ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : SORECONI
ENTRE : MARIE-FRANCE LANGLOIS
(ci-après la « Bénéficiaire »)
ET : LES CONSTRUCTIONS YVES LESSARD INC.
(ci-après l’ « Entrepreneur »)
ET : LA GARANTIE CONSTRUCTION RÉSIDENTIELLE (GCR)
(ci-après l’« Administrateur »)
Dossier SORECONI : 180502001
DÉCISION
Arbitre : Me Jacinthe Savoie
Pour la Bénéficiaire : Madame Marie-France Langlois
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Alexandre Lessard
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Date de l’audition : 6 juin 2018
Date de la Décision : 16 juillet 2018
Identification complète des parties
Bénéficiaire : Marie-France Langlois
[...]
Ogden (Québec) [...]
Entrepreneur: Les Constructions Yves Lessard inc.
19, rue Vaudry
Sherbrooke (Québec) J1M 1A8
Administrateur : Garantie Construction Résidentielle
7171, rue Jean-Talon Est, bureau 200
Montréal (Québec) H1M 3N2
Et son procureur :
Me Pierre-Marc Boyer
Mandat
L’arbitre a reçu son mandat de SORECONI le 20 avril 2018.
Historique du dossier
05-02-2018 Réception de la demande d’arbitrage par le greffe de SORECONI
07-02-2018 Réception d’explications supplémentaires de l’Entrepreneur quant à la demande d’arbitrage ainsi que réception du rapport de l’Administrateur et d’un rapport du 12 juin 2017 émis par monsieur Pascal Cabana de la firme Legault Dubois
02-03-2018 Notification d’arbitrage transmise aux parties et nomination de l’arbitre
02-03-2018 Transmission de la demande de provision pour frais
21-03-2018 Transmission du cahier de pièces de l’Administrateur
23-03-2018 Réception de la confirmation du paiement de la provision pour frais
20-04-2018 Conférence téléphonique tenant lieu et place de conférence préparatoire
22-04-2018 Réception d’un courriel de la Bénéficiaire accompagné de l’estimé de la réparation du plancher, des échanges courriels, d’un plan des 5 zones visées du plancher et de photographies de chacune des zones
25-04-2018 Avis de convocation pour l’enquête et audition
30-04-2018 Émission du procès-verbal de la conférence du 20 avril 2018
06-06-2018 Enquête et audition à la résidence de la Bénéficiaire
Admissions
[1] Il s’agit d’une maison unifamiliale isolée non détenue en copropriété divise et située au [...] à Ogden (Bâtiment);
[2] Le 28 novembre 2015, la réception du Bâtiment est intervenue, avec réserve;
[3] Le 7 décembre 2015, la Bénéficiaire transmettait une autre liste de déficiences à l’Entrepreneur;
[4] Le 24 mars 2016, la Bénéficiaire dénonçait à nouveau des déficiences;
[5] L’un des éléments soulevés était les traces laissées sur le plancher de béton par du ruban adhésif installé par le sous-traitant ayant effectué les travaux de plancher;
[6] En conséquence, ledit sous-traitant s’est présenté à trois reprises chez la Bénéficiaire, soit :
[6.1] pendant l’été 2016;
[6.2] en octobre 2016, pour effectuer des tests au plancher de la salle de lavage; et
[6.3] le 8 décembre 2016;
[7] La Bénéficiaire n’étant pas satisfaite, elle a transmis une dénonciation à l’Entrepreneur et à l’Administrateur le 30 avril 2017;
[8] Sur réception de cette dénonciation, l’Entrepreneur a mandaté un expert afin d’obtenir une opinion et de valider le bien-fondé des demandes de la Bénéficiaire;
[9] Le 12 juin 2017, monsieur Pascal Cabana, de la firme Legault Dubois, a produit un rapport;
[10] L’Administrateur a émis une décision en date du 20 décembre 2017, laquelle traitait de 8 points;
[11] La demande d’arbitrage de l’Entrepreneur porte sur le point 2 intitulé «Traces de ruban sur le plancher de béton poli»;
Valeur en litige
[12] La valeur en litige est de classe II (7 001$ à 15 000$);
Visite des lieux et audition
[13] Une visite des lieux et une audition ont eu lieu le 6 juin 2018;
[14] Étaient présents:
Pour la Bénéficiaire : Madame Marie-Fance Langlois
Pour l’Entrepreneur : Monsieur Alexandre Lessard (représentant)
Monsieur Robert Duchesneau (observateur)
Monsieur Pascal Cabana (expert)
Pour l’Administrateur : Me Pierre-Marc Boyer
Madame Marie-Pier Bédard (inspectrice)
Position de l’Entrepreneur
[15] L’Entrepreneur fait d’abord entendre monsieur Cabana à titre d’expert;
[16] Ce dernier explique au Tribunal que:
[16.1] en vertu du Guide de performance de l’APCHQ, un constat doit se faire à une distance de 2 mètres;
