TRIBUNAL D’ARBITRAGE
(constitué en vertu du règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs sous l’égide de la société pour la résolution des conflits inc. (soréconi), organisme d’arbitrage agréé par la régie du bâtiment du québec chargée d’administrer la Loi sur le bâtiment (l.r.q. c. b-1.1))
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE VALLEYFIELD
DOSSIER N° : 071219002
(19037-1 GQH)
MONTRÉAL, le 7 octobre 2010
ARBITRE : Me ROBERT MASSON, ing., C. Arb.
JOSÉE CHAMPAGNE et MICHEL LESSARD
Bénéficiaires - Demandeurs
c.
AURÈLE LAUZON (en faillite)
Entrepreneur - Défendeur
et
LA GARANTIE HABITATION DU QUÉBEC INC.
Administrateur de la garantie - Défenderesse
SENTENCE ARBITRALE
[1] Le Tribunal d'arbitrage est saisi d'une requête relativement à une transaction intervenue le 13 mai 2009 entre les bénéficiaires et l'administrateur de la garantie en règlement hors du tribunal d’arbitrage de la présente instance.
[2] Les questions soumises à l'arbitrage dans le dossier en l'instance sont, comme l'indique une lettre du 17 décembre 2007 reçue par l'organisme d'arbitrage soréconi le 19 décembre 2007 :
"1- les fondations de l'immeuble sont bâties en contravention des règles de l'art et des codes applicables en ce que les semelles et la dalle sont situées en dessous du niveau de la nappe phréatique ;
2- le réseau d'évacuation des eaux que comporte l'immeuble (i.e. le drain français) est l'objet d'attaque par l'ocre ferreuse ; et,
3- le drain français est inefficace ;
ce qui provoque et/ou provoquera selon une échéance plus ou moins longue un déficit d'usage de l'immeuble."
[3] Le 13 mai 2009, dès le début de l’audience au mérite, le procureur des bénéficiaires en demande la suspension pour permettre le tenue de négociations en vue d’en arriver à un règlement hors du tribunal d’arbitrage et, au terme de la négociation, une déclaration de règlement à l’amiable est déposée devant le Tribunal d’arbitrage. Le texte intégral de l'entente dont il est ici question est reproduit en annexe.
[4] Conformément aux termes de la transaction précitée, le Tribunal d’arbitrage demeure saisi du dossier afin d’assurer le respect et l’exécution de la dite entente et conserve pleine juridiction dans le présent dossier jusqu’à l’exécution complète de l'entente.
[5] Le 4 février 2010, le procureur des bénéficiaires s'adresse au Tribunal d'arbitrage pour réclamer l'intervention de ce dernier dans le dossier. Il écrit :
"Pour les raisons expliquées ci-après mes clients, les bénéficiaires, réclament votre intervention au présent dossier.
Vous vous souviendrez que ce dossier a fait l'objet d'un règlement à l'amiable entre les bénéficiaires et La Garantie Habitation du Québec Inc. (l'entrepreneur est en faillite). Ce règlement constaté dans une «Déclaration de règlement à l'amiable» signée le 13 mai 2009 (jour prévu pour la tenue de l'audience) a fait l'objet d'une décision que vous avez rendue le 15 mai 2009. [Emphase dans le texte].
Cette décision (copie jointe) précise que les parties sont tenues de se conformer à l'entente intervenue et ajoute que vous demeurez «saisi du dossier afin d'assurer le respect et l'exécution de l'entente précitée» (sic) [dans le texte]. Or, justement, il est de notre prétention que La Garantie Habitation du Québec Inc. manœuvre afin d'échapper à l'entente intervenue.
Cette entente est toute simple. D'abord, l'administrateur reconnaît aux déclarations préliminaires (i.e. "ATTENDU") de l'entente que le niveau de la nappe phréatique à l'endroit où se trouve implanté la résidence des bénéficiaires atteint les semelles de la fondation de sorte que les drains français sont constamment sollicités ce qui a entraîné l'apparition d'ocre ferreuse. Ensuite, à ces mêmes déclarations l'administrateur déclare «l'administrateur admet que telles situations doivent être corrigées» (sic) [dans le texte].
