ARBITRAGE EN VERTU DU RÈGLEMENT SUR LE PLAN

DE GARANTIE DES BÂTIMENTS RÉSIDENTIELS NEUFS

(décret 841-98 du 17 juin 1998)

 

Organisme d'arbitrage autorisé par la Régie du bâtiment :

Le Groupe d'arbitrage et de médiation sur mesure (GAMM)

 

 

 

ENTRE :

Florian Lévesque

(ci-après le « bénéficiaire »)

 

ET :

A à Z Construction-Rénovation inc.

(ci-après l'« entrepreneur »)

 

ET :

La Garantie Abritat inc.

(ci-après l'« administrateur »)

 

 

No dossier GMB : 20347 / 509226

No dossier GAMM : 2011-08-001

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

Arbitre :

M. Claude Dupuis, ing.

 

Pour le bénéficiaire :

M. Florian Lévesque

 

Pour l'entrepreneur :

Me Daniel Dupras

 

Pour l'administrateur :

Me Luc Séguin

 

Date d’audience :

30 août 2011

 

Lieu d’audience :

Granby

 

 

Date de la sentence :

12 septembre 2011

I : INTRODUCTION

[1]         Les événements se rapportant au présent différend se sont échelonnés sur une période d’environ deux ans et demi, sous l’égide de deux administrateurs distincts, soit La Garantie des Maîtres Bâtisseurs inc. à compter de l’acquisition du bâtiment par le bénéficiaire en octobre 2008 jusqu’en mars 2011, au moment où La Garantie Abritat inc. a pris la relève, et ce, jusqu’à ce jour.

Le différend

[2]         Trois mois après la prise de possession, soit le 21 janvier 2009, le bénéficiaire, M. Florian Lévesque, adressait à l’administrateur, La Garantie des Maîtres Bâtisseurs inc. (GMB), une réclamation comportant 22 éléments.

[3]         Dans son rapport de décision daté du 4 novembre 2009, la GMB a accepté 13 des 22 éléments faisant l’objet d’une réclamation de la part du bénéficiaire et a exigé que l’entrepreneur exécute les travaux requis avant le 31 janvier 2010.

[4]         Une des corrections exigées par l’administrateur portait sur le plancher de bois franc (salon, salle à dîner et passage). À cet égard, je cite un extrait de la décision de l’administrateur :

GMB a constaté plusieurs interstices dans le revêtement de plancher de bois. Le nombre anormalement élevés d’interstices et une largeur anormale de certaines dépasse la norme habituellement reconnue qui est de 1.1 mm. Les embouts des lattes du revêtement de plancher de bois franc ne sont pas décalées selon les règles de l’art à plusieurs endroit.

[…]

GMB est en mesure d’affirmer que le revêtement de plancher de bois du Bénéficiaire n’est pas dans un état auquel un Bénéficiaire est en droit de s’attendre. L’état du revêtement de plancher de bois ne respecte pas les normes de qualité de l’industrie.

(sic)

[5]         Au début de février 2011, soit quelque 15 mois après la décision de l’administrateur (GMB), aucune intervention n’a encore été effectuée sur le plancher de bois franc.

[6]         C’est à ce moment-là que le bénéficiaire, M. Lévesque, fait appel à des sous-traitants pour procéder au remplacement de ce plancher.

[7]         Le 23 mars 2011, M. Lévesque fait parvenir au nouvel administrateur depuis le début de ce mois, La Garantie Abritat inc., une réclamation au montant de 4 974,93 $ pour le remplacement dudit plancher.

[8]         Dans une décision datée du 9 mai 2011, La Garantie Abritat inc. refuse cette dernière réclamation, alléguant que seuls les cas de travaux d’urgence ou de mesures conservatoires peuvent faire l’objet d’un remboursement par l’administrateur.

[9]         En cours d’enquête, les personnes suivantes ont témoigné :

-       M. Florian Lévesque, bénéficiaire

-       M. Daniel Pigeon, entrepreneur spécialisé

-       M. Yvan Gadbois, technologue professionnel, La Garantie Abritat inc.

II : POSITION DU BÉNÉFICIAIRE

[10]        M. Lévesque souligne les nombreux délais survenus à la suite de sa réclamation.

[11]        Il cite une lettre du procureur de l’administrateur (GMB), datée du 25 février 2010 et adressée à l’entrepreneur, ordonnant à ce dernier d’exécuter tous les travaux requis; six mois plus tard, le bénéficiaire reçoit de l’entrepreneur une offre d’un versement d’une somme de 3 000 $ en règlement complet et final de sa réclamation.

[12]        Le bénéficiaire nous informe que certains travaux d’urgence relatifs aux installations électriques ont été pris en charge par la Régie du bâtiment.

