(Décret 841-98 du 17 juin 1998)
Organisme d’arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment : CCAC
C A N A D A PROVINCE DE QUÉBEC |
Dossier : S22-092101-NP |
PRÉSENT : Me Marie-Claude Martel, arbitre |
Bénéficiaire
c.
Entrepreneur
et
Administrateur
I. INTRODUCTION
[1] Le Tribunal est saisi d’une demande d’arbitrage émise par l’Entrepreneur 9508848 Canada inc. faisant affaires sous la raison sociale Groupe Devlan, suivant une décision de l’Administrateur de la Garantie Construction Résidentielle reconnaissant les deux points dénoncés par le Bénéficiaire Syndicat des copropriétaires Q22.
[2] Les points dénoncés par le Bénéficiaire concernent la fissuration et le manque d’étanchéité de la structure de béton recouvrant les allées véhiculaires des quatre bâtisses sous sa gestion, laquelle sert également de terrasses aux copropriétaires.
[3] La preuve non contredite démontre que la structure de béton recouvrant l’allée véhiculaire des quatre bâtisses du Projet s’est fissurée peu de temps après la construction. Tous s’entendent pour dire qu’il s’agit de fissures de retrait.
[4] Toutefois, les fissures affectant la dalle recouvrant l’allée laissent pénétrer l’eau. Celle-ci s’infiltre à travers la dalle et s’égoutte dans l’allée véhiculaire, créant cernes et efflorescences sur le béton et des amoncellements de glace dans l’allée véhiculaire l’hiver.
[5] Qualifiant ces problématiques de vices cachés, l’Administrateur requiert dans sa décision que l’Entrepreneur corrige et colmate les fissures, tant au niveau des colonnes et murs de la structure que de la dalle recouvrant l’allée et servant de terrasses aux copropriétaires.
[6] L’Entrepreneur, en désaccord avec la décision de l’Administrateur, soumet ces deux points à l’arbitrage.
[7] Pour l’Entrepreneur, il ne s’agit pas de vices cachés, mais bien du comportement normal du béton lors de sa cure. La construction étant conforme aux plans et normes applicables et l’allée véhiculaire n’étant pas une aire d’habitation, l’Administrateur ne pouvait exiger que la dalle soit étanche. Cela constituerait une amélioration de l’ouvrage. Du point de vue de l’Entrepreneur, il s’agit tout au plus d’un désagrément pour les copropriétaires.
[8] Également, l’Entrepreneur soulève que la dénonciation de ces problématiques par le Bénéficiaire est tardive eu égard aux délais prescrits par le Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (le « Règlement »).
[9] Le 22 mai 2021, le Bénéficiaire dénonce à l’Entrepreneur les problèmatiques faisant l’objet du présent arbitrage. Dans le cadre du formulaire de dénonciation, le Bénéficiaire déclare avoir observé la fissuration des structures de béton à compter du 1er juillet 2020 et le manque d’étanchéité des terrasses le 1er février 2020 (Pièce A-10).
[10] Le 29 juin 2021, le Bénéficiaire émet sa réclamation (Pièce A-3) et soulève les deux points suivants :
a. Point 1 : « Le ciment fissuré »;
b. Point 2 : « Les terrasses non étanches et coulent de plus en plus ».
[11] Le 2 septembre 2021, l’Administrateur procède à une première visite de conciliation en présence des Parties, lors de laquelle il conclut qu’une visite additionnelle doit avoir lieu en présence des Parties et de l’ingénieur en structure de l’Entrepreneur. Il reporte ainsi sa décision à une date ultérieure. (Pièce A-9)
[12] La visite suivante se tient le 29 avril 2022.
[13] Le 23 août 2022, l’Administrateur rend sa décision, reconnaît les points soulevés et ordonne à l’Entrepreneur de procéder à des travaux correctifs visant à corriger et colmater les fissures problématiques. (Pièce A-10)
[14] Le 21 septembre 2022, l’Entrepreneur conteste la décision en arbitrage. (Pièce A-11)
[15] Le 26 octobre 2022, la soussignée est nommée pour agir comme arbitre en l’instance. La compétence du Tribunal pour agir n’est pas remise en question par les Parties.
[16] Après trois conférences de gestion, de nombreux échanges de correspondances, l’échange d’expertises et de nombreuses pièces, l’audience au mérite se déroule les 6 et 7 septembre 2023. Les Parties échangent des représentations additionnelles jusqu’au 2 octobre 2023, date à laquelle la cause est prise en délibéré.