Puis, toujours à ces mêmes déclarations les parties expliquent qu'elles ne s'entendent pas «sur la ou les méthodes de correction à employer afin de régler totalement et définitivement les problèmes reliés au niveau de l'eau et à la présence d'ocre ferreuse dans les drains».
Aussi, l'entente porte essentiellement sur une chose : les bénéficiaires acceptent d'essayer les mesures qui, selon l'administrateur, règleront les problèmes reconnus aux déclarations préliminaires. Si ces mesures ne règlent pas la situation, l'administrateur accepte la solution réclamée par les bénéficiaires.
En conséquences, tout simplement, l'entente prévoit quels sont les travaux que l'administrateur préconise pour régler le problème et qui seront exécutés (art. 1), qu'elles (sic) devraient être les conséquences de l'exécution de ces travaux (art. 2) et selon quels paramètres l'exécution de ces travaux sera reconnue comme un succès ou un échec. (art. 3).
Puis l'entente prévoit qu'en cas de succès de CES TRAVAUX, le dossier sera clos (art. 4 et 5). Au contraire, l'entente prévoit qu'en cas d'échec de CES TRAVAUX, l'administrateur procédera à un cuvelage du bâtiment des bénéficiaires. [Emphase dans le texte].
Comme cela est assez simple à constater, il n'y a pas possibilité pour l'administrateur, en cas d'échec de sa solution, de préconiser l'exécution d'autres travaux.
Le fait est que les travaux requis par l'administrateur (art 1.1 et 1.2) et les mesures inscrites (art 1.3 et 1.4) ont été exécutés comme prévu. Le fait est aussi que ces travaux et mesures n'ont pas donné les effets escomptés par l'administrateur.
L'avis prévu à l'article 3.1 de l'entente a donc été fourni à l'administrateur le 23 octobre 2009 (copie jointe) et à son procureur le 25 octobre 2009 (copie jointe). L'expert de l'administrateur et son représentant se sont rendus constater eux-mêmes la situation.
Au terme du délai de trente (30) jours prévu à l'entente, l'administrateur est demeuré muet. Des rappels ont été transmis à son procureur les 17 décembre 2009 et 12 janvier 2010 (copies jointes). Précisons que la situation dénoncée à l'avis du 23 octobre s'est poursuivie.
Le 14 janvier 2010 le procureur de l'administrateur transmettait au procureur soussigné une lettre de son expert M. Down (sic), au représentant de l'administrateur, M. Labelle. La lettre d'accompagnement de Me De Andrade précise «suite à vos dernières lettres voici la position de notre cliente» (sic) [dans le texte]. Quant à la lettre de M. Down (sic) elle recommande l'exécution d'autres travaux (copie des lettres jointes).
Ce faisant, je vous soumets que l'administrateur contrevient à l'entente intervenue le 13 mai 2009 en proposant l'exécution de nouveaux travaux plutôt qu'en procédant au cuvelage tel que prévu à l'entente en cas d'échec.
Votre intervention au dossier nous apparaît donc nécessaire afin que mes clients obtiennent l'exécution des travaux auxquels ils ont droit, soit le cuvelage de leur résidence.
Je vous prie donc de prendre les mesures que vous jugerez appropriées afin de réactiver le dossier.
…
(s) Me Claude Coursol, avocat"
La preuve
[6] Lors de l'audience au mérite, Michel Lessard, l'un des bénéficiaires, témoigne. Il relate que les travaux de correction convenus, et prévus à l'article 1 de la déclaration de règlement à l'amiable, ont été effectués les 16 et 17 juillet 2009 et le 25 août 2009. Il mentionne également que le fossé de captation des eaux de surface en bordure de la rue est entretenu par la Ville deux fois par année.