[13]        M. Lévesque témoigne que le 14 janvier 2010, M. Pierre Couture, l’entrepreneur, s’est présenté à son domicile pour exécuter certains travaux avec une personne qui n’a pas voulu s’identifier. M. Lévesque a donc refusé cette intervention; c’est alors que  M. Couture aurait répondu « On se reverra en cour dans deux ans » et aurait ajouté « Mon… je vais te planter ».

[14]        Le 14 octobre 2010, M. Couture a tenté une autre intervention chez le bénéficiaire; selon ce dernier, l’entrepreneur lui a encore une fois proféré des menaces, et M. Lévesque lui a donc refusé l’accès à sa demeure.

[15]        M. Lévesque explique que les interstices présents dans son plancher de bois franc laissaient pénétrer la poussière ainsi que les déchets de table, causant de ce fait une malpropreté excessive. Il ajoute que les taches de colle laissées par l’entrepreneur sur le plancher de bois franc étaient impossibles à récurer.

[16]        Tout au long de ces démarches, M. Lévesque gardait toujours espoir que La Garantie exécute les travaux prescrits dans sa propre décision.

[17]        Finalement, en janvier-février 2011, il a lui-même fait effectuer le remplacement du plancher, alors que les autres travaux ont été exécutés par l’administrateur actuel, La Garantie Abritat inc., en juin 2011; entre janvier et juin 2011, l’entrepreneur ne s’est point présenté chez lui.

[18]        M. Daniel Pigeon est l’entrepreneur spécialisé qui, à la demande du bénéficiaire, a enlevé le plancher existant et installé un nouveau plancher de bois franc.

[19]        Selon le témoin, les anciennes planches étaient de piètre qualité, de largeur variable, de courte longueur (80 % des planches avaient une longueur se situant entre 9 et 14 pouces), et une cinquantaine étaient déjà fendues; l’installation était de plus médiocre; ce plancher ne pouvait en aucun cas être réparé.

Argumentation

[20]        M. Lévesque rappelle que la décision de l’administrateur du 4 novembre 2009 n’a jamais été respectée, alors qu’il n’en pouvait plus de vivre dans cette maison. Il avait donc décidé de vendre son condo, mais ce dernier n’était pas en état de l’être.

[21]        Il insiste sur le fait qu’il a laissé amplement de temps à l’entrepreneur et à l’administrateur pour exécuter les travaux.

III : POSITION DE L’ADMINISTRATEUR

[22]        M. Yvan Gadbois, technologue professionnel, nous informe que l’APCHQ a acquis La Garantie des Maîtres Bâtisseurs en mars 2011, laquelle opère depuis lors sous le vocable de La Garantie Abritat.

[23]        M. Gadbois témoigne qu’il n’a pu donner suite à la demande de remboursement du bénéficiaire, et ce, à cause du contrat de garantie.

[24]        Ce dernier prévoit des remboursements seulement en cas de mesures d’urgence ou de mesures conservatoires pour éviter la dégradation du bâtiment.

[25]        Questionné par le soussigné, M. Gadbois qualifie de déraisonnables les délais subis par M. Lévesque dans le présent dossier.

Argumentation

[26]        Le procureur soumet que le bénéficiaire demande de l’indemniser et de le rembourser pour le remplacement du plancher.

[27]        Or, les obligations de l’administrateur après réception se retrouvent à l’article 27 du plan de garantie, lequel ne prévoit que le parachèvement des travaux ainsi que la réparation des malfaçons et des vices; les autres indemnisations prévues aux articles 26 et 34.5° ne nous concernent pas.

[28]        Le procureur estime que la présente situation est malheureuse; il s’agit de circonstances particulières et litigieuses entre l’entrepreneur et le bénéficiaire.

[29]        Le problème du plancher n’est pas de nature à nécessiter une réparation ni une mesure conservatoire; il s’agit d’une situation non urgente.

[30]        De fait, le bénéficiaire, depuis octobre 2008, n’a pas interrompu son occupation; l’habitat n’est donc pas impropre à l’usage auquel on le destine.

[31]        Il s’agit essentiellement d’un problème d’esthétique causant des désagréments.

IV : POSITION DE L’ENTREPRENEUR

Argumentation

[32]        Le procureur est d’avis que la demande du bénéficiaire doit être rejetée, car l’on n’est pas dans un cas de réparations conservatoires nécessaires et urgentes.

[33]        M. Lévesque avait toujours l’espoir que l’administrateur ou l’entrepreneur fasse les travaux; c’est là une autre preuve que l’on n’est pas en matière urgente.

