Canada
Province de Québec Centre canadien d’arbitrage commercial
District de Québec
Dossier CCAC : S10-170210-NP
Nancy et Éric Paquin, [...], Ville de Porneuf
Les bénéficiaires
C
Constructions Y.P.E. inc, 591, Coteau des Roches, Notre-Dame-de-Porneuf
L’entrepreneur
Et
La Garantie Habitation du Québec
L’administrateur
Sentence arbitrale
1 Un contrat est intervenu entre les bénéficiaires et l’entrepreneur pour la construction d’une maison résidentielle dont la réception a eu lieu le 29 août 2009. Les bénéficiaires y ont emménagé dans les jours qui ont suivi.
2 Ce contrat est assorti d’une garantie en vertu du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, dont La Garantie Habitation assure l’administration.
3 À la suite de plaintes formulées par les bénéficiaires, l’administrateur a fait procéder à une inspection du bâtiment suivie d’un rapport le 19 janvier 2010[1]. L’inspecteur y reconnaît deux chefs de grief, mais rejette les 10 autres. Les bénéficiaires contestent cette décision.
4 L’audition s’est tenue à la résidence des bénéficiaires, où on a pu examiner les lieux où il existerait des malfaçons. La liste des griefs est établie dans le rapport de l’inspecteur et l’enquête a porté sur neuf des items.
Item #3 : Apparence des têtes de vis sur les murs :
5 Le plan de garantie fait une exception pour les réparations découlant du comportement normal des matériaux suite au séchage. C’est ici le cas.
6 En second lieu, ce sont les bénéficiaires qui ont convenu de faire eux-mêmes la peinture. Ils devaient réaliser les travaux de la même façon que le ferait un peintre. Il a été établi que la méthode normale de procéder est de poser une couche d’apprêt, ce qui permet de bien voir les irrégularités et défauts apparents, de les corriger ou faire corriger par l’entrepreneur s’il y a lieu, puis de poser les deux couches de finition.
7 L’entrepreneur avait vu les bénéficiaires à l’époque et leur avait remis du placoplâtre pour effectuer les corrections appropriées. Si comme peintres, les bénéficiaires avaient suivi la méthode reconnue, les imperfections auraient été corrigées. Ce chef de plainte est rejeté.
Items # 4 et 10 : Murs croches
8 Les murs situés de part et d’autre de la porte principale auraient une différence de largeur d’un demi-pouce entre le haut et le bas. Le mur situé entre le passage et les armoires serait également comme incurvé vers l’intérieur.
9 Ces plaintes ont été écartées par l’inspecteur au motif qu’elles résultent du séchage des matériaux, qu’ils n’ont pas été dénoncés lors de la réception et qu’au surplus ces légères anomalies sont normales et conformes aux tolérances et aux usages du marché.
10 Les experts ont donné leur avis sur cette situation. L’expert Leblanc soumet qu’il n’existe aucune tolérance prévue dans le Code du bâtiment, alors que l’architecte Larrivée déclare que l’usage bien établi est à l’effet qu’il s’agit d’une question d’apparence. En se plaçant à environ six à dix pieds des murs, on doit pouvoir percevoir l’anomalie.
11 L’arbitre fait confiance à la compétence particulière de l’expert Larrivée de préférence à celle de l’ingénieur Leblanc.
12 Dans les deux cas, l’arbitre a bien regardé les murs et n’a pu y déceler une anomalie visible à quelques pieds d’éloignement, qui affecterait leur solidité, leur esthétique ou leur usage. La plainte ne peut être accueillie.
Item #5 : Joints de placoplâtre
13 Il est admis qu’après la livraison, certains joints de placoplâtre ont été repris par l’entrepreneur. Selon l’inspecteur ce travail est satisfaisant. Entre les murs et les plafonds du rez-de-chaussée la finition n’a pas été complétée parce que les bénéficiaires avaient l’intention d’installer une moulure, ce qu’ils ont renoncé à faire par la suite.