[7] Il produit un relevé des mesures qu'il a prises dans les trois piézomètres installés sur les lieux tout au long des années 2008, 2009 et 2010. De ces relevés il retient deux choses : il n'y a pas de différence dans les niveaux d'eau avant et après les travaux commandés par La Garantie ; les mois de août, septembre et octobre de chaque année sont les plus secs et en conséquence les niveaux d'eau dans les piézomètres sont les plus bas.
[8] Le 24 octobre 2009 l'eau touche au dessous de la semelle des fondations. Il transmet alors à La Garantie l'avis prévu à l'article 3 de la déclaration. Dans les faits et comme le démontrent les graphiques qu'il a réalisés des niveaux d'eau dans les piézomètres, du 24 octobre 2009 au 23 mai 2010, donc durant 8 mois, le niveau de l'eau n'est jamais descendu sous le niveau du dessous des semelles des fondations.
[9] Sauf pour trois visites de l'ingénieur Downs, accompagné de l'inspecteur de La Garantie à deux reprises, pour relever les niveaux d'eau dans les piézomètres, soit les 9 septembre, 20 octobre et 26 novembre 2009, il n'y a pas eu d'autres travaux exécutés ou de visites faites par La Garantie. En fait, il n'y a eu aucune communication par La Garantie entre le 24 octobre 2009, date de l'avis transmis à La Garantie, et le 8 janvier 2010, date de la nouvelle proposition de La Garantie par l'intermédiaire de l'ingénieur Downs.
[10] Il fait une distinction entre visite pour relever les niveaux d'eau et action à prendre suite à l'avis prévu à la déclaration de règlement.
[11] Il admet que dès le départ il savait que le plan du règlement ne fonctionnerait pas. Mais il a accepté de donner à La Garantie l'occasion de démontrer l'efficacité de la solution proposée. Maintenant, à la lumière des résultats obtenus, il réclame que le cuvelage du bâtiment soit exécuté comme convenu à la déclaration de règlement, seule méthode satisfaisante selon lui.
[12] Pierre Beaupré, ingénieur, à l'emploi de Centre d'inspection et d'expertise en bâtiment du Québec Inc., est l'expert retenu par les bénéficiaires.
[13] Il confirme que le radier du fossé est à 2 pouces plus bas que le dessous des semelles de fondation. Il est aussi d'opinion qu'il n'y a pas de relation entre le fait de nettoyer le fossé et le niveau de la nappe phréatique.
[14] Il a déjà eu une conversation avec les ingénieurs de la Ville. Il en retient que :
- à l'idée d'abaisser le fond du fossé, il est d'opinion que la Ville émettra une objection car alors il faudra canaliser le système de captation des eaux et facturer les propriétaires riverains ; ce à quoi ces derniers s'objecteront ;
- pour la même raison, il n'est pas pensable d'en venir à remplacer les fossés et d'installer des conduites pour canaliser les eaux de surface ;
- il n'est pas pensable de devoir continuellement nettoyer les fossés.
[15] Il était présent lors des négociations menant à la déclaration de règlement à l'amiable. Depuis le début, il est convaincu que la solution proposée par l'administrateur de la garantie ne fonctionnera pas. Mais il était tout de même prêt à suggérer à ses clients, les bénéficiaires, d'accepter la proposition de La Garantie car l'entente prévoyait une solution de rechange, le cuvelage, en cas d'échec. Il affirme avoir aujourd'hui la même opinion qu'à l'époque relativement à la solution proposée par l'ingénieur Downs.
[16] Stéphane Downs, ingénieur et MBA, de la firme ProspectPlus Conseils Inc., est l'expert retenu par l'administrateur de la garantie.