[17] Le Tribunal doit trancher les questions en litige suivantes :
a. Est-ce que le Bénéficiaire a dénoncé les problématiques alléguées dans les délais prescrits par le Règlement?
b. Est-ce que les problématiques dénoncées par le Bénéficiaire constituent un vice caché?
c. Est-ce que la décision de l’Administrateur doit être maintenue?
d. L’Entrepreneur a-t-il droit au remboursement des frais de l’expert Checknorm inc.?
A. Est-ce que le Bénéficiaire a dénoncé les problématiques alléguées dans les délais prescrits par le Règlement?
[18] La question du délai de dénonciation est soulevée par l’Entrepreneur. Vu le caractère déterminant de cette question, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu de la traiter en premier.
[19] L’Entrepreneur prétend que la dénonciation du Bénéficiaire est tardive et ce, peu importe comment se qualifient les problématiques dénoncées.
[20] Du point de vue de l’Entrepreneur, s’il s’agit de malfaçons apparentes, elles devaient être dénoncées au moment de la réception des parties communes1. S’il s’agit de malfaçons non apparentes ou de vices cachés, ce que l’Entrepreneur nie, alors le Bénéficiaire devait les dénoncer dans un délai raisonnable de leur découverte2. Dans tous les cas, ce délai serait dépassé.
[21] Il est de jurisprudence constante que ce délai raisonnable est d’environ 6 mois de la découverte des malfaçons ou des vices cachés, selon les circonstances propres à chaque cas.3
[22] L’Administrateur ne fait aucun commentaire spécifique à cet égard dans sa décision. Le Tribunal ignore si cet élément a été abordé à l’époque puisqu’il se contente d’indiquer que les délais prescrits par le Règlement ont été respectés. (Pièce A-10)
[23] Après avoir examiné la preuve, le Tribunal est d’avis que la dénonciation du Bénéficiaire est tardive.
[24] À l’audience, l’Administrateur argumente que l’application de l’article 35.1 du Règlement, lequel accorde un délai d’un an au Bénéficiaire pour agir si l’Entrepreneur a manqué à certaines de ses obligations prévues par le Règlement, fait échec aux prétentions de tardiveté de l’Entrepreneur.
[25] L’article 35.1 se lit comme suit :
« 35.1 Le non-respect d’un délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie par le bénéficiaire ne peut lui être opposé lorsque l’entrepreneur ou l’administrateur manque à ses obligations prévues aux articles 33, 33.1, 34, 66, 69.1,132 à 137 et aux paragraphes 12, 13, 14 et 18 de l’annexe II, à moins que ces derniers ne démontrent que ce manquement n’a eu aucune incidence sur le non-respect du délai ou, à moins que le délai de recours ou de mise en œuvre de la garantie ne soit échu depuis plus d’un an. […] » [Nos soulignés]
[26] L’Administrateur prétend que l’Entrepreneur a manqué à son obligation prévue à l’article 33 du Règlement quant à la réception des parties communes. Il est admis en l’instance que la réception des parties communes n’a pas été faite en conformité avec le Règlement.
[27] Est-ce que l’Entrepreneur a pour autant manqué à ses obligations en vertu de l’article 33 du Règlement?
1 Article 27, para. 2 du Règlement.
2 Article 27, para. 3 du Règlement.
3 Robichaud et Jacques Cloutier et Fils inc. (O.A.G.B.R.N. 2022-12-12), AZ-51910675.
[28] Le Tribunal croit que non.
[29] Le Tribunal est d’avis qu’il n’appartient pas à l’Entrepreneur de s’assurer que le Syndicat satisfait à ses propres obligations pour la réception des parties communes4, laquelle constitue une obligation conjointe des Parties.
[30] L’analyse de la définition de « réception des parties communes » combinée aux articles 25.1 et 33 du Règlement permet de conclure que l’Entrepreneur est responsable de terminer les travaux, émettre l’Avis de fin des travaux, transférer le contrôle du Syndicat de copropriété au Bénéficiaire et se rendre disponible pour l’inspection conjointe prévue à l’article 33 du Règlement.
[31] Le Bénéficiaire a, quant à lui, l’obligation de nommer un professionnel pour procéder à l’inspection des parties communes et déclarer la date de fin des travaux.
[32] Il a été mis en preuve que l’Avis de fin des travaux a été émis en date du 15 août 2019 (Pièce A-1) et remis au Bénéficiaire au plus tard le 13 novembre 2019, à la première assemblée des copropriétaires, lors de laquelle l’Entrepreneur a transféré le contrôle du Syndicat de copropriété aux copropriétaires (Minutes de l’assemblée du 13 novembre 2019).