14 Il y a cependant problème en ce qui concerne deux joints verticaux constitués de tiges métalliques de coin. Il y a décollement entre la tige et le mur de gypse. On a expliqué que les tiges de coin ont été fixées par un procédé d’agrafage. À deux endroits et sur quelques pouces de longueur un décollement s’est produit. On peut l’attribuer soit au séchage soit à une combinaison du séchage et d’un agrafage défectueux ou insuffisant L’arbitre favorise la seconde hypothèse. On voit aussi que la couche de placoplâtre destinée à relier les tiges et les panneaux de gypse n’est pas suffisante ou irrégulière.
15 Dans son témoignage, l’entrepreneur déclare que dans les 5 ans suivant la livraison il a toujours été prêt à faire les réparations requises aux joints verticaux. Il nous est apparu consentant à faire de même dans le présent cas. Il devra procéder à la correction.
Item # 6 Peinture suite aux réparations.
16 Selon la preuve l’inspecteur avait raison de considérer que le peintre devait signaler les imperfections dans le travail du plâtrier, et de faire faire les correction avant ses travaux de peinture. L’expert Larrivée abonde dans le même sens. Comme les bénéficiaires ont décidé d’être eux-mêmes les peintres, la même obligation leur incombe.
17 S’ils avaient suivi la méthode reconnue et signalé les anomalies en temps utile, il n’y aurait pas eu de peinture inutilement posée. L’arbitre n’accueille pas ce grief.
Item # 7 : Pare-vapeur au sous-sol
18 L’entrepreneur devait installer un pare-vapeur entre les solives du sous-sol. Il l’a fait mais n’a pas scellé les différentes sections entre elles et avec la structure de bois avoisinante. L’inspecteur soumet que l’installation telle qu’elle existe est conforme aux normes et usages du marché L’expert Larrivée souligne quelques défectuosités dans l’installation du pare-vapeur, mais n’en donne pas moins raison à l’inspecteur.
19 Le but recherché par un scellement des sections du pare-vapeur est de créer une continuité et ainsi de mieux protéger le bâtiment contre le froid et l’humidité. À notre avis ce but n’est pas adéquatement rencontré dans le présent cas. La plainte est accueillie. Le constructeur devra installer un ruban de scellement partout où c’est requis.
Items # 8, 9, et 11 : La galerie avant.
20 Le terrassement de l’avant de la propriété est la responsabilité des bénéficiaires.
21 La configuration des lieux, l’implantation du bâtiment, sa hauteur et les contraintes concernant l’égout, la protection du solage contre le gel et l’esthétique de l’ensemble font en sorte qu’il est évident que le terrain doit être exhaussé beaucoup plus qu’il ne l’est actuellement. Les piliers de béton que l’entrepreneur a installés sous la galerie l’ont été à une hauteur qui prévoit un tel niveau de terrassement.
22 Si l’exhaussement était fait à la hauteur normale et indiquée par les experts, l’entrepreneur n’aurait pas à installer un garde-corps sur la galerie.
23 Devant l’arbitre il s’est engagé une discussion sur la solution à apporter. D’une part, des travaux d’égout doivent être réalisés dans la rue devant la maison, des délais seront à prévoir, des matériaux d’excavation seront peut-être disponibles pour les bénéficiaires. D’autre part ceux-ci sont résolus à hausser leur terrain suffisamment pour préserver son égouttement, la protection contre le gel et l’esthétique de l’ensemble.
24 Nonobstant la prétention que le défaut n’a pas été dénoncé selon les règles et dans les délais, on a convenu verbalement qu’à la suite du terrassement, l’entrepreneur installera autour des piliers de bois des cônes de protection contre l’humidité et la pourriture. Il le fera lorsque les bénéficiaires lui indiqueront le moment approprié, et avec des délais raisonnables d’exécution. L’arbitre entérine cette entente et la déclare exécutoire.
Item #12 : Recouvrement des colonnes.
25 Cette plainte a été abandonnée.
Paiement du solde du contrat.
26 Selon les modalités de paiement du contrat liant les parties[2], le solde du prix de construction est de 22 772.58 $. Il est dû 15 jours après la fin des travaux. On y prévoit des frais d’administration de « 2.5% par mois (30% par année) après 30 jours, composé mensuellement ».