[34]        Le procureur estime que M. Lévesque est en partie responsable du fait que les travaux n’ont pas été exécutés, car il n’a pas mis d’eau dans son vin; voilà un motif suffisant pour diminuer sa réclamation.

[35]        Le procureur s’interroge à savoir si le montant de la réclamation ne pourrait pas être diminué vu que le nouveau matériel installé est de qualité supérieure au matériel original.

[36]        Il conclut que M. Lévesque a fait preuve d’impatience, puisque deux mois plus tard, La Garantie Abritat a corrigé les éléments de sa réclamation originale.

V : DÉCISION ET MOTIFS

[37]        Rappelons que dans sa décision du 4 novembre 2009, l’administrateur de l’époque, La Garantie des Maîtres Bâtisseurs, avait favorablement accueilli 13 éléments de la réclamation du bénéficiaire, dont le plancher de bois franc faisant l’objet du présent litige. Les autres éléments sont de natures diverses; certains découlent des installations électriques et ils ont été corrigés par l’administrateur actuel, La Garantie Abritat, en juin 2011.

[38]        En ce qui a trait au plancher de bois franc, le bénéficiaire, M. Lévesque, a lui-même fait appel à des sous-traitants pour en effectuer le remplacement en janvier-février 2011; à cet égard, il réclame un remboursement de 4 974,93 $.

[39]        Il s’est écoulé près de 15 mois entre la décision de l’administrateur (4 novembre 2009) et le moment où M. Lévesque a lui-même fait exécuter les travaux (janvier-février 2011).

[40]        Durant la même période, l’administrateur a émis à l’entrepreneur trois ordres d’exécution :

-       Le premier se retrouve dans sa décision du 4 novembre 2009 :

Considérant le congé de l’industrie de la construction durant la période des fêtes, GMB exige donc que l’Entrepreneur exécute les travaux demandés dans cette Décision de l’Administrateur, d’ici le 31 janvier 2010.

-       Une lettre du procureur de l’administrateur du 25 février 2010 adressée à M. Pierre Couture, entrepreneur, contient un rappel; en voici un extrait :

Nous vous demandons de bien vouloir nous faire part de vos intentions, concernant les travaux à effectuer chez M. Lévesque, et ce dans les cinq (5) jours de la réception de la présente. À défaut de recevoir de vos nouvelles dans ce délai, ou en cas de refus de votre part, GMB fera exécuter tous les travaux reconnus dans sa décision du 4 novembre 2009, par un autre entrepreneur en construction de son choix, et encore une fois le coût de ces travaux vous sera réclamé par la suite.

Nous vous rappelons qu’en vertu des articles 4.1.5 et 4.1.6 de la Convention d’adhésion que vous avez signée avec GMB vous êtes tenu de respecter vos engagements et de « parachever les travaux ou réparer les vices et malfaçons couverts par la garantie, et ce, dès que GMB est d’avis qu’une réclamation est fondée ».

-       Une autre lettre du procureur de l’administrateur, datée du 13 septembre 2010 et adressée à M. Pierre Couture, indique ce qui suit :

Si nous n’avons aucune réponse de votre part nous indiquant vos intentions, ou dans l’éventualité ou [sic] vous choisissez de faire les travaux, et que ceux-ci n’ont pas été complétés le jeudi 30 septembre à 16h30, notre cliente fera effectuer lesdits travaux par un autre Entrepreneur de son choix, sans autre avis ni délai, ou choisira de transmettre la somme de 10 112.06 $ à monsieur Lévesque en règlement complet et final de cette réclamation.

[41]        L’entrepreneur n’a pas observé les consignes prescrites dans les trois citations précédentes, alors que l’administrateur n’a pas non plus fait exécuter les travaux par un autre entrepreneur, tel qu’indiqué dans ses lettres.

[42]        Pourquoi les travaux n’ont-ils pas été exécutés, ni par l’entrepreneur, ni par l’administrateur? Est-ce à cause du comportement fautif du bénéficiaire?

[43]        Il existe une preuve non contredite à l’effet que M. Lévesque a subi à au moins deux occasions des assauts verbaux de la part de M. Couture, l’entrepreneur; à une de ces occasions, M. Couture aurait dit à M. Lévesque « Je vais te planter ».

[44]        Dans le présent dossier, il n’existe aucune preuve d’agressivité de M. Lévesque à l’endroit de M. Couture, bien au contraire.

[45]        Je cite un autre extrait d’une lettre évoquée précédemment, soit celle du 25 février 2010 adressée à M. Pierre Couture, entrepreneur, par le procureur de La Garantie des Maîtres Bâtisseurs :

Nous constatons cependant suite aux nombreuses interventions du soussigné dans plusieurs dossiers relativement à l’application par notre cliente, du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, votre attitude agressive et vos agissements grossiers et irrespectueux envers l’Administrateur (GMB) et vos propres clients.