[17] Il était présent lors des négociations menant à la déclaration de règlement à l'amiable. Et il a eu connaissance des travaux exécutés en juillet, août et septembre 2009. Il atteste que le ponceau a été nettoyé par la Ville en septembre 2009 mais il signale qu'il s'est rempli à nouveau dès novembre 2009. Il est d'opinion qu'il n'y avait aucune raison que le plan proposé ne fonctionne pas. Cela n'a pas fonctionné car le fossé s'est rempli de feuilles et qu'il n'a pas été nettoyé à nouveau par la Ville. De même, il a noté que le fossé n'a pas été nettoyé en amont de la propriété des bénéficiaires. Mais il n'a pas communiqué avec la Ville pour faire compléter les travaux.
[18] Entre le 25 août 2009 et le 8 janvier 2010, il n'a pas préconisé d'autres travaux. Ceux proposés le 8 janvier le sont en complément des travaux de l'entente et parce que la Ville a nettoyé le fossé une fois seulement ; et seulement devant la résidence des bénéficiaires et non sur toute la longueur de la rue.
[19] Il explique la solution qu'il propose :
- casser la dalle de béton ;
- rabaisser le bassin de captation ;
- il faut aussi que le fossé soit toujours bien nettoyé.
[20] Il admet que ces travaux ne sont pas prévus à l'entente du 13 mai 2009, mais il estime qu'ils sont nécessaires pour éviter la présence d'eau dans le conduit de drainage, ce qui favorise la formation d'ocre ferreuse.
[21] Michel Labelle est l'inspecteur désigné au Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs et le représentant de l'administrateur de la garantie.
[22] Il était présent lors des négociations menant à la déclaration de règlement à l'amiable. Il était aussi présent au site de la résidence des bénéficiaires lors des prises de mesures des niveaux d'eau dans les piézomètres par les ingénieurs Beaupré et Downs pour s'assurer que les deux ingénieurs s'entendaient sur les niveaux mesurés. Il ne pouvait être présent lors des travaux effectués les 16 et 17 juillet 2009 par l'entrepreneur Débouchage Action, travaux qui ont été devancés à la demande de l'entrepreneur. S'il avait pu être présent, il aurait demandé que le bassin de captation soit abaissé.
[23] Lors de la négociation de l'entente, il a exigé qu'un nettoyage des fossés soit fait car il est convaincu d'un lien direct entre le niveau du fossé nettoyé et la baisse du niveau de la nappe phréatique. Il voulait prouver que la méthode est efficace et qu'elle fonctionne.
[24] Quant aux travaux proposés à l'entente, il constate qu'ils n'ont pas tous été faits. Le fossé en amont de la propriété des bénéficiaires n'a pas été nettoyé par la Ville. Lorsqu'il a constaté que la Ville n'avait pas nettoyé le fossé, il a eu le réflexe de penser que la Ville ne voulait pas les nettoyer ; ce que lui a par la suite confirmé un voisin demeurant en amont des bénéficiaires. Lui non plus n'a pas rappelé la Ville ; car il estime qu'il n'est pas de sa responsabilité de s'assurer que la Ville nettoie les fossés deux fois l'an. Contre interrogé, il concède cependant que l'objet de l'entente est à titre expérimental et qu'elle comporte une obligation de résultat.
[25] Il confirme que les travaux suggérés au rapport du 8 janvier 2010 de l'ingénieur Downs ne sont pas dans les objets de l'entente. Ces travaux ont été décidés par après, devant le constat d'absence de résultat. Il affirme que l'idée des nouveaux travaux à proposer s'est concrétisée en novembre 2009. Mais elle n'a pas été annoncée car il se sentait mal à l'aise vis-à-vis de monsieur Lessard. Toute conversation avec ce dernier était impossible car il ne voulait rien entendre parler d'autre que du cuvelage.