27 Les bénéficiaires ont emménagé au tout début de septembre 2009. Le formulaire d’inspection pré réception du 3 septembre indique que la fin des travaux est prévue pour le 1er octobre suivant. Les seules notes restrictives inscrites au formulaire sont la réparation de joints à certains endroits, la réparation de cadre de porte et de trous de vis non cachées.
28 La plainte des bénéficiaires auprès de l’entrepreneur est du 10 novembre suivant. Elle sera suivie d’une demande d’intervention de l’administrateur.
29 Malgré l’occupation des lieux, les demandes de l’entrepreneur et le recours à la Garantie, les bénéficiaires ont refusé de payer le solde du contrat.
30 Lors d’une conférence téléphonique du 31 mars 2010, le procureur de l’entrepreneur a demandé à l’arbitre d’ordonner le paiement. Le procureur des bénéficiaires a plutôt suggéré de rendre une ordonnance obligeant le prêteur des bénéficiaires de retenir le solde en attendant l’issue du litige. L’arbitre a opté pour cette dernière proposition dans une décision intérimaire du 29 avril suivant.
31 La présente décision dispose maintenant du fond du litige. Il y a donc lieu de disposer de la question du paiement du solde.
32 Le procureur des bénéficiaires continue de s’opposer au paiement pour deux motifs principaux :
33 A- Il y a litige entre les parties en cour civile sur des questions qui ne touchent pas les sujets couverts par l’administrateur. Selon l’affirmation du procureur, elles porteraient sur des extras
34 B- Les bénéficiaires auraient déposé une nouvelle réclamation auprès de l’administrateur pour d’autres défectuosités ou malfaçons. À cet égard, leur procureur dépose au dossier une lettre à la Garantie habitation datée du 11 juin demandant l’ouverture d’un nouveau dossier. Cependant il ne dépose pas d’accusé de réception de la lettre par la Garantie. Le représentant de cette dernière informe que ses recherches ne révèlent pas que cette lettre ait été reçue par elle à la date du 15 juin.
35 Sur le point A, l’entrepreneur fait appel à l’article 2111 C.c.Q. qui de l’avis de l’arbitre s’applique en l’espèce, puisqu’il y a eu réception de l’ouvrage. L’article prévoit que le client (ici les bénéficiaires) peut retenir une part suffisante du prix jusqu’à ce que les réparations ou corrections soient exécutées.
36 Le droit de retenir une somme suffisante pour corriger les malfaçons est rencontré par les dispositions du contrat de construction et de garantie obligatoire de maison neuve [3]signé par les parties
37 Si l’entrepreneur ne fait pas les travaux ordonnés par l’inspecteur et ceux que décrète la présente sentence, la Garantie devra les exécuter ou faire exécuter sans frais pour les bénéficiaires Il y a donc garantie complète et suffisante au sens de l’article du Code.[4]
38 Étant au stade de la sentence finale, le paiement du solde du contrat doit être fait dès maintenant.
Les intérêts et leur taux
39 La question des intérêts et de leur taux a été laissée en blanc à l’article 4.16 du contrat d’entreprise[5]. Elle est inscrite dans un document intitulé « Modalités de paiement »[6]
39 Les intérêts sont dus « 35 jours après travaux terminés », soit le 5 novembre suivant.
40 L’arbitre considère que les « frais d’administration » convenus entre les parties ne peuvent être considérés en droit comme une clause légale d’intérêts. Ils sont inscrits dans un document préparé par l’entrepreneur auquel les bénéficiaires devaient adhérer.
41 Ils sont déguisés sous le nom de frais d’administration. Il n’y a pas de preuve que ces frais aient été réellement encourus. Au surplus s’il s’agissait vraiment d’une clause d’intérêts, elle serait abusive et même carrément usuraire. Le taux applicable sera de taux légal de 5%.[7].
42 Le recours en cour civile portant vraisemblablement sur des extras ne peut être considéré dans le cadre du présent litige, n’ayant pas de lien avec une question de garantie en vertu du Plan.