[16.2] la section dudit guide traitant des finis de plancher de bois précise notamment : a) le manque d’uniformité doit être évalué à partir d’un point de vue normal, b) on ne doit jamais refuser un plancher en évaluant son inégalité sous une lumière réfléchie c) les petites imperfections sont acceptables à condition qu’elles ne soient pas généralisées, d) à cause des variations normales de couleur du bois, il se peut qu’une réparation adéquate soit visible sous un éclairage normal et e) une différence dans le fini des surfaces peut être perceptible;
[16.3] les remarques faites pour les finis de bois s’appliquent également au fini de béton;
[16.4] il est normal que le plancher de béton ne soit pas uniforme et qu’il y ait des nuances;
[16.5] les traces sur le plancher ne sautent pas aux yeux et il faut se placer dans un certain angle pour les apercevoir;
[16.6] il trouve le plancher esthétique et les traces non apparentes;
[17] En contre-interrogatoire, monsieur Cabana précise qu’il ne s’agit pas d’un fini à l’époxy mais bien d’un fini lustré;
[18] Par la suite, monsieur Lessard explique que normalement le sous-traitant n’utilise pas de ruban adhésif sur les planchers de béton;
[19] En général, personne ne marche sur le plancher pendant le séchage de ce dernier;
[20] Dans le présent cas, pour être en mesure de terminer les travaux dans les meilleurs délais possibles, du ruban adhésif vert a été installé afin que les travailleurs ne marchent pas sur les joints du plancher, tout en continuant les travaux. En plus, le ruban a été retiré plusieurs jours après sa pose;
[21] Monsieur Lessard témoigne de sa surprise lors de la réception de la décision de l’Administrateur. En effet, il avait compris des propos tenus par madame Bédard entre l’inspection et l’émission de la décision, qu’elle rejetterait ce point;
[22] Il relate les tentatives du sous-traitant afin de procéder aux correctifs du plancher et conclut en affirmant que la Bénéficiaire n’était pas d’accord avec le sous-traitant et qu’il y a eu prise de bec entre eux. Ainsi, le sous-traitant n’arrivera jamais à satisfaire la Bénéficiaire;
[23] Selon lui, la Bénéficiaire souhaite avoir un montant d’argent pour régler cette affaire mais doute qu’elle fasse exécuter les correctifs;
[24] En terminant, il souligne que la Bénéficiaire n’a pas dénoncé une marque sur le plancher près de l’ilot de cuisine, marque qu’il a signalée lors de la visite des lieux;
[25] En conséquence, il met en doute la bonne foi de la Bénéficiaire et conclut que toutes les traces sur le plancher devraient être traitées de la même façon par cette dernière;
Position de l’Administrateur
[26] Madame Bédard témoigne à l’effet que lors de son inspection, le temps était ensoleillé, rendant les traces de ruban sur le plancher plus apparentes;
[27] Pour certaines traces, elle admet qu’elle devait se placer sous un certain angle pour les apercevoir;
[28] Elle précise qu’elle n’a pas les même balises que monsieur Cabana pour évaluer si une situation est une malfaçon ou non;
[29] Contrairement aux dires de monsieur Lessard, elle affirme ne pas lui avoir dit que ce point serait rejeté mais elle a plutôt tenté une approche afin que les parties en arrive à une entente;
[30] Madame Bédard est d’opinion que la Bénéficiaire a dénoncé les traces sur le plancher dans un délai raisonnable, et ce, considérant les démarches de l’Entrepreneur et du sous-traitant pour tenter de corriger le problème et le délai de 4 mois entre l’impasse avec le sous-traitant et la dénonciation formelle à l’Entrepreneur et à l’Administrateur;
[31] Elle conclut qu’il s’agit d’une malfaçon dénoncée dans le délai;
[32] De son côté, le procureur de l’Administrateur a plaidé :
[32.1] les propos de madame Bédard quant à la dénonciation dans un délai raisonnable;
[32.2] que l’approche est différente entre un expert et l’Administrateur, lequel a un Règlement à faire respecter;
[32.3] que les marques sont extrêmement apparentes et que c’est la Bénéficiaire qui les voit chaque jour;
[32.4] dans le doute, la Bénéficiaire doit être favorisée puisque le Règlement vise à protéger les Bénéficiaires;
Position de la Bénéficiaire
[33] Lors de la visite des lieux, la Bénéficiaire a montré les traces de ruban aux endroits suivants :