[25]
Analyse
[26] La transaction intervenue le 13 mai 2009 entre d'une part les bénéficiaires et d'autre part l'administrateur de la garantie, et transcrite dans la «Déclaration de règlement à l'amiable», pose d'abord la situation qui prévaut chez les bénéficiaires, puis les positions ou plutôt leur désaccord sur la façon de remédier aux problèmes constatés : les bénéficiaires et l'administrateur s'entendent sur le fait que le niveau de l'eau dans le sol atteint les semelles de fondation de l'immeuble faisant en sorte que les drains de fondation de l'immeuble sont constamment sollicités afin d'évacuer l'eau ; cette situation a engendré l'apparition d'ocre ferreuse ; l'administrateur admet que telles situations doivent être corrigées ; les bénéficiaires et l'administrateur ne s'entendent pas sur la ou les méthodes de correction à employer afin de régler totalement et définitivement les problématiques reliés au niveau de l'eau et à la présence d'ocre ferreuse dans les drains.
[27] La preuve fait ressortir les deux positions diamétralement opposées. D'un côté, les bénéficiaires et leur expert sont persuadés que la solution proposée par l'administrateur de la garantie ne fonctionne pas. De l'autre, l'inspecteur de La Garantie et son expert affirment qu'il n'y a aucune raison que le plan proposé ne fonctionne pas ; qu'il y a lieu de "prouver que la méthode est efficace et qu'elle fonctionne".
[28] Michel Lessard, dont une connaissance du dossier nous apprend qu'il est ingénieur forestier, a fait un relevé des mesures des niveaux d'eau pendant les années 2008, 2009 et 2010 dans les trois piézomètres installés sur la propriété des bénéficiaires et en a tracé des graphiques en fonction du temps. Il en retient qu'il n'y a pas de différence dans les niveaux d'eau de la nappe phréatique avant et après les travaux commandés par La Garantie, et que les mois de août, septembre et octobre de chaque année sont les plus secs et qu'en conséquence les niveaux d'eau dans les piézomètres sont les plus bas. Les relevés et les graphiques ont été produits de consentement. Monsieur Lessard n'a pas été contredit. Ses mesures recoupent les mesures prises par les experts. Le Tribunal d'arbitrage les juge fiables.
[29] À la lumière de son analyse, monsieur Lessard constate qu'il n'y a pas de relation entre le fait de nettoyer le fossé en bordure de la rue et le niveau de la nappe phréatique. Il estime plutôt que le niveau de l'eau varie directement en fonction du régime pluvial. Il est donc d'opinion, depuis le début, que le plan du règlement ne fonctionnera pas ; mais il accepte de donner à La Garantie l'occasion de démontrer l'efficacité de la solution proposée.
[30] L'ingénieur Pierre Beaupré partage l'opinion de Michel Lessard sur le succès de l'opération envisagée par l'administrateur de la garantie. Il a aussi vérifié les hypothèses de travail de ce dernier auprès des ingénieurs de la Ville et en retient que la Ville n'a aucune propension à vouloir canaliser le système de captation des eaux de surfaces ; et il n'est pas pensable de devoir continuellement nettoyer les fossés. Monsieur Beaupré était cependant prêt à suggérer à ses clients, les bénéficiaires, d'accepter la proposition de La Garantie car l'entente prévoyait une solution de rechange, le cuvelage, en cas d'échec.
[31] L'ingénieur Stéphane Downs et l'inspecteur Michel Labelle basent le succès la solution proposée par l'administrateur de la garantie sur la hauteur du niveau d'eau dans le fossé en bordure de la rue. Ce niveau, opinent-ils, influe directement sur le niveau de la nappe phréatique. À cet égard, il est donc nécessaire que le fossé soit fréquemment nettoyé et plus spécialement en automne alors que les feuilles le comblent en bonne partie.
[32] L'ingénieur et l'inspecteur estiment que la solution proposée dans l'entente n'a pas fonctionné car le fossé s'est rempli de feuilles et qu'il n'a pas été nettoyé à nouveau par la Ville. Mais ni l'un, ni l'autre n'a communiqué avec la Ville à cet égard. L'inspecteur Labelle l'explique. Il estime qu'il n'est pas de sa responsabilité de s'assurer que la Ville nettoie les fossés deux fois l'an. Contre interrogé, ce dernier admet que la solution proposée l'était à titre expérimental et qu'elle comporte une obligation de résultat. L'ingénieur Downs explique enfin que le 8 janvier 2010, il a préconisé d'autres travaux en complément de ceux de l'entente parce que la Ville a nettoyé le fossé une fois seulement.