43 Sur le point B : si une nouvelle réclamation est déposée auprès de la Garantie, elle suivra son cours normal. S’il est reconnu que l’entrepreneur doit exécuter des travaux, ceux-ci devront, le cas échéant, l’être par la Garantie si l’entrepreneur ne les réalise pas. Le bénéficiaire demeure protégé en vertu du Plan.
Les frais d’expertise
44 Les articles 63 et suivants du Règlement d’arbitrage sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs s’appliquent aux frais en général.
45 Les bénéficiaires et l’entrepreneur ont fait témoigner chacun un expert à l’appui de leurs prétentions.
46 Les bénéficiaires ont fait entendre l’ingénieur Marcel Leblanc, mais celui-ci n’a pas produit de rapport écrit portant précisément sur les points soulevés dans le rapport de l’inspecteur et discutés devant l’arbitre[8]. Il s’est plutôt exprimé plus généralement sur l’ensemble des travaux et plus spécialement sur les escaliers intérieurs, le patio et l’escalier du patio[9]. Son évaluation des travaux à faire n’est pas assise sur des chiffres tant soit peu précis et elle porte sur des éléments non compris dans le litige ici en cause.
47 Il n’a produit au dossier ni son cv professionnel, ni un compte détaillé se rapportant précisément à l’objet de la contestation devant l’arbitre. Son témoignage et la partie de son rapport qui se rapporte au litige n’ont pas été d’utilité notable pour sa solution.
48 Les bénéficiaires n’auront pas droit au remboursement des honoraires payés ou à payer à M. Leblanc.
49 L’entrepreneur a présenté comme expert l’architecte Nelson Larrivée qui a déposé un rapport, son cv et son relevé d’honoraires. Son témoignage a permis d’éclairer diverses questions comme le degré de tolérance permise concernant l’alignement des murs, la méthode de fixation des coins métalliques des murs intérieurs, les effets du séchage des matériaux, les prescriptions concernant la peinture et le peintre, etc
50 Les articles ci-dessus du règlement ne contiennent rien en ce qui concerne une expertise soumise en preuve par l’entrepreneur. Il faut alors s’en rapporter à l’article 66 qui prévoit que :« ..les dépenses effectuées par les parties intéressées et l’administrateur pour la tenue de l’arbitrage sont supportées par chacun d’eux. »
Les frais de l’arbitrage
51 Selon l’article 63(b) les bénéficiaires n’ont aucun frais à payer s’ils obtiennent gain de cause sur au moins un de leurs griefs. Ici ils ont obtenu un succès partiel lors de la décision de l’inspecteur et devant l’arbitre
Pour ces motifs, l’arbitre :
Accueille les griefs des bénéficiaire sur les items #5 et #7 et condamne l’administrateur à effectuer les travaux, à défaut par l’entrepreneur de le faire dans un délai de 30 jours de la date de la présente.
Entérine et rend exécutoire l’entente intervenue devant l’arbitre en ce qui touche les items #8, #9 et #11, et ordonne au bénéficiaire d’informer l’entrepreneur de la date où ses travaux de terrassement auront été réalisés, de manière à ce que ce dernier pose les protections requises aux poteaux dans un délai raisonnable par la suite;
Rejette les items #3, #4, #6 et #10 ;
Ordonne aux bénéficiaire de payer à l’entrepreneur le solde de 22 772.58 $ dans les 15 jours de la date de la présente, avec intérêts au taux de 5% depuis le 5 novembre 2009 jusqu’à la date du paiement final;
Rejette la demande des frais d’expertise du bénéficiaire;
Rejette la demande de frais d’expertise de l’entrepreneur;
Condamne l’administrateur aux frais d’arbitrage.
Québec, 29 juin 2010
Jean Moisan, arbitre
Audition 16 juin 2010
Procureur des bénéficiaires : Me Éric Beaulieu, (Dussault, Larochelle et al)
Procureur de l’entrepreneur : Me Stéphane Audy (Langlois Kronström Desjardins)
Procureur de l’administrateur : Me Avelino De Andrade