[33.1] Zone 1 (entrée) : 2 traces d’environ 30 cm;
[33.2] Zone 2 (salon) : 2 traces d’environ 2 pieds;
[33.3] Zone 3 (cuisine, vis-à-vis la porte donnant accès au garage) : 2 traces d’environ 40 cm;
[33.4] Zone 4 (cuisine, en face des armoires) : marques plus effacées parce que retravaillées, zone plus mattes;
[33.5] Zone 5 (garde-manger) : 2 marques
[33.6] Salle de lavage : marques qui ne sont plus visibles puisque le sous-traitant les a corrigées. Au départ, elles étaient moins apparentes que les autres;
[34] De plus, elle a déposé un plan des différentes zones ainsi que des photographies des marques de rubans visibles;
[35] La Bénéficiaire explique que monsieur Lessard lui a toujours assuré que les marques allaient être corrigées et qu’une solution serait trouvée;
[36] Le sous-traitant a tenté de corriger la zone 4, et ce, sans le succès escompté;
[37] Plusieurs mois plus tard, d’autres tests ont été effectués dans la salle de lavage, lesquels se sont avérés concluants;
[38] Toutefois, le sous-traitant n’a pas appliqué la même méthode sur les autres zones;
[39] Elle ne qualifie pas ses relations avec le sous-traitant de «prise de bec» mais indique qu’elle lui a manifesté son mécontentement;
[40] En ce qui a trait à la marque près de son îlot, elle l’a acceptée puisque c’est à sa demande que l’Entrepreneur a déplacé ledit îlot. L’Entrepreneur avait préalablement informé la Bénéficiaire du risque de faire une marque;
[41] La Bénéficiaire assure qu’elle ne veut pas de montant forfaitaire mais bien des correctifs;
[42] La Bénéficiaire affirme avoir choisi ce type de revêtement de plancher afin de pouvoir le repolir au besoin pour qu’il retrouve son éclat;
[43] Dans le présent cas, plus le plancher brille et plus les marques, qui sont mattes, deviennent apparentes;
[44] Elle a une maison «de luxe» et n’accepte pas de voir les marques de ruban sur son plancher;
[45] Toutefois, elle accepte les variations dans l’agrégat du béton;
DÉCISION
[46] Je rappelle que l’Entrepreneur est la partie en demande et que c’est ce dernier qui a le fardeau de la preuve;
[47] Ainsi, l’Entrepreneur a l’obligation de convaincre du caractère erroné de la décision de l’Administrateur relativement au point 2 porté en arbitrage;
[48] Les marques de ruban adhésif sont clairement apparentes sur le plancher dans les zones 1 à 5;
[49] À certains endroits, l’on peut même voir les marques de déchirures du ruban;
[50] Avec respect, nous ne partageons pas l’opinion de l’expert de l’Entrepreneur à l’effet que le plancher présente un aspect esthétique satisfaisant;
[51] L’Entrepreneur a admis qu’il n’est pas dans les règles de l’art d’appliquer un ruban adhésif sur un plancher de béton poli, et ce, encore moins de le laisser plusieurs jours avant de le retirer;
[52] L’Entrepreneur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve et ne n’a pas convaincu le Tribunal du bien-fondé de ses prétentions;
[53] Suivant l’appréciation des faits, des témoignages et de la preuve offerte à l’audience ainsi que de la compréhension du Règlement, de la jurisprudence connue, le Tribunal se doit de maintenir le point 2 de la décision de l’Administrateur, le tout sans préjudice et sous toute réserve du droit des parties de porter devant les tribunaux civils leurs prétentions;
[54] Après avoir pris connaissance des pièces, des témoignages et des arguments des parties, le Tribunal d’arbitrage, sur demande, rend les conclusions suivantes :
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL D’ARBITRAGE :
MAINTIENT le point 2 de la décision de l’Administrateur;
RÉSERVE à l’Administrateur ses droits à être indemniser par l’Entrepreneur, pour tous travaux, toute(s) actions(s) et toute somme versée incluant les coûts exigibles pour l’arbitrage (par. 19 de l’annexe II du Règlement) en ses lieux et place, et ce, conformément à la Convention d’adhésion prévue à l’article 78 du Règlement;
LE TOUT avec les frais de l’arbitrage à la charge de l’Entrepreneur et de l’Administrateur, en parts égales, conformément au Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
Boucherville, le 16 juillet 2018
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Me Jacinthe Savoie
Arbitre / Soreconi