[33] Pour le procureur de l'administrateur de la garantie, la méthode de l'ingénieur Downs a fonctionné. Les résultats n'étaient pas au rendez-vous à cause d'un manque d'entretien du fossé. Et cette condition n'est pas un simple détail.
[34] Il rappelle que l'entente a été convenue réciproquement par les parties et que ce règlement est raisonnable. Il demande que soit appliqué maintenant la même philosophie qu'au moment de la négociation de la transaction, à savoir "laisser nous faire les travaux, nous vous démontrerons que cela fonctionne". En somme, il demande qu'on laisse une deuxième chance au coureur, une chance de tenter un deuxième essai que la Garantie Habitation du Québec s'engage à garantir. Le tout, cette fois, est accompagné d'un prérequis : le nettoyage des fossés. Et il faudra que les citoyens se responsabilisent et s'obligent à communiquer avec la Ville pour qu'elle prenne ses responsabilités. Car, insiste-t-il, ce n'est pas à La Garantie de faire pression sur la Ville.
[35] Pour le procureur des bénéficiaires, l'entente prévoit ce qui devra être fait si le résultat escompté n'est pas atteint. Ce n'est pas un programme d'essais et erreurs. En outre, l'ingénieur Downs et l'inspecteur Labelle se disent non satisfaits du nettoyage du fossé mais ils n'ont rien fait pour forcer la ville à refaire le travail. Il faut en conclure que le nettoyage n'est pas si important. D'autant plus que l'administrateur de la garantie n'a jamais dit avant aujourd'hui que les travaux n'étaient pas complétés.
[36] Il est faux de prétendre, continue-t-il, que la solution du 8 janvier 2010 était connue le 13 mai 2009, au moment de la négociation de l'entente de règlement à l'amiable, car aucune solution complémentaire n'a été envisagée. La Garantie était alors satisfaite de l'entente négociée. Et aujourd'hui, on entend la même chanson qu'en 2009 : "Laissez nous la chance de vous démonter…" À l'évidence, la méthode actuelle ne fonctionne pas. C'est pourquoi l'ingénieur Downs arrive avec une nouvelle méthode.
[37] Le Tribunal d'arbitrage est d'opinion que le prérequis à la nouvelle proposition de La Garantie comporte plusieurs démérites. D'abord, que le résultat ne soit pas définitif et qu'il faille pour le garantir que les citoyens s'assurent que l'opération nettoyage des fossés soit faite fréquemment par la municipalité. Qu'en somme, il faudra recommencer tous les ans. Ensuite, cette proposition opère un changement du fardeau du succès de l'entreprise qui passe de l'administrateur de la garantie vers les bénéficiaires, en plus de pelleter la viabilité de la solution dans les mains de la Ville.
[38] La lettre précitée du procureur des bénéficiaires résume très bien les tenants et les aboutissants de l'entente intervenue entre les parties :
- les parties ne s'entendent pas sur la ou les méthodes de correction à employer afin de régler totalement et définitivement les problèmes reliés au niveau de l'eau et à la présence d'ocre ferreuse dans les drains ;
- les bénéficiaires acceptent d'essayer les mesures qui, selon l'administrateur, règleront les problèmes reconnus aux déclarations préliminaires. Si ces mesures ne règlent pas la situation, l'administrateur accepte la solution réclamée par les bénéficiaires ;
- l'entente prévoit qu'en cas d'échec l'administrateur procédera à un cuvelage du bâtiment des bénéficiaires ;
- il n'y a pas possibilité pour l'administrateur, en cas d'échec de sa solution, de préconiser l'exécution d'autres travaux.
