frais d’expertise conformément à l’article 124 du Règlement. L’expert du bénéficiaire a produit sa facture de l’ordre de 2,000.00$ pour préparation et témoignage (total de 12 heures). Je considère que ce montant doit être coupé de moitié considérant qu’une bonne partie du témoignage de cet expert a porté sur des sujets que je n’ai pas accueillis soit les chantepleures et les autres fissures. Ainsi, j’estime approprié d’accorder un montant de 1,000.00$.

 

 

 

POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE SOUSSIGNÉ :

 

[31]     ACCUEILLE en partie la demande du bénéficiaire.

 

[32]     RENVERSE la décision de l’administrateur datée du 3 octobre 2011 quant au point # 2 (fissure au parement de briques).

 

[33]     ORDONNE à l’entrepreneur ou, à défaut, à l’administrateur d’effectuer, dans un délai de 60 jours, les travaux correctifs requis quant à la fissure verticale de sept mètres au parement de maçonnerie.

 

[34]     ORDONNE à l’administrateur de payer au bénéficiaire la somme de 1,000.00$ à titre de remboursement d’une partie des frais d’expertise.


 

 

[35]     DÉCLARE, conformément à l’article 123 du Règlement, que les frais de l’arbitrage sont entièrement payables par l’administrateur.

 

 

 

 

                                                                                                                                            

                                                                                  Me PIERRE BOULANGER

                                                                                  Arbitre

 

Me Richard Lavoie

Pour le bénéficiaire

 

M. Louis-Joseph Papineau

Pour l’entrepreneur

 

Me François Laplante

Savoie Fournier

Pour l’administrateur de la garantie

 

 

 

DATE D’AUDITION :           10 juillet 2013



[1]        Rodrigue, Me Sylvie et Edwards, Me Jeffrey, La Responsabilité légale pour la perte de l’ouvrage et la garantie légale contre les malfaçons, article publié dans La Construction au Québec, perspective juridique, Wilson & Lafleur Ltée, 1998, page 434.