De plus, lors d’une visite de monsieur Caron chez monsieur Lévesque, le 15 février courant, ce dernier a indiqué qu’il refusait votre présence dans son domicile.

[46]        Certes, l’auteur de cette lettre, soit le procureur de l’administrateur, n’a pas toujours été personnellement témoin du comportement de M. Couture; nul doute que les informations lui proviennent de M. Marco Caron, conseiller technique pour La Garantie des Maîtres Bâtisseurs à l’époque et auteur du rapport de décision du 4 novembre 2009. Or, M. Caron n’avait aucun avantage à amplifier le comportement fautif de l’entrepreneur, bien au contraire.

[47]        Les agissements de l’entrepreneur durant cette période de 15 mois démontrent qu’il ne voulait pas exécuter les travaux exigés par l’administrateur et adoptait une attitude agressive et intimidante envers le bénéficiaire; de ce fait, l’entrepreneur n’a pas observé un des éléments de la Liste des engagements de l’entrepreneur apparaissant à l’annexe II du plan de garantie :

L'entrepreneur s'engage:

[…]

  4°    sans restreindre la responsabilité qui est sienne en vertu des lois en vigueur au Québec, à respecter la garantie lui incombant en vertu du plan de garantie approuvé par la Régie et, le cas échéant, à parachever les travaux ou à réparer les vices et malfaçons couverts par la garantie et ce, dès que l'administrateur est d'avis qu'une réclamation est fondée, sauf au cas de contestation;

[48]        Durant la même période, à défaut par l’entrepreneur d’effectuer les travaux, l’administrateur n’a pas pris charge de les exécuter selon ses obligations dictées à l’article 34.6° du plan de garantie.

[49]        Toujours durant cette même période, selon la preuve recueillie, le plancher de M. Lévesque était dans une piètre condition; les photos déposées lors de l’audience le démontrent clairement; ce plancher ne rencontrait pas les normes établies; à cause des interstices, il était impossible de le nettoyer efficacement.

[50]        Le bénéficiaire, selon son témoignage, aurait souhaité mettre sa maison en vente, mais il ne pouvait pas à cause de l’état du plancher.

[51]        Au bout de 15 mois, les travaux reconnus par l’administrateur dans son rapport du 4 novembre 2009 n’avaient pas encore été effectués, ni par l’entrepreneur, ni par l’administrateur; ce délai m’apparaît tout à fait déraisonnable; et c’est là aussi l’opinion de M. Yvan Gadbois, directeur du Service de la conciliation de La Garantie Abritat qui a poursuivi les dossiers de La Garantie des Maîtres Bâtisseurs.

[52]        Le remboursement des frais du bénéficiaire par l’entrepreneur ou l’administrateur ne cause aucun préjudice à ces derniers, puisque ces frais, dont le montant n’a pas fait l’objet de critique quant au remplacement intégral du plancher lors de l’audience, se devaient d’être acquittés par l’un ou l’autre; de la même façon, quatre mois plus tard, le nouvel administrateur a déboursé pour les éléments, autres que le plancher, reconnus dans la décision du 4 novembre 2009.

[53]        Je cite ci-après l’article 116 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs :

116.  Un arbitre statue conformément aux règles de droit; il fait aussi appel à l'équité lorsque les circonstances le justifient.

[54]        Après 15 mois d’attente, soit en janvier-février 2011, le bénéficiaire ne savait pas que La Garantie des Maîtres Bâtisseurs deviendrait en mars la propriété de l’APCHQ et désespérait de voir un jour son plancher remplacé.

[55]        La preuve n’a révélé aucun manque ou aucun comportement nuisible de la part de M. Lévesque durant cette même période.

[56]        Pour ces motifs, la présente réclamation est favorablement ACCUEILLIE; elle sera toutefois réduite d’un montant de 32,41 $, résultant d’un avis par huissier, non couvert par la garantie.

[57]        Le tribunal ORDONNE donc à l’entrepreneur de rembourser au bénéficiaire un montant de quatre mille neuf cent quarante-deux dollars et cinquante-deux cents (4 942,52 $), et ce, dans les trente (30) jours de la présente.

[58]        À défaut par l'entrepreneur de se conformer à l’ordonnance précédente, le tribunal ORDONNE à l'administrateur de le faire dans le délai ci-devant prescrit.

Les coûts d’arbitrage

[59]        Conformément à l’article 37 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, les coûts du présent arbitrage sont entièrement à la charge de l’administrateur.

 

BOUCHERVILLE, le 12 septembre 2011.

 

 

 

 

 

 

 

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Claude Dupuis, ing., arbitre