[39] Pour tous les motifs exprimés plus avant, le Tribunal d'arbitrage est d'opinion que les travaux énumérés à l'entente de règlement amiable ont été réalisés ; que la solution proposée par l'administrateur de la garantie n'a pas fonctionné et n'a pas donné le résultat escompté ; que l'avis prévu à la dite entente a été donné à l'administrateur de la garantie par les bénéficiaires ; et que l'expérience doit en conséquence être considérée un échec.
[40] Vu la transaction intervenue entre les parties le 13 mai 2009, il importe d'indiquer dès maintenant que, bien que le Tribunal d'arbitrage soit constitué en vertu du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, le cadre d'intervention du Tribunal d'arbitrage n'est plus celui du dit Règlement. Il est maintenant imposé par les termes de la transaction du 13 mai 2009 que les bénéficiaires et l'administrateur de la garantie ont alors arrêtés pour régler le litige soumis initialement à l'arbitrage.
[41] Le Tribunal d'arbitrage a ainsi perdu toute latitude et sa ligne de conduite est maintenant tracée par les termes de la Déclaration de règlement amiable, à savoir :
"Si l'expérience s'avère un échec l'administrateur devra, de sa propre initiative, sans besoin pour les bénéficiaires de recourir à une nouvelle dénonciation à l'administrateur ni au processus devant mener à une nouvelle décision de celui-ci, à ses frais, faire effectuer promptement un cuvelage de l'immeuble de façon à rendre étanche à l'eau ses fondations.
Ce cuvelage sera fait suivant les règles de l'art sous la supervision et la responsabilité de l'administrateur et sera couvert par sa garantie.
Notamment ce cuvelage devra être effectué de façon telle à maintenir l'espace libre entre le plafond et le plancher fini du sous-sol une distance suffisante pour que les pièces du sous-sol puissent être habitables conformément aux règlements municipaux et aux codes de construction applicables."
[42] Et, afin d'assurer le respect et l'exécution de la transaction intervenue, le Tribunal d'arbitrage a le pouvoir de prendre toutes décisions à ces fins et… conservera pleine juridiction sur le présent dossier jusqu'à son exécution totale.
[43] En conséquence, le Tribunal d'arbitrage est d'opinion de donner suite à l'entente et d'ordonner à l'administrateur de la garantie d'effectuer ou de faire effectuer promptement et à ses frais, un cuvelage du bâtiment résidentiel des bénéficiaires de façon à rendre étanche à l'eau ses fondations. D'exécuter ou de faire exécuter ce cuvelage suivant les règles de l'art sous la supervision et la responsabilité de l'inspecteur de l'administrateur de la garantie et de garantir l'ouvrage. Notamment, ce cuvelage devra être effectué de façon telle à maintenir l'espace libre entre le plafond et le plancher fini du sous-sol à une distance suffisante pour que les pièces du sous-sol puissent être habitables conformément aux règlements municipaux et aux codes de construction applicables.
[44] À l'audience, les parties ont demandé au Tribunal d'arbitrage de fixer un délai aux parties pour en venir à une entente "sur les modalités de soumission" et de fixer une échéance pour le début des travaux ; mais n'ont suggéré aucune balise. En l'espèce, l'expression «modalités de soumission» peut être interprétée de manière inclusive ou limitative. Au sens restreint, elle peut équivaloir à n'inclure que les conditions et modalités de soumissions. Au sens large, elle peut viser toute l'opération de l'appel d'offres, soit de la confection du cahier de charge au complet, c'est-à-dire la rédaction du devis technique et la conception des plans, en y incluant toutes les clauses générales, particulières et techniques nécessaires ; sans oublier d'inclure les conditions et modalités de soumissions ; l'appel d'offres proprement dit ; et l'adjudication du contrat.
[45] Le Tribunal d'arbitrage estime qu'il fait plus de sens qu'elle soit interprétée dans son sens large de manière à viser toute l'opération de l'appel d'offres.