[33] Bien que le Bénéficiaire mette en preuve que certains travaux n’étaient pas terminés en septembre 20195, rien ne démontre que ce n’était pas le cas le 13 novembre 2019, à tout le moins en ce qui concerne les travaux visés par le plan de garantie.6
[34] Le Bénéficiaire ne fournit aucune explication pour laquelle il n’a pas mandaté un professionnel afin de procéder à l’inspection des parties communes, bien qu’une visite ait eu lieu conjointement avec l’Entrepreneur au mois d’août 20207.
[35] En l’absence de manquement de l’Entrepreneur à ses obligations, le Bénéficiaire ne peut se prévaloir de l’exception prévue à l’article 35.1 du Règlement.
[36] Le Tribunal est également d’avis que même s’il y avait eu manquement de l’Entrepreneur quant à la complétion du formulaire de réception des parties communes prévu par le Règlement, la conclusion demeurerait inchangée. La preuve convainc le Tribunal que ce manquement n’aurait eu aucune incidence sur
4 Syndicat des copropriétaires Havre Bromont c. Construction Dulor inc., Dossiers S21-071901-NP à S21- 071910-NP, 10 juillet 2022.
5 Photographies du Bénéficiaire du 3 septembre 2019.
6 Syndicat des copropriétaires Les Villas du golf, Phase II et Maisons Zibeline, 15 mars 2010, AZ-50624221, aux para. 30 à 40. L’article 29 du Règlement prévoit plusieurs exclusions, dont les espaces de stationnement et les locaux d’entreposage situés à l’extérieur du bâtiment où se trouvent les unités résidentielles et tout ouvrage situé à l’extérieur du bâtiment tels les piscines extérieures, le terrassement, les trottoirs, les allées et le système de drainage des eaux de surface du terrain.
7 Témoignage de Monsieur Carlini.
le non-respect des délais de mise en œuvre des recours du Bénéficiaire vu sa connaissance de longue date de la situation.
[37] En effet, la preuve démontre que les infiltrations d’eau et la fissuration étaient connues dès le mois de septembre 2019 (Pièce E-3).
[38] De plus, le Bénéficiaire avait connaissance des tentatives d’injections des fissures par l’Entrepreneur ayant eu lieu en novembre 2019. Les buses d’injections sont d’ailleurs toujours en place. (Pièce A-10)
[39] Malgré ce qui précède, le Bénéficiaire indique dans le formulaire de dénonciation une première observation des fissures en février 2020 et du manque d’étanchéité de la dalle en juillet 2020. Ces dates sont pour le moins curieuses.
[40] Le représentant de l’Entrepreneur, Monsieur Carlini, témoigne que les représentants du Bénéficiaire ne lui parlent pas de cette problématique lors de la visite du mois d’août 2020. Les représentants du Bénéficiaire ne le contredisent pas.
[41] Même en retenant les dates de première observation inscrites au formulaire de dénonciation, ce n’est que le 1er février 2021 que le Bénéficiaire transmet une liste de déficiences à l’Entrepreneur, laquelle traite de la fissuration et des infiltrations d’eau (Pièce E-4).
[42] Il est vrai que l’Entrepreneur a fait des tentatives de réparations, mais après le mois de novembre 2019, l’Entrepreneur cesse toute intervention.
[43] Rien n’explique l’attentisme du Bénéficiaire jusqu’au 22 mai 2021 pour procéder à la dénonciation si ce n’est le changement de gestionnaire au sein du Syndicat Bénéficiaire.8 Évidemment, ce fait ne saurait prolonger les délais d’application de la garantie au détriment de l’Entrepreneur et de l’Administrateur.
[44] La dénonciation survient :
a. Près d’un an après la réception présumée9 des parties communes fixée au 1er juin 2020 du consentement des Parties10;
b. Plus de seize mois après la première observation de la fissuration telle que déclarée dans le formulaire de dénonciation, si tant est que cette date soit retenue (Pièce A-10);
c. Près d’un an après la première observation du manque d’étanchéité de la dalle, telle que déclarée dans le formulaire de dénonciation, si tant est que cette date soit retenue (Pièce A-10).
8 Témoignage de Monsieur Stéphane Fournier.
9 Article 25.1 du Règlement.
10 Décision de gestion #3 en date du 28 juin 2023.
[45] Compte tenu de ce qui précède, la qualification de malfaçon apparente, non apparente ou de vice caché n’a aucune influence sur le résultat de l’analyse.