[46] Compte tenu de l'époque à laquelle la sentence arbitrale est rendue, il apparaît invraisemblable que les travaux puissent être entièrement réalisés avant la période des grands froids. Et cette période pourrait être prohibitive à l'exécution de ce genre de travaux tout en devant aussi considérer que le bâtiment pourrait ne plus être protégé des rigueurs de l'hiver si ses fondations étaient mises à nues durant cette période. Le Tribunal d'arbitrage est ainsi disposé à fixer les grandes lignes d'un échéancier mais souligne qu'il sera plus profitable que les parties s'entendent sur le déroulement de toutes les étapes de l'opération complète, à savoir la rédaction des documents, l'appel d'offres, l'adjudication du contrat et l'exécution des travaux. Les grandes lignes ne devant servir que de guide pour laisser les parties libres de s'entendre autrement.
[47] À cet égard, le Tribunal d'arbitrage fixe les balises suivantes pour le déroulement de toutes les étapes de l'opération complète de cuvelage du bâtiment résidentiel des bénéficiaires ainsi :
- Première rencontre entre les parties en vue de planifier toutes les étapes menant au cuvelage du bâtiment : avant le 12 novembre 2010 ;
- Confection du cahier de charge au complet : avant le 28 janvier 2011 ;
- Appel d'offres proprement dit : avant 18 février 2011 ;
- Adjudication du contrat : avant le 18 mars 2011 ;
- Fin des travaux complets de cuvelage, y compris la réhabilitation du site : le ou avant le 17 juin 2011.
[48] Enfin, le Tribunal d'arbitrage souligne que l'administrateur a failli à l'obligation que lui impose la déclaration de règlement à l'amiable, qu'il a lui-même négociée, d'effectuer promptement un cuvelage du bâtiment, de sa propre initiative, sans besoin pour les bénéficiaires de recourir à une nouvelle dénonciation à l'administrateur ni au processus devant mener à une nouvelle décision de celui-ci, forçant ainsi les bénéficiaires à recourir au Tribunal d'arbitrage pour obtenir une décision. Pour ces motifs, l'administrateur de la garantie supportera les frais de l'arbitrage.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D'ARBITRAGE :
[49] ORDONNE à l'administrateur de la garantie
- d'effectuer ou de faire effectuer promptement et à ses frais, un cuvelage du bâtiment résidentiel des bénéficiaires de façon à rendre étanche à l'eau ses fondations ;
- d'exécuter ou de faire exécuter ce cuvelage suivant les règles de l'art sous la supervision et la responsabilité de l'inspecteur de l'administrateur de la garantie ;
- d'effectuer le cuvelage de façon telle à maintenir l'espace libre entre le plafond et le plancher fini du sous-sol à une distance suffisante pour que les pièces du sous-sol puissent être habitables conformément aux règlements municipaux et aux codes de construction applicables ;
- de garantir l'ouvrage.
Et, à défaut par les parties de s'entendre sur le déroulement de toutes les étapes de l'opération,
[50] FIXE les balises suivantes pour le déroulement de toutes les étapes de l'opération complète de cuvelage du bâtiment résidentiel des bénéficiaires, à savoir :
- Première rencontre entre les parties en vue de planifier toutes les étapes menant au cuvelage du bâtiment : avant le 12 novembre 2010 ;
- Confection du cahier de charge au complet : avant le 28 janvier 2011 ;
- Appel d'offres proprement dit : avant 18 février 2011 ;
- Adjudication du contrat : avant le 18 mars 2011 ;
- Fin des travaux complets de cuvelage, y compris la réhabilitation du site : le ou avant le 17 juin 2011 ;
[51] LE TOUT, avec les frais de l'arbitrage à la charge de l'administrateur de la garantie.
(S) Robert Masson
Me ROBERT MASSON, ing., C. Arb.
Date de l'audience : 1er juin 2010
Me Claude Coursol, avocat
Procureur des bénéficiaires
Me Avelino De Andrade, avocat,
Procureur de l'administrateur de la garantie
ANNEXE
TRANSACTION DU 13 MAI 2009