[46] Le Tribunal est d’avis que la dénonciation du Bénéficiaire est tardive puisque celle- ci a été faite plus de 12 mois après la date de l’apparition des problématiques. Ce délai est déraisonnable en vertu du Règlement applicable en l’instance.
[47] En prenant cette décision, le Tribunal ne minimise en rien les impacts de la situation pour le Bénéficiaire dont la démonstration a été faite, mais la juridiction du Tribunal est encadrée par un Règlement dont les prescriptions sont claires quant aux délais applicables. Le Tribunal se doit de les appliquer.
[48] Considérant la décision rendue quant à la première question, le Tribunal est d’avis qu’il n’est pas requis de répondre à cette question.
[49] Considérant ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la décision de l’Administrateur doit être écartée en raison du délai déraisonnable de dénonciation des problématiques par le Bénéficiaire.
[50] Le Tribunal rappelle par ailleurs aux Parties que la présente décision s’inscrit uniquement dans le cadre strict de l’application du Règlement et de la couverture offerte par le Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs.
[51] Le mandat de l’expert Checknorm inc. était limité à l’analyse règlementaire de la conformité de la construction des structures de béton recouvrant les allées véhiculaires des bâtisses sous la gestion du Bénéficiaire.11
[52] Or, la position de l’Entrepreneur à cet égard n’est pas contredite ni par la Déclaration de copropriété (Pièce E-2), ni par la décision de l’Administrateur. L’Administrateur indique à la page 16 de sa décision (Pièce A-10) :
« Il est important de préciser que les espaces en-dessous des terrasses ne sont pas habitables, lesquels donnant accès aux garages intérieurs. »
11 Pièce E-9 et témoignage de l’expert M. Gonzalez.
[53] D’ailleurs, la décision de l’Administrateur n’exigeait pas une étanchéisation de la structure à la manière d’une toiture dont il a abondamment été question pendant l’audience, mais plutôt la réparation et le colmatage de certaines fissures suivant leurs tailles.
[54] L’article 38 du Règlement indique ce qui suit :
« L’arbitre doit statuer, s’il y a lieu, quant au quantum des frais raisonnables d’expertises pertinentes que l’administrateur doit rembourser au demandeur lorsque celui-ci a gain de cause total ou partiel. » [Notre emphase]
[55] En conséquence, le Tribunal est d’avis que cette expertise n’était pas pertinente en l’instance et n’a pas contribué dans l’analyse nécessaire à la présente décision.
[56] Le Tribunal rejette donc la demande de l’Entrepreneur quant au remboursement des frais d’expertise encourus en l’instance.
[57] Considérant ce qui précède, le Tribunal accueille la contestation de l’Entrepreneur, écarte la décision de l’Administrateur en l’instance et rejette les réclamations du Bénéficiaire quant aux points 1 et 2 de sa réclamation.
[58] Dans les circonstances et conformément à l’article 37 du Règlement, le Tribunal ordonne le partage des frais de l’arbitrage à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur.
[59] Finalement, le Tribunal tient à souligner et remercier les Parties pour le professionnalisme dont ils ont fait preuve tout au long du processus et de l’audience.
[60] ACCUEILLE la contestation de l’Entrepreneur à l’encontre de la décision de l’Administrateur datée du 23 août 2022.
[61] ANNULE la décision de l’Administrateur datée du 23 août 2022.
[62] REJETTE les réclamations du Bénéficiaire énoncées dans le Formulaire de dénonciation à l’Entrepreneur daté du 22 mai 2021.
[63] REJETTE la demande de l’Entrepreneur quant au remboursement des frais d’expertises encourus en l’instance.
[64] ORDONNE le partage des coûts du présent arbitrage à parts égales entre l’Administrateur et l’Entrepreneur conformément à l’article 37 du Règlement, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619
C.c.Q. à compter de la date de la facture émise par l’organisme d’arbitrage, après un délai de grâce de 30 jours.
Montréal, le 1er novembre 2023 |
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Me Marie-Claude Martel, Arbitre |
Audience : 6 et 7 septembre 2023 Présents :
Me Julie Parenteau
9508848 Canada inc./Le Groupe Devlan Entrepreneur
Monsieur Stéphane Fournier Monsieur Denis Poulin Bénéficiaire
Me Marc Baillargeon
Garantie Construction Résidentielle Administrateur